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    European Court of Human Rights


    You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> S.D. v. Greece - 53541/07 French Text [2009] ECHR 2050 (11 June 2009)
    URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2009/2050.html
    Cite as: [2009] ECHR 2050

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    PREMIÈRE SECTION





    AFFAIRE S.D. c. GRÈCE


    (Requête no 53541/07)







    ARRÊT




    STRASBOURG


    11 juin 2009


    DÉFINITIF


    11/09/2009


    Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

    En l’affaire S.D. c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

    Nina Vajić, présidente,
    Christos Rozakis,
    Anatoly Kovler,
    Elisabeth Steiner,
    Khanlar Hajiyev,
    Giorgio Malinverni,
    George Nicolaou, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mai 2009,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

  1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53541/07) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant turc, M. S.D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 novembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).
  2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et V. Papadopoulos, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme S. Trekli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
  3. Le requérant alléguait en particulier une violation des articles 3 (conditions de détention) et 5 §§ 1 et 4 de la Convention.
  4. Le 7 juillet 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

  6. Le requérant est né en 1959 et réside à Athènes.
  7. A.  L’entrée du requérant en Grèce et son arrestation

  8. Le requérant prétend qu’en raison de ses convictions politiques et de son activité en tant que journaliste, il fut arrêté plus de dix fois, entre 1976 et 2003, par la police turque et subit de mauvais traitements. Arrêté une dernière fois en 2003, il fut emprisonné durant deux ans et demi. Il fit une grève de la faim qui provoqua des séquelles physiques. Son placement en isolement pendant l’incarcération entraîna des séquelles psychologiques et neurologiques. Après avoir été libéré sous condition et afin d’éviter une nouvelle arrestation, il décida de quitter la Turquie.
  9. Le 12 mai 2007, après avoir passé la frontière grecque à la nage, il fut appréhendé par la police pour entrée illégale dans le pays.
  10. Le requérant affirme avoir déclaré immédiatement qu’il était réfugié politique. Toutefois, les autorités n’enregistrèrent pas sa demande d’asile.
  11. La police constata que le requérant était déjà entré en Grèce illégalement, le 21 août 1989, et avait également été arrêté. Il avait déclaré que le but de son passage en Grèce était de se voir octroyer l’asile politique et, par la suite, de se rendre en Allemagne. Placé dans le centre des réfugiés politiques de Lavrio, il l’avait quitté sans autorisation. En 1990, le Ministère de l’Intérieur avait rejeté la demande d’asile du requérant. Ce dernier s’était ensuite rendu en Allemagne, où il avait demandé l’asile politique. En dépit du rejet de sa demande par les autorités allemandes, il était resté en Allemagne pendant quatre ans et avait ensuite regagné la Turquie avec de faux documents.
  12. Du 12 mai 2007 au 10 juillet 2007, le requérant séjourna au centre de détention du poste frontière de Soufli. Il a été assisté par un avocat qui avait été contacté par un citoyen allemand arrêté le même jour que le requérant. Cet avocat a alerté une organisation non gouvernementale, le Réseau d’assistance sociale aux immigrés et réfugiés, qui a pris en charge le requérant.
  13. B.  La procédure pénale contre le requérant

  14. Le 12 mai 2007, le requérant – accusé de possession et usage de faux documents de voyage, et entrée illégale dans le pays – fut présenté devant le procureur d’Alexandroupoli, qui le renvoya en jugement au 17 mai 2007. Le 12 mai 2007 toujours, le procureur ordonna également la mise en liberté du requérant.
  15. Le 17 mai 2007, le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli relaxa le requérant des chefs d’entrée illégale et d’usage de faux, au motif qu’il y avait eu état de nécessité, ce qui excluait le caractère répréhensible de l’infraction (article 25 du code pénal). Le tribunal précisa qu’il ressortait de différentes dépositions que le requérant était journaliste, ressortissant turc, membre d’un parti politique illégal de gauche, condamné et détenu comme prisonnier politique et obligé de fuir en raison des risques pour sa vie.
  16. C.  La procédure d’expulsion administrative du requérant et la détention aux fins de l’expulsion

