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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MÜSLİM c. TURQUIE
(Requête no 53566/99)
ARRÊT
STRASBOURG
26 avril 2005
DÉFINITIF
26/07/2005
Cet
arrêt deviendra définitif dans les conditions définies
à l’article 44 § 2 de la Convention. Il
peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Müslim c. Turquie,
La
Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième
section), siégeant en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza,
président,
MM. R.
Türmen,
M.
Pellonpää,
K.
Traja,
L.
Garlicki,
Mme L.
Mijović,
M. J.
Borrego
Borrego, juges,
et de M. M.
O’Boyle,
greffier de section,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 31
mars 2005,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
- A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no
53566/99) dirigée contre la République de Turquie et
dont un ressortissant irakien, M. Ahmad Hassan Müslim
(« le requérant »), a saisi la Cour le
1er décembre 1999 en vertu de l’article
34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des
Libertés fondamentales (« la Convention »).
- Le
requérant, qui s’est vu accorder le bénéfice
de l’assistance judiciaire, a été représenté
jusqu’au 1er avril 2004 par Me M. Özenç,
commis d’office par le barreau de Bilecik. Le gouvernement turc
(« le Gouvernement ») est représenté
par sa coagente, Mme D. Akçay.
- Le
requérant alléguait dans sa requête que son
expulsion vers l’Irak lui ferait courir le risque de subir des
mauvais traitements, voire de perdre la vie, aux mains des agents du
parti Baas. Il se plaignait en outre de ne pas avoir disposé
en Turquie d’un recours effectif pour faire valoir son statut
de réfugié. Il invoquait, en substance, les articles 2,
3 et 13 de la Convention.
- La
requête a été attribuée à la
quatrième section de la Cour (article 52 § 1
du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre
chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1
de la Convention) a été constituée conformément
à l’article 26 § 1 du règlement.
- Le
23 février 2001, le Gouvernement a informé le greffe
que le titre de séjour du requérant serait renouvelé
jusqu’à ce que la Cour statue sur
sa requête.
Par
une décision du 1er octobre 2002, la chambre a
déclaré la requête recevable.
- Tant
le requérant que le Gouvernement ont déposé des
observations écrites sur le fond de l’affaire
(article 59 § 1 du règlement). Les parties
ont chacune soumis des commentaires sur les observations de l’autre.
- Le
1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition
de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La
présente requête a été attribuée à
la quatrième section ainsi remaniée (article 52 §
1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
- Le
requérant, M. Müslim, d’origine turkmène,
est né en 1973 à Mossoul (Irak) et est ingénieur
de profession.
A. Les faits antérieurs au renversement du
régime en Irak
1. L’épisode litigieux à l’origine
de la requête, tel qu’exposé par M. Müslim
- Le
17 janvier 1991, le frère du requérant, İbrahim
Hassan Müslim, décéda à Koweït pendant
la guerre du Golfe. Bien que le décès fut
officiellement déclaré comme étant dû à
des blessures, donc naturel, un soldat originaire de Tell Afar (une
ville près de Mossoul) ayant participé à
l’enterrement informa la famille Müslim qu’en
réalité leur fils avait été exécuté
pour avoir tenté de déserter.
- En
mai 1994, l’autre frère du requérant, İsmail
Hassan Müslim, fut arrêté prétendument pour
fabrication de faux papiers. A l’issue d’un procès
expéditif, il fut condamné à une peine
d’emprisonnement de quinze ans, par un tribunal subissant
l’influence de Jasim Al-Tikriti, personnalité puissante
de la branche locale du parti politique Baas, à Rasheeda, et
proche de Saddam Hussein.
Le
requérant fut informé par la suite que son frère
œuvrait pour İsmailgizli Tell Afar, une
organisation dissidente contre le régime en Irak et faisant
partie du mouvement du Front turkmène. Il en déduisit
que son frère avait été condamné pour ses
activités politiques.
- En
février 1998, le gouvernement de Saddam Hussein expropria
de facto deux cents hectares de terres sis à Tell
Afar appartenant au grand-père du requérant, qui s’est
vu promettre une indemnité en contrepartie. Or, cette région
relevait de l’autorité de Jasim Al-Tikriti, lequel
refusa finalement de verser quoi que ce soit, au motif que
l’intéressé n’était pas d’origine
arabe.
En
août 1998, le requérant et son cousin, Hussein Kalaf
Shekho, allèrent voir Jasim Al-Tikriti pour discuter de la
situation ; cependant, une dispute surgit et Hussein ouvrit le feu
sur Jasim Al-Tikriti, qu’il blessa à l’épaule.
Hussein prit la fuite, tout comme le requérant qui se réfugia
chez une proche à Mossoul.
Le
lendemain, Hussein fut arrêté et, sous la torture, il
dénonça le requérant comme étant
l’instigateur de son acte. Poursuivi par les agents des
services secrets irakien, le requérant décida de
quitter l’Irak.
- Alors
qu’il était encore à Mossoul, le requérant
parvint à obtenir un passeport irakien valide jusqu’au
30 août 2002, avec l’aide d’un proche auquel il
versa 750 000 dinars pour qu’il entreprenne les démarches
administratives ; cette personne obtint également au nom du
requérant un visa de l’ambassade de Turquie à
Bagdad. Pour ce faire, elle fit valoir une ancienne lettre
d’invitation adressée au père du requérant
par un cousin vivant en Turquie et dont il ressort que la famille
Müslim aurait des origines, semble-t-il, ottomanes.
- Dans
l’intervalle, une autre connaissance travaillant au bureau de
recensement du contingent irakien transmit au requérant –
par le biais des réseaux du Front turkmène –
copie d’un mandat d’arrêt qui aurait été
décerné à son encontre. Si l’on en croit
la traduction non officielle de ce document, le requérant
était recherché par la police, accusé
d’espionnage contre le parti Baas et la révolution
irakienne ainsi que de trahison du peuple.
- Le
requérant sortit clandestinement du territoire contrôlé
par Bagdad, sans utiliser son passeport, par crainte d’être
identifié. Le 22 septembre 1998, il passa ainsi en Irak
du Nord et se présenta à Selah Mîrani, un
responsable de l’autorité locale, qui lui conseilla de
quitter la région, au motif qu’il n’y serait pas à
l’abri des agents à la solde de Saddam Hussein. Le
requérant paya six cents dollars américains pour
sortir, malgré son passeport en cours de validité. De
fait, depuis la guerre du Golfe, le trafic frontalier en Irak du Nord
était extrêmement désorganisé. A la
frontière, des passeurs collectaient les passeports pour les
soumettre à des agents, qui seuls décidaient du sort
des voyageurs.
Finalement
le requérant rentra légalement en Turquie par la poste
frontalier de Habur (district de Silopi, département de
Şırnak), le 27 septembre 1998, comme l’atteste
son passeport.
2. Les demandes initiales d’asile du requérant
et les procédures entamées en conséquence
- Le
30 septembre 1998, le requérant s’adressa au
bureau d’Ankara du Haut commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (« le Haut commissariat »),
demandant à bénéficier de ce statut.
Le Haut commissariat enregistra cette demande sous le
numéro de dossier 98/PL/180/H-2948, fixa la date de
l’entretien au 20 octobre 1998 et désigna pour le
requérant un lieu d’hébergement à Bilecik.
- Indépendamment
de cette démarche, le requérant lança une
procédure parallèle devant les services de
l’immigration turcs.
Ainsi,
le 25 mars 1999, le requérant demanda à la préfecture
de Bilecik de lui octroyer le statut de « réfugie
temporaire » et de l’autoriser à résider
en Turquie, jusqu’à ce qu’il puisse s’établir
dans un « tiers pays européen ».
Le 1er
octobre 1998, il se présenta à la direction de la
sûreté de Bilecik (« la direction »),
agissant au nom du ministère de l’Intérieur. Deux
agents des services de l’immigration, accompagnés d’un
interprète, questionnèrent le requérant et
remplirent deux formulaires prévus pour les réfugiés
et demandeurs d’asile.
