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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE S.D. c. GRÈCE
(Requête no 53541/07)
ARRÊT
STRASBOURG
11 juin 2009
DÉFINITIF
11/09/2009
Cet arrêt peut subir
des retouches de forme.
En l’affaire S.D. c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première
section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić,
présidente,
Christos Rozakis,
Anatoly
Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar
Hajiyev,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou,
juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 19 mai 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
- A l’origine de l’affaire se trouve une
requête (no 53541/07) dirigée contre la
République hellénique et dont un ressortissant turc, M.
S.D. (« le requérant »), a saisi la Cour
le 23 novembre 2007 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »). La
présidente de la chambre a accédé à la
demande de non-divulgation de son identité formulée par
le requérant (article 47 § 3 du
règlement).
- Le requérant, qui a été admis au
bénéfice de l’assistance judiciaire, est
représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et
V. Papadopoulos, avocats à Athènes. Le gouvernement
grec (« le Gouvernement ») est représenté
par les délégués de son agent, M. M. Apessos,
conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme
S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
- Le requérant alléguait en particulier une
violation des articles 3 (conditions de détention) et 5
§§ 1 et 4 de la Convention.
- Le 7 juillet 2008, la présidente de la première
section a décidé de communiquer la requête au
Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3
de la Convention, il a en outre été décidé
que la Chambre
se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le
fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
- Le requérant est né en 1959 et réside
à Athènes.
A. L’entrée du requérant en Grèce
et son arrestation
- Le requérant prétend qu’en raison
de ses convictions politiques et de son activité en tant que
journaliste, il fut arrêté plus de dix fois, entre 1976
et 2003, par la police turque et subit de mauvais traitements.
Arrêté une dernière fois en 2003, il fut
emprisonné durant deux ans et demi. Il fit une grève de
la faim qui provoqua des séquelles physiques. Son placement en
isolement pendant l’incarcération entraîna des
séquelles psychologiques et neurologiques. Après avoir
été libéré sous condition et afin
d’éviter une nouvelle arrestation, il décida de
quitter la Turquie.
- Le 12 mai 2007, après avoir passé la
frontière grecque à la nage, il fut appréhendé
par la police pour entrée illégale dans le pays.
- Le requérant affirme avoir déclaré
immédiatement qu’il était réfugié
politique. Toutefois, les autorités n’enregistrèrent
pas sa demande d’asile.
- La police constata que le requérant était
déjà entré en Grèce illégalement,
le 21 août 1989, et avait également été
arrêté. Il avait déclaré que le but de son
passage en Grèce était de se voir octroyer l’asile
politique et, par la suite, de se rendre en Allemagne. Placé
dans le centre des réfugiés politiques de Lavrio, il
l’avait quitté sans autorisation. En 1990, le Ministère
de l’Intérieur avait rejeté la demande d’asile
du requérant. Ce dernier s’était ensuite rendu en
Allemagne, où il avait demandé l’asile politique.
En dépit du rejet de sa demande par les autorités
allemandes, il était resté en Allemagne pendant
quatre ans et avait ensuite regagné la Turquie avec de
faux documents.
- Du 12 mai 2007 au 10 juillet 2007, le requérant
séjourna au centre de détention du poste frontière
de Soufli. Il a été assisté par un avocat qui
avait été contacté par un citoyen allemand
arrêté le même jour que le requérant. Cet
avocat a alerté une organisation non gouvernementale, le
Réseau d’assistance sociale aux immigrés et
réfugiés, qui a pris en charge le requérant.
B. La procédure pénale contre le
requérant
- Le 12 mai 2007, le requérant – accusé
de possession et usage de faux documents de voyage, et entrée
illégale dans le pays – fut présenté
devant le procureur d’Alexandroupoli, qui le renvoya en
jugement au 17 mai 2007. Le 12 mai 2007 toujours, le procureur
ordonna également la mise en liberté du requérant.
- Le 17 mai 2007, le tribunal correctionnel
d’Alexandroupoli relaxa le requérant des chefs d’entrée
illégale et d’usage de faux, au motif qu’il y
avait eu état de nécessité, ce qui excluait le
caractère répréhensible de l’infraction
(article 25 du code pénal). Le tribunal précisa qu’il
ressortait de différentes dépositions que le requérant
était journaliste, ressortissant turc, membre d’un parti
politique illégal de gauche, condamné et détenu
comme prisonnier politique et obligé de fuir en raison des
risques pour sa vie.
C. La procédure d’expulsion administrative
du requérant et la détention aux fins de l’expulsion
- Le 12 mai 2007, la police appréhenda à
nouveau le requérant, en dépit de la décision du
procureur ordonnant sa mise en liberté. Le centre de détention
du poste frontière de Soufli prit une décision de
détention et d’éloignement. Le 13 mai 2007, le
directeur de la police d’Alexandroupoli décida de placer
le requérant en détention provisoire, dans l’attente
de la décision d’expulsion, qui devait intervenir durant
les trois jours suivants. Toutefois, cette décision ne
fut pas prise car, entre temps, les autorités avaient
enregistré la demande d’asile du requérant (voir
paragraphes 14 et 25 ci-dessous). A cette même date, le conseil
du requérant déposa des objections contre l’arrestation
et la détention, en précisant que celui-ci était
demandeur d’asile.
- Le 17 mai 2007, à la fin des débats
devant le tribunal correctionnel (voir paragraphe 12 ci-dessus), la
police arrêta une nouvelle fois le requérant. Le poste
frontière de Soufli, puis le directeur de la police
d’Alexandroupoli prirent une nouvelle décision
d’éloignement du requérant pour violation des
articles 83 et 87 de la loi 3386/2005 et 216 du code pénal
(entrée illégale et possession de faux documents de
voyage) et le placèrent en détention jusqu’à
son expulsion, au motif qu’il risquait de fuir. Le requérant
réitéra sa demande d’asile, cette fois
officiellement enregistrée.
- Le 22 mai 2007, le requérant introduisit un
recours contre la décision d’éloignement auprès
du ministre de l’Ordre public, sur le fondement de l’article 77
de la loi 3386/2005. Il alléguait une violation de la
législation grecque, de la Convention de Genève de 1951
et de l’article 3 de la Convention.
