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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HR v. France - 64780/09 [2011] ECHR 2427 (22 September 2011)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2011/2427.html
Cite as: [2011] ECHR 2427

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CINQUIÈME SECTION

 

 

 

 

 

AFFAIRE H.R. c. FRANCE

 

(Requête no 64780/09)

 

 

 

ARRÊT

 

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour

le 16 janvier 2012

 

STRASBOURG

 

22 septembre 2011

 

 

DÉFINITIF

 

22/12/2011

 

 

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire H.R. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

          Dean Spielman, président,
          Jean-Paul Costa,
          Boštjan M. Zupančič,
          Mark Villiger,
          Isabelle Berro-Lefèvre,
          Ann Power,
          Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 août 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64780/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien[1], H.R. (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me M. Bescou, avocat à Lyon. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant alléguait que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de le renvoyer vers l’Algérie l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

4.  Le 30 avril 2010, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1952 et réside à Lyon.

A.  Quant aux faits survenus en Algérie

6.  En 1998, le requérant effectuait des travaux dans la maison de sa sœur en Algérie alors que celle-ci séjournait en France. Des membres d’un réseau terroriste vinrent le trouver et réquisitionnèrent, sous la menace d’une arme, le domicile de sa sœur. Craignant pour sa sécurité, le requérant obtempéra et ces hommes s’installèrent dans la maison pendant une semaine. Après leur départ, le requérant alla trouver les autorités algériennes pour les informer de ce qui s’était passé et partit s’installer en Tunisie par crainte des représailles des hommes qu’il avait dénoncés. Sa famille resta en Algérie.

7.  Les autorités algériennes considérèrent que le requérant avait apporté une aide aux membres d’un groupe terroriste et engagèrent des poursuites contre lui et trois autres personnes pour « création et fondation d’un groupe terroriste et tentative de meurtre sur les hommes de la sûreté nationale ». Le requérant et plusieurs de ses coaccusés furent poursuivis et condamnés par une cour d’assises algérienne, par contumace, à la réclusion à perpétuité. L’un de ses coaccusés s’étant préalablement rendu aux autorités algériennes, il fut amnistié selon les dispositions de la « loi sur la concorde civile » et bénéficia d’un non-lieu.

B.  Quant aux faits survenus en France

8.  En 2000, le requérant arriva en France. Il déposa une demande d’asile qui fut rejetée, le 4 avril 2001, par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le requérant déposa une nouvelle demande qui fut rejetée successivement par une décision de l’OFPRA du 30 octobre 2002, puis par une décision de la Commission des recours des réfugiés (CRR) du 5 mai 2003. Il sollicita ensuite l’asile territorial, ce qui lui fut refusé, le 27 janvier 2004, par une décision du ministre de l’Intérieur.

9.  Le 17 mai 2004, le requérant fit l’objet d’une obligation de quitter le territoire, lui demandant de s’exécuter dans le délai d’un mois. Le requérant ne s’y soumit pas.

10.  Suite à une interpellation survenue le 10 février 2009, le préfet du Rhône lui notifia le même jour deux arrêtés préfectoraux, l’un prononçant sa reconduite à la frontière et le second fixant l’Algérie comme pays de renvoi.

11.  Le requérant contesta ces arrêtés préfectoraux devant le tribunal administratif de Lyon qui le débouta de ses demandes, le 13 février 2009, au motif notamment que « le requérant ne produi[sai]t aucun élément permettant de démontrer qu’il serait effectivement soumis à des risques de traitements inhumains et dégradants de la part des terroristes qu’il avait dénoncés (...) ; que s’agissant de la condamnation prononcée par la Cour d’Assises près la Cour de Sétif par contumace, cette seule condamnation ne permet pas d’établir que [H.R.] sera soumis à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ». Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 17 juillet 2009. Le requérant précise ne pas avoir formé de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, un tel recours étant ineffectif selon lui compte tenu de l’absence d’effet suspensif et de la jurisprudence établie du Conseil d’Etat en la matière.

12.  Pour des raisons de vice de forme de la procédure, le requérant avait toutefois été préalablement libéré, à une date non précisée, par un juge des libertés et de la détention.

13.  Le 26 novembre 2009, il fut de nouveau interpellé et placé en rétention sur la base de l’arrêté préfectoral qui lui avait été délivré le 10 février 2009. Son renvoi vers l’Algérie fut organisé pour le lendemain matin, mais dut être différé suite à l’introduction par le requérant d’une demande de réexamen de sa demande d’asile.

