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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TABESH v GREECE - 8256/07 (French Text) [2009] ECHR 2224 (26 November 2009) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2009/2224.html Cite as: [2009] ECHR 2224 |
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PREMIÈRE SECTION
(Requête no 8256/07)
ARRÊT
STRASBOURG
26 novembre 2009
DÉFINITIF
26/02/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tabesh c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić,
présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar
Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik
Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou,
juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 novembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 8256/07) dirigée contre la République hellénique par un ressortissant afghan, M. Rafk Tabesh (« le requérant ») qui a saisi la Cour le 8 février 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le requérant alléguait en particulier une violation des articles 3 (conditions de détention) et 5 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Le 5 mai 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer les griefs tirés des conditions de détention du requérant et de la légalité de sa mise en détention en vue d'expulsion au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La mise en détention du requérant en vue de son expulsion et le recours y relatif
5. En juillet 2006, le requérant pénétra sur le territoire grec sans disposer de titre de séjour.
6. Le 23 décembre 2006, celui-ci fut arrêté et placé en garde à vue alors qu'il était en possession d'un faux certificat attestant qu'il avait soumis une demande d'asile encore pendante.
7. Le 24 décembre 2006, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Thessalonique à quarante jours d'emprisonnement avec sursis pour possession de faux documents de voyage (jugement no 16803/06).
8. Le 28 décembre 2006, il fut arrêté à nouveau et mis en détention en vue de son expulsion.
9. Le 31 décembre 2006, le sous-directeur de la police des étrangers de Thessalonique ordonna l'expulsion du requérant au motif qu'il avait été condamné par une juridiction pénale pour possession de faux documents. De plus, ladite autorité décida le maintien en détention du requérant « jusqu'à ce que la décision d'expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au-delà de trois mois au maximum, car, vu les circonstances de l'espèce, [le requérant constituait] un danger pour l'ordre public et [était] susceptible de s'enfuir » (décision nº 341692/1-b).
10. Le 9 janvier 2007, le requérant soumit au président du tribunal administratif de Thessalonique ses objections quant à son maintien en détention. Il alléguait notamment que son expulsion était impossible du fait que son pays d'origine ne confirmait pas à l'Etat grec qu'il en était ressortissant. Le requérant affirmait que des mesures préventives autres que la détention auraient dû lui être imposées afin d'assurer son éventuelle expulsion. De plus, le requérant soutenait que les conditions de sa détention étaient inhumaines et dégradantes, en raison notamment de la promiscuité, l'insalubrité, les insuffisances quant à la nourriture et l'absence de contact avec l'extérieur. Enfin, le requérant soumit au président du tribunal administratif une attestation établie par K.K., affirmant que le premier demeurait chez le second lors de son séjour en Grèce et qu'il souhaitait l'héberger en cas d'élargissement.
11. Le 19 janvier 2007, le président du tribunal administratif de Thessalonique rejeta le recours du requérant. Il considéra que le requérant était dangereux pour l'ordre public et susceptible de s'enfuir. Il estima que ses allégations à l'égard des conditions de sa détention n'étaient pas étayées et que, lors de son arrestation, il avait indiqué une autre adresse de séjour que celle de K.K. (décision no 82/07).
12. Le 28 mars 2007, en vertu d'une décision de la police des étrangers de Thessalonique, le requérant fut remis en liberté à l'expiration du délai de trois mois prescrit par la loi, car son expulsion vers l'Afghanistan ne pouvait intervenir, faute pour lui d'être muni de documents de voyage. Un délai de dix jours lui fut accordé pour quitter le territoire grec. Il ne ressort pas du dossier si le requérant a finalement quitté la Grèce dans le délai imparti.
13. Le 16 avril 2007, le requérant déposa une requête d'asile politique. A ce jour, la procédure d'examen de sa demande est toujours pendante devant l'autorité compétente.
B. Les conditions de la détention en vue d'expulsion
14. Entre les 23 et 30 décembre 2006, le requérant fut détenu dans les locaux de la police des frontières de Kordelio (Thessalonique).
15. Le 31 décembre 2006, il fut transféré dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il argue que sa cellule n'était pas suffisamment aérée et ensoleillée. De plus, il prétend que l'air était humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs.