  17. Le 12 mai 2007, la police appréhenda à nouveau le requérant, en dépit de la décision du procureur ordonnant sa mise en liberté. Le centre de détention du poste frontière de Soufli prit une décision de détention et d’éloignement. Le 13 mai 2007, le directeur de la police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire, dans l’attente de la décision d’expulsion, qui devait intervenir durant les trois jours suivants. Toutefois, cette décision ne fut pas prise car, entre temps, les autorités avaient enregistré la demande d’asile du requérant (voir paragraphes 14 et 25 ci-dessous). A cette même date, le conseil du requérant déposa des objections contre l’arrestation et la détention, en précisant que celui-ci était demandeur d’asile.
  18. Le 17 mai 2007, à la fin des débats devant le tribunal correctionnel (voir paragraphe 12 ci-dessus), la police arrêta une nouvelle fois le requérant. Le poste frontière de Soufli, puis le directeur de la police d’Alexandroupoli prirent une nouvelle décision d’éloignement du requérant pour violation des articles 83 et 87 de la loi 3386/2005 et 216 du code pénal (entrée illégale et possession de faux documents de voyage) et le placèrent en détention jusqu’à son expulsion, au motif qu’il risquait de fuir. Le requérant réitéra sa demande d’asile, cette fois officiellement enregistrée.
  19. Le 22 mai 2007, le requérant introduisit un recours contre la décision d’éloignement auprès du ministre de l’Ordre public, sur le fondement de l’article 77 de la loi 3386/2005. Il alléguait une violation de la législation grecque, de la Convention de Genève de 1951 et de l’article 3 de la Convention.
  20. Le 24 mai 2007, le directeur général de la police du département de la Macédoine de l’Est et de Thrace rejeta le recours du requérant contre la décision susmentionnée, au motif qu’ayant violé les articles 83, 87 et 216 précités, celui-ci représentait un danger pour l’ordre public et la sécurité du pays.
  21. Le requérant n’exerça aucun recours contre cette décision devant le tribunal administratif.
  22. Le 24 mai 2007, le requérant forma des objections contre sa détention, conformément à l’article 76 § 3 de la loi 3386/2005, devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il soutenait que sa détention était contraire à l’article 5 de la Convention, à la Convention de Genève et à la loi 3386/2005.
  23. Par une décision no 75 du 24 mai 2007, le président du tribunal administratif rejeta les objections. Il jugea que la demande de mise en liberté devait être rejetée s’il ressortait de l’examen du dossier que l’étranger n’avait ni l’intention ni les possibilités de quitter le pays dans le délai de trente jours prévu par l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005. Dans ce cas, l’étranger pouvait exercer à l’encontre de la décision de détention les voies de recours prévues par la loi, afin d’obtenir le report, voire l’annulation de cette décision (requête en sursis de l’exécution ou requête en annulation). Compte tenu du fait que le requérant était entré illégalement en Grèce et comptait demander l’asile politique, il était évident qu’il ne quitterait pas le pays dans le délai de trente jours prévu par l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005, au cas où ses objections étaient recevables.
  24. Se prévalant de l’ajournement de l’examen de sa demande d’asile devant la Commission consultative en matière d’asile (paragraphe 27 ci dessous), le requérant forma à nouveau des objections à l’encontre de son maintien en détention, devant le tribunal administratif d’Athènes, fondé sur l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005.
  25. Le 10 juillet 2007, le requérant fut transféré au centre de détention pour étrangers de l’Attique (Petrou Rali), afin de comparaître devant la Commission consultative en matière d’asile, qui devait rendre un avis consultatif sur sa demande d’asile. Il y fut détenu jusqu’au 16 juillet 2007.
  26. Du 10 au 16 juillet 2007, le requérant ne fut pas autorisé à sortir de sa cellule. Le Gouvernement précise que lors du séjour du requérant dans le centre de Petrou Rali, la sortie des détenus se faisait pour la totalité des trois cellules dans le couloir de l’une des ailes du bâtiment, car l’espace extérieur ne remplissait pas, à cette époque-là, les conditions de sécurité. Pendant leur sortie, les détenus faisaient usage des toilettes, des salles d’eau, où il y avait en permanence de l’eau chaude, et des téléphones disponibles dans chaque aile. Il y avait aussi la possibilité d’emprunter des livres, des magazines et des journaux à la bibliothèque qui fonctionne à l’initiative de la Direction des étrangers de l’Attique.
  27. Le 16 juillet 2007, le tribunal administratif accueillit les objections du requérant. Il jugea, de manière générale, que l’expulsion et l’éloignement d’un étranger entré illégalement en Grèce et ayant déposé une demande d’asile, étaient interdits. Concernant le requérant, il constata que l’examen de la demande d’asile de celui-ci était pendant et ordonna sa mise en liberté.
  28. D.  La demande d’asile politique du requérant

  29. Le 15 mai 2007, l’avocat grec du requérant se présenta au poste de frontière de Soufli et, à la demande du requérant, déposa par écrit une requête d’asile politique. Le même jour, le Réseau de soutien des réfugiés et des immigrés envoya au Haut Commissariat pour les réfugiés une lettre par laquelle il dénonçait le refus de l’administration d’enregistrer les requêtes d’asile.
  30. Le 6 juin 2007, la demande d’asile du requérant du 17 mai 2007 fut rejetée comme vague par une décision du secrétaire général du Ministère de l’Ordre public. Le 12 juin 2007, le requérant forma un recours contre la décision de rejet devant le ministre de l’Ordre public.
  31. Le 12 juillet, la Commission ajourna l’examen du cas du requérant en attendant de recevoir de sa part des éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile, ainsi que les résultats de l’examen qu’il avait effectué au Centre médical de rétablissement des victimes de la torture.
  32. Le 17 juillet 2007, le requérant se rendit au département d’asile politique de la Direction des étrangers de l’Attique et se fit remettre une attestation d’étranger demandeur d’asile, d’une validité de six mois. Cette attestation, qui fut renouvelée deux fois depuis lors, donne au requérant le droit de travailler et d’avoir une assistance médicale.
  33. Le 19 septembre 2007, le Centre médical de rétablissement des victimes de la torture attesta que le requérant avait subi de mauvais traitements qui s’apparentaient à des tortures, comme des électrochocs, « falanka » [« falaka »], « pendaison palestinienne » ou l’isolement dans des cellules de type F. Le rapport recommandait un examen neurologique, orthopédique et gastroentérologique du requérant, qui eurent lieu en 2008.
  34. Par une lettre du 16 décembre 2008 au conseil du requérant, la responsable de la section grecque d’Amnesty International rendait compte d’une visite effectuée le 18 mai 2007 au centre de détention du poste frontière de Soufli. Elle précisait que le requérant, ainsi qu’un autre détenu turc, étaient les seuls à vivre dans une pièce relativement propre avec une baignoire et de l’eau chaude, mais sans espace pour la promenade.
  35. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