14.  Le 28 novembre 2009, le juge des libertés et de la détention ordonna la prolongation de la rétention.

15.  Le 8 décembre 2009, l’OFPRA, statuant selon la procédure prioritaire, prit une décision de rejet. Relevant que le requérant faisait valoir que « des terroristes [avaient] récemment tenté d’intimider sa femme en affirmant que c’[était] son mari qui les a[vait] dénoncés à la police », l’OFPRA estima cependant que « les explications de l’intéressé ne comport[ai]ent aucun élément susceptible d’accréditer la réalité des menaces qui pèseraient sur lui et sur sa famille ». Cette décision fut notifiée au requérant le lendemain.

16.  Le 9 décembre 2009, le requérant saisit la Cour et formula une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour. Le même jour, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne pas renvoyer le requérant vers l’Algérie.

17.  Le requérant fut condamné par défaut par le tribunal correctionnel de Lyon le 4 février 2010 à une peine de quinze mois d’emprisonnement pour des faits de contrefaçon de monnaie, de détention frauduleuse et d’usage de faux documents administratifs. Un mandat d’arrêt fut délivré le jour même à son encontre et le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Lyon à compter du 1er mai 2010. Après avoir purgé sa peine, il fut libéré à une date non précisée.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  La procédure administrative en contestation d’un arrêté de reconduite à la frontière

18.  L’étranger qui fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification, demander l’annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif ; le président ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine (article L. 512-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)). L’arrêté ne peut être exécuté avant l’expiration de ces mêmes délais ou, si le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu’il ait statué (article L. 512-3 du CESEDA). Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué est susceptible d’appel dans un délai d’un mois devant le président de la cour administrative d’appel territorialement compétent ou la personne déléguée par lui ; cet appel n’est pas suspensif (article R. 776-19 du code de justice administrative).

B.  L’asile territorial

19.  Conformément à l’article 13 de la loi du 25 juillet 1952, dans les conditions compatibles avec les intérêts du pays, l’asile territorial peut être accordé par le ministre de l’Intérieur après consultation du ministre des Affaires étrangères, à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

III.  LE DROIT ALGÉRIEN PERTINENT

20.  La loi sur la concorde civile se lit ainsi :

Article 1

« La présente loi s’inscrit dans le cadre du grand dessein de rétablissement de la concorde civile et a pour objet d’instituer des mesures particulières en vue de dégager des issues appropriées aux personnes impliquées et ayant été impliquées dans des actions de terrorisme ou de subversion qui expriment leur volonté de cesser, en toute conscience, leurs activités criminelles en leur donnant l’opportunité de concrétiser cette aspiration sur la voie d’une réinsertion civile au sein de la société.

Pour bénéficier des dispositions de la présente loi, les personnes visées à l’alinéa précédent, doivent aviser les autorités compétentes qu’elles cessent toute activité de terrorisme et se présenter à ces autorités. »

Article 3

« Ne sera pas poursuivi celui qui a fait partie d’une des organisations [terroriste ou subversive] à l’intérieur et à l’extérieur du pays et qui n’a pas commis ou participé à la commission de l’une des infractions [terroriste ou subversive] ayant entraîné mort d’homme ou infirmité permanente, viol ou qui n’a pas utilisé des explosifs en des lieux publics ou fréquentés par le public et qui aura, dans un délai de six (6) mois à compter de la promulgation de la présente loi, avisé les autorités compétentes qu’il cesse toute activité terroriste ou subversive et qui se sera présenté spontanément à ces autorités compétentes. »

Article 4

« Dans les mêmes conditions prévues à l’article 3 ci-dessus, ne sera pas poursuivie, la personne qui aura détenu des armes, explosifs ou d’autres moyens matériels et les aura remis spontanément aux autorités compétentes. »

21.  Le code pénal algérien se lit comme suit :

Art 87 bis 3

« Quiconque crée, fonde, organise ou dirige toute association, corps, groupe ou organisation dont le but ou les activités tombent sous le coup des dispositions de l’article 87 bis de la présente ordonnance, est puni de la réclusion perpétuelle.