- Le
20 octobre 1998, le requérant fut entendu par les responsables
du Haut commissariat. A l’appui de sa demande, il produisit
notamment copie du mandat d’arrêt susmentionné
délivré à son encontre.
Le 8
décembre 1998, le requérant fut de nouveau convoqué
et auditionné par un officier du Haut commissariat.
Finalement
celui-ci débouta le requérant, considérant qu’il
ne répondait pas aux critères énoncés
dans la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des
réfugiés (« la Convention de 1951 »)
pour obtenir le droit d’asile.
Le 7
janvier 1999, le requérant forma opposition contre cette
décision. Dans l’attente, l’administration turque
lui fournit un titre de séjour temporaire valable jusqu’au
8 mai 2000.
- En
mars 1999, le requérant apprit de la part d’un proche en
Irak que sa mère était continuellement harcelée
et avait été plusieurs fois placée en garde à
vue par les membres des forces de sécurité de Mossoul ;
elle aurait essuyé des insultes, subi des mauvais traitements
et on lui aurait même rasé les cheveux pour la
contraindre à avouer où se trouvait son fils, le
requérant.
Le 15
mars 1999, la même personne informa le requérant que son
cousin Hussein Kalaf Shekho avait été exécuté
le 1er mars pour tentative de meurtre, à l’issue
d’une procédure dans laquelle le requérant aurait
aussi été mis en cause.
- Le
7 mai 1999, un officier du Haut commissariat réexamina le
dossier du requérant et, sans l’entendre, écarta
son opposition. Cette décision ne fut pas signifiée au
requérant.
- Le
11 mai 1999, la direction écrivit à la préfecture
de Bilecik, au ministère des Affaires étrangères
(« le ministère ») et au service national de
renseignements, pour qu’ils donnent leur avis quant à la
demande du requérant, sur la base des deux formulaires
susmentionnés et des conditions prévues dans la
Convention de 1951 ainsi que du règlement no
94/6169 du 14 septembre 1994 sur les procédures applicables
aux demandeurs d’asile. Elle demanda aussi qu’en
attendant, le titre de séjour du requérant soit
prolongé pour une durée de 6 mois.
- Le
8 juin 1999, le frère du requérant, İsmail, alors
qu’il purgeait sa peine d’emprisonnement, aurait été
lui aussi exécuté. La famille n’aurait pu obtenir
la restitution de son corps.
- Le
25 juin 1999, sur le fondement des avis émis par la préfecture
de Bilecik et le service national de renseignements, la direction
conclut que le requérant ne répondait pas aux
conditions requises pour obtenir le statut de réfugié
provisoire, au sens de la Convention de 1951. Cette décision,
notifiée au requérant, l’invitait à en
faire appel dans un délai de 15 jours ou à quitter la
Turquie dans le même délai, faute de quoi, il pouvait
faire l’objet d’une mesure d’expulsion.
Le 1er
juillet 1999, le requérant forma opposition contre cet arrêté.
- Le
13 juillet 1999, il se présenta au Haut commissariat pour
s’enquérir de l’état de son dossier. Il
apprit que son opposition avait été était
écartée. Aussi demanda-t-il par écrit que son
cas soit reconsidéré en tenant compte de la mort de son
cousin et de son frère, survenue dans l’intervalle. Il
s’appuya en outre sur une lettre de soutien de la part du
bureau de Turquie du Front turkmène. Cette lettre, non datée,
confirme l’assassinat d’İsmail par le régime
de Bagdad, en raison de ses activités dissidentes au sein de
İsmailgizli Tell Afar, et précise que le
requérant, originaire de Rasheeda (Tell Afar), donc turkmène,
risquerait sa vie s’il devait retourner en Irak.
Par
conséquent, le 4 août 1999, un autre officier du Haut
commissariat examina derechef le dossier du requérant ;
il décida de le classer.
- Le
9 août 1999, le Haut commissariat notifia au requérant
son ultime décision. Celle-ci précisa que l’intéressé
n’avait pas dûment démontré que son
appréhension d’être persécuté en
Irak était fondée sur l’un des motifs prévus
par la Convention de 1951, à savoir la race, la religion, la
nationalité ou l’appartenance à un groupe social
ou à une opinion politique.
Par la
suite, le dossier du requérant fut présenté au
supérieur hiérarchique des trois officiers du Haut
commissariat qui l’avaient traité ; celui-ci
entérina les conclusions de ses collègues.
- Le
6 janvier 2000, la direction examina l’opposition que le
requérant avait formée le 1er juillet 1998
contre l’arrêté d’expulsion. Elle constata
d’emblée que le ministère n’avait pas
présenté son avis quant au bien-fondé de la
demande de l’intéressé. Sans trancher cette
question, la direction prit acte de la requête introduite
devant la Cour et décida d’office de prolonger le titre
de séjour du requérant de trois mois.
Le 2
février 2000, la direction, après avoir reçu
l’avis favorable du ministère, revint sur sa position.
Considérant que le requérant répondait, en fait,
aux conditions requises pour obtenir le « statut de réfugié
provisoire », elle l’autorisa à résider
provisoirement en Turquie à ce titre.
Le 3
février 2000, la direction informa le requérant et le
Haut commissariat de l’autorisation ainsi accordée.
- Par
des lettres datées des 7 février et 8 mars 2000, le
Gouvernement informa la Cour qu’étant muni d’un
passeport en cours de validité, le requérant pouvait
quitter la Turquie librement et que, même si son recours contre
l’arrêté d’expulsion était finalement
rejeté, il ne serait aucunement forcé de retourner dans
son pays d’origine et demeurerait libre de partir dans le pays
de son choix.
- Le
12 avril 2000, l’Association des droits de l’homme à
Ankara s’adressa au Haut commissariat. Elle expliqua que le
requérant avait dû se réfugier en Turquie du fait
de ses activités au sein du Front turkmène et qu’il
avait sollicité l’assistance du Haut commissariat pour
se rendre dans un tiers pays. Soutenant que la vie du requérant
serait en danger s’il était expulsé vers Irak,
elle pria le bureau de rouvrir son dossier.
- Le
30 mai 2000, la validité du titre de séjour du
requérant fut prolongée jusqu’au 9 novembre 2000.
Le 11
décembre 2000, la direction écrivit aux services
concernés de la police, les informant que le requérant
avait été autorisé à résider en
Turquie en qualité de « réfugié
provisoire » et que son titre de séjour allait être
renouvelé tous les six mois jusqu’à son
installation dans un pays tiers.
- Entre-temps,
le requérant informa la Cour, comme le greffe l’avait
invité à le faire, qu’il s’était
adressé aux ambassades, entre autres, d’Allemagne, des
Etats-Unis, du Japon, de Suisse, de Norvège, de France,
d’Italie et du Royaume-Uni en vue d’obtenir un visa.
D’après les documents produits, ces instances refusèrent
de délivrer un visa pour des motifs relevant de leur propre
politique quant aux réfugiés et aux demandeurs d’asile
politique. L’ambassade du Nigeria fit de même, le
requérant n’ayant pu démontrer avoir un
quelconque lien avec ce pays.
- Le
15 février 2001, l’organisation Human Rights Watch
écrivit au Haut commissariat et lança un appel de
soutien au requérant, estimant que ses allégations
apparaissaient crédibles : l’expropriation de fait
de terrains était monnaie courante sous le régime de
Saddam Hussein, dont les agents étaient encore actifs dans la
région autonome de l’Irak du Nord.
- Le
23 février 2001, le Gouvernement informa la Cour qu’il
avait été notifié aux autorités
compétentes turques de renouveler l’autorisation de
séjour du requérant tous les six mois, jusqu’à
ce qu’on statue sur sa requête ou jusqu’à ce
qu’il soit prêt à partir de son plein gré
vers un pays de son choix.
Par
une lettre du 11 décembre 2000, la direction confirma cette
information, faisant savoir que la procédure de demande
d’asile en cours devant les autorités turques avait été
suspendue à cette date et que, depuis lors, le titre de séjour
du requérant avait déjà été
renouvelé à trois reprises pour des durées
consécutives de six mois.