  36. Les articles 76 (conditions et procédure de l’expulsion administrative), 77 (recours contre l’expulsion administrative) et 79 (protection contre l’expulsion) de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers au territoire grec, prévoient ce qui suit :
  37. Article 76

    « 1.  L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

    (...)

    c) sa présence sur le territoire grec est dangereuse pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

    2.  L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger ait bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

    3.  Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’extradition (...). L’étranger détenu, peut (...) former des objections à l’encontre de la décision ordonnant la détention, devant le président (...) du tribunal administratif (...).

    4.  Au cas où l’étranger sous écrou extraditionnel n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, ou si le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de celui-ci, il lui est fixé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

    5.  La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être révoquée à la requête des parties, si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...). »

    Article 77

    « L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion, dans un délai de cinq jours à compter de sa notification, au ministre de l’Ordre public (...). La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

    Article 79

    « 1.  L’expulsion est interdite, lorsque l’étranger :

    (...)

    d) est reconnu comme réfugié ou a demandé l’asile, sous réserve des articles 32 et 33 de la Convention de Genève de 1957 (...) »

  38. L’article 1 du décret présidentiel no 61/1999, qui régit la situation des réfugiés politiques et demandeurs d’asile dispose :
  39. « L’étranger qui déclare, oralement ou par écrit, devant toute autorité grecque aux points d’entrée sur le territoire grec ou à l’intérieur de celui-ci, qu’il demande l’asile ou demande, de quelque manière que ce soit, de ne pas être extradé vers un autre pays, par crainte d’être persécuté en raison de sa race, religion, nationalité, classe sociale ou convictions politiques, est considéré comme demandeur d’asile, conformément à la Convention de Genève de 1951 (...) et son éloignement du pays n’est pas permis, jusqu’à ce qu’il soit statué de manière définitive sur sa demande. »

  40. Selon l’article 2 de la loi no 3386/2005 susmentionnée :
  41. « Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

    c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande pour la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...). »

    III.  DOCUMENTS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX CONCERNANT LA DÉTENTION DES DEMANDEURS D’ASILE EN GRÈCE

    A.  Le rapport du médiateur de la République, du 29 octobre 2007, suite à sa visite au poste frontière de Soufli

  42. Du 25 au 30 juin 2007, le médiateur effectua une visite aux postes frontières de la Thrace, afin d’examiner, entre autres, les conditions de détention des étrangers entrés en Grèce illégalement, celles des demandeurs d’asile, mais aussi l’accès de ces derniers à la procédure de demande d’asile.
  43. Concernant le poste frontière de Soufli, le médiateur constata que l’espace de détention présentait des défauts majeurs. Les bâtiments ne remplissaient pas les conditions élémentaires de la construction, car ils étaient constitués de baraques préfabriquées, érigées provisoirement. Le fait qu’en raison des mauvaises conditions de l’infrastructure, les détenus restent peu de temps dans ce centre, n’ôte pas la possibilité pour ces derniers d’y séjourner plus longuement dans le futur. L’état des salles d’eau et des toilettes était satisfaisant mais il était douteux que leur nombre soit suffisant en cas d’affluence de détenus. Les détenus présents avaient exprimé des griefs concernant les matelas et les couvertures (usés et sales). Le défaut de chauffage était considéré comme particulièrement important et il devait y être remédié, au moins de manière provisoire.
  44. Au sujet de la détention des demandeurs d’asile, le médiateur constata une pratique généralisée à tous les postes frontières consistant à infliger, sans distinction, à tous les étrangers entrés illégalement, l’expulsion administrative et la détention, ce qui générait des inquiétudes quant à la possibilité d’accès aux procédures de demande d’asile, compte tenu du défaut d’information suffisante à cet égard.
  45. La pratique consistant à imposer simultanément l’expulsion et la détention crée l’impression que la première est décidée pour rendre possible la seconde et instituer ainsi un contrôle préventif, de nature policière, quant à la question de savoir si le demandeur d’asile constitue un danger pour l’ordre public. Cette pratique entraîne une limitation illégale des garanties liées à la liberté personnelle des demandeurs d’asile et de ceux dont l’expulsion n’est pas réalisable.
  46. B.  La lettre du chef du bureau grec du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, du 12 décembre 2008