16. Le requérant note l'absence d'espace pour se promener et faire de l'exercice physique. Il affirme que les locaux étaient insalubres et que les douches et les toilettes n'étaient pas suffisantes. Il relève l'absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirme que chacun d'eux avait droit uniquement à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l'extérieur.
17. Enfin, le requérant relève l'impossibilité de se procurer des journaux ou des magazines et l'absence de télévision ou de radio au sein de la cellule. Il était ainsi complètement coupé du monde extérieur.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit interne
18. Les articles 76 (conditions et procédure de l'expulsion administrative) et 77 (recours contre l'expulsion administrative) de la loi no 3386/2005 relative à l'entrée, au séjour et à l'insertion des ressortissants des pays tiers au territoire grec, prévoient ce qui suit :
Article 76
« 1. L'expulsion administrative d'un étranger est permise lorsque :
(...)
c) sa présence sur le territoire grec est dangereuse pour l'ordre public ou la sécurité du pays.
2. L'expulsion est ordonnée par décision du directeur de police et (...) après que l'étranger a bénéficié d'un délai d'au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.
3. Lorsque l'étranger est considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l'ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu'à l'adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d'expulsion (...). L'étranger détenu, peut (...) former des objections à l'encontre de la décision ordonnant la détention, devant le président (...) du tribunal administratif (...).
4. Au cas où l'étranger détenu en attente d'expulsion n'est pas considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l'ordre public, ou si le président du tribunal administratif s'oppose à la détention de celui-ci, il lui est fixé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.
5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être révoquée à la requête des parties, si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...). »
Article 77
« L'étranger a le droit d'exercer un recours contre la décision d'expulsion, dans un délai de cinq jours à compter de sa notification, au ministre de l'Ordre public (...). La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l'introduction du recours. L'exercice du recours entraîne la suspension de l'exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d'expulsion, la suspension concerne seulement l'expulsion. »
19. L'article 44 de loi nº 2910/2001, relative à l'entrée et la résidence d'étrangers sur le territoire grec et l'acquisition de la citoyenneté grecque par la naturalisation dispose :
« (...) 3. Si, étant donné les circonstances, il y a une forte probabilité que l'étranger s'enfuie ou qu'il représente une menace pour l'ordre public, les autorités mentionnées dans le paragraphe ci-dessus [les officiers de la police des étrangers] peuvent ordonner sa mise en détention provisoire jusqu'à ce qu'une décision soit prise quant à son expulsion, et ceci dans un délai de trois jours. Si une décision d'expulsion est prise, la détention est prolongée jusqu'à à ce que cette décision soit exécutée, mais elle ne peut en aucun cas dépasser les trois mois. (...)
(...)
5. L'étranger peut soulever des objections contre la décision d'expulsion auprès du secrétaire général de la Région (...). L'exercice d'un tel recours a un effet suspensif sur la décision d'expulsion. Lorsque la décision d'expulsion est assortie d'une mesure de détention, l'effet suspensif ne vise que l'expulsion. (...) »
B. Les documents nationaux et internationaux pertinents sur les conditions de détention dans les locaux de police
1. Le rapport du médiateur de la République, du 11 mai 2007, intitulé « Séjour de détenus condamnés au pénal dans les locaux de police »
20. Du 15 au 16 mars 2007, le médiateur de la République effectua une visite à la sous-direction de police de Thessalonique pour le transfert des détenus, afin d'examiner, entre autres, les conditions de détention.
21. Le médiateur nota l'augmentation considérable des détenus depuis 2005 dans les locaux des commissariats de police de Thessalonique. En particulier, il releva le grand nombre d'étrangers pour lesquels une procédure d'expulsion était en cours. Il ajouta que ceux-ci étaient détenus dans les locaux de police pour une période qui oscille entre dix jours et trois mois. Le médiateur nota que l'infrastructure de la sous-direction de police de Thessalonique et, en général, des postes de police n'était pas celle d'un établissement pénitentiaire et que, par conséquent, les locaux de police ne se prêtent qu'à une détention de très courte durée. Le médiateur fit référence à un document de la police (no 1026/5/22/1-θ/30.3.2007) admettant le manque d'espace suffisant dans les locaux de police, l'absence totale de cour pour se promener, les problèmes d'hygiène, les insuffisances quant aux soins médicaux dispensés et des problèmes de sécurité. De plus, le médiateur constata le manque d'infrastructure de restauration. Il releva qu'au lieu de distribuer des repas aux détenus, chacun d'eux recevait des autorités la somme de 5,87 euros par jour. Pour le médiateur, cette somme ne pouvait pas toujours suffire, puisque cela dépendait de la tarification des plats offerts par le restaurant qui, à chaque fois, fournissait en exclusivité des repas au lieu de détention.