- Le
22 janvier 2002, le requérant déposa auprès du
ministère de l’Intérieur une nouvelle demande
d’asile, accompagnée de tous les éléments
en sa possession à cette date. Affirmant derechef que sa vie
serait en danger en Irak et qu’il y risquerait d’y être
« pendu », il pria qu’on le laisse vivre en
Turquie ou qu’on le renvoie vers un pays autre que l’Irak.
Le 11
février 2002, la direction demanda à la préfecture
de Bilecik d’assurer au requérant qu’il
bénéficiait désormais du statut de réfugié
temporaire, que son titre de séjour allait être
renouvelé tous les six mois, et qu’il n’existait
aucun arrêté d’expulsion le concernant.
B. Les circonstances particulières ayant marqué
la période 2002 – mars 2003
- Comme
les autorités diplomatiques du Gouvernement l’ont
confirmé, jusqu’au 20 octobre 2002, les autorités
irakiennes ne formulèrent aucune demande d’extradition
visant le requérant en vertu de l’accord bilatéral
du 2 août 1992 signé à cet effet entre les
deux pays.
- Le
20 octobre 2002, Saddam Hussein annonça une amnistie générale
pour les détenus et condamnés irakiens, y compris ceux
jugés pour des crimes politiques. D’après les
informations fournies, cette mesure profita également aux
irakiens d’origine turkmène, qu’ils soient à
l’intérieur ou à l’extérieur du
territoire irakien. Les médias ont d’ailleurs montré
ou décrit la ruée des familles de détenus vers
les prisons irakiennes et ont rapporté que plusieurs prisons
se seraient totalement vidées de leurs prisonniers, y compris
de ceux qui, condamnés pour meurtre ou pour espionnage,
étaient initialement exclus de l’amnistie.
C. La chute du gouvernement de Saddam Hussein et la
situation ultérieure en Irak
1. Le renversement de l’ancien régime
- Le
20 mars 2003, une action militaire fut lancée en Irak par des
forces multinationales, lesquelles prirent en une vingtaine de jours
le contrôle de Bagdad et de Mossoul. Le 8 mai 2003, les
dirigeants de l’ex-opposition se réunirent à
Bagdad pour former le noyau d’un gouvernement transitoire
irakien. Une semaine après, l’accès à la
fonction publique fut interdit à tous les anciens dirigeants
du parti Baas. Le 3 septembre 2003, le premier gouvernement
intérimaire de l’Irak prêta serment.
Le 13
décembre 2003, Saddam Hussein fut arrêté près
de Tikrit. Par la suite, le conseil du gouvernement transitoire
irakien adopta le texte d’une Constitution provisoire,
conformément à la résolution 1546 (2004) du
Conseil de sécurité des Nations unies. Le 28 juin 2004,
l’autorité provisoire de la coalition militaire
étrangère fut dissoute.
Le 30
janvier 2005 eurent lieu les premières élections
multipartites en Irak. Les citoyens irakiens se rendirent massivement
aux urnes, malgré les attentats qui firent une quarantaine de
morts. La liste chiite de l’Alliance unifiée irakienne
remporta les élections législatives.
2. La situation quant à la sécurité
durant la période d’après-guerre
- Une semaine après l’intervention des
forces multinationales, l’Irak fut le théâtre
d’une escalade de violence. Hormis les affrontements entre les
différentes communautés minoritaires, de multiples
attentats à la bombe furent commis par des insurgés et
des milices illégales, lesquels prirent pour cible notamment
les personnalités et la communauté chiites, les
ambassades, les sièges des organisations internationales et
des partis politiques locaux, ainsi que les membres de forces de
l’ordre et les dirigeants irakiens.
En
2003, deux chefs chiites furent assassinés à Nadjaf, et
un responsable du gouvernement transitoire, à Bagdad. Par
ailleurs, plus de soixante-dix citoyens trouvèrent la mort
dans la région de Bagdad et dans les villes de Kirkouk,
Fallouja, Khaldiya, Kerbela et Nadjaf.
En
2004, un leader chiite fut assassiné ; environ trois
cents personnes trouvèrent la mort à Bagdad et plus de
deux cent soixante à Erbil, Iskendariya, Kerbela, Bassorah,
Zoubeïr, Baaqouba et Nadjaf. Le 24 juin 2004, une
série d’attaques simultanées perpétrées
à Mossoul, Kirkouk, Baaqouba, Falloujah, Ramadi et Bagdad
coûta la vie à une centaine d’autres citoyens. Le
28 décembre 2004, trente-quatre policiers, un responsable
provincial et huit civils furent tués, dans différentes
régions d’Irak.
En
janvier 2005, le gouverneur de Bagdad fut tué et des attentats
entraînèrent la mort d’un cheikh chiite ainsi que
d’une trentaine de membres de cette communauté.
Le 28
février 2005 eut lieu l’attentat suicide le plus
meurtrier à Hilla dans la région de Bagdad. Un véhicule
piégé fit une centaine de morts et plus de cent trente
blessés.
Une
grande partie de ces victimes étaient de simples citoyens.
3. La situation en Irak du Nord
- Depuis
1991, le pouvoir central se trouvait privé de facto de
son autorité en Irak du Nord, où une zone d’exclusion
aérienne avait été établie par les
Nations unies (« l’ONU »). Cette zone
était gouvernée par le Parti démocratique du
Kurdistan (« PDK ») de Massoud Barzani.
Certains
experts et organisations non-gouvernementales s’accordent à
attirer l’attention sur la tension qui n’aurait cessé
de monter, depuis le renversement de l’ancien régime,
entre les groupes ethniques composant la population de cette région,
notamment dans la ville pétrolière de Kirkouk. Tant les
communautés kurdes que turkmènes revendiqueraient cette
cité, affirmant y avoir été majoritaires avant
son arabisation forcée par Saddam Hussein. L’autorité
kurde en place depuis 1991 tenterait plus ouvertement de contrôler
la ville et sa région riches en pétrole, désireux
d’en faire la capitale du territoire autonome actuel ou de
l’Etat indépendant qu’il souhaiterait y instaurer.
D’après les analystes, il ne serait pas exclu que le
climat existant puisse à l’avenir provoquer une crise
régionale, voire précipiter une guerre civile ou le
démembrement du pays.
En
août 2004, des affrontements survenus entre kurdes et turkmènes
dans la ville de Tuz Khurmatu, non loin de Kirkouk, firent huit
morts.
D. Les développements concernant le requérant
survenus après l’intervention militaire en Irak
- Le
17 juin 2003, un responsable du Haut commissariat s’entretint
avec le requérant à la direction de la sûreté
de Bilecik. Celui-ci exprima ses craintes face aux menaces actuelles
pesant sur la vie des Turkmènes en Irak. Rappelant les
querelles du passé qui avaient déjà entraîné
la mort de ses frères et cousins, l’humiliation de sa
mère et le décès de son père, mort de
chagrin, le requérant soutint que sa famille avait été
persécutée seulement parce qu’elle possédait
des terres convoitées. Le requérant affirma qu’après
la guerre en Irak, la situation s’était encore envenimée
pour les Turkmènes en l’absence d’une justice et
d’un gouvernement, et ce encore plus dans sa région
natale où régnait des conflits tribaux entre les
Arabes, les Kurdes et les Turkmènes.
Le
requérant demanda en outre qu’on le fasse bénéficier
de toutes les facilités et les privilèges correspondant
à son statut de réfugié temporaire.
- Le
10 juillet 2003, le requérant s’adressa au ministère
de l’Intérieur, demandant à ce que le processus
visant son installation dans un pays tiers soit accéléré.
Le 21 juillet 2003, le ministère écrivit à la
préfecture de Bilecik afin que celle-ci invite le requérant
à reformuler sa demande directement auprès du Haut
commissariat, la seule instance habilitée en vertu du
règlement no 94/6169 à prendre les
mesures nécessaires dans le sens souhaité.