- Le 24 mai 2007, le directeur général de
la police du département de la Macédoine de l’Est
et de Thrace rejeta le recours du requérant contre la décision
susmentionnée, au motif qu’ayant violé les
articles 83, 87 et 216 précités, celui-ci
représentait un danger pour l’ordre public et la
sécurité du pays.
- Le requérant n’exerça aucun
recours contre cette décision devant le tribunal
administratif.
- Le 24 mai 2007, le requérant forma des
objections contre sa détention, conformément à
l’article 76 § 3 de la loi 3386/2005, devant le président
du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il soutenait que sa
détention était contraire à l’article 5 de
la Convention, à la Convention de Genève et à la
loi 3386/2005.
- Par une décision no 75 du 24 mai
2007, le président du tribunal administratif rejeta les
objections. Il jugea que la demande de mise en liberté devait
être rejetée s’il ressortait de l’examen du
dossier que l’étranger n’avait ni l’intention
ni les possibilités de quitter le pays dans le délai de
trente jours prévu par l’article 76 § 4 de la loi
no 3386/2005. Dans ce cas, l’étranger pouvait
exercer à l’encontre de la décision de détention
les voies de recours prévues par la loi, afin d’obtenir
le report, voire l’annulation de cette décision (requête
en sursis de l’exécution ou requête en
annulation). Compte tenu du fait que le requérant était
entré illégalement en Grèce et comptait demander
l’asile politique, il était évident qu’il
ne quitterait pas le pays dans le délai de trente jours prévu
par l’article 76 § 4 de la loi no
3386/2005, au cas où ses objections étaient recevables.
- Se prévalant de l’ajournement de l’examen
de sa demande d’asile devant la Commission consultative en
matière d’asile (paragraphe 27 ci dessous), le
requérant forma à nouveau des objections à
l’encontre de son maintien en détention, devant le
tribunal administratif d’Athènes, fondé sur
l’article 76 § 5 de la loi no
3386/2005.
- Le 10 juillet 2007, le requérant fut transféré
au centre de détention pour étrangers de l’Attique
(Petrou Rali), afin de comparaître devant la Commission
consultative en matière d’asile, qui devait rendre un
avis consultatif sur sa demande d’asile. Il y fut détenu
jusqu’au 16 juillet 2007.
- Du 10 au 16 juillet 2007, le requérant ne fut
pas autorisé à sortir de sa cellule. Le Gouvernement
précise que lors du séjour du requérant dans le
centre de Petrou Rali, la sortie des détenus se faisait pour
la totalité des trois cellules dans le couloir de l’une
des ailes du bâtiment, car l’espace extérieur ne
remplissait pas, à cette époque-là, les
conditions de sécurité. Pendant leur sortie, les
détenus faisaient usage des toilettes, des salles d’eau,
où il y avait en permanence de l’eau chaude, et des
téléphones disponibles dans chaque aile. Il y avait
aussi la possibilité d’emprunter des livres, des
magazines et des journaux à la bibliothèque qui
fonctionne à l’initiative de la Direction des étrangers
de l’Attique.
- Le 16 juillet 2007, le tribunal administratif
accueillit les objections du requérant. Il jugea, de manière
générale, que l’expulsion et l’éloignement
d’un étranger entré illégalement en Grèce
et ayant déposé une demande d’asile, étaient
interdits. Concernant le requérant, il constata que l’examen
de la demande d’asile de celui-ci était pendant et
ordonna sa mise en liberté.
D. La demande d’asile politique du requérant
- Le 15 mai 2007, l’avocat grec du requérant
se présenta au poste de frontière de Soufli et, à
la demande du requérant, déposa par écrit une
requête d’asile politique. Le même jour, le Réseau
de soutien des réfugiés et des immigrés envoya
au Haut Commissariat pour les réfugiés une lettre par
laquelle il dénonçait le refus de l’administration
d’enregistrer les requêtes d’asile.
- Le 6 juin 2007, la demande d’asile du requérant
du 17 mai 2007 fut rejetée comme vague par une décision
du secrétaire général du Ministère de
l’Ordre public. Le 12 juin 2007, le requérant forma un
recours contre la décision de rejet devant le ministre de
l’Ordre public.
- Le 12 juillet, la Commission ajourna l’examen du
cas du requérant en attendant de recevoir de sa part des
éléments de preuve à l’appui de sa demande
d’asile, ainsi que les résultats de l’examen qu’il
avait effectué au Centre médical de rétablissement
des victimes de la torture.
- Le 17 juillet 2007, le requérant se rendit au
département d’asile politique de la Direction des
étrangers de l’Attique et se fit remettre une
attestation d’étranger demandeur d’asile, d’une
validité de six mois. Cette attestation, qui fut renouvelée
deux fois depuis lors, donne au requérant le droit de
travailler et d’avoir une assistance médicale.
- Le 19 septembre 2007, le Centre médical de
rétablissement des victimes de la torture attesta que le
requérant avait subi de mauvais traitements qui
s’apparentaient à des tortures, comme des électrochocs,
« falanka » [« falaka »],
« pendaison palestinienne » ou l’isolement
dans des cellules de type F. Le rapport recommandait un examen
neurologique, orthopédique et gastroentérologique du
requérant, qui eurent lieu en 2008.
- Par une lettre du 16 décembre 2008 au conseil
du requérant, la responsable de la section grecque d’Amnesty
International rendait compte d’une visite effectuée le
18 mai 2007 au centre de détention du poste frontière
de Soufli. Elle précisait que le requérant, ainsi qu’un
autre détenu turc, étaient les seuls à vivre
dans une pièce relativement propre avec une baignoire et de
l’eau chaude, mais sans espace pour la promenade.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
- Les articles 76 (conditions et procédure de
l’expulsion administrative), 77 (recours contre l’expulsion
administrative) et 79 (protection contre l’expulsion) de
la loi no 3386/2005 relative à l’entrée,
au séjour et à l’insertion des ressortissants de
pays tiers au territoire grec, prévoient ce qui suit :
Article 76
« 1. L’expulsion
administrative d’un étranger est permise lorsque :
(...)
c) sa présence sur le territoire grec est
dangereuse pour l’ordre public ou la sécurité du
pays.