Le médiateur conclut que la détention dans les locaux de police pendant une période prolongée constitue une violation de l'article 3 de la Convention. Il recommanda aux autorités compétentes de garantir le plus rapidement possible à chaque personne détenue pour plus de vingt-quatre heures l'accès à l'exercice physique dans une cour en plein air et une restauration adéquate.
2. Le 12e rapport général d'activités du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), en date du 3 septembre 2002
22. « (...)
47. La détention par la police est (ou au moins devrait être) de relativement courte durée. Toutefois, les conditions de détention dans les cellules de police doivent remplir certaines conditions élémentaires.
Toutes les cellules de police doivent être propres et d'une taille raisonnable eu égard au nombre de personnes que l'on peut y placer et, elles doivent bénéficier d'un éclairage adéquat (c'est-à-dire suffisant pour lire en dehors des périodes de repos); de préférence, les cellules devraient bénéficier de lumière naturelle. De plus, les cellules doivent être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple un siège ou une banquette fixe), et les personnes contraintes de passer la nuit en détention doivent disposer d'un matelas et de couverture propres. Les personnes détenues par la police doivent avoir accès à des toilettes correctes dans des conditions décentes et disposer de possibilités adéquates pour se laver. Elles doivent avoir accès à tout moment à de l'eau potable et recevoir de quoi manger à des moments appropriés, y compris un repas complet au moins chaque jour (c'est-à-dire quelque chose de plus substantiel qu'un sandwich). Les personnes détenues par la police pendant 24 heures ou plus devraient, dans la mesure du possible, se voir proposer un exercice quotidien en plein air.
(...) »
3. Les constats du CPT suite à sa visite aux postes de police et centres de détention pour des étrangers en 2007
23. Le CPT visita vingt-quatre postes de police et des centres de détention. Il nota que les conditions de détention n'étaient pas satisfaisantes, en général, notamment en ce qui concernait la superficie des lieux de détention, la possibilité d'exercice physique, l'hygiène et la qualité du suivi médical des détenus. Il ajouta que les locaux de police étaient, en principe, destinés à la détention de courte durée des personnes arrêtées dans le cadre d'une procédure pénale. Or, il fut constaté qu'elles servaient aussi de lieux de détention, pour des périodes longues, des étrangers sous expulsion (§ 21 du rapport publié le 8 février 2008).
4. Les constats du CPT suite à sa visite aux postes de police et centres de détention pour étrangers en 2008
24. Le CPT visita, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il nota l'absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales mis par terre. De plus, le rapport releva l'absence d'espace pour se promener et faire de l'exercice physique et souligna que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l'extérieur. Sur ce point, le CPT fit état des griefs provenant des personnes détenues alléguant qu'avec cette somme elles ne pouvaient pas acheter plus que deux sandwichs par jour. Le CPT recommanda aux autorités nationales de faire en sorte que toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion soient servies d'un plat cuisiné (de préférence chaud), au moins une fois par jour.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
25. Le requérant allègue que les conditions de sa détention dans les locaux de la police des frontières de Kordelio et de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Il allègue une violation de l'article 3 de la Convention qui se lit ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
26. Le Gouvernement estime que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Il affirme que, selon le droit interne, le requérant avait le droit de se plaindre auprès du directeur de la police des frontières de Kordelio et de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, d'autant plus que lors de sa mise en détention, il avait reçu un bulletin d'information traduite dans sa langue qui lui faisait savoir, entre autres, qu'il avait le droit de saisir le directeur du commissariat de police où il était détenu.
27. Le requérant rétorque, sans plus de précisions, qu'il a soumis, le 19 janvier 2007, des objections auprès du président du tribunal administratif de Thessalonique relatives à son maintien en détention, au travers desquelles, il a soulevé, entre autres, que ses conditions de détention étaient inhumaines et dégradantes.
28. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée dans l'article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu'avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l'Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu'elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d'autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998 I).
