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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NAVONE AND OTHERS v. MONACO - 62880/11 62892/11 62899/11 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1032 (24 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1032.html
Cite as: [2013] ECHR 1032

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE NAVONE ET AUTRES c. MONACO

     

    (Requêtes nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 octobre 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


     

    En l’affaire Navone et autres c. Monaco,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Elisabeth Steiner, présidente,
              Isabelle Berro-Lefèvre,
              Khanlar Hajiyev,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er octobre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouvent trois Requêtes (nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11) dirigées contre la Principauté de Monaco et dont trois ressortissants italiens, MM. Davide Navone, Guglielmo Lafleur et Danilo Re (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants ont été représentés par Me F. Michel, avocat à Monaco. Le gouvernement monégasque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Jean-Laurent Ravera.

  3. .  Les requérants allèguent la violation de l’article 6 de la Convention en raison du déroulement de leur garde à vue.

  4. .  Le 23 janvier 2012, les Requêtes ont été communiquées au Gouvernement. Les requérants étant de nationalité italienne, le gouvernement italien a également été invité à présenter des observations écrites (articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement).
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les requérants sont nés respectivement en 1981, 1980 et 1979. Le premier requérant réside à Canale, les deux autres à Savone.

  7. .  Le 3 décembre 2010, à 16 heures 37, un véhicule automobile, dont la plaque d’immatriculation paraissait suspecte, fut signalé. Le conducteur refusa d’obtempérer aux injonctions des policiers. Finalement bloqués par un embouteillage, les trois occupants du véhicule descendirent du véhicule et abandonnèrent deux sacs à dos dans leur fuite.

  8. .  Un dispositif de surveillance conduisit à l’arrestation des trois requérants, à 16 heures 46 pour D. Navone, 16 heures 49 pour G. Lafleur et 17 heures 20 pour D. Re. Ils furent conduits au poste de police et placés en garde à vue. La notification de leurs droits fut reportée jusqu’à l’arrivée de trois interprètes de langue italienne.

  9. .  Les investigations permirent d’établir que le véhicule était équipé de fausses plaques d’immatriculation, qu’il appartenait à un autre ressortissant italien défavorablement connu des services de police et que les objets retrouvés provenaient de vols.
  10. A.  Déroulement de la garde à vue de D. Navone


  11. .  D. Navone fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 18 heures. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 21 heures 20 en présence d’un interprète en italien. Il ne souhaita pas faire prévenir quiconque et demanda à voir un médecin.

  12. .  S’agissant de la possibilité de s’entretenir avec un avocat, un procès-verbal d’interrogatoire, rédigé à 22 heures, indique que le requérant déclara ce qui suit : « Vous me demandez de vous dire le déroulement de cette journée du 3 décembre 2010. Je refuse de vous répondre et je ne dirai rien tant que je n’aurai pas vu mon avocat ». Un procès-verbal rédigé le lendemain, à 10 heures, rapporte quant à lui les propos suivants : « Je n’ai pas souhaité voir un avocat hier mais suis prêt à m’expliquer sur les faits qui me sont reprochés ». Dans le cadre de l’audition qui suivit, D. Navone fit des déclarations en réponse à des questions des policiers sur ses relations avec les autres requérants et le déroulement de la journée. Il reconnut avoir été le seul à commettre les vols, sur lesquels il donna des détails, désignant G. Lafleur comme ayant été le conducteur et l’accusant, ainsi que D. Re, d’avoir fait le guet pendant ses deux cambriolages.

  13. .  La prolongation de sa garde à vue lui fut notifiée à 17 heures 45, en présence d’un interprète en italien. Le requérant déclara ne pas souhaiter s’entretenir avec un avocat à cette occasion. A nouveau interrogé de 20 heures 45 à 21 heures 15, puis de 23 heures 30 à 23 heures 40, il précisa le déroulement des faits et réagit à des déclarations faites par D. Re, au sujet de trois montres découvertes près du lieu de son interpellation, ainsi que par G. Lafleur, concernant des bijoux volés.