2. L’expulsion est ordonnée par
décision du directeur de la police et (...) après que
l’étranger ait bénéficié d’un
délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer
ses objections.
3. Lorsque l’étranger est
considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour
l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe
précédent ordonnent sa détention provisoire
jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois
jours, de la décision d’extradition (...). L’étranger
détenu, peut (...) former des objections à l’encontre
de la décision ordonnant la détention, devant le
président (...) du tribunal administratif (...).
4. Au cas où l’étranger
sous écrou extraditionnel n’est pas considéré
comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, ou
si le président du tribunal administratif s’oppose à
la détention de celui-ci, il lui est fixé un délai
pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.
5. La décision mentionnée aux
paragraphes 3 et 4 de cet article peut être révoquée
à la requête des parties, si la demande est fondée
sur des faits nouveaux (...). »
Article 77
« L’étranger a le droit
d’exercer un recours contre la décision d’expulsion,
dans un délai de cinq jours à compter de sa
notification, au ministre de l’Ordre public (...). La décision
est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à
compter de l’introduction du recours. L’exercice du
recours entraîne la suspension de l’exécution de
la décision. Dans le cas où la détention est
ordonnée en même temps que la décision
d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »
Article 79
« 1. L’expulsion est
interdite, lorsque l’étranger :
(...)
d) est reconnu comme réfugié ou a demandé
l’asile, sous réserve des articles 32 et 33 de
la Convention de Genève de 1957 (...) »
- L’article 1 du décret présidentiel
no 61/1999, qui régit la situation des réfugiés
politiques et demandeurs d’asile dispose :
« L’étranger qui déclare,
oralement ou par écrit, devant toute autorité grecque
aux points d’entrée sur le territoire grec ou à
l’intérieur de celui-ci, qu’il demande l’asile
ou demande, de quelque manière que ce soit, de ne pas être
extradé vers un autre pays, par crainte d’être
persécuté en raison de sa race, religion, nationalité,
classe sociale ou convictions politiques, est considéré
comme demandeur d’asile, conformément à la
Convention de Genève de 1951 (...) et son éloignement
du pays n’est pas permis, jusqu’à ce qu’il
soit statué de manière définitive sur sa
demande. »
- Selon l’article 2 de la loi no
3386/2005 susmentionnée :
« Les dispositions de cette loi ne
s’appliquent pas
c) aux réfugiés et aux personnes qui ont
déposé une demande pour la reconnaissance de leur
statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève
de 1951 (...). »
III. DOCUMENTS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX CONCERNANT LA
DÉTENTION DES DEMANDEURS D’ASILE EN GRÈCE
A. Le rapport du médiateur de la République,
du 29 octobre 2007, suite à sa visite au poste
frontière de Soufli
- Du 25 au 30 juin 2007, le médiateur effectua
une visite aux postes frontières de la Thrace, afin
d’examiner, entre autres, les conditions de détention
des étrangers entrés en Grèce illégalement,
celles des demandeurs d’asile, mais aussi l’accès
de ces derniers à la procédure de demande d’asile.
- Concernant le poste frontière de Soufli, le
médiateur constata que l’espace de détention
présentait des défauts majeurs. Les bâtiments ne
remplissaient pas les conditions élémentaires de la
construction, car ils étaient constitués de baraques
préfabriquées, érigées provisoirement. Le
fait qu’en raison des mauvaises conditions de l’infrastructure,
les détenus restent peu de temps dans ce centre, n’ôte
pas la possibilité pour ces derniers d’y séjourner
plus longuement dans le futur. L’état des salles d’eau
et des toilettes était satisfaisant mais il était
douteux que leur nombre soit suffisant en cas d’affluence de
détenus. Les détenus présents avaient exprimé
des griefs concernant les matelas et les couvertures (usés et
sales). Le défaut de chauffage était considéré
comme particulièrement important et il devait y être
remédié, au moins de manière provisoire.
- Au sujet de la détention des demandeurs
d’asile, le médiateur constata une pratique généralisée
à tous les postes frontières consistant à
infliger, sans distinction, à tous les étrangers entrés
illégalement, l’expulsion administrative et la
détention, ce qui générait des inquiétudes
quant à la possibilité d’accès aux
procédures de demande d’asile, compte tenu du défaut
d’information suffisante à cet égard.
- La pratique consistant à imposer simultanément
l’expulsion et la détention crée l’impression
que la première est décidée pour rendre possible
la seconde et instituer ainsi un contrôle préventif, de
nature policière, quant à la question de savoir si le
demandeur d’asile constitue un danger pour l’ordre
public. Cette pratique entraîne une limitation illégale
des garanties liées à la liberté personnelle des
demandeurs d’asile et de ceux dont l’expulsion n’est
pas réalisable.
B. La lettre du chef du bureau grec du Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, du 12
décembre 2008
- Dans une lettre du 12 décembre 2008, le chef du
bureau grec du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
informa le conseil du requérant des conditions de détention
prévalant, lors de visites au centre de détention du
poste frontière de Soufli en avril et septembre 2008. Selon
cette lettre, les détenus n’avaient pas été
examinés par un médecin dix sept jours après
leur arrivée au centre, la notice explicative pour déposer
une demande d’asile n’était fournie que sur
demande des intéressés, les cellules étaient
surpeuplées du fait qu’elles accueillaient quarante cinq
personnes qui couchaient sur des matelas posés par terre et
les possibilités de téléphoner étaient
limitées.