Le 28
juillet 2003, le requérant obtint notification de cet avis.
Le 22
août 2003, il sollicita du Haut commissariat le réexamen
de son dossier à la lumière des faits nouveaux. A cet
égard, il exposa avoir reçu la veille un coup de fil
l’informant que son neveu, Waad İsmail, avait été
poursuivi et tué la nuit du 30 juillet 2003, par un groupe
armé rôdant sur la route Tell Afer – Mossoul, dans
la région contrôlée par les milices du PDK.
D’après le requérant, le meurtre de son neveu ne
serait qu’un exemple des assassinats qui, bien que non
divulgués par la presse, continueraient à être
perpétrés aux fins des ambitions kurdes :
anciennement cibles des partis kurdes et du régime de Saddam
Hussein, les Irakiens comme lui seraient maintenant abandonnées
à la merci des premiers, lesquels auraient pour but d’éliminer
les propriétaires de terres dans cette zone stratégique.
- Le
20 novembre 2003, le requérant écrivit à nouveau
à la direction. Il demanda le soutien des ministères de
l’Intérieur et des Affaires étrangères
pour appuyer son dernier recours devant le Haut commissariat.
Le 5
décembre 2003, préoccupé par la situation de
l’intéressé et par celle des centaines d’Irakiens
cherchant asile en Turquie, le ministre de l’Intérieur
adressa à la préfecture de Bilecik une lettre dont les
passages pertinents se présentent ainsi :
« (...) Dans les années 1995-2003,
bien que leurs dossiers fussent classés, 149 ressortissants
irakiens (...) se sont installés dans un pays tiers avec notre
aide, en collaboration avec le Haut commissariat pour les réfugiés
des Nations unies. (...) Dans la période 2000-2003, parmi les
étrangers en situation illégale (...) et dont les
demandes d’asile étaient en cours ou avaient été
rejetées, 757 personnes disposant d’un visa ou d’un
titre de voyage fourni par un (...) pays tiers ont été
autorisés à quitter notre pays. (...) En bref, je vous
communique en annexe la lettre de [M. Müslim] qui, admis le
20 février 2000 au bénéfice du statut de
réfugié, se trouve maintenant lésé du
fait de l’absence d’une solution définitive quant
à son cas. La demande formulée par le ressortissant
irakien en question, illustre [les défaillances dont souffre
notre procédure d’immigration actuelle appliquée
de concert avec le Haut commissariat]. Je demande donc :
Au ministère des Affaires étrangères,
d’entrer en contact avec le Haut commissariat pour lui faire
(...) part de la nécessité d’accélérer
les démarches concernant le rétablissement d’Ahmad
Hassa Müslim dans un pays tiers ;
A la préfecture de Bilecik, d’informer
l’étranger en question que sa demande [a bien été
transmise au Haut commissariat] et que désormais il lui
appartenait de s’enquérir des démarches
ultérieures le concernant directement auprès du Haut
commissariat. (...) »
Cette
lettre fut signifiée au requérant le 15 décembre
2003.
- La
Cour n’a pas été informée de l’issue
de la dernière procédure devant le Haut commissariat.
En revanche, les autorités turques lui indiquèrent que
le titre de séjour du requérant avait été
validé jusqu’au 1er mai 2005 et qu’à
l’heure actuelle il ne faisait l’objet d’aucune
décision formelle d’expulsion.
Le
requérant, qui souffre d’hématurie, habite encore
à Bilecik.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Convention des Nations Unies de 1951 relative au
statut des réfugiés et la situation de droit en
découlant en Turquie
- Il
convient d’abord de citer la Convention des Nations Unies de
1951 relative au statut des réfugiés (« la
Convention de 1951 ») à laquelle la Turquie est partie.
Les articles 32 et 33 de la Convention de 1951 disposent
respectivement :
Article 32
« 1. Les Etats contractants
n’expulseront un réfugié en situation régulière
sur leur territoire que pour des raisons de sécurité
nationale ou d’ordre public.
2. L’expulsion de ce réfugié
n’aura lieu qu’en exécution d’une décision
rendue conformément à la procédure prévue
par la loi (...) »
Article
33
« 1. Aucun Etat contractant
n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce
soit, un réfugié sur les frontières des
territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée
en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de
son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions
politiques.
2. Le bénéfice de la présente
disposition ne pourra toutefois être invoqué par un
réfugié s’il existe des raisons sérieuses
de considérer que l’intéressé représente
un danger pour la sécurité du pays où que cette
personne, ayant fait l’objet d’une condamnation
définitive pour un crime ou délit particulièrement
grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. »
- La
Turquie est actuellement le seul pays qui garde l’idée
de « limitation géographique » et
maintient la réserve de l’option a) prévue à
l’article premier, section B (1) de la Convention de 1951 :
« Aux fins de la présente Convention,
les mots ‘événements survenus avant le premier
janvier 1951’ figurant à l’article 1, section A,
pourront être compris dans le sens de soit a) ‘événements
survenus avant le premier janvier 1951 en Europe’, soit b)
‘événements survenus avant le premier janvier
1951 en Europe ou ailleurs’ (...) »
- Il
s’ensuit que la Turquie n’est pas tenue, au regard du
droit international, d’accorder des titres de séjour aux
demandeurs d’asile non européens. Toutefois, si le Haut
commissariat admet une telle personne au bénéfice du
statut de réfugié, la Turquie autorise, en pratique, le
séjour de l’intéressé jusqu’à
son installation dans un pays tiers par le Haut commissariat.
Concernant
les demandeurs d’asile et les réfugiés, il échet
de distinguer la procédure qui a cours devant le Haut
commissariat de celle à suivre devant les autorités
administratives turques. Cette seconde procédure relève
du règlement no 94/6169 du 14 septembre 1994
sur les procédures applicables aux réfugiés et
aux demandeurs d’asile (« le règlement »).
Dans sa version en vigueur à l’époque des faits,
l’article 4 du règlement prévoyait que les
personnes qui sont entrées légalement sur le territoire
turc devaient, dans les cinq jours, s’adresser à la
préfecture du département où elles se trouvent
et déposer une demande d’asile. D’après
l’article 6 du règlement, le ministère de
l’Intérieur (« le ministère »),
compétent en la matière, tranche les demandes à
la lumière des critères découlant de la
Convention de 1951 ainsi que de son Protocole, après avoir
recueilli les avis du ministère des Affaires étrangères
et d’autres autorités concernées, dont le
Haut commissariat.
- Au
cas où l’asile serait accordé, un foyer d’accueil
ou un lieu de résidence est mis à la disposition de
l’intéressé. Conformément au droit commun,
celui-ci peut également bénéficier des
possibilités de travail et d’enseignement. Si l’asile
n’est pas accordé, le demandeur fait l’objet d’un
arrêté ministériel d’expulsion (article 28
du règlement), susceptible d’opposition, dans un délai
de 15 jours (article 29 du règlement).
En
dernier lieu, le demandeur peut obtenir le contrôle
juridictionnel de son dossier en exerçant le recours offert
par l’article 125 §§ 1, 4 et 5 de la Constitution,
d’après lequel :
« Tout acte ou décision de
l’administration est susceptible d’un contrôle
juridictionnel.
(...)
Le pouvoir juridictionnel est limité à la
vérification de la conformité des actes et des
décisions de l’administration au droit. (...)
Si l’exécution d’un acte
administratif engendre un préjudice difficile ou impossible à
réparer et si, en même temps, cet acte est manifestement
contraire à la loi, alors il peut être décidé
(...) de surseoir à son exécution.
(...) »
- Le
21 janvier 2002, le Gouvernement a fourni l’information
suivante.
En
vertu de l’application de la réserve géographique
de la Turquie, les étrangers dont les demandes ont été
rejetées par le Haut commissariat des Nations Unies, ne
peuvent en principe continuer à résider en Turquie en
tant que réfugiés, étant entendu que la Turquie
n’a de toute façon pas l’obligation d’accorder
aux demandeurs d’asile non européens ni ce statut ni un
droit de résidence.