29. En l'occurrence, la Cour note que dans le cadre de ses objections soumises auprès du président du tribunal administratif de Thessalonique et dirigées contre une décision du sous-directeur de la police des étrangers de Thessalonique, le requérant s'est explicitement plaint de ses conditions de détention. Même si ce recours en tant que tel n'offrait au requérant qu'une chance indirecte de redresser la violation alléguée, puisqu'en cas d'acceptation, il aurait été libéré et aurait donc pu quitter le centre de détention, la Cour note que le requérant en a profité pour alerter la juridiction compétente sur les conditions de sa détention. La Cour estime donc que les autorités nationales compétentes ont été informées de la situation du requérant et qu'elles ont eu la possibilité de se pencher sur les conditions de sa détention et d'y remédier, le cas échéant (voir Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 40, 27 juillet 2006).
30. En conséquence, nonobstant le fait que le requérant n'a pas fait usage de la voie de recours suggérée par le Gouvernement, la Cour estime que ce grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Partant, il convient d'écarter l'exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.
31. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
32. Le Gouvernement affirme que les locaux de la police des frontières de Kordelio à Thessalonique comprennent deux cellules d'une capacité totale de onze personnes. A l'époque où le requérant y était détenu, le nombre des détenus oscillait entre six et dix. Quant aux locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, ceux-ci comprennent neuf cellules, fonctionnant depuis 2001, qui peuvent accueillir au total quatre-vingt-dix personnes. Le Gouvernement relève que tant les locaux de la police des frontières de Kordelio que ceux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique correspondent de manière satisfaisante aux conditions de sécurité et d'hygiène prescrites par les textes nationaux et internationaux. Le Gouvernement note que les cellules sont suffisamment aérées et ensoleillées, qu'elles sont nettoyées chaque jour et qu'un nombre suffisant de toilettes, douches et postes de télévision sont à la disposition des détenus. S'agissant de la restauration des détenus, le Gouvernement note que des repas de qualité suffisante leur sont offerts selon les règles d'hygiène. Enfin, selon le Gouvernement, les détenus ont la possibilité de communiquer avec l'extérieur soit par téléphone soit par correspondance et qu'ils peuvent recevoir des visites de leur cercle familial ou social ainsi que de leurs avocats à des jours fixés. Enfin, le Gouvernement estime que le requérant n'était pas confronté à des « problèmes substantiels » quant aux conditions de sa détention dans les locaux de la police, étant donné que sa détention n'était pas une peine infligée par une juridiction pénale mais se plaçait dans le contexte d'une procédure administrative d'expulsion.
33. Le requérant rétorque que ses conditions de détention n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 3 de la Convention et aux standards définis par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il note que la description des conditions de détention présentées par le Gouvernement n'est pas pertinente. Il relève notamment le manque total d'exercice physique et de contact avec l'extérieur, le surpeuplement des cellules, les problèmes d'hygiène et les insuffisances quant à la restauration. En particulier, le requérant affirme que la somme de 5,87 euros qui lui était allouée chaque jour aux fins de restauration n'était pas suffisante pour avoir trois repas par jour d'une valeur nutritionnelle adéquate. De surcroît, le requérant relève le surpeuplement des cellules dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique et note, que, contrairement aux allégations du Gouvernement, il y aurait toujours eu plus de dix personnes dans la cellule où il était détenu. Selon le requérant, il n'y aurait eu aucune possibilité d'activités en plein air ni d'exercice physique en dehors du lieu de détention et les locaux ne seraient équipés que d'un poste de télévision. Le requérant affirme que sa description des conditions de détention dans les locaux de police de Thessalonique est corroborée par le rapport publié le 11 mai 2007 par le médiateur de la République concernant notamment les conditions de détention à la sous-direction de transfert pour les détenus à Thessalonique. Le requérant allègue que la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique où il a été détenu est hébergée dans les mêmes locaux que la sous-direction à Thessalonique pour le transfert des détenus.
2. Appréciation de la Cour
34. La Cour réaffirme d'emblée que l'article 3 de la Convention consacre l'une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000 IV).
35. Pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de l'espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir, parmi d'autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003 II). La Cour a ainsi jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu'il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu'il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales ; elle a par ailleurs considéré qu'un traitement était « dégradant » en ce qu'il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000 XI).
36. Les mesures privatives de liberté s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation. S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de l'article 3, cette disposition impose néanmoins à l'Etat de s'assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudla, précité, §§ 92-94, Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006 ...).