  14. .  La fin de la garde à vue lui fut notifiée le 5 décembre à 15 heures 20.
  15. B.  Déroulement de la garde à vue concernant G. Lafleur


  16. .  G. Lafleur fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 17 heures 50. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 20 heures en présence d’un interprète en italien. Il souhaita faire prévenir son épouse, demanda à voir un médecin et déclara ne pas souhaiter consulter d’avocat. Il ressort d’un procès-verbal qu’il fut interrogé une première fois le 3 décembre de 20 heures 15 à 21 heures, pour s’expliquer sur le déroulement de la journée du 3 décembre, ainsi que sur les objets volés et retrouvés dans des sacs jetés au sol durant la fuite. Durant le second interrogatoire, qui se déroula le 4 décembre de 9 heures 40 à 11 heures, il répondit aux questions des enquêteurs, pour détailler certains faits et réagir à sa mise en cause par D. Navone.

  17. .  La prolongation de sa garde à vue lui fut notifiée à 17 heures 32, en présence d’un interprète en italien. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, il déclara vouloir en bénéficier. Une avocate de Monaco, Me Filippi, fut contactée à 18 heures 35 concernant tant G. Lafleur que D. Re. Un procès-verbal indique son arrivée à 19 heures, suivie d’un entretien pendant une durée non établie, entre 19 heures 10 et 20 heures, à l’issue duquel Me Filippi fit observer qu’elle n’avait pu avoir accès au dossier.

  18. .  Un procès-verbal rédigé à 21 heures 30 indique la reprise de l’interrogatoire du requérant, sans la présence de l’avocate. D. Navone fut interrogé jusqu’à 23 heures 10 pour apporter des précisions sur les faits. Après avoir déclaré « c’est vrai que nous avons fait ces deux vols », il déclara avoir été le seul conducteur du véhicule durant la journée et répondit aux questions des policiers.

  19. .  La fin de la garde à vue lui fut notifiée le 5 décembre à 14 heures 55.
  20. C.  Déroulement de la garde à vue de D. Re


  21. .  D. Re fut placé en garde à vue le 3 décembre 2010 à 18 heures 10. Le requérant ne comprenant pas le français, la notification intervint à 20 heures 05 en présence d’un interprète en italien. Le requérant souhaita faire prévenir son épouse et se faire examiner par un médecin. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, il désigna Me A. Di Blasio, avocat italien exerçant à Savone, ville située à environ 135 kilomètres de Monaco.

  22. .  A 21 heures 10, le premier interrogatoire du requérant débuta, pour se terminer à 22 heures 45. Au cours de cette audition, à 21 heures 40, l’épouse du requérant, qui avait été jointe par téléphone une première fois à 20 heures 25, communiqua les coordonnées téléphoniques de Me Di Blasio. Les policiers tentèrent de joindre ce dernier entre 21 heures 40 et 21 heures 50, sans succès. Informé de cette difficulté à 21 heures 55, le requérant indiquant vouloir attendre le lendemain matin, afin que les services de police ou son épouse contactent cet avocat.

  23. .  Pendant ce premier interrogatoire, le requérant indiqua ses antécédents judiciaires et expliqua le déroulement de sa journée, jusqu’à l’arrivée à Monaco et l’intervention d’un agent de police pour faire arrêter le véhicule dans lequel il était passager. Tout en précisant, en réponse aux questions posées, que durant tout le voyage, du départ de Savone, jusqu’à leur arrestation, les deux autres requérants et lui étaient restés ensemble, il indiqua ne pas savoir qui avait mis de fausses plaques sur la voiture et n’être au courant ni du cambriolage dans une villa d’Eze ni des sacs abandonnés en sortant de la voiture. Il déclara se souvenir uniquement de ce que leur véhicule avait heurté une voiture lors de la fuite.