Toute adhésion ou participation, sous quelque forme que ce soit, aux associations, corps, groupes ou organisations visés à l’alinéa ci-dessus, avec connaissance de leur but ou activités, est punie d’une peine de réclusion à temps de dix (10) à vingt (20) ans. »

A.  La charte pour la paix et la réconciliation nationale

22.  Lors d’un référendum tenu le 29 septembre 2005, une large majorité de la population algérienne approuva la Charte pour la paix et la réconciliation nationale proposée par le gouvernement algérien. Aux termes de la Charte, dont le texte a été publié le 15 août 2005 dans le Journal Officiel de la République algérienne no 55, 44ème année, les poursuites judiciaires seront éteintes pour les islamistes déposant les armes et pour ceux se rendant aux autorités, qu’ils soient recherchés en Algérie ou à l’étranger. La Charte prévoit également une grâce pour les personnes condamnées et détenues pour soutien au terrorisme ou actes de violence.

23.  Le 27 février 2006, le cabinet algérien, réuni sous la présidence de M. Abdelaziz Bouteflika, a approuvé l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Cette ordonnance prévoit l’extinction de l’action publique pour les personnes condamnées sur le fondement de l’article 87 bis 3 du code pénal algérien et qui, dans un délai maximum de six mois à compter de sa publication, se présentent volontairement aux autorités compétentes, cessent de commettre des faits liés au terrorisme et remettent les armes, munitions, explosifs et tout autre moyen en leur possession.

B.  La levée de l’état d’urgence et les mesures de lutte contre le terrorisme

24.  Le 23 février 2011, le président de la République algérienne a ordonné la levée de l’état d’urgence en vigueur dans son pays depuis février 1992. L’article 1er de l’ordonnance présidentielle no 11-01 du 23 février 2011 se lit ainsi :

« Est abrogé le décret législatif (...) du 6 février 1993 portant prorogation de la durée de l’état d’urgence instauré par le décret présidentiel (...) du 9 février 1992. »

25.  Cette levée s’est accompagnée de diverses mesures relatives à la lutte contre le terrorisme. Ainsi, l’ordonnance no 11-03, modifiant la loi no 91-23 du 6 décembre 1991, et relative à la participation de l’armée nationale populaire à des missions de sauvegarde de l’ordre public hors les situations d’exception a été promulguée le 23 février 2011. L’article 2 de cette ordonnance se lit ainsi :

« (...) les unités et formations de l’armée nationale populaire peuvent être mises en œuvre pour répondre à des impératifs (...) de lutte contre le terrorisme et la subversion.

Les dispositions relatives à la mise en œuvre des unités et formations de l’armée nationale populaire dans la lutte contre le terrorisme et la subversion (...) seront précisées par voie réglementaire. »

26.  De même, le décret présidentiel no 11-90 relatif à la mise en œuvre et à l’engagement de l’Armée nationale populaire (ANP) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la subversion, a été également publié au Journal officiel du 23 février 2011. Il se lit comme suit :

Article 1er

« Les unités et formation de l’armée nationale populaire sont mises en œuvre et engagées dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme et la subversion (...) »

Article 2

« Le chef d’État-major de l’armée nationale populaire est chargé du commandement, de la conduite et de la coordination des opérations de lutte contre le terrorisme et la subversion sur toute l’étendue du territoire national. »

Article 3

« Les conditions et modalités d’exécution du présent décret seront définies par arrêté conjoint du ministre de la défense nationale et du ministre de l’intérieur et des collectivités locales. »

27.  Selon un communiqué de presse du Conseil des ministres algérien, repris par plusieurs médias algériens et français, ces deux derniers textes viennent substituer un fondement législatif et réglementaire nouveau à celui prévu dans les lois de 1992 et 1993 instaurant et prorogeant l’état d’urgence en Algérie. Selon le même communiqué, ces textes « n’instaureront aucune situation nouvelle mais permettront, par contre, la poursuite de la participation de l’armée nationale populaire à la lutte contre le terrorisme jusqu’à son terme ».

IV.  TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

28.  Les textes internationaux pertinents, notamment les textes du Conseil de l’Europe ainsi que les rapports d’organisations non gouvernementales sur la situation en Algérie jusqu’en 2009 sont mentionnés dans l’affaire Daoudi c. France (no 19576/08, §§ 32 et suiv., 3 décembre 2009).