  47. Dans une lettre du 12 décembre 2008, le chef du bureau grec du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés informa le conseil du requérant des conditions de détention prévalant, lors de visites au centre de détention du poste frontière de Soufli en avril et septembre 2008. Selon cette lettre, les détenus n’avaient pas été examinés par un médecin dix sept jours après leur arrivée au centre, la notice explicative pour déposer une demande d’asile n’était fournie que sur demande des intéressés, les cellules étaient surpeuplées du fait qu’elles accueillaient quarante cinq personnes qui couchaient sur des matelas posés par terre et les possibilités de téléphoner étaient limitées.
  48. C.  Les constats du Comité pour la prévention de la torture (CPT) suite à sa visite au Centre de détention pour étrangers d’Attique (Petrou Rali) en février 2007

  49. Le CPT constata qu’à la date de sa visite, le centre hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19 mineurs pour une capacité opérationnelle de 208, 150 et 19 respectivement. Les détenus étaient confinés dans leurs cellules 24 heures sur 24, du fait que l’espace réservé à la promenade ne remplissait pas les conditions de sécurité. Il n’y avait ni d’espace de détente ni d’espace destiné à des activités. La plus grande partie des couchages était sale et les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et de couvertures propres. Il n’y avait pas de WC dans les cellules et de nombreux détenus ont déclaré que l’accès aux toilettes pendant la nuit était problématique. La délégation du CPT a constaté par elle-même que des bouteilles étaient utilisées pour le soulagement des détenus et a été informée que les détenus utilisaient des sacs en plastique pour déféquer.
  50. D.  Extraits du rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à la suite de sa visite en Grèce du 8 au 10 décembre 2008

  51. « Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et sa délégation se sont rendus en Grèce du 8 au 10 décembre 2008. Au cours de sa visite, le Commissaire a eu des échanges de vues avec les pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales nationales et internationales sur certaines questions relatives aux droits de l’homme, et notamment la protection des réfugiés. Il a également visité le poste de surveillance de la police des frontières de Ferres, le centre de rétention pour migrants en situation irrégulière de Kyprinos (Fylakio) et une zone minée dans le département d’Evros. (...).
  52. Après une description succincte des principales caractéristiques du système d’asile grec, le présent rapport du Commissaire se penche sur les questions suivantes, touchant à la protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile :

    1.  Entrée des demandeurs d’asile sur le territoire et accès à la procédure d’asile, en particulier dans le département d’Evros : tout en se félicitant de la législation récente visant à offrir un régime de protection global aux demandeurs d’asile, le Commissaire note la persistance de lacunes structurelles graves dans la pratique grecque en matière d’asile, lacunes qui mettent en péril le droit fondamental de demander et de bénéficier de l’asile et requièrent la mise en place d’un plan d’action cohérent et doté de ressources adéquates pour la protection des réfugiés. Le Commissaire invite les autorités à tenir dûment compte des normes internationales et du Conseil de l’Europe sur la rétention et le retour forcé des ressortissants étrangers dans leurs pratiques en matière d’asile, et de revoir l’accord de réadmission en vigueur avec la Turquie afin de le rendre totalement conforme aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme.

    2.  Capacité d’accueil des personnes demandant le statut de réfugié, y compris les mineurs : le Commissaire est préoccupé par l’insuffisance de la capacité actuelle d’accueil des demandeurs d’asile, qui rend leurs conditions de vie encore plus dures, en particulier celles des enfants, qu’ils soient accompagnés ou non. Le Commissaire porte un intérêt tout particulier au cas des mineurs migrants (demandeurs d’asile) non accompagnés et s’inquiète de la persistance de graves lacunes, notamment dans la pratique en matière de tutelle. Il rappelle les normes européennes en matière d’accueil des réfugiés et de protection des mineurs migrants non accompagnés et invite les autorités grecques à les mettre en œuvre. »

    E.  Le rapport de Human Rights Watch de novembre 2008

  53. Selon un rapport de Human Rights Watch, établi en novembre 2008, un certain nombre de migrants qui ont été déportés de manière expéditive de Grèce, sur la rive d’Evros, ont indiqué que le centre de détention du poste frontière de Soufli était un endroit de rassemblement où les migrants arrêtés étaient détenus quelques jours avant d’être expulsés de manière expéditive par les autorités. Les détenus ont décrit le centre comme étant sombre et miteux. Un Turkmène irakien de Kirkouk aurait même déclaré qu’il y avait séjourné pendant vingt jours et avait vu une seule fois le soleil, et que le temps pendant lequel les détenus étaient autorisés à aller aux toilettes était limité à une ou deux minutes.
  54. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

  55. Le requérant soutient que le manque d’exercice physique, l’impossibilité d’établir tout contact avec le monde extérieur et l’absence d’assistance médicale, en dépit de son état de victime de tortures, pendant deux mois, ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Il allègue une violation de l’article 3 qui se lit ainsi :
  56. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