  24. .  Le requérant fut à nouveau entendu le 4 décembre de 10 heures à 11 heures 45. Il déclara maintenir l’intégralité de ses premières explications, avant d’être invité à indiquer s’il connaissait les deux autres requérants et à raconter leur rencontre, ainsi qu’à décrire de manière précise sa journée du 3 décembre. Il précisa ne plus savoir qui conduisait le véhicule, tout en relevant que les policiers lui indiquaient que les caméras de surveillance permettaient de savoir qu’il s’agissait de G. Lafleur, qui avait également été désigné par D. Navone. Il raconta ensuite le déroulement des faits concernant le refus d’obtempérer et la fuite, tout en s’expliquant sur sa mise en cause par D. Navone. Les policiers tentèrent à nouveau de joindre Me Di Blasio à 12 heures 30, sans succès.

  25. .  La prolongation de sa garde à vue, décidée par le juge des libertés à 17 heures, lui fut notifiée à 17 heures 58, en présence d’un interprète en italien et, suite à la nouvelle notification de ses droits à 17 heures 32, il déclara vouloir faire prévenir son épouse. Informé de son droit de s’entretenir avec un avocat pendant une durée ne pouvant excéder une heure, et Me Di Blasio ne pouvant être joint, il décida de s’entretenir avec un avocat commis d’office.

  26. .  L’interrogatoire du requérant reprit à 18 heures 30, jusqu’à 19 heures 15. Déclarant avoir beaucoup de choses à compléter par rapport à ses précédentes déclarations il nia les faits, tout en précisant, en réponse à l’une des questions relative au point de savoir s’il pouvait affirmer qu’il n’était porteur d’aucun objet volé : « je pense que non ». Interrogé sur la présence de trois montres découvertes à proximité du lieu de son arrestation, il déclara que D. Navone les lui avait données dans la voiture.

  27. .  L’avocate de Monaco, Me Filippi, qui avait également été contactée pour G. Lafleur à 18 heures 35 (paragraphe 14 ci-dessus), eut un entretien avec le requérant pendant une durée non établie, entre 19 heures 10 et 20 heures, à l’issue duquel elle fit observer qu’elle n’avait pu avoir accès au dossier.

  28. .  La fin de la garde à vue fut notifiée à D. Re le 5 décembre à 14 heures 30.
  29. D.  Sur la procédure ultérieure concernant les trois requérants


  30. .  Le 5 décembre 2010, une information judiciaire fut ouverte sur les réquisitions du procureur général à l’encontre des trois requérants des chefs de vols, recels de biens découverts dans le véhicule, établissement d’un certificat faisant état de faits matériellement inexacts (fausse plaque d’immatriculation) et usage, ainsi que des chefs de refus d’obtempérer, défaut de maîtrise et délit de fuite pour G. Lafleur et de recel de montres pour D. Re.

  31. .  Les trois requérants furent inculpés et mis en détention provisoire le même jour.

  32. .  Le 24 décembre 2010, ils déposèrent trois Requêtes aux fins de nullité et de mise en liberté, visant notamment l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Ils invoquèrent le droit de soulever les nullités à l’instar du droit reconnu au procureur général, en raison du défaut d’information sur leur droit de garder le silence et de l’impossibilité pour leurs avocats d’avoir accès au dossier et d’assister à leurs auditions. D. Navone et G. Lafleur contestèrent avoir renoncé à l’assistance d’un avocat. D. Re soutint qu’il avait été interrogé avant que les policiers n’aient tenté de joindre l’avocat désigné par lui, et que si celui-ci n’avait pu être finalement contacté, il n’avait pas été informé de la possibilité de demander la désignation d’un avocat commis d’office. Ils soulevèrent également l’absence d’indication de l’identité des interprètes et le défaut de serment par ces derniers.