En
principe, les demandeurs d’asile définitivement déboutés
sont libres de choisir un pays d’accueil, à condition
qu’ils soient munis d’un passeport valide et qu’ils
aient obtenu un visa pour ce pays. A défaut, ils sont refoulés
à la frontière de l’Etat dont ils sont
ressortissants. Cela étant, les ressortissants irakiens
n’ayant pas de visa pour un pays tiers ou qui ne disposent plus
d’un passeport valide, ont la possibilité de demander
que leur renvoi soit assuré vers le nord de l’Irak.
- D’après
les renseignements recueillis par la Cour, la pratique de
l’administration turque semble effectivement varier en ce qui
concerne l’expulsion des ressortissants irakiens : ceux
titulaires d’un passeport valide mais n’ayant pu obtenir
le visa d’un pays tiers, sont refoulés au poste
frontalier turc par lequel ils sont entrés (paragraphe 14
ci-dessus).
Du
reste, d’après les sources officielles, depuis le 31
août 2003, les autorités turques tiennent compte de la
situation d’incertitude régnant en Irak et, conformément
aux recommandations de l’ONU, n’exécutent pas les
arrêtés d’expulsion pris contre les ressortissant
irakiens, y compris ceux dont les demandes d’asile ont été
classés sans suite par le Haut commissariat (paragraphe 49
ci-dessous).
B. Les documents internationaux pertinents
1. Les travaux du Conseil de sécurité des
Nations unies et le Haut commissariat pour les réfugiés
- Le
Conseil de sécurité de l’ONU a adopté
plusieurs résolutions aux fins du maintien de la sécurité
et de la stabilité en Irak, fragilisées après
l’intervention des forces multinationales. La résolution
1483 (2003), adoptée le 22 mai 2003, confirmée par la
suite par les résolutions 1511 (2003) du 16 octobre 2003 et
1546 (2004) du 8 juin 2004, souligne que l’ONU a la
responsabilité principale de faciliter le rapatriement
librement consenti des réfugiés et des déplacés
dans l’ordre et la sécurité.
A ce
sujet, il faut rappeler le rapport que le Haut commissariat a diffusé
en septembre 2004 concernant ses recommandations en matière de
rapatriement des réfugiés irakiens. Ce rapport analyse
la situation d’après guerre en Irak, et conclut que le
pays demeure extrêmement instable et qu’il y règne
un état d’insécurité dangereux, malgré
le transfert du pouvoir aux autorités irakiennes. D’après
le Haut commissariat, les violences incriminées en Irak sont
notamment perpétrées en vue de la déstabilisation
des autorités irakiennes et de faire la pression sur les
gouvernements étrangers pour qu’ils retirent leurs
troupes déployées dans le pays. Le rapport souligne
que, si la situation régnant dans la région de Bagdad
est bien connue du public, les conditions de sécurité
ne sont pas moins mauvaises dans les autres villes, y compris Mossoul
et Kirkouk. Quant au nord de l’Irak, le rapport fait état
de ce qui suit :
« In
the North, although the overall conditions seem to be better than in
the rest of the country, the situation remains tense due to a number
of factors. These include the political agenda of and relations
between the two main Kurdish parties (...) as well as that of the
Kurdish Regional Government authorities (...) with the Interim Iraqi
Government, the on-going debate linked to the modalities of the
constitutional process, as well as the establishment of a
representative government, and the degree of autonomy for the Kurdish
populated areas. The situation in Mosul and Kirkuk has been very
tense over the past few months and a number of security incidents
including explosions, attacks on police stations and pipelines,
assassinations or assassination attempts of political figures have
occurred in both cities. The most recent was a car bombing which took
place on 18 September in Kirkuk and left 23 persons dead and
60 others wounded. »
- Dans
son rapport, le Haut commissariat envisage un plan de retour
volontaire des irakiens dans leur pays sous le contrôle de
l’ONU. En revanche, il recommande fermement aux Etats de
suspendre, jusqu’à nouvel avis, le renvoi de force des
citoyens irakiens vers leurs pays, et de mettre fin à toute
mesure économique, dissuasive, punitive ou autre, tendant à
acculer ces derniers au retour, y compris les demandeurs d’asile
déboutés.
Le 19
novembre 2004, le Haut commissariat a renouvelé l’appel
qu’il avait lancé le 10 juillet 2003. Ainsi, il a
exhorté les Etats accueillant des demandeurs d’asile
irakiens à maintenir l’interdiction des renvois forcés
en Irak, les invitant à continuer à protéger les
demandeurs d’asile irakiens, eu égard à la
situation précaire, la conjoncture humanitaire fragile et les
risques de persécution qui perdurent dans le pays. Le Haut
commissariat a notamment averti certains Etats ayant récemment
fait connaître leur intention d’expulser les demandeurs
d’asile déboutés, pour conclure ainsi :
« UNHCR recognises the
right of Iraqis to return to Iraq, and while not promoting
repatriation, we assist, as and where feasible, those who wish to
return on a voluntary basis despite the currently prevailing
conditions (...) »
2. Amnesty international
- En
juin 2003, Amnesty International a fait part de « son
inquiétude concernant d’éventuels retours forcés
des réfugiés et demandeurs d’asile irakiens »,
tout en déclarant ne pas s’opposer au « retour
des demandeurs d’asile déboutés, à
condition qu’ils aient bénéficié d’une
procédure d’asile équitable et satisfaisante »
et que tout retour se déroule « dans la sécurité,
la dignité et le respect absolu des droits humains ».
Le 27
novembre 2003, Amnesty International a diffusé un communiqué
de presse (MDE 14/179/2003), exprimant la crainte de voir certains
pays qui « prévoient de renvoyer de force les
demandeurs d’asile et les réfugiés irakiens vers
leur pays, alors que la situation en matière de sécurité
s’est gravement détériorée ces derniers
mois et que les conditions ne sont pas favorables au retour ».
Amnesty international relevait que des problèmes sérieux
continuaient de grever le bilan en matière de rapatriement des
réfugiés :
« Le retour des Irakiens doit être
complètement volontaire (...). Contraindre physiquement des
personnes à rentrer ou les priver de leurs droits de manière
à les acculer au retour constituerait non seulement une
violation du droit international relatif aux droits humains et
relatif aux réfugiés, mais violerait également
la résolution 1483 du Conseil de sécurité des
Nations unies (...). Amnesty International demeure vivement
préoccupée par la dégradation de la situation en
Irak. La sécurité est toujours source d’une vive
inquiétude, avec l’effondrement de l’ordre public
et la menace de persécutions. Nombre de civils irakiens ont
été tués par des groupes armés, les
forces de la coalition ou des groupes de criminels armés dans
diverses régions du pays, y compris dans le nord. (...) La
pénurie des services élémentaires et des
logements perdure et le chômage génère des
dissensions. (...) Au lieu que certains États s’emploient
à procéder au renvoi ou à éviter
d’accueillir des réfugiés et demandeurs d’asile
irakiens, Amnesty International demande aux membres de la communauté
internationale de s’efforcer de veiller à (...) assurer
dans tout le pays un degré satisfaisant de sécurité
et à permettre aux institutions nationales de justice, de
maintien de l’ordre et de réforme sociale d’exercer
partout leurs activités en suivant une démarche
respectueuse des droits. Si ces conditions sont réunies, il
sera alors possible d’enrayer le cycle des déplacements
et les réfugiés et demandeurs d’asile irakiens
pourront commencer à envisager un retour réellement
volontaire et durable dans leurs régions d’origine
(...) »
3. Le Conseil de l’Europe
- L’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, par le
passé, moult textes relatifs à la situation et aux
besoins humanitaires de la population irakienne déplacée.