C. Les constats du Comité pour la prévention
de la torture (CPT) suite à sa visite au Centre de détention
pour étrangers d’Attique (Petrou Rali) en février
2007
- Le CPT constata qu’à la date de sa
visite, le centre hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19
mineurs pour une capacité opérationnelle de 208, 150 et
19 respectivement. Les détenus étaient confinés
dans leurs cellules 24 heures sur 24, du fait que l’espace
réservé à la promenade ne remplissait pas les
conditions de sécurité. Il n’y avait ni d’espace
de détente ni d’espace destiné à des
activités. La plus grande partie des couchages était
sale et les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et
de couvertures propres. Il n’y avait pas de WC dans les
cellules et de nombreux détenus ont déclaré que
l’accès aux toilettes pendant la nuit était
problématique. La délégation du CPT a constaté
par elle-même que des bouteilles étaient utilisées
pour le soulagement des détenus et a été
informée que les détenus utilisaient des sacs en
plastique pour déféquer.
D. Extraits du rapport du Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite de sa
visite en Grèce du 8 au 10 décembre 2008
- « Le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe et sa délégation se sont
rendus en Grèce du 8 au 10 décembre 2008. Au
cours de sa visite, le Commissaire a eu des échanges de vues
avec les pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales
nationales et internationales sur certaines questions relatives aux
droits de l’homme, et notamment la protection des réfugiés.
Il a également visité le poste de surveillance de la
police des frontières de Ferres, le centre de rétention
pour migrants en situation irrégulière de Kyprinos
(Fylakio) et une zone minée dans le département
d’Evros. (...).
Après une description succincte des principales
caractéristiques du système d’asile grec, le
présent rapport du Commissaire se penche sur les questions
suivantes, touchant à la protection des droits fondamentaux
des demandeurs d’asile :
1. Entrée des demandeurs d’asile sur le
territoire et accès à la procédure d’asile,
en particulier dans le département d’Evros :
tout en se félicitant de la législation récente
visant à offrir un régime de protection global aux
demandeurs d’asile, le Commissaire note la persistance de
lacunes structurelles graves dans la pratique grecque en matière
d’asile, lacunes qui mettent en péril le droit
fondamental de demander et de bénéficier de l’asile
et requièrent la mise en place d’un plan d’action
cohérent et doté de ressources adéquates pour la
protection des réfugiés. Le Commissaire invite les
autorités à tenir dûment compte des normes
internationales et du Conseil de l’Europe sur la rétention
et le retour forcé des ressortissants étrangers dans
leurs pratiques en matière d’asile, et de revoir
l’accord de réadmission en vigueur avec la Turquie afin
de le rendre totalement conforme aux normes du Conseil de l’Europe
en matière de droits de l’homme.
2. Capacité d’accueil des personnes
demandant le statut de réfugié, y compris les mineurs :
le Commissaire est préoccupé par l’insuffisance
de la capacité actuelle d’accueil des demandeurs
d’asile, qui rend leurs conditions de vie encore plus dures, en
particulier celles des enfants, qu’ils soient accompagnés
ou non. Le Commissaire porte un intérêt tout particulier
au cas des mineurs migrants (demandeurs d’asile) non
accompagnés et s’inquiète de la persistance de
graves lacunes, notamment dans la pratique en matière de
tutelle. Il rappelle les normes européennes en matière
d’accueil des réfugiés et de protection des
mineurs migrants non accompagnés et invite les autorités
grecques à les mettre en œuvre. »
E. Le rapport de Human Rights Watch de novembre 2008
- Selon un rapport de Human Rights Watch, établi
en novembre 2008, un certain nombre de migrants qui ont été
déportés de manière expéditive de Grèce,
sur la rive d’Evros, ont indiqué que le centre de
détention du poste frontière de Soufli était un
endroit de rassemblement où les migrants arrêtés
étaient détenus quelques jours avant d’être
expulsés de manière expéditive par les
autorités. Les détenus ont décrit le centre
comme étant sombre et miteux. Un Turkmène irakien de
Kirkouk aurait même déclaré qu’il y avait
séjourné pendant vingt jours et avait vu une seule fois
le soleil, et que le temps pendant lequel les détenus étaient
autorisés à aller aux toilettes était limité
à une ou deux minutes.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
3 DE LA CONVENTION
- Le requérant soutient que le manque d’exercice
physique, l’impossibilité d’établir tout
contact avec le monde extérieur et l’absence
d’assistance médicale, en dépit de son état
de victime de tortures, pendant deux mois, ont constitué
un traitement inhumain et dégradant. Il allègue une
violation de l’article 3 qui se lit ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que
ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en
outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
- Le Gouvernement soutient que les conditions de
détention du requérant n’ont pas méconnu
les exigences de l’article 3 de la Convention, compte tenu de
la courte période de détention, du problème
objectif auquel doivent faire face les autorités, résultant
de l’affluence d’étrangers en Grèce et de
l’effort permanent pour améliorer les conditions
d’accueil de ceux-ci. Il affirme que le centre de détention
du poste frontière de Soufli n’était pas
surpeuplé durant la période pendant laquelle le
requérant y était détenu, que l’espace
était régulièrement désinfecté et
disposait d’eau chaude et que les détenus pouvaient se
promener deux heures par jour dans la cour du centre.
- Invoquant l’arrêt Price c. Royaume-Uni
(no 33394/96, § 25, CEDH 2001 VII),
le requérant soutient que la durée pendant laquelle une
personne est soumise à un traitement inhumain et dégradant
n’est pas déterminante pour le constat de violation de
l’article 3, d’autant plus que son état de santé
était fragile. Pour réfuter les allégations du
Gouvernement, le requérant s’appuie sur plusieurs
rapports établis par des institutions internationales, telles
le CPT, la section grecque du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés et le Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi que par
l’organisation Human Rights Watch et l’association
ProAsyl, qui ont constaté l’état déplorable
des conditions de détention dans tous les centres de détention
proches de la frontière gréco-turque. En particulier,
il allègue n’avoir reçu aucun traitement médical
en dépit du fait qu’il était une victime de
tortures, que le centre de détention à Soufli était
surpeuplé, qu’il n’a pas eu une seule fois
l’occasion de marcher dans la cour de ce centre, qu’il
n’y avait ni eau chaude, ni chaises, ni radio ou téléviseur,
que les couvertures étaient sales, que la cabine téléphonique
était en dehors de l’espace où il était
détenu, que la police ne lui a pas permis d’informer un
avocat ou une organisation non gouvernementale de sa détention.