  57. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
  58. B.  Sur le fond

  59. Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant n’ont pas méconnu les exigences de l’article 3 de la Convention, compte tenu de la courte période de détention, du problème objectif auquel doivent faire face les autorités, résultant de l’affluence d’étrangers en Grèce et de l’effort permanent pour améliorer les conditions d’accueil de ceux-ci. Il affirme que le centre de détention du poste frontière de Soufli n’était pas surpeuplé durant la période pendant laquelle le requérant y était détenu, que l’espace était régulièrement désinfecté et disposait d’eau chaude et que les détenus pouvaient se promener deux heures par jour dans la cour du centre.
  60. Invoquant l’arrêt Price c. Royaume-Uni (no 33394/96, § 25, CEDH 2001 VII), le requérant soutient que la durée pendant laquelle une personne est soumise à un traitement inhumain et dégradant n’est pas déterminante pour le constat de violation de l’article 3, d’autant plus que son état de santé était fragile. Pour réfuter les allégations du Gouvernement, le requérant s’appuie sur plusieurs rapports établis par des institutions internationales, telles le CPT, la section grecque du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi que par l’organisation Human Rights Watch et l’association ProAsyl, qui ont constaté l’état déplorable des conditions de détention dans tous les centres de détention proches de la frontière gréco-turque. En particulier, il allègue n’avoir reçu aucun traitement médical en dépit du fait qu’il était une victime de tortures, que le centre de détention à Soufli était surpeuplé, qu’il n’a pas eu une seule fois l’occasion de marcher dans la cour de ce centre, qu’il n’y avait ni eau chaude, ni chaises, ni radio ou téléviseur, que les couvertures étaient sales, que la cabine téléphonique était en dehors de l’espace où il était détenu, que la police ne lui a pas permis d’informer un avocat ou une organisation non gouvernementale de sa détention.
  61. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).
  62. La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI). En recherchant si une forme particulière de traitement est « dégradante » au sens de l’article 3, la Cour examinera si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d’une manière incompatible avec l’article 3 (Albert et Le Compte c. Belgique, arrêt du 10 février 1983, série A no 58, p. 13, § 22). Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 (voir, par exemple, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001 III, et Kalashnikov c. Russie, no 47095/99, § 101, CEDH 2002-VI). La souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. A cet égard, le caractère public de la sanction ou du traitement peut constituer un élément pertinent et aggravant (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55). Toutefois, il peut fort bien suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas à ceux d’autrui (voir Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du 25 avril 1978, série A no 26, § 32, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 120, CEDH 1999 VI, Erdogan Yagiz c. Turquie, no 27473/02, § 37, 6 mars 2007 et Riad et Idiab c. Belgique, no 29787/03 et 29810/03, §§ 95–96, 24 janvier 2008).
  63. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrances et humiliations. L’article 3 impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c.Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI).
  64. Pour l’appréciation de la souffrance et de l’humiliation infligées, il faut tenir compte « de ce que la Convention est un « instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles », et de ce que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 48, et, mutatis mutandis, Selmouni c. France [GC], arrêt du 28 juillet 1999, § 101, Recueil 1999-V).
  65. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été placé au centre de détention de Soufli du 12 mai au 10 juillet 2007. Par la suite, il a été transféré au centre de détention pour étrangers de l’Attique (Petrou Rali), où il a été détenu pendant six jours. La Cour note que le requérant et le Gouvernement présentent des versions divergentes quant aux conditions de détention prévalant dans ces deux centres. Il est difficile pour la Cour d’établir avec certitude quelle était la réalité à laquelle a dû faire face le requérant, d’autant plus qu’outre les rapports de différentes institutions qui dressent un tableau désolant du centre de détention du poste frontière de Soufli, mentionnés par le requérant, le représentant du bureau grec d’Amnesty International, qui s’est rendu sur place, a affirmé que le requérant et un autre détenu étaient les seuls à séjourner dans une pièce relativement propre et à disposer d’eau chaude. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que les détenus pouvaient se promener deux heures par jour dans la cour du centre, alors que le requérant affirme qu’il n’a pas eu une seule fois l’occasion de marcher dans la cour.
  66. Toutefois, pour la Cour il importe de noter que les allégations du requérant sont corroborées par les constats de plusieurs institutions internationales et organisations non gouvernementales, qui n’ont pas été contredites de manière explicite par le Gouvernement. Si la majorité d’entre elles concernent pour l’essentiel la situation générale des réfugiés arrêtés dans la région d’Evros et les centres de détention dans cette région, certaines donnent des indications précises sur le centre de détention du poste frontière de Soufli, comme celle de Human Rights Watch de novembre 2008 (paragraphe 41 ci-dessus) : il y est décrit comme sombre et miteux. De plus, le rapport du médiateur de la République, du 29 octobre 2007, a mis en évidence les carences de la structure immobilière de ce centre.
  67. A supposer même que le requérant ait partagé une pièce relativement propre avec de l’eau chaude pendant son séjour à Soufli, comme l’indique la responsable de la section grecque d’Amnesty International lors de sa visite effectuée le 18 mai 2007, il n’en demeure pas moins qu’il a séjourné deux mois, enfermé dans une baraque préfabriquée, sans possibilité de sortir à l’extérieur, sans possibilité de téléphoner et sans pouvoir disposer de couvertures, de draps propres et de produits d’hygiène suffisants. Ces allégations n’ont pas été contestées par le Gouvernement et sont corroborées par les différents rapports fournis à la Cour. De même, au centre de détention pour étrangers de l’Attique (Petrou Rali), le requérant a été confiné pendant six jours dans sa cellule, sans possibilité de promenade en plein air. Les conditions de détention dans ce centre, telles que décrites par le CPT dans son rapport suivant sa visite en février 2007, sont, aux yeux de la Cour, inacceptables.
  68. S’agissant de la situation personnelle du requérant, la cour observe que celui-ci avait subi des tortures sévères en Turquie, qui lui avaient laissé des séquelles cliniques et psychologiques importantes. Le fait que cet état n’ait été attesté de manière officielle, par le Centre médical de rétablissement des victimes de la torture, qu’après la fin de sa détention, ne change rien à ce constat.
  69. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les conditions de détention du requérant, en tant que réfugié et demandeur d’asile, combinées à la durée excessive de sa détention en de pareilles conditions, s’analysent en un traitement dégradant.
  70. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention.
  71. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

