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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> STRUGARU v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 44721/08 (French Text) - Committee Judgment [2013] ECHR 1017 (22 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1017.html
Cite as: [2013] ECHR 1017

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE STRUGARU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

     

    (Requête no 44721/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 octobre 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Strugaru c. République de Moldova,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

    Luis López Guerra, président,
    Nona Tsotsoria,
    Valeriu Griţco, juges,

    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er octobre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 44721/08) dirigée contre la République de Moldova et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Valentina Strugaru (« la requérante »), a saisi la Cour le 29 août 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me A. Briceac, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son ex-agent, M. V. Grosu, du ministère de la Justice.

    3.  La requérante allègue que ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 ont été méconnus à la suite de l’annulation d’un jugement irrévocable rendu en sa faveur.

    4.  Le 23 juin 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  Contexte de l’affaire

    5.  La requérante, Mme Valentina Strugaru, est née en 1960 et réside à Ciudei.

    6.  Le 5 décembre 1992, la requérante épousa L.G.

    7.  Le 25 avril 2002, le tribunal de Botanica prononça le divorce entre la requérante et L.G.

    8.  Le 16 juin 2006, L.G. vendit la maison et le terrain accolé à un tiers, M.

    9.  A une date non spécifiée, la requérante saisit le tribunal de Râşcani d’une action en partage après divorce.

    10.  Par un jugement du 28 avril 2007, le tribunal de Râşcani accueillit partiellement l’action de la requérante, déclara nul le contrat de vente concernant la maison et le terrain, et lui octroya la moitié des biens en litige. L.G. interjeta appel.

    11.  Le 25 juillet 2007, la cour d’appel de Chişinău accueillit l’appel interjeté par L.G., annula le jugement du 28 avril 2007 et débouta la requérante de son action.

    12.  Le 28 août 2007, la requérante forma un recours à l’encontre de la décision de la cour d’appel.

    13.  Le 10 décembre 2007, la Cour suprême de justice cassa la décision de la cour d’appel de Chişinău et confirma celle du tribunal de Râşcani. Elle constata que la requérante avait apporté la preuve d’une communauté de vie avec L.G. après la dissolution du mariage et qu’ils avaient construit la maison ensemble. Cet arrêt était irrévocable.

    B.  La révision de l’arrêt irrévocable en date du 10 décembre 2007

    14.  Le 24 mars 2008, L.G. introduisit une action en révision devant la Cour suprême de justice.

    15.  Le 18 juin 2008, la Cour suprême de justice accueillit l’action en révision et cassa la décision du 10 décembre 2007 au motif que L.G. avait produit une copie d’un jugement du tribunal de Ciocana en date du 11 février 2008, qui attestait le fait du concubinage entre L.G. et une tierce personne à partir du 2002. Elle prononça un nouvel arrêt, par lequel elle débouta la requérante de son action.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    16.  Concernant la révision des décisions irrévocables, le droit interne pertinent est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. Moldova, (no 28430/06, §§ 26 - 27, 17 avril 2012).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    17.  La requérante allègue que la remise en cause de l’arrêt irrévocable de la Cour suprême de justice du 10 décembre 2007 rendu en sa faveur a porté atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques ainsi qu’à son droit au respect de ses biens. Elle allègue de ce fait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Les passages pertinents des dispositions invoquées sont ainsi libellés :

    Article 6 § 1

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    Article 1 du Protocole no 1

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »

    A.  La déclaration unilatérale du gouvernement défendeur et la demande de rayer la Requête du rôle en application de l’article 37 de la Convention

    18.  Le 21 janvier 2011, le Gouvernement a présenté une déclaration unilatérale dans laquelle il reconnaissait que la requérante a été victime d’une violation des droits garantis par les dispositions de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 et que cette constatation équivalait réparation pour les dommages subis. Il a invité en outre la Cour à rayer la Requête du rôle en application de l’article 37 de la Convention.

    19.  La requérante a désapprouvé l’absence de dédommagement de la part du Gouvernement et a récusé sa déclaration.

    20.  La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une Requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire (voir Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2004-III; Melnic c. Moldova, no 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).

