DEUXIÈME
SECTION
AFFAIRE MEDICI ET AUTRES c. ITALIE
(Requête
no 70508/01)
ARRÊT
(Satisfaction
équitable)
STRASBOURG
4
décembre 2012
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions
définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme.
En l’affaire Medici et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme
(deuxième section), siégeant une chambre composée de :
Danutė Jočienė,
présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13
novembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 70508/01) dirigée contre la
République italienne et dont huit ressortissants de cet État, M. Pietro
Medici, Mme Elisabetta Medici, M. Vincenzo Medici, M. Filippo
Medici, M. Felice Medici, M. Giulio Medici, Mme Francesca Medici et
Mme Caterina Maria Strati (« les requérants »), ont
saisi la Cour le 30 septembre 2000 en vertu de l’article 34 de la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
(« la Convention »). Par une lettre du 19 juin 2008, le
représentant des requérants informait la Cour, que, d’après
l’acte de notoriété établi par un notaire le 18 juin 2008, Mme
Patrizia Medici, fille d’un des requérants et nièces des autres était la seule
titulaire de l’ensemble des droits patrimoniaux et non patrimoniaux découlant
de la Requête pendante devant la Cour.
. Par un arrêt
du 5 octobre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que
l’administration avait pu s’approprier du terrain des requérants au mépris des
règles régissant l’expropriation en bonne et due forme, sans qu’une indemnité
soit mise en parallèle à la disposition des intéressés et que l’ingérence
litigieuse n’était donc pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle
avait enfreint le droit au respect des biens des requérants (Medici et autres c. Italie, no
70508/01, §§ 45-46, 5 octobre 2006).
. En s’appuyant
sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction
équitable de 20 415 867,69 EUR, somme égale
à la valeur vénale du terrain en 2006, ainsi que la somme de
6 819 728,35 à titre d’indemnisation pour non-jouissance du terrain.
En outre, ils sollicitaient le versement des sommes de 14 258 640 EUR
à titre d’indemnisation pour l’impossibilité de bâtir sur le terrain, de
2 603 903,27 EUR pour la
plus-value apportée par l’ouvrage public réalisé sur le terrain, et de
2 004 385 EUR pour la destruction des œuvres existant sur le terrain
au cours des travaux. Les requérants sollicitaient une somme au titre de
dommage moral et le remboursement des frais de procédure.
. La question de
l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la
Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre
par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et
notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient
aboutir (ibidem, § 56 et point 3 b) du dispositif).
. Le 12 mars
2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer
chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un
rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.
. Le Gouvernement n’a pas
déposé de rapport d’expertise dans le délai imparti.
. A la suite de la modification de la composition des
sections de la Cour, la présente Requête a été attribuée à la deuxième section
ainsi remaniée.
I. REMARQUE PRÉLIMINAIRE
. La Cour relève que Mme Patrizia Medici, fille d’un des
requérants et nièce des autres, affirme être la seule titulaire de tous les
droits patrimoniaux et non patrimoniaux découlant de la Requête. A
supposer même que les droits en cause puissent faire l’objet d’une transmission
inter vivos, la Cour estime qu’une telle transmission dépend de la
volonté expresse des requérants, et ne peut se faire que sur la base d’un acte
formel signé en bonne et due forme par ceux-ci. Or, la Cour note que, dans le
cas d’espèce, il n’y a eu aucune renonciation au recours de la part des
requérants et que l’acte notarié est signé exclusivement par le notaire et par
Mme Medici. Dans ces conditions, la Cour estime que Mme Medici
n’a pas, dès lors, qualité de requérante devant la Cour (mutatis mutandis,
Arnautu c. Roumanie (déc) no 22785/09, 3 juillet 2012).
II. EN DROIT
9. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation
de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute
Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de
cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une
satisfaction équitable. »
A. Dommage
. Les requérants
sollicitent un dédommagement de 20 586 648,00 EUR
égal à la valeur vénale du terrain et 66 906 606,00 EUR pour la
non-jouissance du terrain.
. Le
Gouvernement s’y oppose et demande à la Cour de calculer le dommage à octroyer aux
requérants en se basant sur l’expertise déposée devant la cour d’appel de
Catanzaro.
. La Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande
Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation
dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre
a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont
fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne
plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction
des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.
. Selon les
nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit
correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de
la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction
compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit
la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être
actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir
d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps
qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent
correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement
réévalué.
. Les requérants
ont perdu la propriété de leur terrain en octobre 1969. Il ressort de l’expertise
effectuée au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain réévaluée
en 1987 était de 6 308 368 000 ITL (3 258 000 EUR). Compte tenu de
ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants conjointement
12 750 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur
cette somme.
B. Dommage moral
. Les requérants
demandent 2 058 664,80 EUR
pour le dommage moral.
. Le
Gouvernement s’y oppose.
. La Cour
estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession
illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il
y a lieu de réparer de manière adéquate.
. Statuant en
équité, la Cour accorde aux requérants conjointement 20 000 EUR pour le
dommage moral.
C. Frais et dépens
. Les requérants demandent 322 208,37 EUR pour les frais de procédure devant la Cour y compris l’expertise déposée
en 2007.
. Le
Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants à titre de
frais et dépens sont excessives.
. La Cour
rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41
présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le
caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction
équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les
frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à
la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie
(satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin
c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
. La Cour ne
doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les
honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a
lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la
cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement aux requérants un
montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement
aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les
sommes suivantes :
i. 12 750 000 EUR (douze
millions sept cent cinquante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à
titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 20 000 EUR (vingt mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 20 000 EUR (vingt mille
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants,
pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
2. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 4 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Danutė
Jočienė
Greffier Présidente