  72. Le requérant soutient que sa détention n’aurait pas été décidée selon les voies légales. Etant demandeur d’asile, il ne pouvait pas être expulsé et, par conséquent, détenu à cette fin sans qu’il y ait méconnaissance des dispositions légales pertinentes. La première fois que la police a décidé de le mettre en détention, il existait déjà une décision du procureur d’Alexandroupoli, constatant qu’il n’était pas dangereux pour l’ordre public et ne risquait pas de fuir. La seconde fois, il s’y ajoutait une décision du tribunal correctionnel selon lequel le requérant n’avait violé ni les dispositions légales en matière d’étrangers ni le code pénal. De plus, son éloignement ne pouvait pas avoir lieu, car il avait été reporté du fait du dépôt d’une demande d’asile en cours d’examen. Il allègue une violation de l’article 5 § 1 qui dispose :
  73. « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

    A.  Sur la recevabilité

  74. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
  75. B.  Sur le fond

  76. Le Gouvernement souligne que la détention d’un étranger dans le cadre d’une expulsion administrative, comme en l’espèce, ne constitue pas une peine sanctionnant une infraction, mais une mesure pour assurer l’exécution de l’expulsion et ne peut, en aucun cas, dépasser trois mois. A la suite du retour du requérant en Grèce, après un premier séjour illégal en 1989, celui-ci a fait l’objet d’une décision de détention aux fins d’expulsion, puis d’une décision d’expulsion. Il était donc détenu en vertu de la loi. La demande d’asile du requérant a reporté la procédure d’expulsion, mais n’a pas eu d’effet sur la régularité de la détention. Ayant duré deux mois et quatre jours, celle-ci n’a pas dépassé le délai légal de trois mois.
  77. Le requérant soutient que les autorités administratives auraient dû motiver leurs décisions. En particulier, pour les deuxième et troisième mises en détention, elles auraient dû expliquer les raisons pour lesquelles elles n’ont pas tenu compte du jugement du tribunal correctionnel. Se prévalant des articles 5 et 6 de la Constitution, mais aussi de l’arrêt Shamsa c. Pologne (no 45355/99, 27 novembre 2003), il souligne que sa détention était irrégulière, car décidée par un organe administratif et non par un tribunal. A supposer même qu’une décision de détenir une personne aux fins de son expulsion puisse être prise par un organe administratif, le détenu devrait disposer d’une voie de recours effective. En Grèce, un recours devant les juridictions administratives n’est pas effectif, puisque le détenu doit obligatoirement être représenté par un avocat et le droit grec ne prévoit pas d’aide juridictionnelle pour la saisine de ce type de juridictions.
  78. La Cour doit rechercher si le requérant a été détenu « en vue de son expulsion » au sens de l’article 5 § 1 f) et si sa détention était « régulière » aux fins de cette disposition, en tenant notamment compte des garanties qu’offre le système interne. En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 118 et Saadi c. Royaume-Uni, [GC] no 13229/03, §§ 66 et 74, 29 janvier 2008).
  79. A cet égard, la Cour rappelle qu’en exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l’article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne ; ils concernent aussi la qualité de la loi ; ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. Pareille qualité implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996 III).
  80. De surcroît, la Cour doit s’assurer que le droit interne se conforme lui même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).
  81. La Cour note, en premier lieu, que le décret présidentiel no 61/1999, qui régit la situation des réfugiés politiques et demandeurs d’asile, ne contient aucune disposition expresse concernant la légalité de la détention de ces derniers. Toutefois, le droit interne prévoit qu’une détention aux fins d’expulsion est justifiée seulement lorsque celle-ci peut être exécutée. La simple invocation de la nécessité d’exécuter la décision d’expulsion ne suffit pas pour fonder une détention (article 1 du décret no 61/1999 et article 2 de la loi no 3386/2005). Pour un demandeur d’asile, l’expulsion ne peut pas être exécutée avant qu’une décision n’ait été rendue sur la demande d’asile.