    21.  La Cour rappelle en outre qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 72, 28 novembre 2002). La Cour a décidé que la même approche devait être suivie lorsqu’un Gouvernement cherche à obtenir la radiation du rôle d’une Requête par le biais d’une déclaration unilatérale (Decev c. Moldova (no 2), no 7365/05, § 18, 24 février 2009).

    22.  La Cour observe que le Gouvernement a reconnu, dans sa déclaration unilatérale, que la révision de l’arrêt irrévocable favorable à la requérante s’analysait en une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Cependant, en l’absence de dédommagement pour les préjudices subis, on ne saurait dire que la requérante a reçu une réparation adéquate.

    23.  La Requête ne peut donc être rayée du rôle en vertu de l’alinéa c) de l’article 37 de la Convention, la déclaration n’offrant pas une base suffisante pour que la Cour puisse dire qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire.

    24.  En conclusion, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la Requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de la recevabilité et du fond de l’affaire.

    B.  Sur la recevabilité

    25.  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

    C.  Sur le fond

    26.  La Cour relève qu’elle a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Popov c. République de Moldova (no 2), no 19960/04, §§ 52-58, 6 décembre 2005 ; Oferta Plus SRL c. République de Moldova, no 14385/04, §§ 104-107 et 112-115, 19 décembre 2006 ; Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, §§ 38 - 44, 14 novembre 2006 ; Istrate c. République de Moldova, no 53773/00, §§ 46-61, 13 juin 2006).

    27.  A la lumière des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la procédure de révision a été utilisée par la Cour suprême de justice d’une manière incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques.

    28.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation du jugement irrévocable du 10 décembre 2007.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel

    30.  La requérante réclame 109 091,9 euros (EUR) pour les immeubles dont elle a été privée et 28 460 au titre des intérêts moratoires. La requérante a présenté à la Cour une expertise qui estimait que la valeur du terrain se situait, en date du 14 septembre 2010, dans une fourchette allant de 86 659,74 à 103 872,98 EUR et celle de la maison de 103 279,4 à 117 524,85 EUR.

    31.  Le Gouvernement considère que le dommage matériel invoqué par la requérante n’a pas été proprement étayé, car après la révision de l’arrêt qui lui était favorable, la valeur de la maison aurait augmenté. Il allègue en outre que la requérante n’a pas prouvé le lien de causalité entre la privation des biens en question et l’impossibilité de les utiliser.

    32.  La Cour estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation constatée et les intérêts moratoires demandés par la requérante pour la perte d’usage des biens, et rejette cette partie de la demande. En revanche, elle constate que le Gouvernement n’a apporté aucun élément de preuve à l’appui de ses déclarations concernant l’augmentation de la valeur de la maison et considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 94 969 EUR au titre du préjudice matériel principal. Cette somme est composée par l’addition des valeurs minimales des biens en litige, divisée par deux.

    B.  Dommage moral

    33.  La requérante a également demandé 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi. Le Gouvernement estime ce montant exagéré.

    34.  La Cour considère que la requérante a forcément subi un dommage moral et que le constat de violation de la Convention ne constitue pas une réparation suffisante à cet égard. En même temps, elle juge excessif le montant réclamé par la requérante. Compte tenu de sa jurisprudence, la Cour lui alloue 1 500 EUR à ce titre.

    C.  Frais et dépens

    35.  La requérante demande 1 000 EUR pour les frais d’assistance juridique devant la Cour.

    36.  Le Gouvernement conteste cette somme.

    37.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.

    D.  Intérêts moratoires

    38.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Rejette la déclaration unilatérale du Gouvernement et sa demande de radier la Requête du rôle ;

     

    2.  Déclare la Requête recevable ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

    i)  94 969 EUR (quatre-vingt-quatorze mille neuf cent soixante-neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii)  1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    iii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Marialena Tsirli Luis López Guerra
    Greffière adjointe
    Président


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