37. Si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996 III), ce droit doit s'exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). La Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu'elle est amenée à contrôler les modalités d'exécution de la mesure de détention à l'aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, CEDH 2008 ... (extraits).
38. En l'espèce, la Cour note, tout d'abord, que le requérant fut détenu pendant sept jours dans les locaux de la police des frontières de Kordelio, puis qu'il a été transféré dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Les parties présentent des versions divergentes quant aux conditions de détention prévalant dans les deux lieux de détention. Il est ainsi difficile pour la Cour d'établir avec certitude la réalité exacte à laquelle a dû faire face le requérant.
39. A cet égard, il importe de noter que les allégations du requérant relatives aux locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, où il a séjourné du 31 décembre 2006 au 28 mars 2007 sont corroborées par les constats du rapport publié par le médiateur de la République en mai 2007 (voir paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Une section dudit rapport est consacrée aux conditions de détention dans les locaux de la sous-direction de police de Thessalonique pour le transfert des détenus. Le requérant allègue, sans que cela soit contesté par le Gouvernement, que la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique est hébergée dans les mêmes locaux que la sous-direction pour le transfert des détenus. Il est à noter que ledit rapport relève, entre autres et en faisant référence au document de la police no 1026/5/22/1-θ/30.3.2007, le manque d'espace suffisant dans les locaux de détention et l'absence totale de cour pour se promener et pratiquer une activité physique. Le rapport note aussi l'absence de restauration dans les locaux de police et confirme que les détenus reçoivent la somme de 5,87 euros par jour pour se restaurer.
40. En outre, la Cour se réfère aussi aux rapports publiés par le CPT, suite à ses visites effectuées en 2007 et 2008 dans plusieurs postes de police et centres de détention pour étrangers en Grèce. Le rapport relatif à la visite effectuée en 2007 souligne, entre autres, sans référence explicite à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, l'impossibilité de pratiquer un quelconque exercice physique pour les détenus et les insuffisances quant à l'hygiène et les soins médicaux dispensés dans certains des vingt-quatre postes de police et des centres de détention visités (voir paragraphe 23 ci-dessus). Le rapport afférent à la visite de 2008 se réfère aux conditions de détention dans les locaux de la police des étrangers à Thessalonique, soulignant que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales posés par terre et relevant aussi l'absence d'espace pour se promener et faire de l'exercice physique. Ledit rapport confirme, enfin, le fait que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l'extérieur (voir paragraphe 24 ci-dessus).
41. Mis à part les problèmes de promiscuité et d'hygiène, tels qu'ils sont relevés par les rapports précités, la Cour estime que le régime afférent à la possibilité de loisirs et à la restauration dans les locaux de police où le requérant a été détenu pose en soi problème par rapport à l'article 3 de la Convention. En particulier, l'impossibilité même de se promener ou de pratiquer une activité en plein air pourrait faire naître chez le requérant des sentiments d'isolement du monde extérieur, avec des conséquences potentiellement négatives sur son bien-être physique et moral.
42. En outre, la Cour a des doutes sérieux quant à l'adéquation de la somme allouée au requérant pour garantir une restauration conforme aux exigences du CPT (voir paragraphe 22 ci-dessus). Il est à noter que le versement aux détenus d'un montant spécifique pour satisfaire leurs besoins alimentaires ne saurait être considéré en soi contraire à l'article 3, lorsqu'il s'agit d'une détention de très courte durée. Néanmoins, pour des détentions d'une durée plus longue, semblable à celle du requérant, les autorités compétentes doivent garantir une planification équilibrée des menus, le cas échéant par la mise en place d'une structure interne pour la restauration des détenus. La Cour rappelle sur ce point que le CPT se réfère explicitement dans son rapport de 2008 à la nécessité de garantir à des personnes détenues et se trouvant dans une situation semblable à celle du requérant, un plat cuisiné -de préférence chaud- au moins une fois par jour.
43. En général, la Cour considère que les insuffisances quant aux activités récréatives et à la restauration appropriée du requérant résultent du fait que les locaux de police de Thessalonique n'étaient pas des lieux appropriés pour la détention que le requérant a dû y subir. De par leur nature même, il s'agit de lieux destinés à accueillir des personnes pour de très courtes durées. Par conséquent, ils n'étaient en rien adaptés aux besoins d'une détention de trois mois et imposée, de plus, à une personne qui ne purgeait pas une peine pénale mais se trouvait en attente de l'application d'une mesure administrative (voir en ce sens, Riad et Idiab c. Belgique, précité, § 104, CEDH 2008 ... (extraits), et Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006).