- La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour
tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais
traitement doit atteindre un minimum de gravité.
L’appréciation de ce minimum est relative ; elle
dépend de l’ensemble des données de la cause,
notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques
et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de
l’état de santé de la victime (voir, parmi
d’autres, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18
janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).
- La Cour a jugé un traitement « inhumain »
au motif notamment qu’il avait été appliqué
avec préméditation pendant des heures et qu’il
avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives
souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré
qu’un traitement était « dégradant »
en ce qu’il était de nature à inspirer à
ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et
d’infériorité propres à les humilier et à
les avilir (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no
30210/96, § 92, CEDH 2000-XI). En recherchant si une forme
particulière de traitement est « dégradante »
au sens de l’article 3, la Cour examinera si le but était
d’humilier et de rabaisser l’intéressé et
si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non
atteint la personnalité de celui-ci d’une manière
incompatible avec l’article 3 (Albert et Le Compte c.
Belgique, arrêt du 10 février 1983, série A
no 58, p. 13, § 22). Toutefois, l’absence d’un
tel but ne saurait exclure de façon définitive le
constat de violation de l’article 3 (voir, par exemple, Peers
c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH
2001 III, et Kalashnikov c. Russie, no
47095/99, § 101, CEDH 2002-VI). La souffrance et l’humiliation
infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles
que comporte inévitablement une forme donnée de
traitement ou de peine légitimes. A cet égard, le
caractère public de la sanction ou du traitement peut
constituer un élément pertinent et aggravant (voir, par
exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre
1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55).
Toutefois, il peut fort bien suffire que la victime soit humiliée
à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas à
ceux d’autrui (voir Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du
25 avril 1978, série A no 26, § 32, Smith
et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, §
120, CEDH 1999 VI, Erdogan Yagiz c. Turquie, no
27473/02, § 37, 6 mars 2007 et Riad et Idiab c. Belgique,
no 29787/03 et 29810/03, §§ 95–96, 24
janvier 2008).
- Les mesures privatives de liberté
s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrances et
humiliations. L’article 3 impose à l’Etat de
s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des
conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité
humaine, que les modalités d’exécution de la
mesure ne soumettent pas l’intéressé à une
détresse ou à une épreuve d’une intensité
qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent
à la détention et que, eu égard aux exigences
pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien être
du prisonnier sont assurés de manière adéquate
(Kudła c.Pologne [GC], no 30210/96,
§§ 92-94, CEDH 2000-XI).
- Pour l’appréciation de la souffrance et
de l’humiliation infligées, il faut tenir compte « de
ce que la Convention est un « instrument vivant à
interpréter à la lumière des conditions de vie
actuelles », et de ce que le niveau d’exigence
croissant en matière de protection des droits de l’homme
et des libertés fondamentales implique, parallèlement
et inéluctablement, une plus grande fermeté dans
l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales
des sociétés démocratiques »
(Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga,
précité, § 48, et,
mutatis mutandis, Selmouni c. France [GC], arrêt
du 28 juillet 1999, § 101, Recueil 1999-V).
- En l’espèce, la Cour relève que le
requérant a été placé au centre de
détention de Soufli du 12 mai au 10 juillet 2007. Par la
suite, il a été transféré au centre de
détention pour étrangers de l’Attique (Petrou
Rali), où il a été détenu pendant six
jours. La Cour note que le requérant et le Gouvernement
présentent des versions divergentes quant aux conditions de
détention prévalant dans ces deux centres. Il est
difficile pour la Cour d’établir avec certitude quelle
était la réalité à laquelle a dû
faire face le requérant, d’autant plus qu’outre
les rapports de différentes institutions qui dressent un
tableau désolant du centre de détention du poste
frontière de Soufli, mentionnés par le requérant,
le représentant du bureau grec d’Amnesty International,
qui s’est rendu sur place, a affirmé que le requérant
et un autre détenu étaient les seuls à séjourner
dans une pièce relativement propre et à disposer d’eau
chaude. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que les détenus
pouvaient se promener deux heures par jour dans la cour du centre,
alors que le requérant affirme qu’il n’a pas eu
une seule fois l’occasion de marcher dans la cour.
- Toutefois, pour la Cour il importe de noter que les
allégations du requérant sont corroborées par
les constats de plusieurs institutions internationales et
organisations non gouvernementales, qui n’ont pas été
contredites de manière explicite par le Gouvernement. Si la
majorité d’entre elles concernent pour l’essentiel
la situation générale des réfugiés
arrêtés dans la région d’Evros et les
centres de détention dans cette région, certaines
donnent des indications précises sur le centre de détention
du poste frontière de Soufli, comme celle de Human Rights
Watch de novembre 2008 (paragraphe 41 ci-dessus) : il
y est décrit comme sombre et miteux. De plus, le rapport du
médiateur de la République, du 29 octobre 2007, a mis
en évidence les carences de la structure immobilière de
ce centre.
- A supposer même que le requérant ait
partagé une pièce relativement propre avec de l’eau
chaude pendant son séjour à Soufli, comme l’indique
la responsable de la section grecque d’Amnesty International
lors de sa visite effectuée le 18 mai 2007, il n’en
demeure pas moins qu’il a séjourné deux mois,
enfermé dans une baraque préfabriquée, sans
possibilité de sortir à l’extérieur, sans
possibilité de téléphoner et sans pouvoir
disposer de couvertures, de draps propres et de produits d’hygiène
suffisants. Ces allégations n’ont pas été
contestées par le Gouvernement et sont corroborées par
les différents rapports fournis à la Cour. De même,
au centre de détention pour étrangers de l’Attique
(Petrou Rali), le requérant a été confiné
pendant six jours dans sa cellule, sans possibilité de
promenade en plein air. Les conditions de détention dans ce
centre, telles que décrites par le CPT dans son rapport
suivant sa visite en février 2007, sont, aux yeux de la
Cour, inacceptables.