Il s’agit entre autres des recommandations 1094 (1989), 1150
(1991), 1151 (1991), 1022 (1994), 1306 (1996), 1348 (1997), 1377
(1998) et de la directive no 545 (1998). Il en va de même
en ce qui concerne la situation avant et après l’intervention
des forces multinationales en Irak, laquelle a fait l’objet des
résolutions 1302 (2002), 1316 (2003), 1326 (2003), 1351 (2003)
et 1386 (2004).
Dans
sa résolution 1326 (2003), précitée, du 3 avril
2003, l’Assemblée parlementaire appelle les Etats
membres du Conseil de l’Europe « à
garantir la protection effective des réfugiés et des
demandeurs d’asile, y compris en leur accordant une protection
durable et l’accès aux territoires des Etats membres. »
(§ 29, iii, j.).
EN
DROIT
I. DÉLIMITATION DE L’OBJET DU LITIGE
- Dans
sa requête originelle, le requérant invoquait, en
substance, les articles 2 et 3 de la Convention, soutenant qu’une
fois renvoyé en Irak, il finirait comme ses proches exécutés
par les autorités de l’ancien régime, lesquelles
le tiendraient pour responsable de l’agression commise sur la
personne de Jasim Al-Tikriti, membre du parti Baas et proche de
Saddam Hussein (paragraphe 11 ci-dessus).
Par la
suite, le requérant avait développé une série
d’arguments nouveaux tirés d’un manque
d’effectivité, au sens de l’article 13, des
procédures déroulées jusqu’alors devant
les services d’immigration turcs et le Haut commissariat.
Il
s’était également plaint de l’impossibilité
pour lui de bénéficier des infrastructures économiques
et sociales prévues par le règlement no
94/6169 du 14 septembre 1994 (paragraphe 45 ci-dessus).
C’est
dans ce contexte que la requête avait été
déclarée recevable (Müslim c. Turquie
(déc.), no 53566/99, 1er octobre 2002).
- La
question capitale est de savoir s’il est établi que M.
Müslim courrait un risque réel pour sa vie ou s’il
pourrait subir des mauvais traitements, au cas où il serait
expulsé vers Irak. Or, à l’heure actuelle,
l’intéressé bénéficie en Turquie
d’un titre de séjour valable jusqu’au 1er mai 2005
et aucun arrêté d’expulsion n’est encore
pris à son encontre (paragraphes 41, 47 et 49 ci-dessus).
Eu
égard à ces éléments, non controversés,
et conformément à sa jurisprudence en la matière,
la Cour estime qu’en l’espèce la date à
retenir pour évaluer les risques allégués doit
être celle de son examen de l’affaire (Mamatkulov et
Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §
69, 4 février 2005, et Chahal c. Royaume-Uni,
arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et
décisions 1996-V, §§ 85-86). Nonobstant
l’intérêt que les faits antérieurs à
l’introduction de la présente requête peuvent
présenter pour éclairer la situation actuelle et son
évolution probable, ce sont les circonstances présentes
qui sont donc déterminantes.
- Par
conséquent, la Cour ne s’acquitterait pas des tâches
qui sont les siennes si elle tentait d’examiner plus avant les
arguments originels tirés des craintes de représailles
de la part des agents agissant au nom de Saddam Hussein, ou si elle
cherchait à confirmer ou infirmer la manière dont les
instances turques ont jugé du bien-fondé de ces
craintes, telles qu’elles avaient été
étayées à l’époque pertinente.
Tout
bien considéré, la Cour juge qu’il n’y a
plus lieu de statuer sur cette partie de la requête qui se
trouve privée de son objet depuis le renversement du régime
en Irak (paragraphe 35 ci-dessus) voire avant cet événement
(paragraphes 33 et 34 ci-dessus).
- Il
en va autrement de la situation, prétendument continue,
(paragraphe 52 ci-dessus, in fine) quant à l’exclusion
alléguée du requérant de l’assistance
financière et sociale de l’Etat turc.
La
Cour reviendra ultérieurement sur cette situation, qu’elle
appréciera sur le terrain des articles 3 et 8 que le requérant
invoque.
- Cela
étant, d’autres arguments nouveaux ressortent des
observations écrites que l’intéressé a
adressées le 10 juillet 2003 ainsi que de celles qui
suivirent : l’intéressé s’appuie
désormais sur le climat d’insécurité
régnant en Irak depuis l’intervention des forces
multinationales (paragraphes 36 et 37 ci-dessus) et critique la
manière peu scrupuleuse avec laquelle le dernier dossier qu’il
a déposé serait traité par les instances
compétentes (paragraphes 38-41 ci-dessus).
En
outre, il se plaint de l’absence en droit turc d’un
recours effectif, au sens de l’article 13, au cas où son
expulsion était décidée.
- Il
n’est certes pas admis qu’un litige porté devant
la Cour puisse être transformé, par des modifications
radicales apportées aux arguments à l’appui, en
un litige de nature totalement différent. En l’espèce
toutefois, le différend à l’origine de la requête
introductive d’instance ne saurait passer pour avoir réellement
changé de nature, la question principale soumise pour décision
étant toujours de savoir si le renvoi éventuel du
requérant en Irak serait ou non contraire à la
Convention.
Compétente
pour traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant
l’instance engagée devant elle (Cruz Varas et autres
c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A
no 201, p. 30, § 76), la Cour estime pouvoir se
placer sur le terrain des articles 2, 3 et 13 de la Convention et se
prononcer sur cette question à la lumière des nouveaux
arguments du requérant, d’autant que le Gouvernement,
qui s’est vu offrir l’opportunité d’y
répondre, ne saurait prétendre que sa capacité à
préparer sa défense ait été affectée
ou qu’il ait été porté atteinte aux
exigences d’une bonne administration de la justice d’une
manière qui lèse ses intérêts.
- Dans
le cadre ainsi délimité, la Cour examinera les faits de
la cause sous trois volets, en commençant par ceux qui se
situent dans la période d’après guerre en Irak et
qui relèvent des articles 2 et 3 de la Convention. Ensuite, la
Cour se penchera sur le nouveau grief soulevé au regard de
l’article 13 (paragraphe 56 ci-dessus, in fine)
et, enfin, sur la doléance évoquée au
paragraphe 55.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2
ET 3 DE LA CONVENTION
- Le
requérant affirme qu’il encourrait un risque de subir
des traitements contraires à l’article 3, ou que sa vie
serait mise en péril en violation de l’article 2 §
1, s’il était expulsé vers l’Irak, où
les conditions de sécurité demeurent très
mauvaises pour les turkmènes.
Les
articles 2 § 1 et 3 de la Convention sont ainsi libellés :
Article
2 § 1
« 1. Le droit de toute personne à
la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être
infligée à quiconque intentionnellement, sauf en
exécution d’une sentence capitale prononcée par
un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine
par la loi. »
Article
3
« Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
A. Thèses des parties
1. Le requérant
- Le requérant se réfère à
l’appel lancé le 10 juillet 2003 par le Haut
commissariat aux pays d’accueil de ressortissants irakiens
(paragraphe 49 ci-dessus) ainsi qu’à un communiqué
de presse intitulé « Iraq: Diffusing an ethnic
time bomb – Irak : Propagation d’une bombe
à retardement ethnique » et publié le 17
avril 2003 par Refugees International. Il fait aussi valoir un
article intitulé « Kurdish looters attack Arabs,
Turkmens –Agressions d’Arabes et de Turkmènes
par des pillards kurdes », paru le 12 avril 2003 dans
un journal de Knight Ridder, lequel analyse la tension avérée
entre les communautés kurdes, turkmènes et arabes dans
le nord de l’Irak et relate les violences observées
notamment à Kirkouk.
- Ainsi,
il soutient que les raisons pour lesquelles son retour en Irak aurait
auparavant mis sa vie en péril subsistent malgré la
chute du régime de Saddam Hussein. Il en veut pour preuve le
meurtre de son neveu par les milices du PDK (paragraphe 39
ci-dessus), survenu le 30 juillet 2003.