29.  Depuis la publication de cet arrêt, d’autres rapports ont été publiés, notamment le « résumé pays » de Human Rights Watch relatif à l’Algérie de janvier 2010 qui précise que ce pays a continué de connaître des violations de droits humains et notamment des sévices infligés par la police aux personnes soupçonnées de terrorisme pendant les interrogatoires. Son passage pertinent se lit ainsi :

« Les services de sécurité en civil procèdent fréquemment à des arrestations sans présenter de mandat, puis détiennent parfois des personnes soupçonnées de terrorisme plus longtemps que les 12 jours autorisés avant leur comparution devant un juge, et ne respectent pas l’obligation légale d’aviser les familles. Le Comité des Nations Unies contre la torture, dans son examen du rapport de l’Algérie à la commission de mai 2008, s’est déclaré préoccupé par les informations selon lesquelles la limite légale des 12 jours en détention préventive dans les affaires de terrorisme « peut, en pratique, être étendue à maintes reprises » et que « la loi ne garantit pas le droit à un avocat pendant la période de détention provisoire, et que le droit d’une personne en garde à vue pour avoir accès à un médecin et à communiquer avec sa famille n’est pas toujours respecté. »

30.  Les termes de ce rapport ont été repris dans le Country of Origin Information Report (Algérie) publié le 29 mars 2010 par le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni.

31.  De même, le rapport annuel d’Amnesty International pour l’année 2010 sur l’Algérie fait état d’arrestations, de détentions incommunicado et de procès inéquitables pour les personnes suspectées d’avoir participé à des activités liées au terrorisme. Ce rapport mentionne notamment que :

“The Department of Information and Security (DRS), military intelligence, continued to arrest terrorism suspects and detain them incommunicado for weeks or months, during which they were at risk of torture or other ill-treatment.

The right to fair trial of individuals suspected of terrorism was not respected. Some faced proceedings in military courts. Some were denied access to legal counsel, particularly while held in pre-trial detention. The authorities failed to investigate allegations of torture and other ill-treatment of detainees and the courts continued to accept "confessions" allegedly obtained under torture or other duress, without investigation, as a basis for convicting defendants.”

32.   De même, le Country Reports on Human Rights Practices de 2009 sur l’Algérie, publié le 11 mars 2010 par le département d’état américain, se lit ainsi :

« Information on terrorism-related violence in the country was difficult to verify independently. The Ministry of the Interior (MOI) infrequently released information concerning the total number of terrorist, civilian, and security force deaths. During the year, security forces killed, injured, or arrested approximately 1,300 suspected terrorists. According to press reports of official estimates, the total number of deaths was 804. Of these deaths, suspected terrorists killed 66 civilians and 220 security force members; security forces killed an estimated 518 suspected terrorists. These numbers increased from the 321 deaths reported in 2008. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

33.  Le requérant allègue que la mise à exécution de son renvoi vers l’Algérie l’exposerait à un risque de mauvais traitements, tant de la part des autorités algériennes que des terroristes qu’il a hébergés. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

34.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

35.  Le requérant relève que ni les conclusions des différents rapports internationaux rendus sur la situation en Algérie, ni la réalité de sa condamnation dans son pays d’origine pour des faits de terrorisme ne sont remis en cause par le Gouvernement. Or, il constate que d’après les rapports internationaux précités, sa condamnation en Algérie pour des faits de terrorisme suffit à elle seule, à caractériser un risque de traitements contraires à la Convention en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.

36.  Il précise également que la levée de l’état d’urgence intervenue récemment en Algérie n’est pas de nature à modifier l’actualité du risque qu’il encourt car malgré le changement législatif, l’armée reste responsable de la lutte antiterroriste. Or, ce sont les pratiques de l’armée, notamment du département du renseignement et de la sécurité militaire (DRS), qui sont dénoncées dans les rapports précités.

37.  Il observe également que le Gouvernement ne dément pas avoir déjà pris des contacts avec les autorités consulaires algériennes pour les besoins de son éloignement. Il estime que celles-ci ont donc pu être informées de son renvoi et que par conséquent son interpellation à son arrivée à l’aéroport est désormais probable.

38.  Enfin, le requérant n’est pas convaincu par l’argument du Gouvernement selon lequel le risque de mauvais traitements serait anéanti par l’application à son égard de la charte algérienne pour la paix et la réconciliation nationale. Il estime qu’il appartient au Gouvernement français d’apporter des garanties sur ce point, ce qu’il n’a pas fait.

39.  Par conséquent, il considère que le risque de mauvais traitements en Algérie est avéré et conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

40.  Le Gouvernement souligne que l’existence d’un risque de mauvais traitements à l’encontre du requérant a été examinée tant par les autorités préfectorales que par les juridictions administratives et les instances compétentes en matière d’asile. Ces examens successifs n’ont pas permis de conclure à l’existence d’un tel risque.