- S’agissant de la situation personnelle du
requérant, la cour observe que celui-ci avait subi des
tortures sévères en Turquie, qui lui avaient laissé
des séquelles cliniques et psychologiques importantes. Le fait
que cet état n’ait été attesté de
manière officielle, par le Centre médical de
rétablissement des victimes de la torture, qu’après
la fin de sa détention, ne change rien à ce constat.
- Eu égard à ce qui précède,
la Cour estime que les conditions de détention du requérant,
en tant que réfugié et demandeur d’asile,
combinées à la durée excessive de sa détention
en de pareilles conditions, s’analysent en un traitement
dégradant.
- Il y a donc eu violation de l’article 3 de la
Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
5 § 1 DE LA CONVENTION
- Le requérant soutient que sa détention
n’aurait pas été décidée selon les
voies légales. Etant demandeur d’asile, il ne pouvait
pas être expulsé et, par conséquent, détenu
à cette fin sans qu’il y ait méconnaissance des
dispositions légales pertinentes. La première fois que
la police a décidé de le mettre en détention, il
existait déjà une décision du procureur
d’Alexandroupoli, constatant qu’il n’était
pas dangereux pour l’ordre public et ne risquait pas de fuir.
La seconde fois, il s’y ajoutait une décision du
tribunal correctionnel selon lequel le requérant n’avait
violé ni les dispositions légales en matière
d’étrangers ni le code pénal. De plus, son
éloignement ne pouvait pas avoir lieu, car il avait été
reporté du fait du dépôt d’une demande
d’asile en cours d’examen. Il allègue une
violation de l’article 5 § 1 qui dispose :
« Toute personne a droit à la liberté
et à la sûreté. Nul ne peut être privé
de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies
légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation
ou de la détention régulières d’une
personne pour l’empêcher de pénétrer
irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle
une procédure d’expulsion ou d’extradition est en
cours. »
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que
ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en
outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
- Le Gouvernement souligne que la détention d’un
étranger dans le cadre d’une expulsion administrative,
comme en l’espèce, ne constitue pas une peine
sanctionnant une infraction, mais une mesure pour assurer l’exécution
de l’expulsion et ne peut, en aucun cas, dépasser trois
mois. A la suite du retour du requérant en Grèce, après
un premier séjour illégal en 1989, celui-ci a fait
l’objet d’une décision de détention aux
fins d’expulsion, puis d’une décision d’expulsion.
Il était donc détenu en vertu de la loi. La demande
d’asile du requérant a reporté la procédure
d’expulsion, mais n’a pas eu d’effet sur la
régularité de la détention. Ayant duré
deux mois et quatre jours, celle-ci n’a pas dépassé
le délai légal de trois mois.
- Le requérant soutient que les autorités
administratives auraient dû motiver leurs décisions. En
particulier, pour les deuxième et troisième mises en
détention, elles auraient dû expliquer les raisons pour
lesquelles elles n’ont pas tenu compte du jugement du tribunal
correctionnel. Se prévalant des articles 5 et 6 de la
Constitution, mais aussi de l’arrêt Shamsa c. Pologne
(no 45355/99, 27 novembre 2003), il souligne que sa
détention était irrégulière, car décidée
par un organe administratif et non par un tribunal. A supposer même
qu’une décision de détenir une personne aux fins
de son expulsion puisse être prise par un organe administratif,
le détenu devrait disposer d’une voie de recours
effective. En Grèce, un recours devant les juridictions
administratives n’est pas effectif, puisque le détenu
doit obligatoirement être représenté par un
avocat et le droit grec ne prévoit pas d’aide
juridictionnelle pour la saisine de ce type de juridictions.
- La Cour doit rechercher si le requérant a été
détenu « en vue de son expulsion » au
sens de l’article 5 § 1 f) et si sa détention
était « régulière » aux
fins de cette disposition, en tenant notamment compte des garanties
qu’offre le système interne. En matière de
« régularité » d’une
détention, y compris l’observation des « voies
légales », la Convention renvoie pour l’essentiel
à l’obligation d’observer les normes de fond comme
de procédure de la législation nationale, mais elle
exige de surcroît la conformité de toute privation de
liberté au but de l’article 5 : protéger
l’individu contre l’arbitraire (Chahal c. Royaume-Uni,
15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996-V, § 118 et Saadi c. Royaume-Uni, [GC] no
13229/03, §§ 66 et 74, 29 janvier 2008).
- A cet égard, la Cour rappelle qu’en
exigeant que toute privation de liberté soit effectuée
« selon les voies légales », l’article
5 § 1 impose, en premier lieu, que toute arrestation ou
détention ait une base légale en droit interne.
Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit
interne ; ils concernent aussi la qualité de la loi ;
ils la veulent compatible avec la prééminence du droit,
notion inhérente à l’ensemble des articles de la
Convention. Pareille qualité implique qu’une loi
nationale autorisant une privation de liberté soit
suffisamment accessible et précise afin d’éviter
tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996,
§ 50, Recueil 1996 III).
- De surcroît, la Cour doit s’assurer que le
droit interne se conforme lui même à la Convention,
y compris aux principes généraux énoncés
ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne
que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté,
il est particulièrement important de satisfaire au principe
général de la sécurité juridique. Par
conséquent, il est essentiel que les conditions de la
privation de liberté en vertu du droit interne soient
clairement définies et que la loi elle-même soit
prévisible dans son application, de façon à
remplir le critère de « légalité »
fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit
suffisamment précise pour permettre au citoyen – en
s’entourant au besoin de conseils éclairés –
de prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de la cause, les conséquences de nature à
dériver d’un acte déterminé
(Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§
50-52, CEDH 2000-III).
- La Cour note, en premier lieu, que le décret
présidentiel no 61/1999, qui régit
la situation des réfugiés politiques et demandeurs
d’asile, ne contient aucune disposition expresse concernant la
légalité de la détention de ces derniers.
Toutefois, le droit interne prévoit qu’une détention
aux fins d’expulsion est justifiée seulement lorsque
celle-ci peut être exécutée. La simple invocation
de la nécessité d’exécuter la décision
d’expulsion ne suffit pas pour fonder une détention
(article 1 du décret no 61/1999 et article 2
de la loi no 3386/2005). Pour un demandeur d’asile,
l’expulsion ne peut pas être exécutée avant
qu’une décision n’ait été rendue sur
la demande d’asile.