44. En somme, la Cour estime que le fait de maintenir le requérant en détention pendant trois mois dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique s'analyse en un traitement dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention. Au vu de cette conclusion, la Cour n'estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur les conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Kordelio, où le requérant a séjourné les sept premiers jours de sa détention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION
45. Le requérant se plaint de l'illégalité de sa mise en détention provisoire en vue d'expulsion. En outre, il dénonce l'insuffisance de motivation tant de la décision nº 341692/1-b du sous-directeur de la police des étrangers de Thessalonique que de la décision no 82/07 du président du tribunal administratif de Thessalonique. Enfin, à la suite de la communication de la requête au gouvernement, le requérant introduisit un nouveau grief : il se plaignit que, lors de son arrestation, les autorités nationales l'avaient informé en arabe des raisons de son arrestation, une langue qui lui était incompréhensible. Il allègue une violation des articles 5 et 6 de la Convention. La Cour examinera ces griefs, sous l'angle de l'article 5 de la Convention, seule disposition adéquate en l'espèce, dont les parties pertinentes disposent :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
(...)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur le grief tiré de l'article 5 § 1 relatif à la régularité de la mise en détention
1. Sur la recevabilité
46. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Thèses des parties
47. Le Gouvernement souligne que la détention d'un étranger dans le cadre d'une expulsion administrative, comme en l'espèce, ne constitue pas une peine sanctionnant une infraction, mais une mesure pour assurer l'exécution de l'expulsion et ne peut, en aucun cas, dépasser trois mois. Il allègue que la mise en détention du requérant était légale et se fondait sur l'article 76 de la loi no 3386/2005. Pour le Gouvernement, la police a agi dans le cadre qui lui était prescrit par la loi, puisque au moment de sa mise en détention, le requérant était déjà condamné pour entrée illégale sur le territoire grec en possession de faux documents de voyage. De plus, il était sans emploi, n'avait pas de domicile fixe et n'a pas contesté la légalité de l'acte d'expulsion. Selon le Gouvernement, les motifs retenus par l'autorité compétente pour ordonner la détention du requérant, à savoir sa dangerosité pour l'ordre public et la possibilité de fuite, étaient suffisants et pertinents au sens de l'article 5 § 1 de la Convention.
48. Le requérant rétorque que les autorités internes auraient dû motiver leurs décisions de manière suffisante et ne pas faire référence uniquement à sa dangerosité et au risque de fuite. Il allègue qu'il n'a été condamné qu'à quarante jours d'emprisonnement avec sursis pour possession de faux documents de voyage, ce qui ne suffirait pas pour le qualifier de dangereux pour l'ordre public. En outre, le requérant affirme qu'il n'existait pas de risque de fuite, puisqu'il avait lui-même soumis à l'autorité compétente une attestation établie par une personne privée, affirmant qu'elle souhaitait l'héberger en cas d'élargissement. Enfin, le requérant allègue que sa détention pour l'intégralité du délai de trois mois, prévu par la loi, était excessive du moment que les autorités étaient informées qu'il ne possédait pas de documents de voyage et que, partant, son expulsion vers l'Afghanistan ne serait pas envisageable.
b) Appréciation de la Cour
49. En examinant le but et l'objet de l'article 5 dans son contexte et les éléments de droit international, la Cour tient compte de l'importance de cette disposition dans le système de la Convention : elle consacre un droit fondamental de l'homme, à savoir la protection de l'individu contre les atteintes arbitraires de l'Etat à sa liberté (voir, notamment, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33).
50. Si la règle générale exposée à l'article 5 § 1 est que toute personne a droit à la liberté, l'alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l'immigration. Ainsi que la Cour l'a déjà observé, sous réserve de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996 V ; Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008 ...).
51. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux alinéas de l'article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l'une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d'une détention, y compris l'observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n'est pas suffisant : l'article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l'individu contre l'arbitraire (voir, parmi bien d'autres, Winterwerp, précité, § 37, Amuur c. France, précité, § 50, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000 III). Il est un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l'article 5 § 1 et la notion d'« arbitraire » que contient l'article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu'une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention.
52. Ainsi, la Cour doit s'assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s'entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).