41.  Il reconnaît l’appartenance du requérant à un mouvement terroriste, mais entend contester son appartenance à un groupe qui serait systématiquement exposé à un risque de mauvais traitements en Algérie.

42.  Il soutient notamment qu’à la différence de l’affaire Daoudi c. France, le requérant n’est pas soupçonné d’être impliqué dans le terrorisme international et que la publicité médiatique autour de son retour en Algérie, pouvant notamment intéresser les services algériens de lutte contre le terrorisme, sera par conséquent moindre que dans cette affaire, limitant ainsi les risques pour le requérant. Le Gouvernement relève notamment qu’en l’espèce, la seule condamnation du requérant en France porte sur des faits de contrefaçon de monnaie et qu’il n’a jamais été condamné pour des faits liés au terrorisme dans un autre Etat que l’Algérie. Il considère donc que la condamnation du requérant en France n’a pas attiré l’attention des médias internationaux, ni celle des autorités algériennes, qui n’ont d’ailleurs émis aucun avis de recherche le concernant.

43.  Le Gouvernement pointe une seconde différence avec l’affaire Daoudi concernant l’applicabilité de la charte algérienne pour la paix et la réconciliation nationale. Si la Cour a conclu que les dispositions de cette charte n’étaient pas applicables dans les circonstances de l’affaire Daoudi, le Gouvernement estime qu’il en va autrement en l’espèce puisque les conditions de son application sont remplies. Il souligne que le champ d’application de la charte est limité aux faits commis sur le territoire algérien, ce qui est le cas des faits pour lesquels le requérant a été condamné par les juridictions algériennes. Au demeurant, si cette condamnation est intervenue avant l’adoption de la charte, le Gouvernement relève qu’elle contient des dispositions permettant de gracier des faits préexistants.

44.  Le Gouvernement considère également que le fait que l’un des coaccusés du requérant, le seul qui se soit présenté à son procès, ait bénéficié d’un non-lieu sur la base de la loi de concorde civile de 2000 confirme l’analyse selon laquelle le requérant n’appartient pas à un groupe systématiquement exposé à des traitements contraires à l’article 3.

45.  En ce qui concerne la levée de l’état d’urgence, le Gouvernement relaye l’avis de juristes algériens consultés par son ambassade à Alger. Selon ces derniers, cette levée signifiera une plus grande attention portée à l’état de droit dans la mesure où l’état d’urgence ne constituera plus un prétexte permettant de s’affranchir des textes protégeant les droits et libertés.

46.  Quant aux risques encourus de la part des terroristes qu’il a dénoncés, le Gouvernement considère qu’ils ne sont pas suffisamment étayés pour permettre de conclure à leur réalité.

47.  Au vu de ces éléments, le Gouvernement conclut au caractère infondé du grief.

2.  Appréciation de la Cour

48.  En ce qui concerne les principes généraux applicables en pareille matière la Cour renvoie aux arrêts Saadi c. Italie ([GC], no 37201/06, §§ 124-133, CEDH 2008‑...) et Daoudi c. France (no 19576/08, § 64, 3 décembre 2009).

49.  Eu égard à la prohibition absolue de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants établie par la Convention, il revient à la Cour d’évaluer le risque d’exposition à de tels traitements encouru par le requérant en cas de renvoi vers l’Algérie, selon les critères rigoureux établis par sa jurisprudence (Saadi, précité, § 142).

50.  Le requérant n’ayant pas été éloigné, mais assigné à résidence sur le territoire français, la Cour prend en considération pour cet examen la date de la procédure se déroulant devant elle (Daoudi, précité, § 67).

51.  En ce qui concerne la situation en Algérie, la Cour renvoie également aux développements de l’arrêt Daoudi précité. Elle constate également que depuis cet arrêt et jusqu’au mois de février 2011, la situation en Algérie a peu évolué comme en témoigne le contenu de divers rapports internationaux publiés au cours de cette période (paragraphes 28 à 31 ci‑dessus).

52.  S’agissant des risques de représailles encourus par le requérant de la part des terroristes qu’il a dénoncés, la Cour constate que le requérant a fait état d’un tel risque dans le cadre de sa requête, mais qu’il ne l’a pas repris dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement. Elle observe également que la dénonciation du requérant est intervenue en 1998 et que jusqu’en décembre 2009 le requérant n’a, à aucun moment, fait état de menaces ou de violences de la part de ces terroristes, sur sa personne ou à l’encontre des membres de sa famille restés en Algérie. Ce n’est qu’à l’occasion de la demande de réexamen de sa situation formulée depuis le centre de rétention, que le requérant a mentionné pour la première fois une tentative d’intimidation sur les membres de sa famille. Au demeurant, l’OFPRA a estimé que les explications fournies par le requérant à propos de cette intimidation ne permettaient pas d’accréditer la réalité des menaces qui pèseraient sur lui et sur sa famille.

53.  Dès lors, la Cour estime que le requérant a failli à démontrer l’existence d’un risque réel et actuel auquel il serait exposé de la part des terroristes qu’il a dénoncés.

54.  S’agissant du risque encouru de la part des autorités algériennes, la Cour observe qu’à la différence de l’affaire Daoudi, le requérant n’a pas été condamné en France pour des faits liés au terrorisme, mais pour des faits de contrefaçon de monnaie. S’il est effectivement probable que cette condamnation n’a pas attiré l’attention des médias internationaux, ni celle des autorités algériennes comme le soutient le Gouvernement, la Cour ne peut pas pour autant conclure à l’absence de risque pour le requérant en cas de retour en Algérie. Elle constate qu’il a été jugé et condamné en 1999, par contumace, par les juridictions algériennes à une lourde peine, à savoir la réclusion à perpétuité pour des faits de « création et fondation d’un groupe terroriste et tentative de meurtre sur les hommes de la sûreté nationale ». Or, la Cour a déjà conclu à l’existence d’un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention pour les personnes impliquées dans des faits de terrorisme. Celles-ci sont en effet susceptibles d’être arrêtées et détenues par le DRS, de façon peu prévisible et sans une base légale clairement établie, essentiellement afin d’être interrogées pour obtenir des renseignements, et non dans un but uniquement judiciaire (voir Daoudi, précité, § 70). Ainsi, de l’avis de la Cour, la seule condamnation du requérant dans son pays de renvoi pour des faits liés au terrorisme suffit à attirer l’attention des autorités algériennes à son arrivée à l’aéroport.

55.  Le Gouvernement soutient que le risque encouru par le requérant ne serait pas systématique compte tenu de son profil. Il fait notamment valoir que l’un de ses coaccusés, également poursuivi pour ses activités liées au terrorisme, a bénéficié d’un non-lieu en application de la loi sur la concorde civile de 2000 et que le requérant peut prétendre à l’amnistie en vertu de la charte pour la paix et la réconciliation nationale.

56.  La Cour ne partage pas cette analyse. Elle constate que pour bénéficier des dispositions de la loi sur la concorde civile, les personnes ayant été impliquées dans des actions de terrorisme doivent aviser les autorités compétentes qu’elles cessent toute action liée au terrorisme et se présenter à ces autorités (paragraphe 19 ci-dessus). Or, si la participation du requérant à des activités liées au terrorisme n’a pas été établie depuis sa condamnation en Algérie, il est manifeste qu’il ne s’est pas présenté aux autorités de son pays. Il ne paraît donc pas pouvoir prétendre à une exonération des poursuites sur la base de ce texte.

57.  De même, la Cour constate que l’ordonnance portant mise en œuvre de la charte pour la réconciliation nationale prévoit l’extinction de l’action publique pour les personnes condamnées, comme le requérant, sur le fondement de l’article 87 bis 3 du code pénal algérien et qui, dans un délai maximum de six mois à compter de sa publication, se présentent volontairement aux autorités compétentes, cessent de commettre des faits liés au terrorisme et remettent les armes, munitions, explosifs et tout autre moyen en leur possession (voir paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Or, là encore, il est manifeste que le requérant ne s’est pas présenté aux autorités de son pays dans le délai fixé par ce texte. Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, le requérant ne remplit donc pas les conditions posées par ce texte pour pouvoir prétendre à l’extinction de l’action publique.

58.  Compte tenu de ce qui précède, et eu égard en particulier au profil de l’intéressé qui n’est pas seulement soupçonné de liens avec le terrorisme, mais a fait l’objet d’une condamnation à perpétuité par les autorités algériennes, la Cour est d’avis qu’il est vraisemblable qu’en cas de renvoi vers l’Algérie avant la levée de l’état d’urgence, il aurait pu devenir une cible pour le DRS (voir, mutatis mutandis, Daoudi, précité, § 71).

59.  Reste à déterminer si, malgré la levée de l’état d’urgence le 23 février 2011, les risques encourus par le requérant demeurent avérés.

60.  Sous l’empire de ce régime d’exception, l’armée ainsi que les autorités civiles (ministère de l’Intérieur notamment) étaient en charge de la lutte contre le terrorisme. Plusieurs organisations internationales ont rapporté des cas de traitements contraires à l’article 3 de la Convention commis à l’encontre de personnes suspectées de liens avec le terrorisme, en particulier par les militaires du DRS qui recouraient systématiquement à la torture, à des exécutions extra judiciaires ou des disparitions forcées pour mener à bien leur activité de renseignement (voir Daoudi, précité, §§ 37 et 70).

61.  La Cour constate que si le Gouvernement affirme avoir consulté des juristes algériens sur ce point, il ne précise pas les conditions de cette consultation ni l’identité et les fonctions exactes de ces juristes. La Cour n’est par conséquent pas en mesure de s’assurer de leur indépendance vis‑à‑vis du pouvoir en place ni de la fiabilité de leurs déclarations.

62.   En raison du caractère récent de la levée de l’état d’urgence, la Cour ne dispose d’aucun élément concret permettant d’infirmer ou de confirmer cette pratique. Elle relève toutefois qu’en vertu de l’ordonnance no 11‑03 (§ 24 ci-dessus) et du décret no 11-90 (paragraphe 25 ci‑dessus), la lutte contre le terrorisme en Algérie est désormais exclusivement confiée à l’armée. En outre, selon le communiqué de presse du Conseil des ministres algérien (paragraphe 26 ci-dessus), les nouvelles dispositions applicables « n’instaureront aucune situation nouvelle mais permettront, par contre, la poursuite de la participation de l’armée nationale populaire à la lutte contre le terrorisme jusqu’à son terme ».

63.  Compte tenu de la compétence désormais exclusive de l’armée dans la lutte contre le terrorisme et de la volonté clairement énoncée de poursuivre les pratiques antérieures, il est fort probable que ces dernières perdurent et que le DRS, qui fait partie de l’armée algérienne, continue de recueillir des renseignements auprès des personnes suspectées de liens avec le terrorisme, ou condamnées pour de tels faits, en usant des méthodes dénoncées par les rapports internationaux susmentionnés (voir paragraphes 27 à 31 ci‑dessus).

64.  Ainsi, la Cour estime, au vu du profil du requérant, et notamment des liens avec le terrorisme pour lesquels il a été condamné par les juridictions algériennes, qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’espèce, un risque réel qu’il soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités algériennes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.

65.  Par conséquent, la décision de renvoyer le requérant vers l’Algérie emporterait violation de cette disposition si elle était mise à exécution.

II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ À L’ARTICLE 3

A.  Sur l’effectivité de la demande de réexamen

66.  Le requérant considère que la procédure de réexamen de sa demande d’asile n’était pas effective dans la mesure où elle a été traitée par voie prioritaire, c’est-à-dire dans des délais raccourcis. Il invoque l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3. La première de ces dispositions se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

67.  La Cour a déjà estimé que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas le requérant d’un examen circonstancié de sa situation dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale (Sultani c. France, no 45223/05, §§ 64-65, CEDH 2007).

68.  La Cour observe qu’en l’espèce, il s’agissait de la troisième demande d’asile du requérant, les deux premières ayant été examinées selon la procédure normale en 2001 par l’OFPRA et en 2003 par l’OFPRA et la CRR. Dans la mesure où le requérant ne conteste aucunement le caractère effectif de l’examen de ses deux premières demandes d’asile, le simple fait que la troisième d’entre elles ait été traitée selon une procédure prioritaire et donc dans des délais restreints, ne saurait, à lui seul, permettre à la Cour de conclure à l’ineffectivité de l’examen mené.

69.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B.  Sur l’effectivité du recours contre les arrêtés préfectoraux

70.  Le requérant considère ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour contester les arrêtés préfectoraux le concernant dans la mesure où les recours devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat étaient dépourvus d’effet suspensif. Il invoque également l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.

1.  Thèses des parties

71.  Le Gouvernement considère en premier lieu que les voies de recours ne sont pas épuisées. Il observe notamment que ce grief n’a pas été soulevé devant la Cour, ni lors de l’introduction de la demande d’application d’une mesure provisoire, ni dans la requête au fond introduite par le requérant.

72.  A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle qu’en vertu de la législation applicable un arrêté de reconduite à la frontière peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le tribunal administratif et que ce recours est suspensif lorsqu’il est accompagné d’un recours contre la décision fixant le pays de renvoi, ce qui est le cas en l’espèce. Il considère par conséquent que le requérant a disposé devant le tribunal administratif d’un recours effectif et suffisant au regard de l’article 13 de la Convention. Selon lui, le fait que le reste de la procédure, devant la cour administrative d’appel et le Conseil d’Etat, ne soit pas suspensif n’est pas de nature à enfreindre cette disposition. Il rappelle notamment que l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 53, CEDH 2007‑V).

73.  Le requérant répète que l’absence d’effet suspensif aux recours devant la cour administrative d’appel et devant le Conseil d’Etat prive ces recours d’efficacité car l’administration peut mettre les mesures de renvoi à exécution avant que ces juridictions n’aient examiné lesdits recours.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur l’exception d’irrecevabilité présentée par le Gouvernement

74.  La Cour constate que dans son formulaire de requête, le requérant précise qu’en l’état de la procédure devant les juridictions françaises, « il ne dispose (...) plus d’aucun recours suspensif à l’encontre de la mesure d’éloignement (...). [L]e recours devant la cour administrative d’appel n’étant pas suspensif d’exécution de la mesure d’éloignement, il ne [lui] permettr[a] pas de disposer de la protection escomptée ». Au vu de cette formulation, elle considère que le grief du requérant a été soulevé devant elle, au moins en substance, et rejette l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement sur ce point.

b)  Principes généraux

75.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, et Gebremedhin, précité, § 53).

76.  Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale et un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (voir, parmi d’autres, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III, et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 293, 21 janvier 2011).

77.  En outre, la Cour rappelle que l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi beaucoup d’autres, Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 75, CEDH 2002‑I).

c)  Application au cas d’espèce

78.  La Cour constate que le grief du requérant se limite à l’absence d’effectivité de la procédure en appel et en cassation pour contester l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, faute d’effet suspensif de ces recours.

79.  Or, elle ne peut que constater que le requérant avait à sa disposition un recours de plein droit suspensif devant le tribunal administratif, qu’il a d’ailleurs exercé. Ce recours lui ayant permis de faire examiner son grief tiré de l’article 3 de la Convention, la Cour estime que les exigences de l’article 13 sont satisfaites en l’espèce.

80.  Partant, le grief fondé sur les articles 3 et 13 combinés est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

81.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

82.  Le requérant rappelle que si les autorités nationales avaient reconnu dès le mois d’octobre 2009, le risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention, il aurait bénéficié d’un titre de séjour qui lui aurait permis de rester légalement sur le territoire français et de disposer des droits sociaux auxquels toute personne en séjour régulier peut disposer, par exemple, le droit de travailler. Il estime également avoir subi un préjudice moral en raison de sa situation. Il réclame par conséquent au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi, le versement d’une somme de 1 000 euros (EUR) par mois jusqu’au jour où la Cour statuera.

83.  Le Gouvernement considère que l’application d’une mesure provisoire n’impose aucune obligation à la charge de l’Etat défendeur autre que celle de respecter ladite mesure. En particulier, elle n’implique pas l’octroi de droits sociaux. Il n’aperçoit pas de lien de causalité entre les sommes réclamées par le requérant et le préjudice allégué et souligne que ces sommes ne sont pas justifiées. Il considère par conséquent que le constat de violation constituerait, en soi, une satisfaction équitable suffisante.

84.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. Eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation potentielle de l’article 3 de la Convention constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.

B.  Frais et dépens

85.  Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour et fournit une facture correspondant à cette somme.

86.  Le Gouvernement estime que la somme de 1 000 EUR demeurerait raisonnable pour couvrir les frais engagés par le requérant.

87.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

88.  En l’absence de note d’honoraires au dossier pour la défense du requérant devant les autorités nationales, la Cour décide de ne rien allouer à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit que la mise à exécution de la mesure de renvoi du requérant vers l’Algérie emporterait violation de l’article 3 de la Convention ;

 

3.  Dit

a)  que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

     Claudia Westerdiek                                                         Dean Spielmann          Greffière         Président



[1] Rectifié le 16 janvier 2012 : le texte était le suivant : « A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64780/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, H.R. (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). »


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