  82. La Cour constate, d’une part, qu’à la date de son entrée en Grèce, le 12 mai 2007, le requérant a formulé une demande d’asile oralement, comme le lui permettait le décret no 61/1999. Cette demande n’a pas été enregistrée par les autorités. Le 13 mai 2007, la police a arrêté le requérant et pris une décision de détention dans l’attente de la décision d’expulsion qui devait, selon le droit pertinent, être prise dans un délai de trois jours. Toutefois, cette décision n’est pas intervenue. Le conseil du requérant a déposé une nouvelle demande d’asile, par écrit cette fois, le 15 mai 2007, mais une demande d’asile n’a été enregistrée qu’à la troisième tentative le 17 mai 2007.
  83. La Cour relève, d’autre part, qu’à cette même date du 17 mai 2007, le tribunal correctionnel a acquitté le requérant des chefs d’entrée illégale et d’usage de faux documents de voyage (articles 83 et 87 de la loi no 3386/2005 et 216 du code pénal) et ordonné sa mise en liberté. S’il est vrai que la procédure pénale est distincte de la procédure administrative d’expulsion, la Cour note cependant que le 17 mai 2007 la police a de nouveau arrêté le requérant, alors qu’il avait déjà formellement le statut de demandeur d’asile, et a décidé de le détenir et de l’expulser pour les mêmes motifs que ceux pour lesquels le tribunal correctionnel l’avait acquitté. Le 24 mai 2007, le directeur général de la police du département de la Macédoine de l’Est et de la Thrace a rejeté le recours du requérant contre la décision susmentionnée, au motif qu’ayant violé les articles 83, 87 et 216 précités, celui-ci représentait un danger pour l’ordre public et la sécurité du pays.
  84. En agissant ainsi, les autorités n’ont pas pris en considération la qualité de demandeur d’asile du requérant. Celui-ci ne pouvant être expulsé jusqu’à l’examen de sa demande d’asile, sa détention s’est trouvée privée de fondement en droit interne, du moins à compter du 17 mai 2007, lorsque sa demande a été enregistrée formellement. Or, la Cour souhaite le souligner, le requérant n’a retrouvé sa liberté que tardivement, le 16 juillet 2007, lorsque le tribunal administratif d’Athènes a accueilli ses objections et ordonné son élargissement.
  85. La Cour a eu égard à l’argument du Gouvernement selon lequel la nécessité d’assurer l’efficacité du contrôle de ceux qui entrent illégalement sur le territoire et d’éviter que certains d’entre eux n’abusent des avantages liés à la reconnaissance du statut de réfugié. Ceci ne saurait dispenser les autorités de préciser, après avoir examiné chaque cas particulier, en quoi la mise en liberté du demandeur d’asile constituerait un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale.
  86. En conclusion, la Cour estime que la détention du requérant en vue de son expulsion, telle qu’elle s’est poursuivie du 17 mai 2007 au 16 juillet 2007, n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.
  87. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

  88. Le requérant soutient que le tribunal administratif d’Alexandroupoli, auprès duquel il forma des objections quant à sa détention, refusa d’examiner la légalité de sa détention et rejeta ses objections, sans examiner ses arguments et en considérant qu’il avait à sa disposition d’autres voies de recours à cet effet. La pratique des tribunaux administratifs consisterait à contrôler seulement si l’étranger est susceptible de fuir ou est dangereux pour l’ordre public. Il allègue une violation de l’article 5 § 4 aux termes duquel :
  89. « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    A.  Sur la recevabilité

