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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIHAN YESIL v. TURKEY - 24592/08 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 1023 (22 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1023.html
Cite as: [2013] ECHR 1023

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CİHAN YEŞİL c. TURQUIE

     

    (Requête no 24592/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 octobre 2013

     

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Cihan Yeşil c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

    Dragoljub Popović, président,
    Paulo Pinto de Albuquerque,
    Helen Keller, juges,
    et de Seçkin Erel, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en comité du conseil le 1er octobre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24592/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Cihan Yeşil (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 mai 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me M. Özbekli, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
  3. 3.  Le 20 avril 2009, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  4. .  Le requérant est né en 1976 et détenu à la prison de Kırıkkale.

  5. .  Le 14 mars 2000, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale.

  6. .  Le 24 mars 2000, il fut placé en détention provisoire.

  7. .  Il fut inculpé d’appartenance à une organisation illégale et son procès commença devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Après l’abolition des cours de sûreté de l’Etat en 2004, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises de cette ville.

  8. .  Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues devant elles, la cour de sûreté de l’État et la cour d’assises ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves, de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

  9. .  Le 10 avril 2008, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité.

  10. .  Le 26 janvier 2010, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
  11. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  12. .  Le requérant soutient que la durée de sa détention provisoire a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :
  13. « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  14. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D’après lui, le requérant aurait pu introduire un recours en indemnisation en application des articles 141 et suivants du code de procédure pénale concernant l’octroi d’indemnité aux personnes arrêtées et détenues irrégulièrement.

  15. .  Le requérant réitère ses allégations précédentes.

  16. .  La Cour rappelle qu’un recours visant la durée d’une détention provisoire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention doit, pour être effectif, offrir à son auteur une perspective de cessation de la privation de liberté contestée (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 55, 28 octobre 2010, et Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 40, 6 novembre 2008).

  17. .  Elle estime cependant qu’il peut en aller différemment lorsque la détention provisoire est terminée. En effet, lorsque la détention provisoire a pris fin, il convient de vérifier si l’intéressé dispose d’un recours pouvant conduire d’une part à la reconnaissance du caractère déraisonnable de la durée de la détention provisoire et d’autre part à l’allocation d’une indemnité liée à ce constat. Si tel est le cas, alors ce recours doit en principe être utilisé. Affirmer le contraire reviendrait à doubler la procédure interne d’une instance devant la Cour, ce qui paraît peu compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention (voir en ce sens, Gavril Yossifov, précité, § 38 et Gürceğiz c. Turquie, no 11045/07, § 23, 15 novembre 2012).

  18. .  La Cour note que l’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale prévoit pour un détenu n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable la possibilité de demander une indemnisation. Elle observe que ce recours ne vise pas à mettre fin à une détention d’une durée excessive au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (voir parmi d’autres, Barış c. Turquie, no 26170/03, § 17, 31 mars 2009) mais il a pour seule finalité l’octroi d’une indemnité.

  19. .  Le recours prévu par l’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale ne pouvait donc être considéré comme effectif au regard de l’article 5 § 3 de la Convention aussi longtemps que la détention provisoire était en cours dans la mesure où il ne peut pas conduire à la libération de l’intéressé.

  20. .  La Cour note toutefois que la détention provisoire du requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a pris fin avec sa condamnation en première instance le 10 avril 2008 et que cette condamnation est devenue définitive le 26 janvier 2010 (paragraphes 9-10 ci-dessus). À partir de cette dernière date, le requérant aurait pu demander une indemnisation sur le fondement de l’article 141 du code de procédure pénale.

  21. .  A la lumière de ses considérations dans les affaires Sefik Demir c. Turquie (déc.), no 51770/07, §§ 32-34, 16 octobre 2012), et Gürceğiz (arrêt précité, §§ 19-34) quant à l’effectivité du recours en question, la Cour estime que le requérant était tenu de saisir les juridictions internes d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale, ce qu’il ne semble pas avoir fait. Dès lors, la Cour accueille l’exception du Gouvernement et rejette le grief tiré de l’article 5 § 3 pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
  22. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION


  23. .  Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et il dénonce l’absence de voie de recours interne qui lui aurait permis de se plaindre de la durée de la procédure pénale engagée contre lui. Il invoque à cet égard les articles 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :
  24. Article 6

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    Article 13

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »


  25. .  Le Gouvernement combat la thèse du requérant.

  26. .  La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle Requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

  27. .  La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé dans le cadre de la présente affaire une exception portant sur ce nouveau recours. A la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente Requête.

  28. .  Constatant que les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.
  29. 1.  Article 6


  30. .  La Cour note que la période à considérer a débuté avec l’arrestation du requérant le 14 mars 2000 (paragraphe 5 ci-dessus) et elle s’est terminée le 26 janvier 2010 à la date de l’arrêt de la Cour de cassation (paragraphe 10 ci-dessus). Elle a donc duré environ neuf ans et dix mois, pour deux degrés de juridiction.

  31. .  La Cour rappelle avoir conclu, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, CEDH 1999-II). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis en l’espèce, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

  32. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  33. 2.  Article 13


  34.   A la lumière des considérations exprimées ci-dessus (paragraphes 25-27 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu à examiner ce grief.
  35. III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  36. .  Dans sa lettre du 27 mai 2009, le requérant se plaint de la durée de sa garde à vue.

  37. .  La Cour observe que la garde à vue du requérant a pris fin le 24 mars 2000 alors que ce grief a été présenté pour la première fois devant elle le 14 mai 2008. Il s’ensuit que la présentation de ce grief est tardive et que celui-ci doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  38. .  Enfin, bien que le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention ait été initialement communiqué au Gouvernement, il ressort de l’examen du dossier que ce grief n’a pas été valablement soulevé. En effet, le requérant n’a pas invoqué l’article 5 § 4, même en substance.
  39. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  40. .  Le représentant du requérant réclame 40 000 EUR au titre du préjudice moral et matériel qu’il aurait subi.

  41. .  Le Gouvernement conteste ce montant.

  42. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
  43. B.  Frais et dépens


  44. .  Le représentant du requérant demande également 1 800 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. À titre de justificatifs, il fournit un décompte des dépenses.

  45. .  Le Gouvernement conteste ce montant.

  46. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  47. C.  Intérêts moratoires


  48. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  49. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu à examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Seçkin Erel Dragoljub Popoviċ
    Greffier adjoint f.f.
    Président

     


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