- La Cour constate, d’une part, qu’à
la date de son entrée en Grèce, le 12 mai 2007,
le requérant a formulé une demande d’asile
oralement, comme le lui permettait le décret no
61/1999. Cette demande n’a pas été enregistrée
par les autorités. Le 13 mai 2007, la police a arrêté
le requérant et pris une décision de détention
dans l’attente de la décision d’expulsion qui
devait, selon le droit pertinent, être prise dans un délai
de trois jours. Toutefois, cette décision n’est pas
intervenue. Le conseil du requérant a déposé une
nouvelle demande d’asile, par écrit cette fois, le 15
mai 2007, mais une demande d’asile n’a été
enregistrée qu’à la troisième tentative le
17 mai 2007.
- La Cour relève, d’autre part, qu’à
cette même date du 17 mai 2007, le tribunal correctionnel a
acquitté le requérant des chefs d’entrée
illégale et d’usage de faux documents de voyage
(articles 83 et 87 de la loi no 3386/2005 et 216
du code pénal) et ordonné sa mise en liberté.
S’il est vrai que la procédure pénale est
distincte de la procédure administrative d’expulsion, la
Cour note cependant que le 17 mai 2007 la police a de nouveau arrêté
le requérant, alors qu’il avait déjà
formellement le statut de demandeur d’asile, et a décidé
de le détenir et de l’expulser pour les mêmes
motifs que ceux pour lesquels le tribunal correctionnel l’avait
acquitté. Le 24 mai 2007, le directeur général
de la police du département de la Macédoine de l’Est
et de la Thrace a rejeté le recours du requérant contre
la décision susmentionnée, au motif qu’ayant
violé les articles 83, 87 et 216 précités,
celui-ci représentait un danger pour l’ordre public et
la sécurité du pays.
- En agissant ainsi, les autorités n’ont
pas pris en considération la qualité de demandeur
d’asile du requérant. Celui-ci ne pouvant être
expulsé jusqu’à l’examen de sa demande
d’asile, sa détention s’est trouvée privée
de fondement en droit interne, du moins à compter du
17 mai 2007, lorsque sa demande a été
enregistrée formellement. Or, la Cour souhaite le souligner,
le requérant n’a retrouvé sa liberté que
tardivement, le 16 juillet 2007, lorsque le tribunal administratif
d’Athènes a accueilli ses objections et ordonné
son élargissement.
- La Cour a eu égard à l’argument du
Gouvernement selon lequel la nécessité d’assurer
l’efficacité du contrôle de ceux qui entrent
illégalement sur le territoire et d’éviter que
certains d’entre eux n’abusent des avantages liés
à la reconnaissance du statut de réfugié. Ceci
ne saurait dispenser les autorités de préciser, après
avoir examiné chaque cas particulier, en quoi la mise en
liberté du demandeur d’asile constituerait un danger
pour l’ordre public ou la sécurité nationale.
- En conclusion, la Cour estime que la détention
du requérant en vue de son expulsion, telle qu’elle
s’est poursuivie du 17 mai 2007 au 16 juillet 2007,
n’était pas « régulière »
au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Dès
lors, il y a eu violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
5 § 4 DE LA CONVENTION
- Le requérant soutient que le tribunal
administratif d’Alexandroupoli, auprès duquel il forma
des objections quant à sa détention, refusa d’examiner
la légalité de sa détention et rejeta ses
objections, sans examiner ses arguments et en considérant
qu’il avait à sa disposition d’autres voies de
recours à cet effet. La pratique des tribunaux administratifs
consisterait à contrôler seulement si l’étranger
est susceptible de fuir ou est dangereux pour l’ordre public.
Il allègue une violation de l’article 5 § 4
aux termes duquel :
« Toute personne privée de sa liberté
par arrestation ou détention a le droit d’introduire un
recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref
délai sur la légalité de sa détention et
ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
- La Cour constate que
ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de
l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en
outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif
d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
- Le Gouvernement souligne que l’article 76 §
3 de la loi no 3386/2005 donne à
l’étranger détenu le droit de soulever des
objections devant le tribunal administratif. La procédure
d’examen de ces objections est très rapide. Le détenu
peut contester la légalité de la détention,
lorsque, par exemple, il est détenu en vertu d’une
décision d’expulsion qui a perdu sa validité. En
l’espèce, si le président du tribunal
administratif d’Alexandroupoli a rejeté, le 24 mai 2007,
les objections du requérant, le tribunal administratif
d’Athènes les a accueillies le 16 juillet 2007, et le
requérant a été mis en liberté.
- Le requérant prétend que la loi no
3386/2005 est formulée de manière vague et ambiguë
et empêche ainsi les tribunaux d’examiner la légalité
de la détention au motif qu’ils ne sont pas autorisés
à examiner en même temps la légalité de
l’expulsion. Il s’ensuit que les étrangers qui,
comme le requérant, ne peuvent pas être expulsés
(dans l’attente de la décision sur la demande d’asile),
mais souhaitent contester leur détention, se trouvent dans un
vide juridique. Dans la pratique, les tribunaux examinent la
détention uniquement sous l’angle du risque de la fuite
ou du danger pour l’ordre public.
- La Cour rappelle que le concept de « lawfulness »
(« régularité », « légalité »)
doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5
qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue
a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle
non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des
principes généraux qu’elle consacre et du but des
restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 §
4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel
d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à
substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris
des considérations de pure opportunité, sa propre
appréciation à celle de l’autorité dont
émane la décision. Il n’en veut pas moins un
contrôle assez ample pour s’étendre à
chacune des conditions indispensables à la régularité
de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1
(arrêt Chahal précité, § 127).