53. Il ressort de la jurisprudence relative à l'article 5 § 1 f) que pour ne pas être taxée d'arbitraire, la mise en œuvre de pareille mesure de détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, les lieu et conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi c. Royaume-Uni [GC], précité, § 74).
54. En l'espèce, la Cour considère que la privation de liberté du requérant était fondée sur l'article 76 de la loi no 3386/2005 et visait à l'empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire grec et de garantir la possibilité d'effectuer son expulsion. De plus, aucun élément du dossier ne permet de douter de la bonne foi des autorités internes dans la procédure d'expulsion en cause. Il est vrai que le requérant conteste la pertinence des motifs invoqués par les autorités compétentes, à savoir sa dangerosité pour l'ordre public et la possibilité de fuite. Or, la Cour rappelle que, dans le cadre de l'article 5 § 1 f), tant qu'un individu est détenu dans le cadre d'une procédure d'expulsion, rien n'exige des motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention, par exemple pour empêcher l'intéressé de commettre une infraction ou s'enfuir (voir Chahal, précité, § 112).
55. S'agissant du critère afférent aux lieux et conditions de détention, la Cour renvoie à ses considérations relatives à l'examen du grief tiré de l'article 3 de la Convention. Elle relève notamment que le requérant fut pratiquement confiné dans les locaux de la police pendant trois mois, sans restauration adéquate et sans aucune possibilité d'exercice physique en plein air. Dans le cadre de l'article 5 § 1 f), il est aussi à rappeler que lesdites conditions de détention ont été imposées à un ressortissant étranger qui n'avait commis d'autre infraction sur le territoire grec que celle liée au séjour (voir Amuur précité, § 43, et Riad et Idiab c. Belgique, précité, § 77).
56. En outre, et surtout, en ce qui concerne la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l'article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d'expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et si la procédure n'est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d'être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007 ...). En l'espèce, la Cour note que la détention du requérant, ordonnée en vue de son expulsion, n'était pas possible dans l'immédiat puisque le requérant ne possédait pas de documents de voyage. On ne saurait dès lors mettre en cause la légalité des décisions nos 341692/1-b du sous-directeur de la police des étrangers de Thessalonique et 82/07 du président du tribunal administratif de Thessalonique.
Toutefois, la Cour relève que le requérant n'a été remis en liberté que le 28 mars 2007, à savoir à l'expiration du délai maximal prévu par l'article 76 de loi no 3386/2005. La Cour considère qu'en l'occurrence, il revenait aux autorités internes d'entreprendre au cours de la période de trois mois pendant laquelle le requérant était en détention, les démarches nécessaires auprès des autorités de son pays d'origine pour pouvoir procéder à son expulsion en temps utile. Or, il ressort du dossier que pendant la période en cause, les autorités nationales ont fait preuve de passivité, à défaut d'initiative visant à la délivrance de documents de voyage (voir, a contrario, Agnissan c. Danemark (déc.), no 39964/98, 4 octobre 2001). La Cour prend note de l'argument du Gouvernement, à savoir que le requérant n'a pas exprimé, lors de sa détention, son intention de se procurer des documents de voyage. Néanmoins, il ne ressort ni du dossier ni des arguments des parties, que le requérant a, de fait, refusé de coopérer avec les autorités compétentes pour lui faire délivrer un titre de voyage.
57. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la période de détention a excédé le délai raisonnable nécessaire aux fins de l'objectif poursuivi. Partant, la Cour conclut que la détention du requérant n'était pas « régulière » au sens de l'article 5 § 1 f) de la Convention et qu'il y a eu violation de cette disposition.
B. Sur le grief tiré de l'article 5 § 4 relatif à l'inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention
1. Sur la recevabilité
58. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
a) Thèses des parties
59. Le Gouvernement allègue que la décision no 82/2007 du président du tribunal administratif de Thessalonique était motivée de manière pertinente et suffisante, puisqu'elle a confirmé les raisons pour lesquelles la mise en détention du requérant avait été ordonnée. En particulier, le Gouvernement affirme que l'entrée illégale sur le territoire grec et la possession de faux documents de voyage constituaient des raisons valables pour admettre la dangerosité du requérant et la possibilité de fuite avant l'exécution de la mesure d'expulsion. Le Gouvernement ajoute que le seul élément soumis au président du tribunal compétent était l'attestation établie par une personne privée affirmant que le requérant demeurait chez elle lors de son séjour en Grèce et qu'il souhaitait l'héberger en cas d'élargissement. Pour le Gouvernement, la juridiction compétente avait justement refusé de prendre en compte ledit document, puisqu'au moment de son arrestation le requérant avait indiqué une autre adresse de séjour.