  90. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
  91. B.  Sur le fond

  92. Le Gouvernement souligne que l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 donne à l’étranger détenu le droit de soulever des objections devant le tribunal administratif. La procédure d’examen de ces objections est très rapide. Le détenu peut contester la légalité de la détention, lorsque, par exemple, il est détenu en vertu d’une décision d’expulsion qui a perdu sa validité. En l’espèce, si le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté, le 24 mai 2007, les objections du requérant, le tribunal administratif d’Athènes les a accueillies le 16 juillet 2007, et le requérant a été mis en liberté.
  93. Le requérant prétend que la loi no 3386/2005 est formulée de manière vague et ambiguë et empêche ainsi les tribunaux d’examiner la légalité de la détention au motif qu’ils ne sont pas autorisés à examiner en même temps la légalité de l’expulsion. Il s’ensuit que les étrangers qui, comme le requérant, ne peuvent pas être expulsés (dans l’attente de la décision sur la demande d’asile), mais souhaitent contester leur détention, se trouvent dans un vide juridique. Dans la pratique, les tribunaux examinent la détention uniquement sous l’angle du risque de la fuite ou du danger pour l’ordre public.
  94. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (arrêt Chahal précité, § 127).
  95. La Cour note d’abord que le droit interne pertinent ne permet pas un contrôle direct de la légalité de la détention d’un étranger qui est détenu en vue de son éloignement du territoire. Selon la loi no 3386/2005, un étranger peut être détenu seulement en vue de son éloignement du territoire. La décision de détention n’est pas séparée de celle de l’expulsion, mais incluse dans celle-ci. Si le constat de l’illégalité de la décision d’expulser entraîne automatiquement l’illégalité de la décision de détenir, les tribunaux n’examinent pas séparément la légalité de la détention d’un étranger dont la décision d’expulsion qui le frappe est suspendue. A cela s’ajoute l’ambiguïté de la formulation du paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 qui semble suggérer que même si les objections d’un étranger contre sa détention ont une issue favorable devant le tribunal, celui-ci doit lui fixer un délai de trente jours pour quitter le territoire.
  96. La Cour note, de surcroît, que l’introduction d’un recours en annulation et d’un recours en suspension contre la décision d’expulsion devant les juridictions administratives n’entraînent pas la levée de la mesure de détention. De plus, une procédure de ce type est longue et le droit grec (loi no 3226/2004) ne prévoit pas d’aide juridictionnelle en matière de contentieux administratif.
  97. En l’espèce, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté les objections initiales du requérant contre sa détention au motif que celui ci, étant demandeur d’asile, n’aurait pas quitté le territoire dans le délai de trente jours prévu par l’article 76 § 4. Le tribunal administratif d’Athènes, que le requérant a saisi afin de faire révoquer la décision du tribunal administratif d’Alexandroupoli, n’a pas statué non plus sur la légalité de la détention : il a ordonné la mise en liberté du requérant après avoir constaté que celui-ci avait comparu devant la Commission consultative en matière d’asile et que l’audience avait été ajournée en attendant les conclusions du Centre médical de rétablissement des victimes de la torture, sans statuer sur la légalité de la détention antérieure.
  98. Dès lors, l’ordre juridique grec n’a offert au requérant aucune possibilité d’obtenir une décision d’une juridiction interne sur la légalité de sa détention, au mépris de l’article 5 § 4.
  99. La Cour conclut qu’il y a également eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
  100. IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

  101. Le requérant allègue également une violation de l’article 3, en raison du fait que l’administration a pris la décision de l’éloigner sans examiner ses allégations selon lesquelles il risquait d’être à nouveau soumis à des tortures en cas de renvoi en Turquie, et en dépit du fait que le tribunal administratif l’avait relaxé des chefs d’entrée illégale et d’usage de faux.
  102. Enfin, le requérant allègue une violation de l’article 13 de la Convention, en ce qui concerne la décision d’éloignement (pour invoquer à son encontre une violation de l’article 3). Il soutient que le recours prévu contre cette décision ne peut pas être considéré comme effectif car il n’est pas examiné par un organe juridictionnel, mais par une autorité supérieure de police. De plus, dans la pratique, le recours n’est pas examiné quant au bien-fondé et il est rejeté, dans la majorité des cas, pour des motifs formels.
  103. En ce qui concerne le premier grief, la Cour estime que, d’après les informations contenues dans la requête, les voies de recours ne sont pas épuisées. Le requérant courrait un risque en cas de renvoi vers la Turquie, en raison de l’attitude des autorités de police. Ce risque a cependant disparu lorsque le requérant a réussi à faire enregistrer sa demande d’asile politique. La procédure d’éloignement a été interrompue pendant l’examen de la demande d’asile et est actuellement encore pendante, dans l’attente de l’issue de la procédure de reconnaissance du statut de réfugié. Pour cette raison, le grief tiré de l’article 13 de la Convention ne peut pas être examiné à ce stade.
  104. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  105. V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  106. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  107. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

  108. Pour le dommage moral, le requérant réclame 10 000 euros (EUR).
  109. Le Gouvernement considère ce montant excessif mais s’en remet à la sagesse de la Cour.
  110. Compte tenu du nombre et de la gravité des violations constatées dans la présente affaire, la Cour estime que le requérant doit percevoir une indemnité pour le dommage moral (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, 6 mars 2001). Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue 10 000 EUR de ce chef, plus tout montant pouvant être dû à titre de l’impôt.
  111. B.  Frais et dépens

  112. Pour les frais et dépens, le requérant réclame 1 750 EUR pour les procédures dans l’ordre juridique interne, et 6 160 EUR pour la procédure devant la Cour.
  113. Le Gouvernement fait valoir que les prétentions du requérant ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires et que si la Cour estimait devoir allouer une somme à ce titre, le montant de 2 000 EUR serait raisonnable.
  114. La Cour note que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour et qu’il ne produit aucun document à l’appui de sa prétention concernant les frais et dépens pour la procédure interne ou pour justifier un éventuel dépassement des honoraires d’avocat lié à la procédure devant la Cour. Il convient donc d’écarter sa demande.
  115. C.  Intérêts moratoires

  116. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  117. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

  118. Déclare la requête recevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 3 (conditions de la détention), 5 § 1 et 5 § 4 et irrecevable pour le surplus ;

  119. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

  120. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

  121. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

  122. Dit
  123. a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour le dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


  124. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
  125. Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juin 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Søren Nielsen Nina Vajić
    Greffier Présidente



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