- La Cour note d’abord que le droit interne
pertinent ne permet pas un contrôle direct de la légalité
de la détention d’un étranger qui est détenu
en vue de son éloignement du territoire. Selon la loi no
3386/2005, un étranger peut être détenu seulement
en vue de son éloignement du territoire. La décision de
détention n’est pas séparée de celle de
l’expulsion, mais incluse dans celle-ci. Si le constat de
l’illégalité de la décision d’expulser
entraîne automatiquement l’illégalité de la
décision de détenir, les tribunaux n’examinent
pas séparément la légalité de la
détention d’un étranger dont la décision
d’expulsion qui le frappe est suspendue. A cela s’ajoute
l’ambiguïté de la formulation du paragraphe 4
de l’article 76 de la loi no 3386/2005 qui
semble suggérer que même si les objections d’un
étranger contre sa détention ont une issue favorable
devant le tribunal, celui-ci doit lui fixer un délai de trente
jours pour quitter le territoire.
- La Cour note, de surcroît, que l’introduction
d’un recours en annulation et d’un recours en suspension
contre la décision d’expulsion devant les juridictions
administratives n’entraînent pas la levée de la
mesure de détention. De plus, une procédure de ce type
est longue et le droit grec (loi no 3226/2004) ne prévoit
pas d’aide juridictionnelle en matière de contentieux
administratif.
- En l’espèce, le président du
tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté les
objections initiales du requérant contre sa détention
au motif que celui ci, étant demandeur d’asile,
n’aurait pas quitté le territoire dans le délai
de trente jours prévu par l’article 76 § 4. Le
tribunal administratif d’Athènes, que le requérant
a saisi afin de faire révoquer la décision du tribunal
administratif d’Alexandroupoli, n’a pas statué non
plus sur la légalité de la détention : il a
ordonné la mise en liberté du requérant après
avoir constaté que celui-ci avait comparu devant la Commission
consultative en matière d’asile et que l’audience
avait été ajournée en attendant les conclusions
du Centre médical de rétablissement des victimes de la
torture, sans statuer sur la légalité de la détention
antérieure.
- Dès lors, l’ordre juridique grec n’a
offert au requérant aucune possibilité d’obtenir
une décision d’une juridiction interne sur la légalité
de sa détention, au mépris de l’article 5 §
4.
- La Cour conclut qu’il y a également eu
violation de l’article 5 § 4 de la
Convention.
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
- Le requérant allègue également
une violation de l’article 3, en raison du fait que
l’administration a pris la décision de l’éloigner
sans examiner ses allégations selon lesquelles il risquait
d’être à nouveau soumis à des tortures en
cas de renvoi en Turquie, et en dépit du fait que le tribunal
administratif l’avait relaxé des chefs d’entrée
illégale et d’usage de faux.
- Enfin, le requérant allègue une
violation de l’article 13 de la Convention, en ce qui concerne
la décision d’éloignement (pour invoquer à
son encontre une violation de l’article 3). Il soutient que le
recours prévu contre cette décision ne peut pas être
considéré comme effectif car il n’est pas examiné
par un organe juridictionnel, mais par une autorité supérieure
de police. De plus, dans la pratique, le recours n’est pas
examiné quant au bien-fondé et il est rejeté,
dans la majorité des cas, pour des motifs formels.
- En ce qui concerne le premier grief, la Cour estime
que, d’après les informations contenues dans la requête,
les voies de recours ne sont pas épuisées. Le requérant
courrait un risque en cas de renvoi vers la Turquie, en raison de
l’attitude des autorités de police. Ce risque a
cependant disparu lorsque le requérant a réussi à
faire enregistrer sa demande d’asile politique. La procédure
d’éloignement a été interrompue pendant
l’examen de la demande d’asile et est actuellement encore
pendante, dans l’attente de l’issue de la procédure
de reconnaissance du statut de réfugié. Pour cette
raison, le grief tiré de l’article 13 de la Convention
ne peut pas être examiné à ce stade.
- Il s’ensuit que cette partie de la requête
doit être déclarée irrecevable, en application de
l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION
- Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a
eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation,
la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
- Pour le dommage moral, le requérant réclame
10 000 euros (EUR).
- Le Gouvernement considère ce montant excessif
mais s’en remet à la sagesse de la Cour.
- Compte tenu du nombre et de la gravité des
violations constatées dans la présente affaire, la Cour
estime que le requérant doit percevoir une indemnité
pour le dommage moral (Dougoz c. Grèce, no 40907/98,
6 mars 2001). Statuant en équité, comme le
veut l’article 41, elle lui alloue 10 000 EUR de ce
chef, plus tout montant pouvant être dû à titre de
l’impôt.
B. Frais et dépens
- Pour les frais et dépens, le requérant
réclame 1 750 EUR pour les procédures dans l’ordre
juridique interne, et 6 160 EUR pour la procédure devant
la Cour.
- Le Gouvernement fait valoir que les prétentions
du requérant ne sont pas accompagnées des justificatifs
nécessaires et que si la Cour estimait devoir allouer une
somme à ce titre, le montant de 2 000 EUR serait
raisonnable.
- La Cour note que le requérant a bénéficié
de l’assistance judiciaire devant la Cour et qu’il ne
produit aucun document à l’appui de sa prétention
concernant les frais et dépens pour la procédure
interne ou pour justifier un éventuel dépassement des
honoraires d’avocat lié à la procédure
devant la Cour. Il convient donc d’écarter sa demande.
C. Intérêts moratoires
- La Cour juge approprié de calquer le taux des
intérêts moratoires sur le taux d’intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
- Déclare la requête recevable en ce
qui concerne les griefs tirés des articles 3 (conditions de la
détention), 5 § 1 et 5 § 4
et irrecevable pour le surplus ;
- Dit qu’il y a eu violation de l’article 3
de la Convention ;
- Dit qu’il y a eu violation de
l’article 5 § 1 de la Convention ;
- Dit qu’il y a eu violation de
l’article 5 § 4 de la Convention ;
- Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où
l’arrêt sera devenu définitif conformément
à l’article 44 § 2 de la Convention,
10 000 EUR (dix mille euros) pour le dommage moral, plus tout
montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ce montant sera à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal
à celui de la facilité de prêt marginal de la
Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 11 juin 2009, en application de l’article 77 §§
2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente