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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CHERVENKOV v. BULGARIA - 45358/04 - HEJUD (French text) [2012] ECHR 1985 (27 November 2012)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2012/1985.html
Cite as: [2012] ECHR 1985

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CHERVENKOV c. BULGARIE

     

    (Requête no 45358/04)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    27 novembre 2012

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Chervenkov c. Bulgarie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

              Ineta Ziemele, présidente,
              David Thór Björgvinsson,
              Päivi Hirvelä,
              George Nicolaou,
              Ledi Bianku,
              Zdravka Kalaydjieva,
              Vincent A. De Gaetano, juges,
    et de Lawrence Early, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45358/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Zhivko Tonev Chervenkov (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 décembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été est représenté par Mes S. Stefanova et M. Ekimdjiev, avocats à Plovdiv. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

  3. .  Le 5 janvier 2009, le président de l’ancienne cinquième section a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs formulés sur le terrain des articles 3, 8 et 13 et portant sur les conditions de détention du requérant, le contrôle de sa correspondance et l’absence alléguée d’un recours interne susceptible de remédier à ses griefs. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

  4. .  Le 1er février 2011, la Cour a modifié la composition de ses sections. L’affaire a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1969. Il purge actuellement une peine à la prison de Burgas.
  7. A.  Les conditions de détention du requérant


  8. .  Le 5 novembre 1996, le requérant fut détenu à la prison de Burgas en exécution d’une condamnation à peine de réclusion criminelle à perpétuité.

  9. .  L’intéressé fut soumis au « régime spécial » (специален режим), soit le régime le plus sévère de détention qui était appliqué à toute personne purgeant la peine de réclusion criminelle à perpétuité. En vertu de ce régime, il fut détenu seul dans une cellule de 1,90 m de large et 3,20 m de long. Selon lui, la lumière du jour n’entrait que par une ouverture de 30 cm sur 40 cm située sur le mur près du plafond. Le requérant expose que la cellule, très humide, ne pouvait être suffisamment éclairée et aérée. En hiver, le chauffage était mis en fonction trois fois par jour pendant une heure.

  10. .  En raison de son régime de détention, la cellule du requérant était fermée à clef tout le temps, à l’exception de la promenade quotidienne et le temps de se rendre aux sanitaires. Il dit qu’il n’avait pas de contact avec d’autres détenus, si ce n’était que pendant la seule activité hors cellule que constituait la promenade quotidienne d’une heure.

  11. .  Pendant l’application du « régime spécial », le requérant pouvait recevoir des visites dans un parloir sous le contrôle d’un administrateur de la prison. Le requérant et le visiteur étaient séparés par grillage serré. L’intéressé devait impérativement rester assis. Sa mère lui rendait visite deux fois par mois pendant quarante-cinq minutes.

  12. .  L’intéressé affirme qu’il n’y avait ni eau courante, ni toilettes dans la cellule. Il n’avait pas accès aux toilettes et devait effectuer ses besoins dans un seau en plastic placé dans la cellule. Il était autorisé à sortir trois fois par jour pour vider le seau et se laver les mains. Il avait accès aux douches une fois toutes les deux semaines.

  13. .  Selon le requérant, la nourriture était de mauvaise qualité et en quantité insuffisante. Il recevait un plat contenant une petite portion de viande une fois par semaine. Les autres jours, le menu comprenait des soupes de haricots, de lentilles, de choux ou de pommes de terre, ainsi que 250g de pain par repas.

  14. .  Le requérant expose par ailleurs qu’il avait développé un ulcère gastrique en raison de la nourriture et que sa vision s’était affaiblie faute de lumière de jour suffisante. Il devait attendre plusieurs jours avant de voir un médecin et affirme qu’il ne recevait pas de médicaments appropriés à son état de santé.

  15. .  Par un courrier du 12 janvier 2005 adressé au ministre de la Justice, le requérant demanda d’être transféré à la prison de Pazardzhik indiquant que les conditions de vie à la prison de Burgas étaient difficiles.

  16. .  L’intéressé a présenté une déclaration datée du 4 janvier 2005, signée par une autre personne détenue à Burgas dans le régime des prisonniers purgeant la peine de réclusion à perpétuité, un certain S. P. Dans sa déclaration, ce dernier dénonce l’isolement social, les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence d’eau courante dans les cellules, l’utilisation de seaux hygiéniques en plastique, et la qualité et la quantité insuffisantes de la nourriture.

  17. .  Il ressort des éléments du dossier que le régime d’exécution de la peine du requérant a été modifié en juin 2007 lorsque celui-ci fut placé sous l’application du « régime strict » (строг режим).

  18. .  Dans des communications adressées à la Cour début 2012, le Gouvernement indique que depuis 2007, le requérant fut placé dans une cellule des parties ordinaires de la prison qu’il partageait avec un autre prisonnier. Il aurait accès à une salle de bain et à un cabinet WC communs entre 6 heures et 20 heures. La cellule n’aurait été fermée à clef que pendant la nuit. Un seau en plastique y aurait été placé pour une éventuelle utilisation au cours de la nuit, et il aurait été nettoyé et désinfecté tous les matins. Enfin, le requérant exercerait un emploi au sein du personnel de la cantine, étant chargé du nettoyage. Le requérant ne conteste pas ces modifications du régime de détention à partir de 2007.
  19. B.  La correspondance du requérant


  20. .  Par une communication du 6 décembre 2005, l’avocate du requérant expose qu’en janvier 2005, celui-ci se vit remettre un pli décacheté de la Cour contenant une lettre en date du 22 décembre 2004. La lettre portait la date de réception et le tampon de la prison.

  21. .  Par ailleurs, le 19 mai 2005, le requérant adressa à son avocate une lettre que celle-ci reçut sous pli décacheté et accompagnée d’un formulaire prérempli de l’administration de la prison indiquant que le courrier comportait une requête de la part de l’intéressé.

  22. .  Le 28 juin 2005, l’avocate du requérant adressa à celui-ci une lettre qui fut réceptionnée par les services pénitentiaires le 29 juin 2005. N’ayant pas reçu de réponse de la part du requérant, la représentante de ce dernier lui envoya un nouveau courrier le 12 août 2005. Celui-ci fut réceptionné par la prison le 15 août 2005. Le requérant ne répondit pas à ces courriers.

  23. .  L’avocate de celui-ci adressa, par lettre recommandée, cinq courriers à l’intéressé entre les mois de février et juillet 2009, en relation avec la présente requête. N’ayant pas reçu de réponse, le 10 juillet 2009, elle demanda à la direction générale chargée de l’exécution des peines auprès du ministère de la Justice d’effectuer une vérification pour savoir si le requérant recevait ses courriers. Elle n’obtint pas de réponse. Le même jour, elle adressa une demande dans le même sens au directeur de la prison de Burgas. Par une lettre du 20 juillet 2009, ce dernier répondit que le requérant avait reçu toutes les lettres envoyées. Toutefois, dans une conversation avec le directeur, ce dernier aurait déclaré qu’il ne souhaitait plus maintenir sa requête devant la Cour, ni correspondre avec son avocate. Le directeur joignit à son courrier une déclaration à son attention dans ce sens, signée par le requérant le même jour. Le Gouvernement présente une lettre du requérant à l’adresse de son avocate datée et signée le 20 juillet 2009 également. Il disait avoir reçu toutes ses lettres, mais comme il ne voulait plus poursuivre sa requête, il ne leur avait pas répondu. Il refusait également de signer le contrat de représentation pour les mêmes motifs et déclara qu’il ne lui était pas interdit de téléphoner.

  24. .  Le 24 juillet 2009, le requérant adressa un courrier à ses avocats contenant un contrat portant sur sa représentation devant la Cour dans la présente affaire, ainsi qu’une déclaration selon laquelle il souhaitait qu’en cas d’octroi d’une somme au titre de frais et dépens, la Cour ordonne son versement sur le compte bancaire de ses avocats.

  25. .  Le Gouvernement présente une déclaration du requérant en date du 9 janvier 2012 adressée au ministère de la Justice. Selon le texte de ce document, il ne maintenait pas les allégations portées contre la Bulgarie, y compris la prison de Burgas, et ne souhaitait pas que sa requête soit examinée, compte tenu de l’amélioration de sa situation.
  26. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  27. .  La législation applicable au régime d’exécution des peines de réclusion à perpétuité est résumée dans l’arrêt Kashavelov c. Bulgarie (no 891/05, §§ 20-22, 20 janvier 2011).

  28. .  En particulier, selon l’article 127b de la loi sur l’exécution des peines de 1969, dans sa rédaction de 1999, en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité ordinaire, le tribunal devait ordonner le placement du condamné sous le régime le plus sévère, dit « régime spécial ». Le prisonnier placé sous ce régime était isolé dans une cellule individuelle constamment fermée à clef et maintenu sous surveillance renforcée (article 56 du règlement d’application de la loi). Une modification apportée en 2002, l’article 127b, alinéas 2 et 4 prévoyait que les personnes condamnées à la réclusion à perpétuité, pouvaient être placées sous un régime moins sévère après une période de cinq ans après l’entrée en vigueur de cette modification. La décision était prise par une commission pénitentiaire qui évaluait le comportement de l’intéressé.

  29. .  Les différents régimes pénitentiaires déterminant les modalités d’exécution des peines privatives de liberté, y compris le régime spécial, étaient définis par les articles 49 à 65 du règlement d’application de la loi sur l’exécution des peines.

  30. .  Le 1er juin 2009, ladite loi fut remplacée par une nouvelle loi sur l’exécution des peines, qui reprenait les dispositions concernant l’exécution des peines perpétuelles. Le règlement d’application de la nouvelle loi définit les différents régimes pénitentiaires, y compris le régime spécial, et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté (articles 47 à 54).

  31. .  Le droit interne pertinent en matière de correspondance des prisonniers est résumé dans l’arrêt Iliev et autres c. Bulgarie (nos 4473/02 et 34138/04, §§ 25-31, 10 février 2011).
  32. 28.  Le droit interne pertinent en matière de conversations téléphoniques des détenus est résumé dans l’arrêt Petrov c. Bulgarie (no 15197/02, § 24, 22 mai 2008).


  33. .  Les dispositions pertinentes de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди, titre modifié en 2006) et la jurisprudence des tribunaux relative à son application sont exposées dans l’arrêt Kirilov c. Bulgarie (no 15158/02, §§ 21-22, 22 mai 2008) et l’arrêt Radkov c. Bulgarie (no 2) (no 18382/05, §§ 25-26, 10 février 2011).

  34. .  Par ailleurs, dans un arrêt du 23 février 2009, la Cour suprême de cassation a considéré que le « régime spécial » d’exécution de la peine de réclusion à perpétuité découlait de la loi applicable et non d’actes de l’administration pénitentiaire contraires à la loi. Ce régime constituait une conséquence directe de la gravité de la peine. Dans ces circonstances, il n’y avait pas lieu de trouver que l’intéressé avait été soumis à des mauvais traitements et de lui accorder une indemnisation à cet égard (реш. № 82 от 23.02.2009 г. по гр. д. № 6452/2007, ВКС, III г. о.).
  35. III.  LES TRAVAUX PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

    A.  Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT)


  36. .  Les délégués du CPT ont effectué des visites de la prison de Burgas en 1999 et 2002.
  37. 1.  Le rapport publié le 28 janvier 2002 sur la visite effectuée par le CPT du 25 avril au 7 mai 1999


  38. .  Aux termes de ce rapport les cellules de la prison de Burgas étaient surpeuplées et dépourvues d’électricité pendant la plus grande partie de la journée. Aucune cellule ne disposait d’installations sanitaires et, pendant la journée, les détenus avaient accès aux sanitaires collectifs avant les repas. Aux autres moments de la journée ainsi que la nuit, ils devaient recourir à des seaux hygiéniques. Il arrivait que l’accès aux installations de douche fût limité à une fois par mois ou une fois tous les deux mois. L’eau des douches était souvent froide. Selon de nombreux détenus, la nourriture de la prison était insuffisante tant en quantité qu’en qualité.

  39. .  La prison de Burgas hébergeait un certain nombre de détenus soumis à un régime spécial de sécurité en raison de leur peine (détenus condamnés à la réclusion à perpétuité), de leur dangerosité estimée ou de leur comportement perturbateur. Le CPT s’est dit gravement préoccupé par les conditions dans lesquelles ces détenus étaient incarcérés. Les cellules de l’unité dans laquelle ceux-ci avaient été placés avaient une surface d’environ 6 m² et étaient équipées d’un lit ou de deux lits superposés, d’une armoire et d’un tabouret. L’accès à la lumière du jour et à l’air frais était médiocre, les fenêtres des cellules étant obstruées par des plaques métalliques fixées en biais sur le mur extérieur. En outre, l’éclairage artificiel était très faible (à peine suffisant pour lire dans certaines des cellules) et il restait allumé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par ailleurs, les détenus s’étaient plaints du fait que les cellules avaient tendance à devenir très froides en hiver.

  40. .  Les seuls moments que les détenus condamnés à perpétuité passaient en dehors de leur cellule étaient l’heure quotidienne de promenade et les brèves visites aux sanitaires. Pendant la promenade, il leur était interdit de communiquer avec les autres détenus, aussi marchaient-ils en silence, en rang, les mains derrière le dos. Certains détenus avaient des livres, des journaux et des radios dans leur cellule; d’autres n’avaient quasiment rien. Les détenus placés à l’isolement n’avaient pas le droit de se rendre à la bibliothèque, n’avaient aucune possibilité de travailler ou de faire des études, et ils n’avaient droit qu’à très peu de contacts humains.

  41. .  Enfin, de nombreux détenus s’étaient plaints de la qualité du traitement médical reçu.
  42. 2.  Le rapport publié le 24 juin 2004 sur la visite effectuée par le CPT du 17 au 26 avril 2002


  43. .  Lors de sa deuxième visite de la prison de Burgas, le CPT a constaté certaines améliorations dans la condition des condamnés à la réclusion à perpétuité. Le secteur dans lequel ces personnes étaient détenues avait été rénové. Les volets des fenêtres des cellules avaient été enlevés, ce qui permettait d’améliorer nettement la ventilation et l’accès à la lumière naturelle. De nouveaux équipements avaient été livrés et chaque cellule (de 6 m²) allait se voir équipée d’un lit, d’une table, d’une chaise, d’un tableau d’information et d’une armoire.

  44. .  Par ailleurs, le CPT a constaté l’existence de projets d’intégration progressive des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité au régime carcéral ordinaire. Ces projets prévoyaient, en application des modifications apportées à la loi sur l’exécution des peines, que la commission créée dans chaque prison afin de se prononcer sur le régime des détenus pourrait décider, sur la base d’une évaluation du risque individuel, de transférer des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité dans des unités ordinaires en leur donnant le droit de travailler et de participer aux activités éducatives, sportives ou autres.

  45. .  Par ailleurs, le CPT a relevé que les détenus étaient dorénavant autorisés à téléphoner. Toutefois, il a noté qu’ils se plaignaient de l’absence d’occasions de se rencontrer entre eux et de rencontrer les autres détenus. Selon eux, la brièveté de la communication interpersonnelle pendant les périodes d’exercice en plein air et les activités de loisir ou sportives ne permettait pas d’établir de véritables contacts humains.

  46. .  Les détenus ne pouvaient aller aux toilettes que trois fois par jour. Le reste du temps, ils devaient utiliser un seau dans leur cellule.

  47. .  S’agissant de la nourriture, l’allocation alimentaire journalière était de 0,98 lev (0,49 euro) par détenu et devait être complétée par les produits tirés de l’exploitation agricole de la prison.

  48. .  D’une façon générale, le CPT a recommandé que les autorités bulgares continuent de développer le régime applicable aux personnes condamnées à la réclusion à perpétuité en les intégrant avec les détenus au régime carcéral ordinaire, conformément aux modifications à la Loi sur l’exécution des peines susmentionnées. Le CPT a également souhaité recevoir des informations sur l’utilisation en pratique par les commissions pénitentiaires de la possibilité de transférer des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité dans des unités ordinaires.
  49. 3.  D’autres rapports pertinents établis par le CPT


  50. .  Dans son rapport effectué suite à la visite en Bulgarie du 10 au 21 septembre 2006, et publié le 28 février 2008, le CPT a noté que dans une autre prison, celle de Pleven, le projet d’intégration progressive des détenus condamnés à perpétuité à la population générale de l’établissement a été lancé. Le CPT a indiqué qu’il s’agissait d’un exemple positif à suivre dans le reste des prisons du pays. Il a précisé que les critères officiels à réunir pour modifier le régime d’un condamné à perpétuité étaient d’avoir effectué au moins cinq ans dans le cadre d’un régime spécial (sans compter la durée de la détention provisoire), d’avoir une bonne conduite et de demander officiellement le changement de régime. Le CPT a souligné que, même si le placement à l’isolement dans un premier temps d’une personne qui attendait d’être condamnée à perpétuité ou qui commençait à purger une telle peine pouvait, dans un cas particulier, être considéré comme approprié en raison du risque évalué en l’occurrence, les personnes qui attendaient ou étaient déjà en train de purger une peine de réclusion à perpétuité ne devraient pas faire l’objet d’une politique systématique de ségrégation.

  51. .  Dans son rapport publié le 15 mars 2012, suite à sa visite en Bulgarie du 18 au 29 octobre 2010, le CPT a repris sa position à cet égard et a recommandé aux autorités bulgares de faire en sorte que la mise à l’écart des condamnés à perpétuité soit fondée sur une évaluation personnalisée du risque et s’applique aussi peu de temps que possible. Entre-temps, le CPT a demandé instamment aux autorités bulgares de s’efforcer d’augmenter le nombre des condamnés à perpétuité intégrés dans la population carcérale générale. En parallèle à ses recommandations concrètes concernant l’amélioration des conditions matérielles de vie dans les prisons visitées, le CPT recommande aux autorités bulgares, s’agissant des condamnés à perpétuité qui étaient détenus dans des unités spéciales, de continuer à développer leur régime d’activités, notamment en leur proposant davantage d’activités en commun (y compris des possibilités de travailler et de suivre une formation).
  52. B.  Les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe


  53. .  Les Règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, sont des recommandations adressées aux États membres quant aux normes minimales à respecter en milieu carcéral. Les États sont encouragés de suivre ces standards dans l’élaboration de leurs législations ainsi que de leurs politiques et pratiques et de diffuser ces recommandations de la façon la plus large possible et plus spécifiquement parmi les autorités judiciaires, le personnel pénitentiaire et les détenus. La partie pertinente de ces recommandations se lit ainsi :
  54. « Régime pénitentiaire

    25.1 Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré.

    25.2 Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux.

    25.3 Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus.

    (...)

    Mesures spéciales de haute sécurité ou de sûreté

    53.1 Le recours à des mesures de haute sécurité ou de sûreté n’est autorisé que dans des circonstances exceptionnelles.

    53.2 Des procédures claires, à appliquer à l’occasion du recours à de telles mesures pour tous détenus, doivent être établies.

    53.3 La nature de ces mesures, leur durée et les motifs permettant d’y recourir doivent être déterminés par le droit interne.

    53.4 L’application des mesures doit être, dans chaque cas, approuvée par l’autorité compétente pour une période donnée.

    53.5 Toute décision d’extension de la période d’application doit faire l’objet d’une nouvelle approbation par l’autorité compétente.

    53.6 Ces mesures doivent être appliquées à des individus et non à des groupes de détenus.».


  55. .  La partie pertinente de la Recommandation du Comité des Ministres du 9 octobre 2003 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée (Rec (2003) 23) se lit comme suit :
  56. « Principes généraux concernant la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée

    3. Il faudrait prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des condamnés à perpétuité et des détenus de longue durée, et en tenir compte pour établir des plans individuels de déroulement de la peine (principe d’individualisation).

    (...)

    7. Il faudrait prendre en considération le fait que les condamnés à perpétuité et les autres détenus de longue durée ne devraient pas être séparés des autres prisonniers selon le seul critère de leur peine (principe de non-séparation).

    (...)

    Sécurité et sûreté en prison

    (...)

    19. a. Les régimes pénitentiaires devraient être organisés de manière à pouvoir réagir avec souplesse aux modifications des exigences de sécurité et de sûreté.

    b. L’affectation au sein de prisons ou de quartiers spécifiques devrait se fonder sur une évaluation complète des risques et des besoins, et sur l’importance de placer les détenus dans un environnement qui, tenant compte de leurs besoins, permet de réduire tous types de risques.

    c. En raison de risques particuliers et de circonstances exceptionnelles, y compris des demandes de détenus eux-mêmes, il peut être nécessaire de recourir à une mesure de séparation de certains détenus. De sérieux efforts devraient être faits pour éviter la séparation des détenus, ou, si elle s’avère nécessaire, pour en réduire la durée.

    20. a. Les quartiers de haute sécurité ne devraient être utilisés qu’en dernier ressort et les affectations au sein de ces quartiers devraient être régulièrement réévaluées.

    b. Au sein des quartiers de haute sécurité, les régimes devraient distinguer entre la gestion des détenus dont le risque d’évasion est élevé, ou qui seraient dangereux si celle-ci réussissait, et celle des détenus qui font courir un risque aux autres détenus et/ou à ceux qui travaillent dans les prisons ou les visitent.

    c. Le régime des quartiers de haute sécurité devrait, tout en prenant en compte le comportement des détenus et les exigences en matière de sécurité, tendre à instaurer un climat détendu, à autoriser les contacts entre détenus, à assurer une liberté de mouvement au sein du quartier et à offrir une série d’activités.

    d. La gestion des détenus dangereux devrait s’inspirer des principes contenus dans la Recommandation no R (82) 17 relative à la détention et au traitement des détenus dangereux. ».

    IV.  LE RAPPORT ANNUEL DE 2011 DU COMITÉ BULGARE D’HELSINKI SUR LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN BULGARIE


  57. .  Dans ce rapport, le Comité bulgare d’Helsinki indique qu’au cours de l’année 2011, environ 860 à 880 prisonniers se trouvaient à la prison de Burgas, alors que la capacité de cet établissement comprenait 371 places. Les cellules étant fermées à clef pendant la nuit, les prisonniers étaient obligés d’utiliser le sceau hygiénique placé à côté des lits.
  58. EN DROIT

    I.  REMARQUE PRÉLIMINAIRE


  59. .  Le Gouvernement demande à la Cour de rayer la requête du rôle au motif que le requérant n’entend plus la maintenir. Il prend pour preuves les déclarations signées dans ce sens par le requérant le 20 juillet 2009 et le 9 janvier 2012, et adressées à l’attention du directeur de la prison et du ministère de la Justice, respectivement, ainsi que la lettre adressée à son avocate le 20 juillet 2009, dont le Gouvernement présente une copie (paragraphes 20 et 22 ci-dessus).

  60. .  L’avocate du requérant estime que ce dernier a rédigé les déclarations sous pression exercée par l’administration de la prison. Elle déclare n’avoir jamais reçu une communication de son client indiquant son souhait de ne plus maintenir sa requête. Elle s’appuie de plus sur le fait que l’intéressé lui a envoyé un courrier quatre jours après la déclaration du 20 juillet 2009. Dans ce courrier, il approuvait le travail de représentation effectué par ses avocats et exprimait son souhait que l’éventuelle allocation d’une somme par la Cour au titre de frais et dépens soit versée directement sur le compte de ses avocats (paragraphe 21 ci-dessus). Ainsi, selon son avocate, le requérant manifestait son intérêt pour la poursuite de sa requête.

  61. .  La Cour relève d’emblée que ni le requérant, ni ses représentants ne lui ont adressé une communication par laquelle le premier retirait ses allégations formulées devant elle. Compte tenu de ce constat et de l’ensemble des éléments en sa possession, y compris les arguments des parties à cet égard, la Cour ne peut établir que les circonstances donnent à penser que le requérant n’entend pas maintenir sa requête au sens de l’article article 37 § 1 a) de la Convention. Il convient donc de procéder à l’examen de la recevabilité et du fond de ses griefs.
  62. II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 et 13 DE LA CONVENTION


  63. .  Le requérant se plaint du régime et des conditions de sa détention à la prison de Burgas. Il allègue en outre que le droit interne ne lui offrait pas de recours effectif lui permettant de les dénoncer. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :
  64. Article 3

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Les thèses des parties


  65. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, considérant que le requérant pouvait obtenir une indemnisation en vertu de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat. Il indique que la jurisprudence en application de cette loi a été développée ces dernières années. Il s’appuie en effet sur une série de décisions internes adoptées à partir de 2005 et qui ont fait droit à des demandes de réparation pour le préjudice subi en raison de conditions de détention inadéquates.

  66. .  Dans ses observations présentées le 18 mai 2009, le Gouvernement ne conteste pas les conditions matérielles de vie telles qu’exposées par le requérant et admet qu’elles ne correspondaient pas aux exigences du Conseil de l’Europe, compte tenu des difficultés financières. Il estime que les restrictions spéciales, y compris l’isolation du requérant, ont été nécessaires eu égard à la peine de réclusion à perpétuité purgée par le requérant et ont été justifiées par le besoin de maintenir la sécurité dans la prison. Le Gouvernement soutient que les circonstances exposées ne permettent pas de conclure que le seuil de gravité exigé par l’article 3 ait été atteint dans la mesure où l’intéressé ne prouve pas que ces conditions aient provoqué chez lui des souffrances morales ou un sentiment d’humiliation. Dans ses observations complémentaires du début 2012, présentées à la demande de la Cour, le Gouvernement dit que les conditions matérielles de détention du requérant se sont considérablement améliorées depuis 2007, lorsqu’il a été déplacé dans une autre cellule (paragraphe 16 ci-dessus). Il tient pour preuve le fait que le requérant a présenté, devant l’administration de la prison, des déclarations selon lesquelles il n’entendait plus se plaindre devant la Cour (paragraphes 20, 22 et 47 ci-dessus).

  67. .  Le requérant réplique qu’il ne pouvait demander une indemnisation en vertu de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat pour l’application du « régime spécial » d’exécution de la peine de réclusion à perpétuité, car les modalités de ce régime auraient découlé directement des dispositions applicables du droit interne et non du fait de l’action ou de l’omission des organes de l’Etat. Se référant à l’arrêt de la Cour suprême de cassation citée au paragraphe 30 ci-dessus, l’intéressé soutient qu’il n’existe pas de jurisprudence interne prouvant le contraire. La jurisprudence à laquelle se réfère le Gouvernement concernerait uniquement, les conditions matérielles de détention.
  68. B.  L’appréciation de la Cour

    1.  Sur le grief tiré de l’article 3


  69. .  Compte tenu des allégations du requérant et de l’information présentée par les parties (voir paragraphes 6-16 ci-dessus), la Cour estime que, dans la présente affaire, elle est appelée à examiner la compatibilité des conditions de détention et du régime pénitentiaire de l’intéressé uniquement en ce qui concerne la période comprise entre 1996, quand le requérant a été incarcéré à la prison de Burgas, et 2007, quand son régime pénitentiaire a été modifié.
  70. a)  Sur la recevabilité


  71. .  La Cour a déjà examiné des griefs similaires à la situation du requérant, ainsi que la question des recours disponibles pour la période en question. Elle rappelle avoir déclaré dans d’autres affaires contre la Bulgarie que, à la suite du développement de la jurisprudence des tribunaux internes depuis 2003, l’action en réparation contre l’Etat pouvait être considérée comme un recours effectif dans pareille situation (Hristov c. Bulgarie (déc. partielle), no 36794/03, 18 mars 2008 ; Kirilov, précité, §§ 43-48 ; Shishmanov c. Bulgarie, no 37449/02, §§ 58-62, 8 janvier 2009 ; Georgiev c. Bulgarie (déc.), no 27241/02, 18 mai 2010, et Radkov, précité, § 37), sous réserve que la personne concernée, y compris les prisonniers purgeant une peine de réclusion à perpétuité, soit libérée ou placée dans des conditions conformes aux normes de la Convention (Radkov (no 2), précité, § 53). La Cour a ainsi précisé que dans la mesure où le recours en question ne pouvait qu’offrir une indemnisation et ne pouvait conduire à une amélioration du status quo, il ne représentait pas un recours permettant un remède adéquat dans les cas où les conditions de vie demeuraient inchangées (Radkov (no 2), précité, §§ 53 et 54). La Cour est parvenue à une conclusion similaire concernant l’effectivité des recours purement compensatoires dans une série d’affaires portées devant elle contre la Pologne (Orchowski c. Pologne, no 17885/04, § 109, 22 octobre 2009 ; Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116, 22 octobre 2009 ; Łatak c. Pologne (déc.), no 52070/08, §§ 77-85, 12 octobre 2010, et Łomiński c. Pologne (déc.), §§ 68-76, no 33502/09, 12 octobre 2010). Enfin, dans d’autres affaires, ce recours ne s’est pas avéré effectif compte tenu de l’approche formaliste des tribunaux internes (Iovtchev c. Bulgarie, no 41211/98, § 146, 2 février 2006, et (Radkov (no 2), précité, § 39).

  72. .  La Cour note en l’espèce que le Gouvernement ne conteste pas les affirmations du requérant que la loi et la jurisprudence interne ne permettent pas l’octroi d’une indemnisation en raison des restrictions du « régime spécial » de la détention.

  73. .  A la lumière de l’information fournie par les parties, la Cour n’estime pas établi au delà de tout doute raisonnable que les conditions de détention du requérant après 2007 se sont améliorées de manière à devenir compatibles avec les exigences de l’article 3 de la Convention (voir a contrario Iorgov c. Bulgarie (no 2), no 36295/02, §§ 65-66, 2 septembre 2010, et Oreshkov c. Bulgarie, no 11932/04, §§ 51 et 56, 6 mars 2012).
  74. 58.  Dans ces circonstances, le recours indemnitaire disponible en droit interne ne peut être vu comme capable d’offrir au requérant un remède quant à son régime pénitentiaire ou les conditions matérielles de détention entre 1996 et 2007. Dès lors, le requérant n’a pas été tenu d’épuiser ce recours et il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement à cet égard.


  75. .  La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  76. b)  Sur le fond


  77. .  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 50, Iorgov c. Bulgarie, no 40653/98, § 71, 11 mars 2004 et Piechowicz c. Pologne, no 20071/07, § 162, 17 avril 2012).

  78. .  Des mesures privatives de liberté impliquent souvent un élément de souffrance ou d’humiliation. Toutefois, l’on ne peut dire que la détention dans des établissements pénitentiaires de haute sécurité soulève en soi une question au regard de l’article 3 de la Convention. Ainsi, l’exclusion d’un détenu de la collectivité carcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux États parties à la Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l’égard des détenus dangereux. Destinés à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles (voir, par exemple, Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, §§ 80-82 et 138, CEDH 2006-IX, Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 42-54, CEDH 2000-X, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 103-109, CEDH 2000-IV, Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 78, 21 juillet 2005, Van der Ven, précité, §§ 26-31 et 50, et Csüllög c. Hongrie, no 30042/08, §§ 13-16, 7 juin 2011).

  79. .  Lorsque la Cour examine la conformité des conditions de détention aux exigences de l’article 3 de la Convention, elle doit prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

  80. .  Bien que l’interdiction des contacts avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline ou de protection puisse dans certaines circonstances être justifiée, un maintien à l’isolement, même relatif, ne saurait être imposé à un détenu indéfiniment. Il serait également souhaitable que des solutions alternatives à la mise à l’isolement soient recherchées pour les individus considérés comme dangereux et pour lesquels une détention dans une prison ordinaire et dans des conditions normales est considérée comme inappropriée (Ramirez Sanchez, précité, §§ 145-146, et Piechowicz, précité, § 164).

  81. .  De plus, afin d’éviter tout risque d’arbitraire, la décision de continuer une période prolongée de maintien en isolement doit reposer sur des motifs sérieux. Ainsi, il doit apparaître de cette décision que les autorités ont conduit un examen tenant compte des changements dans la situation du requérant ou dans son comportement. Plus le temps passe, plus ces motifs devraient être détaillés et argumentés. De même, l’isolement social, qui représente une forme « d’emprisonnement au sein de la prison », devrait être appliqué de manière exceptionnelle et seulement une fois que toutes les précautions ont été prises, comme indiqué dans le paragraphe 53.1 des Règles pénitentiaires européennes (Piechowicz, précité, § 165, et d’autres références qui s’y trouvent citées ; voir également paragraphe 44 ci-dessus).

  82. .  La Cour a aussi considéré que toute forme d’isolement qui n’est pas accompagné d’une stimulation mentale ou physique pourrait, à long terme, avoir des effets néfastes, résultant dans la détérioration des facultés mentales et des capacités sociales (Iorgov, précité, § 83, Csüllög, précité, § 30, et Piechowicz, précité, § 173).

  83. .  Les allégations de traitements contraires à l’article 3 doivent être prouvées « au-delà de tout doute raisonnable » et la preuve de ces traitements peut également résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 54, 2 décembre 2004). Dans l’établissement des faits pertinents, la Cour doit s’appuyer sur l’ensemble des éléments de preuve fournis par les parties ou qu’elle s’est, au besoin, procurés d’office (ibidem).

  84. .  En l’espèce, le requérant a décrit avec beaucoup de détails les conditions matérielles dans lesquelles il a été détenu (paragraphe 7-11 ci-dessus). Il a également présenté une déclaration datée de 2005 et signée par un autre détenu purgeant une peine de réclusion à perpétuité dans le même établissement pénitentiaire (paragraphe 14 ci-dessus). Cette déclaration corrobore les allégations du requérant concernant l’isolement social, l’absence d’hygiène suffisante, l’utilisation de seaux hygiéniques en plastique, et la qualité et la quantité insuffisantes des repas servis au prisonniers. Par ailleurs, les constats effectués par le CPT lors de ces visites de la prison de Burgas en 1999 et 2002 confirment ces allégations, même si certaines améliorations ont été notées en 2002 pour ce qui est du lancement d’un projet d’intégration des condamnés à la réclusion à perpétuité dans un autre établissement pénitentiaire en Bulgarie (paragraphes 37 et 42 ci-dessus). De plus, la Cour note que le rapport du Comité bulgare d’Helsinki de 2011 a indiqué également que la pratique du seau hygiénique existait toujours (paragraphe 46 ci-dessus).

  85. .  A cet égard, il convient de distinguer la présente espèce de l’affaire Iorgov (no 2), précitée, où la Cour a établi une évolution positive des conditions de détention et du régime pénitentiaire de l’intéressé (arrêt précité, §§ 65-66). Dans l’affaire qui lui est soumise, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas contesté la description faite par l’intéressé de ses conditions matérielles de détention à la prison de Burgas pendant la période comprise entre 1996 et 2007 (voir paragraphe 52 ci-dessus).

  86. .  Le Gouvernement ne conteste pas non plus le fait que la mesure d’isolement social accompagnait automatiquement l’exécution de la peine de réclusion à perpétuité. Il apparaît des communications du Gouvernement du début 2012 que cet isolement n’a pas été justifié pendant toute la période entre novembre 1996 et juin 2007. En effet, le requérant est demeuré sous le régime en question pendant plus de dix ans car le changement est intervenu cinq ans après l’entrée en vigueur de la modification de la loi sur l’exécution des peines (paragraphe 24 ci-dessus) et le Gouvernement n’indique pas que ce régime a été entretemps examiné en vue de son allègement. Ceci confirme le caractère automatique du régime pour la période de cinq ans après l’entrée de vigueur de la modification législative de 2002.

  87. .  La Cour a déjà constaté, à l’occasion de l’examen d’autres affaires dirigées contre la Bulgarie, que l’application prolongée d’un régime pénitentiaire restrictif, combinée avec les effets néfastes de conditions matérielles inadéquates en prison, avait pour résultat de soumettre les détenus à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (voir, mutatis mutandis, Iorgov, précité, § 86, 11 mars 2004, et Iordan Petrov c. Bulgarie, no 22926/04, § 128, 24 janvier 2012). A cet égard, le CPT a demandé que l’isolation repose sur une évaluation personnalisée et s’applique aussi peu de temps que possible (paragraphe 43 ci-dessus). Les recommandations pertinentes du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe vont dans le même sens (voir paragraphes 44 et 45 ci-dessus). Au vu des éléments qui lui sont soumis, la Cour considère que dans la présente affaire également le requérant a été soumis à un traitement inhumain et dégradant.

  88. .  Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef.
  89. 2.  Sur le grief tiré de l’article 13, combiné avec l’article 3


  90. .  Le requérant se plaint de l’absence en droit interne de voies de recours pour soumettre ses allégations relatives au caractère inhumain et dégradant des conditions de vie dans lesquelles il purgeait sa peine perpétuelle. Il invoque l’article 13 de la Convention, libellé comme suit :
  91. « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».


  92. .  Il considère qu’une action introduite en vertu de la loi sur la responsabilité de l’Etat ne saurait constituer une voie de recours effective permettant de se plaindre des mauvaises conditions de détention et du régime restrictif appliqué à la prison de Burgas (paragraphe 53 ci-dessus).

  93. .  En renvoyant à ces arguments présentés dans le paragraphe 51 ci-dessus, le Gouvernement conteste cette thèse.
  94. a)  Sur la recevabilité

    75.  La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    a)  Sur le fond


  95. .  La Cour note qu’en examinant l’objection de non-épuisement des voies de recours internes du Gouvernement, elle a considéré que le recours indemnitaire en application de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat n’était pas effectif pour remédier aux mauvaises conditions carcérales et au régime pénitentiaire restrictif du requérant entre 1996 et 2007 (paragraphe 58 ci-dessus).
  96. 77.  Elle rappelle aussi qu’elle a conclu que les conditions de détention et le régime pénitentiaire à la prison de Burgas pendant la même période étaient incompatibles avec les standards posés par l’article 3 (paragraphes 67-71 ci-dessus) et elle observe que le Gouvernement n’a invoqué aucune voie de recours permettant au requérant d’obtenir l’amélioration de sa situation entre 1996 et 2007. La Cour estime dès lors que la situation du requérant dans la présente affaire est identique à celle des requérants dans les affaires Iliev et autres, Radkov (no 2) et Iordan Petrov, précitées, et elle ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente sur l’absence de voies de recours internes effectives de celle qu’elle a formulée dans les arrêts précités.

    78.  Il y a donc eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 3 de la Convention concernant les mauvaises conditions de détention.

    III.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 8 ET 13 DE LA CONVENTION


  97. .  Le requérant se plaint également du contrôle de sa correspondance avec son avocate et du refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à avoir des conversations téléphoniques avec celle-ci. Il dénonce en outre l’absence de recours internes par le biais desquels il aurait pu se plaindre de ces griefs. Il invoque les articles 8 et 13 de la Convention.
  98. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 8 de la Convention se lisent comme suit :

    Article 8

    « 1.  Toute personne a droit au respect (...) de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


  99. .  Le Gouvernement fait valoir que le contrôle du courrier de l’intéressé était prévu par la loi et qu’il constituait une ingérence nécessaire dans le droit au respect de la correspondance de celui-ci justifiée par le besoin de protéger l’ordre public.
  100. A.  Sur la recevabilité


  101. .  La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  102. B.  Sur le fond


  103. .  La Cour observe que le Gouvernement a reconnu l’existence du contrôle systématique de la correspondance du requérant dans la présente affaire (paragraphe 80 ci-dessus). Elle rappelle de plus avoir fréquemment conclu à la violation de l’article 8 de la Convention dans des affaires introduites contre la Bulgarie concernant le contrôle systématique, par les autorités, de la correspondance des prisonniers avec leurs avocats (voir, parmi d’autres, Radkov c. Bulgarie, no 27795/03, § 20-22, 22 avril 2010, et Konstantin Popov c. Bulgarie, no 15035/03, § 17, 25 juin 2009).
  104. 83.  La Cour rappelle également avoir constaté que le contrôle de la correspondance des prisonniers ne résultait pas d’une décision individuelle prise par les autorités, mais de l’application directe du droit interne pertinent. Elle a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas de violation de l’article 13 de la Convention dans la mesure où cette disposition ne garantit pas le droit à un recours au travers duquel la législation d’un Etat contractant peut être contestée auprès d’une autorité nationale (Petrov, précité, § 65, et Konstantin Popov, précité, § 23).


  105. .  Ayant examiné l’ensemble des éléments du dossier, la Cour relève que le Gouvernement n’a pas exposé de circonstances ou d’arguments permettant de parvenir à un constat différent dans la présente affaire.

  106. .  Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention et à la non-violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 8.
  107. IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION


  108. .  Le requérant se plaint, au regard de l’article 34 de la Convention, d’avoir subi une entrave à l’exercice de son droit à un recours individuel en ce qu’il aurait rencontré des obstacles à sa communication avec son avocate.

  109. .  A la lumière de l’information dont elle dispose, la Cour n’est pas persuadée qu’il existe suffisamment d’éléments démontrant que l’exercice du droit de requête de l’intéressé a été entravé par les autorités de l’État défendeur. Partant, elle estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de ce grief (voir Charalambous et autres c. Turquie (déc.), no 46744/07, 3 avril 2012).
  110. V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    88.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  111. .  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi que 10 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 8 de la Convention et 3 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 13 de la Convention.

  112. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  113. .  La Cour considère que le requérant a subi un certain préjudice moral du fait des mauvaises conditions de détention et de l’absence de voies de recours internes à cet égard, ainsi que du contrôle systématique de sa correspondance. Statuant en équité comme le requiert l’article 41 de la Convention, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 000 EUR à ce titre.
  114. B.  Frais et dépens


  115. .  Le requérant demande également, justificatifs à l’appui, 3 710 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, dont 3 640 EUR pour frais de représentation et 70 EUR pour frais d’affranchissement et de traitement de la correspondance par ordinateur. Il demande à la Cour d’ordonner le versement de la somme allouée au titre des frais et dépens sur le compte bancaire de ses avocats.

  116. .  Le Gouvernement conteste ses prétentions.

  117. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour accorde à l’intéressé une somme forfaitaire de 2 000 EUR pour frais et dépens, toutes rubriques confondues, à verser sur le compte bancaire des avocats du requérant.
  118. C.  Intérêts moratoires


  119. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  120. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3, 8 et 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3, seul et combiné avec l’article 13 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 8 de la Convention ;

     

    5.  Dit qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen du grief tiré de l’article 34 de la Convention ;

     

    6.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

    i.  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire des avocats du requérant ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    7.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Lawrence Early                                                                       Ineta Ziemele
            Greffier                                                                              Présidente

     


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