60. Le requérant réitère ses arguments formulés sous l'angle du grief tiré de l'irrégularité de sa mise en détention.
b) Appréciation de la Cour
61. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l'article 5 qu'au paragraphe 1, de sorte qu'une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l'angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu'elle consacre et du but des restrictions qu'autorise le paragraphe 1. L'article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d'une ampleur telle qu'il habiliterait le tribunal à substituer sur l'ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l'autorité dont émane la décision. Il n'en veut pas moins un contrôle assez ample pour s'étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d'un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, précité, § 127 ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001 II).
62. En l'espèce, la Cour note, tout d'abord, que le président du tribunal administratif de Thessalonique a répondu aux arguments du requérant relatifs à sa dangerosité présumée et au risque de fuite avant l'exécution de la mesure d'expulsion. Pourtant, l'organe judiciaire en question n'a donné aucune réponse à l'argument du requérant faisant valoir que son expulsion était, en tout état de cause, impossible du fait que son pays d'origine ne confirmait pas à l'état grec qu'il en était ressortissant. De l'avis de la Cour, cet argument était substantiel car le requérant soulevait par ce biais que sa mise en détention était dépourvue d'objet faute de confirmation du pays dont il était ressortissant. Au demeurant, la Cour ne peut ignorer le fait qu'en général le droit interne pertinent ne permet pas un contrôle direct de la légalité de la détention d'un étranger détenu en vue de son éloignement du territoire. Selon la loi no 3386/2005, un étranger ne peut être détenu qu'en vue de son éloignement du territoire et la décision de détention n'est pas séparée de celle de l'expulsion, mais incluse dans celle-ci. A cela s'ajoute la formulation du paragraphe 4 de l'article 76 qui semble suggérer que même si les objections d'un étranger contre sa détention ont une issue favorable devant le tribunal, celui-ci doit lui fixer un délai de trente jours pour quitter le territoire. La Cour note, de surcroît, que l'introduction d'un recours en annulation et d'un recours en suspension contre la décision d'expulsion devant les juridictions administratives n'entraînent pas la levée de la mesure de détention.
63. Par conséquent, la Cour considère que lesdites insuffisances du droit interne quant à l'efficacité du contrôle juridictionnel de la mise en détention en vue d'expulsion ne peuvent pas se concilier avec les exigences de l'article 5 § 4 de la Convention.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu'il y a également eu violation de cette disposition.
C. Sur le grief tiré de l'article 5 § 2 relatif au droit d'être informé des raisons de son arrestation
Sur la recevabilité
64. La Cour considère que ce grief est lié à ceux contenus dans la requête du requérant à la Cour, qui a été introduite le 8 février 2007. Cependant, il ressort du dossier que le requérant n'a jamais invoqué devant les autorités compétentes le fait qu'il n'aurait pas été informé dans une langue qu'il comprenait des raisons de son arrestation.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut d'épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
65. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
66. Pour le dommage moral, le requérant réclame 15 000 euros (EUR).
67. Le Gouvernement considère ce montant excessif et estime que la somme allouée ne saurait dépasser 5 000 EUR.
68. Compte tenu du nombre et de la gravité des violations constatées dans la présente affaire, la Cour estime que le requérant doit percevoir une indemnité pour le dommage moral (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, 6 mars 2001). Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue 8 000 EUR de ce chef, plus tout montant pouvant être dû à titre de l'impôt.
B. Frais et dépens
69. Le requérant demande également 3 500 EUR, factures à l'appui, pour les frais et dépens engagés devant le président du tribunal administratif de Thessalonique et la Cour.
70. Le Gouvernement affirme que cette demande est excessive et invite la Cour à la rejeter.
71. La Cour rappelle que l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
72. En l'occurrence, eu égard aux justificatifs produits et aux critères mentionnés ci-dessus, la Cour estime raisonnable d'allouer au requérant la somme réclamée en entier, à savoir 3 500 EUR au titre des frais et dépens plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d'impôt.
C. Intérêts moratoires
73. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour le dommage moral et 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2009 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente