BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KANAGARATNAM AND OTHERS v. BELGIUM - 15297/09 - HEJUD (French Text) [2011] ECHR 2420 (13 December 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2011/2420.html
Cite as: (2012) 55 EHRR 26, [2011] ECHR 2420, 55 EHRR 26

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE Kanagaratnam ET AUTRES C. BELGIQUE

     

    (Requête no 15297/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    13 décembre 2011

     

     

     

    DÉFINITIF

     

    13/03/2012

     

    Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Kanagaratnam c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

    Danutė Jočienė, Présidente,
              Françoise Tulkens,
              Dragoljub Popović,
              Işıl Karakaş,
              Guido Raimondi,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
             
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2011,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15297/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont quatre ressortissants sri lankais, Mme Renuka Kanagaratnam et ses trois enfants, Mary, Gowslaya et Alexkanth (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants sont représentés par Me Z. Chihaoui, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

  3. .  Les requérants alléguaient en particulier que leur détention au centre fermé pour illégaux 127 bis en vue de leur expulsion vers le Congo, pays par lequel ils avaient transité, a emporté violation de l’article 3 et de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

  4. .  Le 20 mars 2009, le président faisant fonction de la section à laquelle l’affaire a été attribuée a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour et a demandé au Gouvernement de surseoir à l’expulsion des requérants. Il a également accordé la priorité à la requête en vertu de l’article 41 du règlement. Le 18 mai 2009, la mesure a été levée.

  5. .  Le 25 novembre 2009, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
  6. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .  Les requérants sont nés respectivement en 1972, 1996, 1998 et 2001 et résident actuellement à Eeklo.
  8. 1.  Procédure d’asile et d’expulsion


  9. .  Le 23 janvier 2009, la requérante, accompagnée de ses trois enfants, se présenta à la frontière belge, en provenance de Kinshasa (Congo), munie d’un faux passeport indien. Le jour même, ils introduisirent une demande d’asile et de protection subsidiaire « à la frontière » sous leur véritable identité. D’emblée, ils firent l’objet d’une décision de refus d’entrée avec refoulement en application de l’article 52/3 § 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au motif tiré de l’article 3 al. 1, 2o, de la loi précitée qu’ils étaient en possession d’un faux passeport.

  10. .  Le 29 janvier 2009, les requérants furent interrogés sur les motifs de leur demande d’asile par l’Office des étrangers (« OE »).

  11. .  Le 3 février 2009, la demande d’asile fut transmise au Commissariat général aux réfugiés et apatrides (« CGRA ») pour un examen au fond.

  12. .  Le 16 février 2009, le CGRA interrogea la requérante au centre avec l’aide d’un interprète tamoul, de son conseil et d’un membre du Comité belge d’aide aux réfugiés. La requérante expliqua aux autorités belges qu’elle était originaire de Pungudutivu dans le district de Jaffna et qu’elle avait fui le Sri-Lanka car elle craignait la poursuite des arrestations arbitraires par la police de Colombo en raison de sa seule origine tamoule. A l’appui de ces allégations, elle déclara ce qui suit. A la suite des difficultés liées à la naissance de leur premier enfant, son époux, originaire de Nuwara Eliya, se convertit au christianisme et porte depuis des nom et prénom chrétiens. En 2001, alors qu’elle habitait à Modara (Colombo), elle fut arrêtée et interrogée par la police au sujet d’éventuels liens avec le mouvement des Tigres de libération de l’Eelam (« LTTE »). Le 1er octobre 2006, elle fut à nouveau arrêtée par la police à Colombo et relâchée neuf jours plus tard après qu’il ait été vérifié qu’elle n’avait pas de lien avec le mouvement des LTTE. Elle fut ensuite encore arrêtée pour un contrôle et relâchée après quelques heures. Le 20 décembre 2008, son époux fut arrêté par la police à leur domicile et relâché ensuite. Le même jour, elle quitta le Sri Lanka avec ses enfants à l’aide d’un passeur. Elle fournit à l’appui de son récit un certificat de naissance ainsi qu’un document attestant de son arrestation par la police de Colombo pour avoir participé ou collaboré à des activités terroristes.

  13. .  Le 23 février 2009, le CGRA prit une décision de refus d’asile et de protection subsidiaire. Saisi sur recours de la requérante, le Conseil de contentieux des étrangers (« CCE ») confirma la décision de rejet du CGRA dans un arrêt du 17 mars 2009. Les motifs de ces décisions tenaient aux doutes quant à la crédibilité des affirmations de la requérante, en particulier, la réalité et les circonstances de son arrestation en octobre 2006 et de celle de son mari.

  14. .  Le 24 mars 2009, les requérants introduisirent un recours en cassation administrative de l’arrêt du CCE devant le Conseil d’Etat. Le 6 avril 2009, le Conseil d’Etat déclara le recours inadmissible.

  15. .  Entre-temps, le 23 mars 2009, les requérants avaient introduit une deuxième demande d’asile alléguant d’éléments nouveaux. Le jour même, l’OE prit, en application de l’article 72 de l’arrêté royal du 8 décembre 1981, une décision de refus d’entrée sur le territoire et de refoulement « à la frontière du pays qu’ils ont fui et où, selon leurs déclarations, leur vie et sécurité sont menacés ».

  16. .  Le 25 mars 2009, la requérante fut entendue par l’OE sur les motifs de sa deuxième demande d’asile. L’OE transmit le dossier pour examen au fond par le CGRA le 26 mars 2009. La requérante fut interrogée à trois reprises par le CGRA entre avril et juin 2009.

  17. .  Le 2 septembre 2009, le CGRA prit une décision de reconnaissance du statut de réfugiés aux requérants.
  18. 2.  Indication de mesures provisoires


  19. .  Le 19 mars 2009, l’OE émit un ordre de transfert vers l’aéroport de Zaventem.

  20. .  La requérante fut informée par téléphone par l’OE d’un départ vers Kinshasa le 20 mars 2009 et saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour. Invoquant notamment l’article 3 de la Convention, la requérante disait craindre d’être victime de traitements inhumains en cas de refoulement vers un pays tiers d’où elle serait expulsée vers son pays d’origine où elle a subi déjà plusieurs arrestations.

  21. .  Le 20 mars 2009, la Cour décida qu’il était « souhaitable de ne pas expulser la requérante vers Kinshasa avant le 20 avril 2009 ». Cette décision tenait compte de ce que les requérants avaient introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel du 5 mars 2009 qui confirmait le refus de mise en liberté (voir infra) et que la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée.
  22. 19.  Les requérants refusèrent d’embarquer.


  23. .  Le 20 avril 2009, la Cour décida de prolonger la mesure provisoire jusqu’au 20 mai 2009.

  24. .  Le 18 mai 2009, eu égard au fait que la requérante et ses enfants avaient été libérés et que l’ordre de quitter le territoire ne pouvait être mis à exécution dans l’attente de l’issue de la deuxième procédure d’asile, l’avocat des requérantes indiqua à la Cour que la mesure provisoire n’était plus nécessaire. En conséquence, la mesure fut levée.
  25. 3.  Détention des requérants au centre 127 bis


  26. .  Le jour de leur arrivée en Belgique, le 23 janvier 2009, l’OE décida de placer les requérants dans le centre fermé pour illégaux de Steenokerzeel (« centre 127 bis » à proximité de l’aéroport) dans l’attente du traitement de leur demande d’asile en application de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers.

  27. .  Le 16 février 2009, invoquant notamment l’article 5 § 1 de la Convention, les requérants saisirent, sur base de l’article 71 § 2 de la loi sur les étrangers, le président du tribunal de première instance de Bruxelles d’une requête de mise en liberté. La demande fut rejetée le 20 février 2009.

  28. .  Le 5 mars 2009, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma l’ordonnance du 20 février 2009.

  29. .  Le 12 mars 2009, les requérants introduisirent un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Le 28 avril 2009, le pourvoi fut rejeté.

  30. .  Entre-temps, le 20 mars 2009, le jour de l’adoption de la mesure provisoire par la Cour, l’OE prit une décision de maintien des requérants en détention sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers.

  31. .  Le 23 mars 2009, les requérants introduisirent une requête de mise en liberté sur la base de l’article 71 de la loi sur les étrangers que le président du tribunal de première instance déclara sans objet le 27 mars 2009 au motif qu’entre-temps, l’OE avait pris, le 23 mars 2009, une nouvelle décision de maintien en détention toujours sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers.

  32. .  Le 28 mars 2009, invoquant les articles 3 et 5 § 1 de la Convention, les requérants introduisirent une nouvelle requête de mise en liberté. Ils se référaient à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique (no 13178/03, CEDH 2006-XI) pour dénoncer leurs conditions de détention.

  33. .  Le 3 avril 2009, le président du tribunal de première instance ordonna la mise en liberté immédiate de la requérante et de ses enfants au motif que la détention était devenue irrégulière depuis le 20 mars 2009 et que la Cour avait demandé la suspension de l’expulsion des requérants.

  34. .  Le parquet fit appel. Le 21 avril 2009, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles mit à néant l’ordonnance du 3 avril 2009. Elle considéra notamment que :
  35. « La deuxième mesure privative de liberté (du 20 mars 2009) était prise de façon conforme, ainsi qu’il ressort de ses motifs, à la suite du refus de partir vers Kinshasa de l’étrangère ; la circonstance qu’après ce refus, l’éloignement de l’étrangère vers le Congo fut suspendu par décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 20 mars 2009 jusqu’au 20 avril 2009 ne vicie en rien la légalité de cette mesure privative de liberté ».


  36. .  Les requérants se pourvurent en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel tirant leurs moyens de l’absence de base légale suffisante de la deuxième mesure privative de liberté et de la violation des articles 5 § 1 f) et 3 de la Convention.

  37. .  Le 4 mai 2009, les requérants furent libérés sur décision de l’OE en raison de l’examen en cours de la deuxième demande d’asile.

  38. .  Le 19 mai 2009, le pourvoi fut rejeté par la Cour de cassation. Cette dernière, ayant établi que la première mesure privative de liberté arrivait à échéance le 22 mars 2009 à minuit, jugea irrecevable la critique du motif précité de la cour d’appel, les parties étant légalement détenues, à la date de la deuxième mesure privative de liberté, sur une autre base. Partant, elle considéra que le moyen tiré de l’illégalité de la troisième mesure privative de liberté manquait en fait. Elle considéra ensuite que les moyens tirés de la Convention étaient irrecevables, car ils mettaient en cause l’appréciation souveraine des faits par le juge du fond.
  39. 4.  Scolarisation des enfants requérants au sein du centre fermé


  40. .  Dès le 26 janvier 2009, les enfants requérants firent l’objet d’un encadrement scolaire à raison d’une heure et demie par jour. A l’issue de la détention, le personnel enseignant établit pour chaque enfant un compte-rendu témoignant de leur évolution au cours de leur séjour dans le centre. Les rapports font état de progrès scolaires et d’un développement émotionnel et social satisfaisant.
  41. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A.  La loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers


  42. .  Les articles pertinents de la loi sur les étrangers sont formulés comme suit :
  43. Article 39/70

    « Sauf accord de l’intéressé, aucune mesure d’éloignement du territoire ou de refoulement ne peut être exécutée de manière forcée à l’égard de l’étranger pendant le délai fixé pour l’introduction du recours et pendant l’examen de celui-ci. »

    Article 52/3 § 2

    « (...)

    § 2.  Dans les cas visés à l’article 74/6, § 1erbis, le ministre ou son délégué décide immédiatement lors de l’introduction de la demande d’asile que l’étranger tombe dans les cas visés à l’article 7, alinéa 1er, 1o à 11o, ou à l’article 27, § 1, alinéa 1er, et § 3. Dans le cas visé à l’article 50ter, le ministre ou son délégué décide également immédiatement lors de l’introduction de la demande d’asile que l’étranger n’est pas admis à entrer sur le territoire et qu’il est refoulé.

    Ces décisions sont notifiées à l’endroit où l’étranger est maintenu. »

    Article 71

    « L’étranger qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, 25, 27, 29, alinéa 2, 51-5 § 3, alinéa 4, 52bis, alinéa 4, 54, 63-4, alinéa 3, 67 et 74-6 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé.

    L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74-5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu.

    L’intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédent de mois en mois. »

    Article 72

    « La chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis.

    Lorsque, conformément à l’article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, le Ministre ou son délégué ou son conseil doit également être entendu dans ses moyens. Si la chambre du conseil n’a pas statué dans le délai fixé, l’étranger est mis en liberté.

    Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.

    Les ordonnances de la chambre du conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du ministère public, et dans le cas prévu à l’article 74, du Ministre ou de son délégué.

    (...) »

    Article 74/5

    « § 1er.-  Peut être maintenu dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l’autorisation d’entrer dans le Royaume ou son refoulement du territoire :

    1o  l’étranger qui, en application des dispositions de la présente loi, peut être refoulé par les autorités chargées du contrôle aux frontières ;

    2o  l’étranger qui tente de pénétrer dans le royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l’article 2, qui se déclare réfugié et demande, à la frontière, à être reconnu comme tel.

    § 2.-  Le Roi peut déterminer d’autres lieux situés à l’intérieur du royaume, qui sont assimilés au lieu visé au § 1er.

    L’étranger maintenu dans un de ces autres lieux n’est pas considéré comme ayant été autorisé à entrer dans le royaume.

    § 3.-  La durée du maintien dans un lieu déterminé situé aux frontières ne peut excéder deux mois. Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger le maintien de l’étranger visé au § 1er, par période de deux mois :

    1o  si l’étranger fait l’objet d’une mesure de refoulement exécutoire, d’une décision de refus d’entrée exécutoire ou d’une décision confirmative de refus d’entrée exécutoire ;

    2o  et si les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la décision ou de la mesure visée au 1o, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.

    Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

    La durée totale du maintien ne peut jamais excéder cinq mois.

    Dans les cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale du maintien puisse de ce fait dépasser huit mois.

    § 4.-  Est autorisé à entrer dans le Royaume :

    1o  l’étranger visé au § 1er qui, à l’expiration du délai de deux mois, n’a fait l’objet d’aucune décision ou mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o;

    2o  l’étranger visé au § 1er, qui fait l’objet d’une décision ou d’une mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o, lorsque, à l’expiration du délai de deux mois, éventuellement prolongé, le Ministre ou son délégué ne prend aucune décision de prolongation du délai ;

    3o  l’étranger visé au § 1er dont la durée totale du maintien atteint respectivement cinq ou huit mois.

    (...) »


  44. .  De plus, l’article 72 de l’arrêté royal du 8 décembre 1981 prévoit que :
  45. « Les autorités chargées du contrôle aux frontières remettent à l’étranger qui se présente à la frontière sans être porteur des documents requis et qui introduit une demande d’asile, un document conforme au modèle figurant à l’annexe 25. Conformément à l’article 52/3, § 2, de la loi, cet étranger reçoit également une décision de refoulement conformément au modèle figurant à l’annexe 11ter. »

    B.  Le centre fermé pour illégaux 127 bis


  46. .  Une description générale du centre fermé 127 bis ainsi que des extraits de rapports décrivant les conditions de détention qui y règnent figurent dans l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique (no 41442/07, §§ 25-35, 19 janvier 2010).

  47. .  En juin 2011, l’organisation non gouvernementale Jesuit Refugee Service (« JRS ») a publié un rapport sur les résultats pour la Belgique d’une étude européenne sur la vulnérabilité des demandeurs d’asile dans les centres fermés (Detention of Vulnerable Asylum Seekers, DEVAS). Cette recherche a été menée notamment au sein du centre 127 bis et s’appuie sur les témoignages des détenus. Le rapport souligne ce qui suit :
  48. « De manière générale, les détenus dans tous les centres font l’expérience de l’impuissance face à leur situation. Ils comprennent souvent l’importance d’avoir des règles de vie commune et de nombreux détenus des centres 127 et 127 bis estiment que les règles qui régissent ces centres sont compréhensibles dans leur ensemble. Ils se voient cependant comme « prisonniers », « en prison » et dans l’obligation de suivre les règles édictées par d’autres. Ce n’est pas parce que les règles sont compréhensibles ou raisonnables dans le contexte du centre qu’elles sont pour autant supportables dans la durée. Les détenus ne choisissent pas ce qu’ils mangent ni quand ils peuvent le faire. Ils ne choisissent pas leur activité de la journée ni avec qui la vivre. Ils n’ont pas la possibilité de sortir prendre l’air quand ils le veulent. Les communications avec l’extérieur doivent se plier aux contraintes édictées par le centre. Tout est à demander au personnel, souvent des gardiens en uniforme. Une autre comparaison qui revient régulièrement sur les lèvres des détenus est que, dans un centre fermé, l’on est comme un enfant qui ne peut décider de sa vie. Cette situation, outre son côté humiliant, enferme les détenus sur eux-mêmes et concentre toute leur attention sur leur situation négative. (...)

    Le régime de groupe, appliqué de manière stricte, est à l’origine de nombreuses plaintes chez les détenus que nous avons rencontrés. Ce régime de groupe ne tient aucun compte des rythmes individuels. De nombreux détenus ont beaucoup de mal à dormir la nuit et souhaiteraient se reposer à l’heure de la sieste. C’est en pratique impossible dans la salle commune bruyante. Un individu ne peut se retirer du groupe pour aucune activité, puisque l’encadrement de sécurité n’est prévu que pour le groupe. Quel que soit son état d’esprit du moment, il doit assister aux repas, rester dans la salle de jour avec le groupe, aller dormir. Il n’est donc pas question non plus d’avoir accès à un lieu d’intimité qui permettrait au détenu de considérer au calme sa situation. Ainsi, le cadre strict d’un régime de groupe détruit tout reste d’autonomie personnelle et renforce encore le sentiment d’impuissance des détenus. (...)

    Même dans les cas de demandeurs d’asile déboutés ou de migrants en séjour irrégulier, cas pour lesquels le terme de la détention pourrait sembler clair, l’incertitude reste lourdement présente. En pratique, bien des détenus reçoivent des ordres de quitter le territoire qui ne seront jamais mis en œuvre ou seulement après une longue détention. Les raisons derrière une telle situation sont multiples: requête de mise en liberté, perspectives de régularisation, manque de documents de voyage. Au fur et à mesure que la détention dure sans perspective concrète d’éloignement, son caractère punitif augmente aux yeux des détenus. (...) ».


  49. .  Le rapport conclut que trop souvent les impératifs de gestion et de sécurité prennent le pas sur les considérations humanitaires, ou plus fondamentalement encore, sur le respect de droits aussi importants que le droit à la vie privée et familiale.
  50. C.  La détention d’étrangers mineurs aux fins de leur éloignement


  51. .  Les conclusions de plusieurs rapports publiés depuis 1999 sur les effets de l’enfermement en centre fermé sur le bien-être des mineurs, accompagnés ou non, figurent dans l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique précité (§§ 25-35).

  52. .  En 2008, un psychiatre infanto-juvénile, Dr. J.-Y. Hayez, professeur à l’Université catholique de Louvain, décrivait les impacts désastreux de l’enfermement sur le développement de l’enfant lequel se voit confronté au stress et à la révolte d’adultes désespérés, au manque de territoire personnel de vie et d’intimité, à la difficulté d’assimiler le fait qu’il est « mis en prison, lui et ses parents, sans avoir rien fait de mal », à un sentiment d’infériorité et de désespoir radicaux, au trouble de l’image et de l’estime de soi, au doute sur la valeur des parents et de la famille, à l’appréciation erronée et pessimiste sur ce qui est permis et défendu et, plus radicalement, sur ce qui est bien et mal, à l’image négative de l’autorité sociale, injuste et dont il faut toujours se méfier et au développement d’un sentiment de haine et de désir de vengeance.

  53. .  En juin 2009, le Médiateur fédéral publia un rapport intitulé « Investigation sur le fonctionnement des centres fermés gérés par l’Office des étrangers ». Ce rapport est le résultat d’une mission d’audit menée par le Médiateur à la demande de la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge. Il souligne que :
  54. « - les enfants sont soumis au régime de groupe et ne sont pas séparés des adultes qui n’appartiennent pas à leur famille ;

    - le déroulement de la journée n’est pas organisé en fonction de l’enfant : aucun programme global et prioritaire n’est mis en œuvre afin de respecter le rythme alimentaire et de sommeil des enfants en fonction de leur groupe d’âge.

    Si le fonctionnement des centres fermés dans lesquels des enfants sont maintenus est axé sur les adultes, des aménagements ont toutefois été organisés à des degrés divers afin de prendre en compte certains besoins des enfants. »

    43.  Le rapport constate en outre que le règlement du centre 127 bis ne contient aucune disposition spécifique établissant un cadre pédagogique et un règlement adaptés à l’accueil des familles. Toutefois, les éducateurs - une équipe spécialisée en accompagnement de mineurs - ont élaboré un document de travail à cette fin. Dans ses remarques sur le rapport du médiateur fédéral, l’OE souligne en outre que si aucun centre ne dispense un programme scolaire à temps plein, en semaine, les enfants bénéficient toutefois d’au moins une demi-journée d’enseignement sur mesure. Lors de la première rencontre avec l’enfant, il est procédé à une évaluation du niveau scolaire et de la maîtrise de la langue. Sur la base de cette évaluation, une offre de cours est proposée visant pour l’essentiel à combler un éventuel retard scolaire et à acquérir des compétences sans lien avec la culture, c’est-à-dire dont on peut présumer qu’elles pourront être utilisées dans tout contexte.


  55. .  Le rapport conclut dans les termes suivants :
  56. « Si le stress lié à la détention est présent chez tous les occupants, le poids psychologique de l’enfermement - et de la privation de liberté - se manifeste plus encore au sein des familles avec enfant(s), et parmi les autres groupes vulnérables, comme les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés et les personnes souffrant de troubles psychologiques. Il doit être immédiatement mis un terme à l’enfermement d’enfants au regard des effets désastreux qu’il engendre sur leur équilibre et leur développement. Il n’est défendable ni juridiquement, ni médicalement. »


  57. .  Depuis octobre 2008, à la suite d’une décision de la ministre de Politique de migration et d’asile, les familles avec enfants en séjour illégal ne sont plus mises en détention dans les centres fermés à l’exception de celles qui se voient refuser l’accès au territoire à la frontière. Les familles concernées sont accueillies dans des « maisons ouvertes » et collaborent à un projet visant à obtenir leur départ volontaire. En mai 2011, le secrétaire d’Etat chargé de la politique d’asile a toutefois annoncé la construction de logements spécifiques pour les familles avec enfants au centre 127 bis et un projet de loi a été voté à la Chambre des représentants le 20 juillet 2011, et transmis au Sénat, visant à insérer un article 74/9 dans la loi sur les étrangers. Ce texte prévoit que les familles avec enfants mineurs ne sont pas placées en centre fermé à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs.
  58. III.  LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

    46.  Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 figurent dans l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres précité (§ 43).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  59. .  Se plaignant de leur détention pendant près de quatre mois dans un centre fermé pour illégaux, les requérants invoquent une violation de l’article 3 de la Convention, lequel énonce :
  60. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  61. .  Le Gouvernement excipe de deux exceptions d’irrecevabilité.

  62. .  Premièrement, se référant à la décision de la Cour dans l’affaire Illiu et autres c. Belgique (déc., no 14301/08, 19 mai 2009), il soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes et auraient dû déposer une plainte pénale sur base des articles 417 bis à 41 quinquies du code pénal qui répriment la torture et les traitements inhumains et dégradants, plainte éventuellement suivie d’une demande d’indemnisation sur pied de l’article 1382 du code civil. Le Gouvernement soutient également que les requérants ont tardé à invoquer l’article 3 de la Convention et n’ont fait valoir leurs conditions de détention que dans leur troisième requête de mise en liberté. De plus, les éléments liés à leur situation individuelle (âge des requérants, durée de la détention et incapacité de la mère à faire face à la situation) ont été invoqués pour la première fois devant la Cour.

  63. .  Les requérants répliquent qu’ils ont utilisé la voie de recours la plus efficace et la plus directe pour mettre fin à la situation qu’ils dénonçaient, à savoir la requête de mise en liberté. Ils soutiennent que l’action en référé aurait eu le même résultat et que la plainte pénale n’était pas de nature à remédier de façon directe aux atteintes dénoncées et est, en toute hypothèse, une voie de droit ineffective.

  64. .  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, série A no 200, § 36). Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

  65. .  Les requérants ont poursuivi avec diligence la procédure spécifique prévue en droit belge pour mettre fin à leur détention, à savoir la requête de remise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal correctionnel, institué par l’article 71 de la loi sur les étrangers. Dans leur demande de mise en liberté du 28 mars 2009, ils se référaient à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précitée. La nouveauté de l’individualisation des griefs, invoquée par le Gouvernement, n’apparaît pas pertinente à la Cour. Elle est en effet d’avis que l’âge des requérants et la durée de la détention sont des données « objectives » et que l’incapacité de la première requérante à faire face à la situation était inhérente à la situation telle qu’elle était dénoncée par les requérants.

  66. .  La Cour note que les requérants n’ont pas agi en référé devant le président du tribunal de première instance en demandant leur libération. Toutefois, elle rappelle que lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie, dont le but est pratiquement le même, n’est pas exigé (Günaydin c. Turquie (déc.), no 27526/95, 25 avril 2002 ; Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, 29 avril 2004). Faisant application de cette jurisprudence dans l’affaire Muskhadzhiyeva et autres précitée (§ 49), elle a considéré que l’utilisation de la requête de mise en liberté pour mettre fin à la détention et dénoncer les conditions de cette détention suffisait à considérer que les requérants avaient épuisé les voies de recours internes.
  67. 54.  De plus, en ce qui concerne l’omission des requérants de déposer une plainte pénale, la Cour souligne que les circonstances de l’espèce la distingue de l’affaire Illiu et autres (décision précitée), invoquée par le Gouvernement, dans laquelle les requérants avaient choisi d’utiliser cette voie et n’avaient poursuivi avec diligence ni la requête de mise en liberté ni l’action en référé ; le grief tiré de l’article 3 ayant du reste été rejeté au motif qu’il était prématuré.

    55.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les requérants ont épuisé les voies de recours internes quant à ce grief.


  68. .  Deuxièmement, le Gouvernement soutient qu’à défaut d’avoir concrétisé et individualisé leur grief tiré de la violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de détention, les requérants n’ont pas la qualité de victimes et qu’en conséquence il y a lieu de considérer que leur libération a constitué une réparation adéquate.

  69. .  La Cour estime toutefois que les griefs formulés par les requérants sous l’angle de l’article 3 du fait de leurs conditions de détention posent des questions de fait et de droit qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond de la requête. Elle joint donc cette exception au fond.

  70. .  Par ailleurs, cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, elle doit être déclarée recevable.
  71. B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties


  72. .  Les requérants soutiennent que leur détention dans un centre pour illégaux non adapté aux besoins des enfants a constitué en soi un traitement inhumain et dégradant. Ils affirment que, du seul fait de ces conditions, l’enfermement d’un enfant dans un centre fermé provoque inévitablement, à court ou moyen terme, de sérieux troubles psychologiques en raison des sentiments d’angoisse et d’infériorité que la détention a générés et peut s’assimiler à de la maltraitance psychologique. Ils citent à l’appui de leurs allégations des rapports établis par plusieurs organisations internationales qui décrivent les conditions de séjour en centre fermé et les effets négatifs de la détention sur le développement des enfants. Ils se réfèrent aux circonstances et aux constats de violation de la Cour dans les arrêts Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga et Muskhadzhiyeva et autres précités. A cela s’ajoutent la durée particulièrement longue de la détention, l’âge des enfants qui leur a permis de prendre pleinement conscience de la situation, l’analphabétisme de leur mère et son incapacité à assumer son rôle de mère et à faire face aux évènements, y compris dans les relations avec leur conseil.

  73. .  Le Gouvernement admet que la détention d’enfants mineurs même accompagnés est de nature à poser question sous l’angle de l’article 3. Toutefois, il soutient que les requérants ne font preuve d’aucune incidence concrète, précise et objectivement vérifiable quant aux effets de la détention des enfants sur leur état de santé. Ils se contentent de s’appuyer, en des termes stéréotypés, sur la seule foi de rapports généraux antérieurs à la détention des requérants. Or, selon le Gouvernement, pour évaluer le seuil minimum de gravité permettant de qualifier un traitement d’inhumain et dégradant, il faut avoir égard aux circonstances personnelles des requérants. Contrairement à l’affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga précitée, les enfants étaient accompagnés de leur mère et rien n’indique que celle-ci n’ait pas été en mesure d’assurer son rôle de parent pendant la détention. Selon le Gouvernement, l’affaire doit également être distinguée de l’arrêt Muskhadzhiyeva précité dans lequel la Cour avait tenu compte d’un ensemble de circonstances concrètes et, en particulier, du bas âge des enfants et de leur état de santé diagnostiqué par des certificats médicaux. En l’espèce, les enfants, sensiblement plus âgés, ne font pas état de troubles physiques ou psychologiques particuliers et il apparaît même, sur la base des rapports établis par le personnel enseignant, que leur développement s’est poursuivi grâce à leur scolarisation dans le centre et à la participation à des activités adaptées à leur âge. Le grief tiré de l’article 3 est a fortiori encore plus mal fondé en ce qui concerne la première requérante qui n’a, en tout état de cause, jamais allégué avoir été victime par ricochet du fait du traitement infligé à ses enfants.
  74. 2.  L’appréciation de la Cour

    a)  En ce qui concerne les enfants requérants


  75. .  La Cour rappelle que, combinée avec l’article 3, l’obligation que l’article 1 de la Convention impose aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Convention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ces dispositions doivent permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables et inclure des mesures raisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance (Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précité, § 53).

  76. .  La Cour rappelle également qu’elle a conclu à deux reprises à la violation par la Belgique de l’article 3 en raison de la détention en centre fermé d’enfants étrangers mineurs accompagnés (Muskhadzhiyeva et autres précité, § 63) et d’une enfant mineure non accompagnée (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga précité, §§ 58-59). Dans ces deux affaires, la Cour a souligné qu’il convenait de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant était déterminante et prédominait sur la qualité d’étranger en séjour illégal (ibid. §§ 56 et 55).

  77. .  La Cour observe que le Gouvernement reconnaît que l’enfermement des enfants pose un problème de principe sous l’angle de l’article 3 de la Convention et accueille positivement la décision prise par les autorités belges de ne plus procéder à la détention en centres fermés des familles en séjour illégal en Belgique (paragraphe 44 ci-dessus).

  78. .  La Cour observe que les circonstances de la présente affaire sont comparables à celles de l’affaire Muskhadzhiyeva et autres précitée à plusieurs égards. Premièrement, elles concernent des enfants mineurs accompagnés par leur mère. A ce sujet, la Cour a précisé que si le degré de protection pouvait varier selon que les enfants sont accompagnés ou non (Rahimi c. Grèce, no 8687/08, § 63, 5 avril 2011), cet élément ne suffisait pas à exempter les autorités de protéger les enfants et d’adopter des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 (Muskhadzhiyeva et autres précité, § 58).

  79. .  Deuxièmement, les requérants étaient enfermés au même endroit, le centre fermé 127 bis, que la Cour a déjà jugé inadapté à l’accueil des enfants au vu des conditions de détention telles qu’elles étaient établies dans plusieurs rapports nationaux et internationaux (ibid. §§ 25-35 et 55). Elle constate que d’autres rapports ont été publiés depuis l’arrêt rendu dans l’affaire précitée qui corroborent les constats antérieurs. Parmi ceux-ci figure un rapport émanant pour la première fois d’une instance belge officielle, le Médiateur fédéral, qui insiste sur le caractère particulièrement désastreux de l’enfermement des enfants dans les centres fermés sur leur équilibre et leur développement (paragraphes 41-43 ci-dessus).

  80. .  La Cour ne perd pas de vue que la présente affaire se distingue de l’affaire Muskhadzhiyeva et autres précitée par l’absence de certificats médicaux attestant de troubles psychologiques ayant affecté les enfants durant leur détention et par le fait que les enfants étaient plus âgés.