Il
affirme qu’il ne sera jamais à l’abri de
persécutions, vu le déferlement des crises ethniques
éclatées dans le nord du pays. Le requérant
évoque ce qu’on a fait subir à sa famille pour la
déposséder de ses terres et rappelle à ce sujet
la lettre de soutient du Front Turkmène et celle que Human
Rights Watch adressée le 15 février 2001 au Haut
commissariat (paragraphes 23 et 30 ci-dessus). Il en déduit
qu’à ce jour sa situation est plus fragile que celle de
quiconque vivant au nord de l’Irak, compte tenu des querelles
tribales qui y perdurent pour s’approprier des terrains
agricoles dans cette région stratégique contrôlée
et convoitée par le pouvoir et les milices kurdes, qui se
permettent de sévir comme bon leur semble.
- Eu
égard aux circonstances susmentionnées, le requérant
estime qu’en sa qualité de réfugié
provisoire, il avait droit à ce qu’il soit donné
suite dans les meilleurs délais à ses dernières
demandes, adressées le 10 juillet 2003 au ministère
de l’Intérieur et le 22 août 2003 au
Haut commissariat, afin d’obtenir le réexamen de
son dossier à la lumière des faits nouveaux dûment
portés à la connaissance de ces instances (paragraphe
39 ci-dessus).
Il
estime que tout refus d’accélérer le réexamen
de sa nouvelle demande d’asile et, à défaut, son
installation dans un pays tiers ne ferait qu’empirer sa
situation.
2. Le Gouvernement
- Le
Gouvernement se réfère, entre autres, à l’arrêt
G.H.H. et autres c. Turquie (no
43258/98, CEDH 2000-VIII) et avance qu’après
l’effondrement du régime de Saddam Hussein, les craintes
de persécution du requérant s’avèrent
dénuées de fondement, tout comme son estimation
exagérée quant aux conditions régnant
aujourd’hui en Irak. A cet égard, il fait remarquer que
depuis avril 2003, le Haut commissariat évalue sans relâche
la situation en matière de sécurité afin
d’assurer le retour volontaire des Irakiens déplacés,
chose qui serait en partie réalisée.
- Le
Gouvernement se dit respectueux de ses engagements envers l’ONU
et fait remarquer que depuis 31 août 2003 ses autorités
ne procèdent pas à l’expulsion forcée des
demandeurs d’asile irakiens déboutés, dans
l’attente de la concrétisation des travaux du Haut
commissariat.
- S’agissant
de la procédure mise en place pour les demandeurs d’asile,
le gouvernement affirme qu’en l’espèce les
autorités ont agi en stricte conformité avec leurs
engagements internationaux, la législation nationale ainsi que
les considérations humanitaires : elles sont allées
au-delà des possibilités légales offertes en la
matière, en acceptant de prolonger la validité du titre
de séjour du requérant jusqu’à ce que la
Cour statue sur son affaire.
B. L’appréciation de la Cour
1. Risques allégués de subir de mauvais
traitements ou d’être tué en Irak
- L’interdiction
des mauvais traitements énoncée à l’article
3 est tout aussi absolue en matière d’expulsion. Ainsi,
chaque fois qu’il y a des motifs sérieux et avérés
de croire qu’une personne courra, dans le pays de destination,
un risque réel d’être soumise à des
traitements contraires à l’article 3, la responsabilité
de l’Etat contractant – la protéger de tels
traitements – est engagée en cas d’expulsion
(Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, arrêt
du 30 octobre 1991, série A no 215, p. 34, § 103 ;
Chahal, précité, § 80).
Pour
établir une telle responsabilité, on ne peut éviter
d’apprécier la situation dans le pays de destination à
l’aune des exigences de l’article 3.
- En
l’espèce, la Cour a pris note des arguments des parties
ainsi que des informations quant à la situation d’après
guerre en Irak, qui ressortent des différents communiqués
de presse, rapports et textes émanant des institutions
non-gouvernementales et internationales (paragraphes 37 et 48 51
ci-dessus). Il s’en déduit que dans le nord du pays,
vers lequel le requérant pourrait se voir renvoyé
(paragraphe 47 et ci-dessus), il subsiste des problèmes de
sécurité, et que notamment dans la région de
Mossoul et de Kirkuk les civils risquent encore d’être
pris dans les querelles entres les communautés kurdes, arabes
et turkmènes.
- Cependant,
les preuves fournies à la Cour quant aux antécédents
du requérant et au contexte général en Irak
n’établissent aucunement que la situation personnelle de
l’intéressé pourrait être pire que celle
d’autres membres de la minorité turkmène, ni
même, peut-être, que celle des autres habitants de l’Irak
du Nord, région qui du reste paraît moins touchée
par les violences que les autres parties du pays (comparer, mutatis
mutandis, Vilvarajah et autres, précité, p.
37, § 111, et Fatgan Katani et autres c. Allemagne
(déc.), no 67679/01, 31 mai 2001).
- A
cet égard, les arguments que le requérant tire des
activités clandestines de feu son frère au sein d’une
organisation pro-turkmène, hostile à l’ancien
régime en Irak (paragraphes 10, 23 et 61 ci-dessus),
impliquent des répercussions trop lointaines (Soering c.
Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no
161, p. 33, § 85, Kavak c. Allemagne (déc.),
no 61479/00, 26 octobre 2000) pour permettre de
conclure que l’intéressé, qui n’a jamais
suggéré avoir pris part dans un quelconque mouvement de
la sorte, courra, à ce titre, un risque réel d’être
soumis à un traitement contraire à l’article 3
(Fatgan Katani et autres, précitée, et les
références qui y figurent).
Il en
va de même des arguments que l’intéressé
fonde sur l’expropriation de facto des terrains de sa
famille sous le régime de Saddam Hussein : il s’agit
là d’une question de droit qu’il appartiendra, le
moment venu, aux instances irakiennes de trancher, mais pas d’une
circonstance permettant d’inférer que le requérant
serait une cible potentielle pour l’une ou l’autre des
communautés vivant dans le nord de l’Irak.
- La
Cour réaffirme qu’une simple possibilité de
mauvais traitements en raison d’une conjoncture instable dans
un pays n’entraîne pas en soi une infraction à
l’article 3 (Vilvarajah et autres, précité,
ibidem, et Fatgan Katani et autres, précitée),
d’autant moins qu’en l’espèce une évolution
démocratique est en cours en Irak et que l’on est en
mesure d’espérer que cela entraîne à
l’avenir une amélioration de la conjoncture actuelle.
- A
ce sujet, il convient de rappeler qu’un plan de rapatriement
volontaire des réfugiés irakiens est étudié
et mis en place par les instances de l’ONU, en ce appuyée
par le Conseil de l’Europe. La Cour observe d’ailleurs
avec satisfaction que le gouvernement turc s’est interdit de
procéder à l’expulsion forcée des
demandeurs d’asile irakiens déboutés, comme le
requérant, pareille position cadrant avec la feuille de route
établie en la matière par le Haut commissariat ainsi
qu’avec la résolution 1326 (2003) de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
(paragraphes 48, 49 et 51 ci-dessus).
2. La situation actuelle du requérant en tant
que demandeur d’asile déjà débouté
- La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas
d’examiner les demandes d’asile ou de contrôler la
façon dont les États contractants remplissent leurs
obligations découlant de la Convention de 1951. Sa
préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des
garanties de procédure effectives, de quelque type que ce
soit, qui protègent le requérant contre un refoulement
arbitraire vers l’Irak (voir, par exemple, T.I. c.
Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH
2000-III, p. 490).
- En
l’espèce, la Cour note que la dernière demande de
l’intéressé est toujours en suspens devant le
Haut commissariat (paragraphe 41 ci-dessus) et que les autorités
turques sont intervenues pour que des démarches en vue de
trouver une solution favorable soient entreprises avec célérité
(paragraphe 40 ci-dessus). Rien ne donne à penser que cette
procédure pourrait déboucher sur une décision
expéditive, sans examen approprié des nouvelles
prétentions du requérant, qui – à la
différence de celles écartées auparavant
(paragraphes 15-30 ci-dessus) – puisent dans les problèmes
concrets liés à la situation en Irak.