  33. .  Par un arrêt du 13 janvier 2011, la chambre du conseil de la cour d’appel déclara les Requêtes en nullité recevables. Sur le moyen tiré de l’absence d’entretien avec un avocat, la cour releva qu’après avoir d’abord renoncé à s’entretenir avec un avocat, D. Navone et G. Lafleur avaient ensuite demandé qu’un avocat soit commis d’office, ce qui fut immédiatement réalisé, une avocate s’étant rendue sur place pour s’entretenir avec eux. Concernant D. Re, elle estima que les difficultés à joindre l’avocat désigné par lui ne pouvaient faire obstacle à son audition par l’officier de police judiciaire et que, par ailleurs, la même avocate commise d’office s’était finalement entretenue avec lui. La Cour releva en outre que l’identité des interprètes apparaissait sur les procès-verbaux et qu’ils n’avaient légalement pas à prêter serment dans le cadre d’une garde à vue. S’agissant du défaut de notification du droit de garder le silence et de l’impossibilité pour l’avocat d’avoir accès au dossier, de préparer l’audition et d’y assister, la cour d’appel rejeta les arguments des requérants en s’exprimant comme suit :
  34. « Attendu que les requérants se fondent sur l’arrêt rendu le 14 octobre 2010 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (arrêt BRUSCO c/ France) pour, qu’appliquant en l’espèce les principes qui s’en dégageraient, la Chambre du conseil constate que le droit de garder le silence n’a pas été notifié aux gardés à vue et qu’ils n’ont pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ayant accès au dossier d’enquête et pouvant ainsi les conseiller utilement en vue de leurs auditions qui auraient dû se dérouler en sa présence ;

    Attendu qu’il convient d’observer que l’arrêt BRUSCO a été rendu dans un cas d’espèce bien particulier, l’intéressé ayant été entendu pendant sa garde à vue sous la foi du serment alors qu’il existait déjà contre lui des charges importantes, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire ;

    Que cet arrêt n’était pas définitif au moment des débats devant la Chambre du conseil ;

    Attendu que si le texte même des articles 6 § 1 et 6 § 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’impose bien aux Etats adhérant à cette convention, et donc à la principauté de Monaco, en ce que « tout accusé a notamment droit à l’assistance d’un défenseur de son choix », l’extension jurisprudentielle qui conduirait à appliquer ce principe et ses modalités pratiques si largement déclinées dès la phase d’enquête, en amont du processus judiciaire, doit par contre être examinée avec circonspection ;

    Qu’en effet, cette interprétation très extensive, par des décisions d’espèce, récentes et non encore définitives, susceptibles d’évolution, voire de revirement, n’est pas de nature à constituer un corpus de normes juridiques qui puisse être appliqué immédiatement de façon abrupte et précipitée par les juridictions de l’ordre interne au risque de bouleverser, par la seule voie jurisprudentielle, le droit procédural positif et de porter ainsi atteinte à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ;

    Attendu qu’il est notable de constater à cet égard que l’un des pays adhérant à la Convention Européenne des Droits de l’Homme s’est empressé de modifier sa législation relative à la motivation des arrêts de la Cour d’Assises à la suite d’un arrêt rendu le 13 janvier 2009 par la formation simple de la chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme alors que par un arrêt du 16 novembre 2010 de la Grande chambre de cette Cour l’exigence d’une telle motivation a été réduite à celle des « questions précises posées au Jury en termes non équivoques » (arrêt TAXQUET c/ Belgique) ;

    Attendu que la prudence commande en conséquence de ne pas faire en l’espèce application des recommandations préconisées par l’arrêt BRUSCO et de rejeter les moyens invoqués sur ce fondement par les requérants (...) ».


  35. .  Les requérants formèrent une déclaration de pourvoi au greffe général le 18 janvier 2011 et ils déposèrent leurs Requêtes le 2 février 2011.

  36. .  Par un arrêt du 7 avril 2011, la Cour de révision cassa et annula l’arrêt du 13 janvier 2011 en ce qu’il avait jugé que l’audition de D. Re par l’officier de police judiciaire pouvait intervenir en raison des difficultés à joindre l’avocat, alors que le requérant aurait dû se voir notifier son droit de ne faire aucune déclaration et en dehors de l’assistance, qu’il avait demandée, d’un avocat, fut-il commis d’office, par application de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle renvoya la cause à l’une de ses prochaines sessions, devant une formation autrement composée.