  81. .  Toutefois, de l’avis de la Cour, ces éléments ne sont pas déterminants. Comme elle l’a récemment souligné, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il est consacré par l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui doit prévaloir y compris dans le contexte d’une expulsion (Nunez c. Norvège, no 55597/09, § 84, 28 juin 2011). Il faut donc partir de la présomption que les enfants étaient vulnérables tant en raison de leur qualité d’enfants que de leur histoire personnelle. Sans aucun doute, avant d’arriver en Belgique, les enfants requérants avaient déjà vécu une situation traumatique. Séparés de leur père à la suite de son arrestation, ils ont quitté avec leur mère un pays en proie à une guerre civile dans un contexte d’angoisse de représailles de la part des autorités locales. Cette vulnérabilité a été reconnue par les autorités belges puisqu’elles ont finalement reconnu aux requérants le statut de réfugiés. Ensuite, à leur arrivée en Belgique, ils ont été arrêtés à la frontière et directement placés en centre fermé en vue de leur expulsion. La Cour est en désaccord avec le Gouvernement quand il tire argument de ce que rien ne prouve que la mère ait été en difficulté pour jouer son rôle de parent. Elle estime en effet, à la lumière des rapports précités (paragraphes 36-38) que l’incapacité de la première requérante à faire face à la situation et à assumer son rôle, accentuée en l’espèce par son analphabétisme, est un facteur objectif inhérent aux conditions de vie en centre fermé. Enfin, la Cour tient compte de la durée particulièrement longue de la détention : les requérants sont restés près de quatre mois dans le centre, soit une période bien plus longue que celle des requérants dans l’affaire Muskhadzhiyeva et autres précitée qui avaient été détenus pendant un mois.

  82. .  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’en plaçant les enfants requérants en centre fermé, les autorités belges les ont exposés à des sentiments d’angoisse et d’infériorité et ont pris, en pleine connaissance de cause, le risque de compromettre leur développement.

  83. .  La situation ainsi vécue par les enfants requérants a atteint, selon la Cour, le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention pour constituer des traitements inhumains et dégradants et a emporté violation de cet article.
  84. b)  En ce qui concerne la première requérante


  85. .  La Cour rappelle que dans l’affaire Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précitée (§ 58), elle a jugé que la mère avait connu une souffrance et une inquiétude profonde du fait de la détention de sa fille, dont elle était seulement informée et à propos de laquelle la seule mesure prise par les autorités avait consisté à lui communiquer le numéro de téléphone auquel elle pouvait joindre sa fille. En revanche, dans l’affaire Muskhadzhiyeva et autres précitée (§§ 64-66), la Cour considéra que si le sentiment d’impuissance à protéger ses enfants contre l’enfermement et les conditions de celui-ci ont pu lui causer angoisse et frustration, la présence constante des enfants auprès d’elle a dû apaiser quelque peu ce sentiment, de sorte qu’il n’a pas atteint le seuil requis pour être qualifié de traitement inhumain.

  86. .  De même, en l’espèce, la première requérante est restée auprès de ses enfants durant la détention. Par conséquent, et, tout en reconnaissant que la dilution de son rôle parental, sa déresponsabilisation ainsi que l’impuissance dans laquelle elle s’est trouvée de mettre fin à la souffrance de ses enfants ont certainement exposé la première requérante à un désarroi et à une inquiétude profonde, la Cour ne dispose pas d’élément suffisant pour s’écarter de l’approche suivie dans l’affaire Muskhadzhiyeva et autres rappelée ci-dessus.

  87. .  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef de la première requérante.
  88. II.  SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 5 § 1 f) DE LA CONVENTION


  89. .  Se plaignant que leur maintien en détention n’a pas été effectué dans le respect des voies légales, les requérants invoquent une violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention :
  90. « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

    A.  Arguments des parties


  91. .  Les requérants soutiennent que le maintien de leur détention a été décidé au mépris des voies légales. Ils font valoir que la décision du 20 mars 2009 de les maintenir en détention ne résultait pas uniquement de leur refus de l’éloignement comme le prévoit la jurisprudence de la Cour de cassation pour la simple raison que la Cour a informé le Gouvernement belge de l’indication de la mesure provisoire préalablement au départ de l’avion sur lequel ils devaient embarquer pour Kinshasa. Selon les requérants, la non-exécution de l’éloignement résultait donc de l’intervention de la Cour, un motif non envisagé par le droit belge et qui ne pouvait donc constituer une base légale suffisante pour maintenir les requérants en détention. La deuxième décision de les maintenir en détention, prise le 23 mars 2009, était également sans base légale puisqu’elle ne constituait que la prolongation de la précédente. Les requérants en déduisent qu’au-delà du 20 mars 2009, du fait de l’intervention de la Cour, et après le dépôt de leur deuxième demande d’asile, il n’y avait en réalité plus de procédure d’expulsion en cours et le maintien en détention n’entrait donc plus dans le cadre prévu par l’article 5 § 1 f) de la Convention. Les requérants contestent au surplus la proportionnalité et la durée des mesures de détention notamment de la première décision de détention compte du fait qu’ils n’étaient prima facie pas des demandeurs d’asile économique et donc que leur demande d’asile n’était manifestement pas infondée.

  92. .  Le Gouvernement souligne que les requérants ont développé devant les juridictions belges la même argumentation pour contester la légalité de la décision du 20 mars 2009 de les maintenir en détention, mais celle-ci fut toutefois rejetée sans que l’on puisse considérer qu’il y a eu erreur manifeste d’application de la législation ni d’arbitraire (Ntumba Kabongo c. Belgique, déc., no 52467/99, 2 juin 2005). La chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles a, en effet, considéré que cette deuxième mesure privative de liberté avait été prise de façon conforme à la suite du refus des requérants de partir vers Kinshasa et que la circonstance qu’après ce refus, l’éloignement fut suspendu par décision de la Cour n’affectait en rien la légalité de la mesure privative de liberté. De plus, comme l’a souligné la Cour de cassation, à la date de la deuxième mesure privative de liberté, les requérants étaient en tout état de cause encore détenus sur la base de la première décision. Le Gouvernement soutient qu’une erreur ultérieurement corrigée dans l’indication de la base légale d’une détention n’est pas de nature à vicier la conventionalité de celle-ci s’il s’avère que d’autres fondements, en droit interne, pouvaient la justifier.

  93. .  Ensuite, s’agissant de la troisième mesure privative de liberté, du 23 mars 2009, le Gouvernement fait valoir qu’elle ne peut être jugée comme un renouvellement de la précédente mesure puisqu’elle reposait sur d’autres motifs de fait, à savoir l’introduction d’une nouvelle demande d’asile, faits qui entrent dans les prévisions de l’article 74/5, § 1, 2o de la loi sur les étrangers.

  94. .  Enfin, s’agissant de l’objectif, de la proportionnalité et de la durée de la détention, le Gouvernement souligne que conformément à la jurisprudence de la Cour (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 41 et Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008) les requérants ont fait l’objet de mesures privatives principalement en raison de leur carence à réunir les conditions d’entrée régulière dans le pays. La circonstance que les requérants n’étaient finalement pas des migrants économiques et ont été admis au statut de réfugié n’est pas de nature à vicier rétroactivement la légalité et la légitimité de la détention. Il souligne que la première demande d’asile avait été déclarée non fondée par le Conseil de contentieux des étrangers et que quand il s’est avéré que la deuxième demande d’asile ne pourrait intervenir rapidement, l’OE a mis spontanément les requérants en liberté. Enfin, les mesures de détention n’ont à aucun stade excédé les délais légaux.
  95. B.  Appréciation de la Cour


  96. .  La Cour observe à titre préliminaire que les requérants ont été arrêtés à la frontière et qu’ils ont pu y déposer une demande d’asile. Ils firent l’objet d’une décision de refus d’entrée avec refoulement au motif qu’ils étaient en possession de faux passeports. Leur détention se rattache donc au premier volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention qui permet l’arrestation ou la détention « régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire (...) ».
  97. 1.  Rappel des principes généraux


  98. .  La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de toute personne contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté. Toute privation de liberté doit relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Ces exceptions sont énumérées de manière exhaustive et seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition (Saadi précité, § 43, Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 67, 2 décembre 2010).

  99. .  Parmi ces exceptions figure l’alinéa f) qui permet aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (Saadi précité, § 64). Si les Etats jouissent en effet du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, § 41) et ont, corollairement, la faculté de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité - par le biais d’une demande d’asile ou non - l’autorisation d’entrer dans le pays (Saadi précité, § 64), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Amuur précité, § 41) et la Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

  100. .  La privation de liberté doit en outre être « régulière ». En cette matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en va autrement dans les matières où la Convention renvoie directement à ce droit : en ces matières, la méconnaissance du droit interne entraîne celle de la Convention, de sorte que la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne - dispositions légales ou jurisprudence - a été respecté (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 46, série A no 33, Jusic précité, § 68).

  101. .  L’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II, Saadi précité, § 67).

  102. .  Pour ne pas être taxée d’arbitraire, une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l’article 5 § 1 f) doit se faire de bonne foi et être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement. S’agissant de la première partie de l’article 5 § 1 f), elle doit donc être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire (Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74, Saadi précité, §§ 74 et 80).

  103. .  En outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés (Saadi, précité, § 74, Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74). Un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation autorisée et le lieu et le régime de détention (Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil 1998-V, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga précité, § 53). La Cour ne perd pas de vue à cet égard que les mesures de détention s’appliquent à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n’ont pas commis d’autres infractions que celles liées au séjour (Riad et Idiab précité, § 77). De plus, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (ibidem).

  104. .  Enfin, la Cour a indiqué que la mise en œuvre d’une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 (Gebremedhin [Gaberamadhien] précité, § 74).
  105. 2.  Application des principes en l’espèce

    (a)  En ce qui concerne les enfants requérants


  106. .  Dans l’arrêt Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga précité, la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 1 f) dans le chef de l’enfant requérant au motif que :
  107. « 103.  La seconde requérante a été détenue dans un centre fermé conçu pour des adultes étrangers en séjour illégal, dans les mêmes conditions que celles d’une personne adulte, lesquelles n’étaient par conséquent pas adaptées à sa situation d’extrême vulnérabilité liée à son statut de mineure étrangère non accompagnée.

    104.  Dans ces conditions, la Cour estime que le système juridique belge en vigueur à l’époque et tel qu’il a été appliqué dans la présente affaire n’a pas garanti de manière suffisante le droit de la seconde requérante à sa liberté. »


  108. .  Dans l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres précité, la Cour a jugé que la circonstance que les enfants requérants étaient accompagnés par leur mère n’était pas une raison se départir de cette conclusion (§ 75).

  109. .  De la même manière, la Cour estime qu’en l’espèce, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef des trois enfants requérants.
  110. (b)  En ce qui concerne la première requérante


  111. .  La Cour constate que la première privation de liberté a été décidée le 23 janvier 2009, jour de l’arrivée en Belgique de la première requérante, en application de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers au motif qu’elle tentait de pénétrer le territoire sans être porteuse des documents requis pour l’entrée sur ledit territoire et avait déposé une demande d’asile. La Cour constate que cette disposition autorisait l’OE à maintenir la requérante en centre fermé pendant deux mois et que la validité de cette première décision expirait le 22 mars 2009 à minuit.

  112. .  La circonstance que l’OE prit la décision de maintenir la première requérante en détention le jour de l’indication de la mesure provisoire par la Cour, le 20 mars 2009, ne rend pas illégale sa détention même si la poursuite de la procédure de refoulement était provisoirement empêchée. De même, la Cour est d’accord avec le Gouvernement pour considérer que l’erreur quant aux faits à l’origine de l’ordonnance de réécrou n’affectait pas la légalité de la détention au sens de l’article 5, qui demeurait justifiée, comme l’a relevé la Cour de cassation, sur la base de la première mesure de détention (voir, mutatis mutandis, Slivenko c. Lettonie [GC] (no 48321/99, § 149, CEDH 2003-X).

  113. .  Le 23 mars 2009, à l’issue de ce délai initial, l’OE adopta, sur la base de la même disposition législative, une nouvelle décision de privation de liberté, valable également pour une période de deux mois, au motif que la requérante avait déposé une deuxième demande d’asile. Le 25 mars 2009, la deuxième demande d’asile déposée par la requérante fut transmise pour examen au fond au CGRA. La requérante fut finalement libérée le 4 mai 2009.

  114. .  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le placement et le maintien en détention de la première requérante ont été décidés « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ntumba Kabongo déc. précitée).

  115. .  La Cour doit ensuite déterminer si la détention de la requérante n’était pas arbitraire. Comme elle l’a rappelé ci-dessus, plusieurs paramètres entrent en jeu dans cette évaluation. La Cour doit être convaincue que les autorités ont agi de bonne foi, qu’un lien suffisamment étroit existait entre le maintien en détention et l’objectif poursuivi, et que la requérante était détenue dans un lieu approprié et, ce, pendant une durée raisonnable.

  116. .  En l’espèce, la Cour n’a aucun motif de douter de la bonne foi des autorités belges. Elle n’a a priori pas non plus d’objection à considérer que le placement de la requérante en détention corrélativement à l’ordre de quitter le territoire qui lui a été délivré « à la frontière » le 23 janvier 2009 entrait dans les circonstances envisagées par la jurisprudence relative à la première partie de l’article 5 § 1 f) telle que rappelée dans les principes généraux. En revanche, elle s’interroge, avec la requérante, sur la régularité du maintien de la détention après l’expiration du délai initial de deux mois prévu par l’article 74/5, §1 2o de la loi sur les étrangers et ce, jusqu’au 4 mai 2009, alors qu’elle avait déposé une deuxième demande d’asile et que celle-ci avait été prise en considération et transmise pour un examen au fond au CGRA le 25 mars 2009. En effet, la Cour est d’avis que, dans ces circonstances, le maintien de la requérante dans un lieu manifestement inapproprié au séjour d’une famille, dans des conditions que la Cour analyse elle-même, en ce qui concerne les enfants, comme étant contraires à l’article 3 et pendant une période particulièrement longue relève de l’arbitraire.

  117. .  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le maintien en détention de la requérante n’était pas « régulier » au sens de l’article 5 §1 f) de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition. Eu égard à cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner si la détention était justifiée au regard du deuxième volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
  118. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  119. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention :
  120. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    1.  Dommage


  121. .  Les requérants réclament une indemnité de 68 850 euros (EUR) pour dommage moral à raison de la période de détention de 102 jours qu’ils ont subie. 38 250 EUR sont réclamés au titre de la violation de l’article 3, soit 125 EUR par jour de détention pour chacun des enfants requérants. Aucune somme n’est réclamée au titre du préjudice résultant de la violation alléguée de l’article 3 à l’égard de la première requérante. 30 600 EUR sont réclamés au titre de la violation de l’article 5 § 1, soit 75 EUR par jour de détention pour chacun des requérants, ce qui représente 22 950 EUR au titre des enfants requérants et 7 650 EUR pour la première requérante.

  122. .  Le Gouvernement déclare ne pas avoir d’observations à formuler.

  123. .  La Cour estime que les enfants requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de leur détention en centre fermé et des conditions de cette détention. De même, la première requérante a subi un préjudice moral du fait du caractère arbitraire de sa détention. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle octroie à la première requérante, pour elle-même et en tant que représentante légale des enfants requérants, un total de 46 650 EUR au titre du préjudice moral, réparti comme suit : 7 650 EUR au titre du dommage moral subi par elle et 13 000 EUR au titre du préjudice subi par chacun de ses enfants.
  124. 2.  Frais et dépens


  125. .  Les requérants demandent le remboursement des frais pour leur défense devant les juridictions belges et devant la Cour. L’avocat des requérants a déposé à cet égard un « état de frais et d’honoraires » dans lequel les frais et dépens calculés au 15 septembre 2010 atteignaient 19 267 EUR calculés sur la base d’un tarif horaire convenu de 75 EUR. 10 492 EUR sont réclamés pour la procédure devant les juridictions nationales et 8 775 EUR pour la procédure devant la Cour.

  126. .  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande pour plusieurs raisons. S’agissant des procédures devant les juridictions internes, il soutient que la demande inclut les frais de conseil et de représentation dans le cadre des procédures d’asile, à concurrence de 2 462 EUR, alors qu’aucune violation de la Convention n’a été alléguée à cet égard. Il indique également que les requérants ont déjà bénéficié de l’aide juridique pour leurs frais d’avocat dans le cadre des différentes procédures dans l’ordre interne et que l’avocat a déjà été indemnisé à hauteur de 5 772 EUR dont il faut éventuellement déduire l’indemnité de procédure. L’avocat désigné dans le cadre de l’aide juridique gratuite, comme en l’espèce, ne peut prétendre à aucune autre indemnisation et n’est donc pas autorisé à percevoir des honoraires supplémentaires. S’agissant des frais exposés pour la procédure devant la Cour, le Gouvernement fait valoir que les requérants n’ont pas expliqué les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient être admis au bénéfice de l’assistance judiciaire conformément au règlement de la Cour.

  127. .  L’avocat des requérants soutient qu’il n’y a aucun risque que l’Etat belge l’indemnise indûment car en tant qu’avocat désigné au titre de l’aide juridique, il est légalement tenu de retourner les montants perçus à ce titre, soit de 5 772 EUR, au bureau d’assistance judiciaire. En tout état de cause, ce montant ne couvre pas les frais qui ont été exposés pour la défense des requérants devant la Cour, à l’exception de la demande de mesures provisoires à concurrence de 450 EUR.

  128. .  Suivant la jurisprudence bien établie de la Cour, les frais et dépens ne peuvent donner lieu à remboursement au titre de l’article 41 de la Convention que s’il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont raisonnables quant à leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas précité, § 109).

  129. .  En ce qui concerne les frais et dépens afférents aux procédures devant les juridictions internes, il n’est pas contesté que les requérants bénéficient de l’aide juridique gratuite à concurrence de 5 772 EUR. La Cour n’aperçoit aucun élément attestant que les frais dépassant les montants perçus par cette voie correspondaient à une réelle nécessité ni que les requérants aient contracté l’obligation juridique de verser des honoraires complémentaires. Il convient dès lors de rejeter ces prétentions.

  130. .  Considérant que les frais réclamés au titre de la procédure devant elle sont excessifs, la Cour se livre à sa propre appréciation sur la base des éléments figurant au dossier et juge raisonnable d’allouer à la première requérante, en tant que représentante légale des enfants requérants, la somme de 4 000 EUR au titre des frais et dépens exposés pour sa défense et la défense de ces derniers devant elle.
  131. 3.  Intérêts moratoires


  132. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  133. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée de la qualité de victime des requérants et la rejette,

     

    2.  Déclare la requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef des deuxième, troisième et quatrième requérants ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef de la première requérante ;

     

    5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef des deuxième, troisième et quatrième requérants ;

     

    6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef de la première requérante ;

     

    7.  Dit

    (a)  que lEtat belge doit verser, dans les trois mois, à la première requérante, pour elle-même et en tant que représentante légale des enfants requérants, 46 650 EUR (quarante-six mille six cent cinquante euros) dont 7 650 EUR (sept mille six cent cinquante euros) pour dommage moral subi par elle et 13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage moral subi par chacun de ses enfants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    (b)  que l’Etat belge doit verser à la première requérante, dans les trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la première requérante, pour frais et dépens encourus ;

    (c)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    8.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                   Danute Jočiene
            Greffier                                                                              Présidente


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2011/2420.html