- Certes,
cet examen peut finalement donner lieu à une décision
de rejet, au regard des limitations strictes à l’admission
des demandes d’asile sur le terrain de la Convention du 1951.
Mais cette question n’a guère de poids, la Cour étant
confortée par l’assurance donnée par le
gouvernement quant à sa pratique actuelle de rapatriement des
demandeurs d’asile irakiens déboutés, et encore
plus par les développements observés en la matière
sur le plan international (paragraphes 64 et 71 ci-dessus).
Quoi
qu’il en soit, le requérant ne pourrait être
refoulé sommairement sans qu’intervienne une décision
formelle d’expulsion, laquelle sera susceptible d’opposition
et, en dernier lieu, d’être contrôlée par
les juridictions administratives (paragraphe 45 ci-dessus).
3. Conclusion
- Vu
ses constatations précédentes et n’ayant aucun
motif de douter de ce que le gouvernement défendeur se
conformera à ses engagements internationaux, la Cour conclut à
l’absence de motifs sérieux et avérés de
croire que l’expulsion éventuelle du requérant
exposerait celui-ci à un risque réel de subir des
traitements dépassant le seuil minimum fixé par
l’article 3.
- Ayant
pris en compte les allégations de l’intéressé
dans le contexte de l’article 3 (paragraphes 66-71 ci-dessus),
la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les examiner
séparément sous l’angle de l’article 2.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
13
- Le
requérant se plaint des défaillances de la procédure
et de la pratique en vigueur en Turquie pour les demandeurs d’asile.
En rapport avec les griefs précédemment examinés,
il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés,
a droit à l’octroi d’un recours effectif devant
une instance nationale, alors même que la violation aurait été
commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs
fonctions officielles. »
A. Thèses des parties
- Le
requérant allègue que s’il était encore
une fois débouté de sa demande, il ne dispose d’aucun
recours effectif pour obtenir le contrôle juridictionnel de son
dossier, les voies de droit interne étant fermées aux
demandeurs d’asile.
- Le
Gouvernement conteste vivement cette thèse.
B. Appréciation de la Cour
- Le
droit à l’examen d’une décision d’expulsion
n’est prévu qu’à l’article 1 du
Protocole no 7, que la Turquie n’a pas ratifié.
Toutefois, prête à partir de l’hypothèse
que le grief du requérant dénote une doléance
« défendable » au sens de l’article
13, la Cour ne voit aucune raison qui puisse empêcher
l’intéressé de se prévaloir, le cas
échéant, du mécanisme de contrôle
juridictionnel prévu en droit administratif turc (paragraphes
45 et 74 ci-dessus).
Que la
Cour ait déjà constaté par le passé
certaines carences dans la procédure dont il s’agit (par
exemple, Jabari c. Turquie, no 40035/98,
§§ 40 et 49, CEDH 2000-VIII) n’a pas de
pertinence, dès lors qu’en l’absence d’une
quelconque décision d’expulsion exécutable
l’examen de la question ne relèverait que de
spéculations et suppositions.
- Il
n’y a donc pas lieu de se prononcer sur cette partie prématurée
de la requête.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3
ET 8 DE LA CONVENTION
- Le
requérant invoque, en substance, les articles 3 et 8 de la
Convention et se plaint de ses conditions de vie actuelles qui
l’empêchent de faire face à ses besoins. L’article
8 de la Convention se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une
autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour
autant que cette ingérence est prévue par la loi et
qu’elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien être
économique du pays, à la défense de l’ordre
et à la prévention des infractions pénales, à
la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Thèses des parties
- Le
requérant affirme que depuis son entrée en Turquie et
au mépris de son statut de réfugié provisoire,
il est condamné à vivre dans des conditions précaires,
les autorités turques lui refusant le bénéfice
des infrastructures économiques, sociales et médicales
prévues pour les demandeurs d’asile. L’intéressé
avance qu’il ne s’est jamais vu proposer un lieu de
résidence digne de ce nom et qu’il se trouve
actuellement dans l’obligation de subsister, sans aucune aide
financière ni une quelconque offre d’emploi, et de se
faire soigner à ses propres frais.
Ainsi,
le requérant estime être devenu l’otage du
gouvernement qui a suspendu tous ses droits dans l’attente de
l’arrêt que la Cour rendra dans son affaire.
- Le
Gouvernement rétorque qu’il n’est aucunement tenu,
au regard de la Convention de 1951, d’accorder de tels
privilèges aux demandeurs d’asile non européens,
nonobstant le fait que, à des fins humanitaires, il a maintes
fois autorisé l’entrée de demandeurs d’asile
irakiens afin d’améliorer leur situation en coopération
avec l’ONU.
Aussi
le Gouvernement précise-t-il que l’autorisation de
résider accordée jusqu’à présent au
requérant ne lui confère aucunement le statut de
réfugié en Turquie : son séjour est
autorisé à titre temporaire et dans le seul but de
faciliter son installation dans un pays tiers avec l’aide du
Haut commissariat.
B. Appréciation de la Cour
- Le
grief du requérant ne résiste pas à l’examen
sous l’angle de l’article 8, qui ne va pas jusqu’à
imposer aux Etats l’obligation générale de
fournir aux réfugiés une assistance financière
pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (voir,
mutatis mutandis, Ulf Andersson et Monica Kullman c.
Suède, no 11776/85, décision de la
Commission du 4 mars 1986, Décisions et rapports (DR) 46,
p. 225). Il n’en va guère autrement sur le terrain des
autres dispositions la Convention et de ses Protocoles. Ainsi
que les organes de Strasbourg l’ont maintes
fois indiqué, celles-ci ne consacrent pas le droit
pour une personne d’entrer ou de séjourner
dans un Etat dont il n’est pas ressortissant
(Mamatkulov et Askarov, précité, §
66 ; voir aussi Voulfovitch et autres c. Suède,
no 19373/92, décision de la Commission du 13
janvier 1993, DR 74, pp. 199 et 219) ni le droit d’y
travailler (voir, par exemple, A.N. c. France, no
24088/94, décision de la Commission du 12 octobre 1994,
DR. 79-A, p. 40).
- En
l’espèce, il semble que le requérant ne se trouve
pas empêché de maintenir le niveau de vie qu’il a
lui-même choisi lorsqu’il s’est réfugié
en Turquie et il ne paraît pas être dans un état
de nécessité tel que cette solution ne soit pas
viable, au point de l’acculer à quitter la Turquie
(paragraphe 49 ci-dessus). Si la situation dénoncée
constitue pour le requérant une épreuve difficile,
celle-ci ne devrait assurément pas être pire que celle
de l’ensemble des citoyens plus démunis que d’autres.
La
Cour ne voit rien, dans le dossier, qui puisse entraîner la
responsabilité de l’Etat défendeur à
raison de circonstances susceptibles de tomber sous le coup de
l’article 8 ni ne constate une situation qui revêtirait
un degré de gravité tel que l’intéressé
puisse passer pour être soumis à un traitement contraire
à l’article 3.
- Partant,
il n’y a pas au en l’espèce méconnaissance
des dispositions susvisées de la Convention.
PAR
CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
- Dit que, dans l’éventualité
de la mise à exécution d’une décision qui
pourra être prise en vue de l’expulsion du requérant
vers l’Irak, il n’y aurait pas violation de l’article
3 de la Convention ;
- Dit que, vu sa conclusion ci-dessus, il ne
s’impose pas d’examiner le grief de plus sous l’angle
de l’article 2 de la Convention ;
- Dit qu’il n’y a pas lieu de se
prononcer sur le grief tiré de l’article 13 de la
Convention ;
- Dit qu’il n’y a pas eu violation des
articles 3 et 8 de la Convention à raison des conditions de
vie actuelles du requérant en Turquie.
Fait en français, puis communiqué par écrit le
26 avril 2005 en application de l’article 77 §§ 2 et
3 du règlement.
Michael O’Boyle Nicolas
Bratza
Greffier Président