  37. .  Concernant les deux autres requérants, la Cour de révision rejeta leurs pourvois dans les termes suivants :
  38. « (...) d’une part, (...) le libre exercice du droit de se défendre seul, conféré par l’article 6 § 3 c de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à tout accusé au sens de cette convention, est exclusif de celui de ne faire aucune déclaration et rend dès lors inutile la notification expresse de ce dernier droit ; que l’arrêt constate que MM. Lafleur et Navone ont tout d’abord renoncé à s’entretenir avec un avocat lors de la notification de leur placement en garde à vue, puis ont demandé qu’un avocat soit commis d’office, ce qui a été immédiatement réalisé, maître Sarah Filippi s’étant rendue dans les locaux de la sûreté publique et ayant pu s’entretenir avec les intéressés ;

    (...) d’autre part, (...) il ne résulte pas du dossier de la procédure qu’après avoir été informée, le 4 décembre 2010 à 19 heures, de l’existence de raisons plausibles de soupçonner M. Lafleur d’avoir commis ou tenté de commettre les délits de vols, recels de vol, faux et usage, maître Filippi ait demandé, avant de s’entretenir avec son client en vue d’assurer sa défense, communication d’un dossier (...) ».


  39. .  Quant au moyen des requérants relatif aux interprètes, la Cour de révision le déclara non fondé en confirmant la position de la cour d’appel.

  40. .  Le 1er mars 2011, le tribunal correctionnel rejeta la demande de mise en liberté présentée par les requérants.

  41. .  Par un jugement du 12 avril 2011, suite à une ordonnance de renvoi du juge d’instruction en date du 24 février 2011, le tribunal correctionnel déclara G. Lafleur et D. Navone coupables des faits reprochés au regard de leurs déclarations concordantes. Il les condamna à dix-huit mois d’emprisonnement pour les délits, outre quarante-cinq euros d’amende pour la contravention de défaut de maîtrise d’un véhicule commise par G. Lafleur. L’affaire fut renvoyée au 7 juin 2011 concernant D. Re, le tribunal ayant fait droit à une demande de disjonction de la procédure présentée par l’avocat des requérants.

  42. .  Par un arrêt du 18 mai 2011, faisant suite à celui du 7 avril 2011, la Cour de révision jugea que le procès-verbal rédigé le 3 décembre 2010 dans le cadre du premier interrogatoire de M. Re devait être déclaré nul et retiré de la procédure. Elle rejeta la demande de nullité des actes postérieurs.

  43. .  Le 7 juin 2011, le tribunal correctionnel déclara D. Re coupable des faits reprochés, compte tenu notamment de sa mise en cause par les autres requérants après leur arrestation et de sa fuite à travers la Principauté, à l’exception de ceux relatifs à la fausse plaque d’immatriculation. Il le condamna à dix-huit mois d’emprisonnement.

  44. .  Les requérants interjetèrent appel de ces jugements.

  45. .  Par un arrêt du 27 juin 2011, la cour d’appel confirma pour l’essentiel les jugements, compte tenu du fait, d’une part, que D. Navone et G. Lafleur avaient reconnu avoir commis les faits qui leur étaient reprochés, des objets volés ayant par ailleurs été retrouvés dans leur voiture ou près du lieu de leur arrestation et, d’autre part, que D. Re était mis en cause de manière concordante par les deux autres prévenus et qu’il n’avait pu donner d’explication sérieuse sur la présence de trois montres, dont une déclarée volée par une victime identifiée, à proximité du lieu de son arrestation. Elle condamna les trois requérants à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement.
  46. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  47. .  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, créées par la loi no 1.343 du 26 décembre 2007, se lisaient comme suit à l’époque des faits :
  48. Article 60-5

    « En lui notifiant la garde à vue, l’officier de police judiciaire fait connaître à la personne concernée les droits qui lui sont reconnus par les articles 60-6 à 60-9. À cette fin, il lui remet copie des dits articles, au besoin en les faisant traduire dans une langue qu’elle comprend.

    Procès-verbal de l’accomplissement de cette formalité est signé par l’officier de police judiciaire et l’intéressé. Si ce dernier ne sait ou ne veut signer, il en est fait mention au procès-verbal.

    L’officier de police judiciaire met aussitôt l’intéressé en état de faire usage de ses droits. »

    Article 60-6

    « Toute personne gardée à vue est immédiatement avisée par l’officier de police judiciaire des faits objet des investigations sur lesquels elle a à s’expliquer et de la nature de l’infraction.

    Le deuxième alinéa de l’article 60-5 reçoit application. »

    Article 60-7

    « La personne placée en garde à vue a le droit de faire prévenir aussitôt par téléphone de la mesure dont elle est l’objet la personne avec laquelle elle vit habituellement, l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur.

    Si l’officier de police judiciaire estime que cette communication est de nature à nuire aux investigations, il en réfère au procureur général ou au juge d’instruction qui décide s’il y a lieu, ou non, de faire droit à cette demande.

    Le deuxième alinéa de l’article 60-5 reçoit application. »

    Article 60-9

    « Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le Président du tribunal sur la base d’un tableau de roulement établi par le Bâtonnier. L’avocat désigné est informé par l’officier de police judiciaire de la nature et de la cause de l’infraction. Procès-verbal de l’accomplissement de cette formalité est signé par l’officier de police judiciaire et l’avocat. À l’issue de l’entretien qui doit pouvoir se dérouler dans des conditions garantissant la confidentialité et qui ne peut excéder une heure, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

    Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, et dès le début de celle-ci, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’alinéa précédent. »


  49. .  Une note du Procureur général en date du 30 mai 2011, donnant instruction, dans l’attente d’une future révision du droit applicable aux gardes à vue, de suivre des dispositions complémentaires, était rédigée dans les termes suivants :
  50. « Objet : Mesures concernant la garde à vue

    Les récentes décisions des cours et des tribunaux, tenant compte de la jurisprudence de la CEDH, conduisent à anticiper une future modification de la loi portant sur la garde à vue.

    Ainsi, et dans un souci de sécurité juridique des procédures, il y a lieu de compléter l’exécution des mesures de garde à vue par les dispositions suivantes.

    1/ L’assistance d’un avocat

    Dès le début de la garde à vue, la personne a le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat.

    L’avocat, désigné ou commis d’office, est informé par l’Officier de police judiciaire (OPJ) de la nature et des circonstances de l’infraction. Ces informations seront communiquées dès son arrivée à l’avocat.

    Dès le début de la mesure, l’avocat peut s’entretenir avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et dont la durée ne peut excéder une heure.

    L’avocat peut assister la personne gardée à vue tout au long de la mesure. Il peut consulter les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste.

    Si l’avocat ne se présente pas dans un délai d’une heure après avoir été avisé, l’OPJ peut décider de débuter l’audition.

    Toutefois, si l’avocat se présente après l’expiration de ce délai, et que l’audition a déjà débuté, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat. Si la personne gardée à vue ne souhaite pas l’entretien, l’avocat peut assister à l’audition en cours, dès son arrivée.

    Le procès-verbal d’audition mentionnera la présence de l’avocat, et, le cas échéant, les interventions de ce dernier qui devront être conformes aux dispositions du second alinéa de l’article 174 du Code de Procédure Pénale. [1]

    L’OPJ rendra compte sans délai au magistrat mandant de toute difficulté survenant dans l’exécution de la mesure.

    2/ Le droit de ne faire aucune déclaration

    La personne gardée à vue est également informée qu’elle a « le droit de ne faire aucune déclaration ».

    La mention de l’information de ce droit, formulée comme suit : « Vous m’informez que j’ai le droit de ne faire aucune déclaration » figurera dans le procès-verbal de placement en garde à vue sans qu’il soit besoin de faire ensuite figurer la réponse.

    Le procès-verbal de fin de garde à vue fera apparaître également l’information donnée par l’OPJ de ces droits, ainsi que l’exécution de ceux-ci.

    Ces mesures se rajoutent à celles déjà en vigueur pour l’organisation de la garde à vue.

    A cet égard, il est rappelé que le délai légal de 24 heures court à compter de l’instant à partir duquel le suspect ne dispose plus de sa liberté d’aller et venir.

    La présente note sera mise en œuvre dès sa diffusion. »


  51.  Une loi no 1.399 portant réforme du code de procédure pénale en matière de garde à vue, adoptée le 25 juin 2013, a notamment modifié l’article 60-9 dudit code et ajouté les articles 60-9 bis, 60-9 ter et 60-9 quater, qui se lisent comme suit :
  52. Article 60-9

    « La personne gardée à vue est informée qu’elle a le droit de ne faire aucune déclaration. Mention en est faite dans le procès- verbal.

    Elle est également informée que si elle renonce au droit mentionné au premier alinéa, toute déclaration faite au cours de la garde à vue pourra être utilisée comme élément de preuve.

    La personne gardée à vue a le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Toutefois, elle peut toujours renoncer à cette assistance de manière expresse, à la condition d’avoir été préalablement informée de son droit de ne faire aucune déclaration. Mention en est faite dans le procès-verbal.

    Si la personne gardée à vue n’est pas en mesure de désigner un avocat ou si l’avocat choisi ne peut être joint, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le président du tribunal de première instance sur la base d’un tableau de roulement établi par le Bâtonnier de l’ordre des avocats-défenseurs et avocats de Monaco.

    L’avocat est informé par l’officier de police judiciaire de la qualification juridique et des circonstances de l’infraction. Procès-verbal en est dressé par l’officier de police judiciaire et signé par l’avocat.

    Si l’avocat ne se présente pas dans un délai d’une heure après avoir été avisé, l’officier de police judiciaire peut décider de débuter l’audition.

    Si l’avocat se présente après l’expiration de ce délai, alors qu’une audition est en cours, celle-ci est interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat dans les conditions prévues à l’article 60-9 bis et que celui-ci prenne connaissance des documents prévus à l’article 60-9 bis alinéa 2. Il incombe à l’officier de police judiciaire d’informer la personne gardée à vue du droit d’interrompre l’audition. Si la personne gardée à vue ne demande pas à s’entretenir avec son avocat, celui-ci peut assister à l’audition en cours dès son arrivée. »

    Article 60-9 bis

    « Dès le début de la garde à vue l’avocat peut s’entretenir avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien dont la durée ne peut excéder une heure.

    L’avocat peut assister la personne gardée à vue tout au long des auditions en vue de la manifestation de la vérité. Il peut consulter les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste, ainsi que le procès-verbal établi en application de l’article 60-5 et se faire délivrer copie de celui-ci.

    En cas d’atteinte manifeste au bon déroulement de l’audition, l’officier de police peut, à tout moment, y mettre un terme. Il en avise le procureur général ou le juge d’instruction qui peut saisir, le cas échéant, le président du tribunal de première instance aux fins de désignation immédiate d’un nouvel avocat choisi ou commis d’office.

    Si la victime est confrontée à la personne gardée à vue, elle peut se faire assister d’un avocat désigné par elle-même, ou d’office, dans les conditions de l’article 60-9.

    Sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, il ne peut être fait état auprès de quiconque des informations recueillies pendant la durée de la garde à vue.

    Le procès-verbal d’audition visé à l’article 60-11 mentionne la présence de l’avocat aux actes auxquels il assiste. »

    Article 60-9 ter

    « La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, cette mesure peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures.

    Dans ce cas, le procureur général ou le juge d’instruction doit requérir l’approbation de la prolongation de la garde à vue par le juge des libertés, en motivant sa demande en y joignant tous documents utiles.

    Le juge des libertés statue par ordonnance motivée immédiatement exécutoire et insusceptible d’appel après s’être fait présenter, s’il l’estime nécessaire, la personne gardée à vue.

    Sa décision doit être notifiée à la personne gardée à vue avant l’expiration des premières vingt-quatre heures du placement en garde à vue.

    Une nouvelle prolongation de quarante-huit heures peut être autorisée dans les mêmes conditions, lorsque les investigations concernent, soit le blanchiment du produit d’une infraction, prévu et réprimé par les articles 218 à 219 du Code pénal, soit une infraction à la législation sur les stupéfiants, soit les infractions contre la sûreté de l’État prévues et réprimées par les articles 50 à 71 du Code pénal, soit les actes de terrorisme prévus et réprimés par les articles 391-1 à 391-9 du Code pénal, ainsi que toute infraction à laquelle la loi déclare applicable le présent alinéa. »

    Article 60-9 quater

    « Si une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s’impute sur la durée de la mesure. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES RequêteS


  53.   La Cour constate que les trois Requêtes concernent le même complexe de faits. Dès lors, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 du Règlement de la Cour, de les joindre.
  54. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 DE LA CONVENTION


  55. .  MM. Navone et Lafleur se plaignent du défaut de notification de leur droit de garder le silence et d’avoir été privés du droit à l’assistance d’un avocat durant leur garde à vue. M. Re se plaint de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de sa garde à vue, malgré sa demande, et de ce que cela n’a pas entraîné l’annulation de l’ensemble de la procédure. Ils invoquent l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, ainsi libellé :
  56. « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

    3.  Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

    (...) »


  57. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  58. A.  Sur la recevabilité

    1.  Thèses des parties

    a)  Le Gouvernement


  59. .  Le gouvernement défendeur soulève une exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes concernant MM. Navone et Lafleur. Il estime que ces derniers devaient exercer tous les recours disponibles au plan interne et, partant, soulever l’irrégularité de leurs auditions an garde à vue non seulement devant les juridictions d’instruction, mais également devant les juridictions de jugement.

  60. .  Par ailleurs, le Gouvernement considère que M. Re a perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention, la Cour de révision ayant annulé le procès-verbal de son premier interrogatoire par la police en l’absence d’un avocat. Ce procès-verbal a été retiré de la procédure avant que les juges du fond ne se soient prononcés et n’en aient eu connaissance. Le Gouvernement ajoute que les actes postérieurs ne devaient quant à eux pas être annulés, dès lors que les déclarations litigieuses n’ont pas vicié l’ensemble de la procédure et affecté la ligne de défense du requérant, celui-ci ayant maintenu la même version des faits tout au long de la procédure.
  61. b)  Les requérants


  62. .  Les requérants soutiennent avoir rempli les conditions tenant à la recevabilité de leur Requête. MM. Navone et Lafleur soulignent que les dispositions internes leur permettent d’invoquer les nullités d’instruction ou de la procédure préalable soit au cours de l’information, soit devant les juridictions de jugement. Ils ont ainsi fait valoir leurs griefs, exactement dans les mêmes termes que devant la Cour, au stade de l’instruction, griefs auxquels il a été répondu par la chambre du conseil de la cour d’appel le 13 janvier 2011 et par la Cour de révision du 7 avril 2011. La Cour de révision étant la plus haute juridiction judiciaire de la Principauté de Monaco, il n’existe aucune voie de recours contre ses décisions. Les requérants estiment dès lors que le fait qu’ils n’aient pas repris la même exception devant les juridictions de jugement n’a aucune incidence puisqu’ils n’étaient plus recevables à le faire à ce stade.
  63. c)  Le gouvernement italien


  64. .  Le gouvernement italien estime que la question de la qualité de victime de M. Re est étroitement liée à l’examen du fond de l’affaire. Il note, d’une part, que le procès-verbal a été annulé mais qu’il n’a eu aucune incidence sur la validité des actes postérieurs étant donné que le requérant a maintenu la même version des faits tout au long de la procédure et, d’autre part, que le premier interrogatoire n’était pas le seul acte entaché par l’absence des garanties pour la défense, d’autres actes également importants et étroitement liés à la déclaration annulée ayant été versés au dossier.

  65. .  Concernant MM. Navone et Lafleur, il estime que la question de l’absence d’épuisement des voies de recours internes ne se pose pas, les requérants ayant invoqué la violation de la Convention, ce qui résulte des arrêts de la chambre du conseil de la cour d’appel et de la Cour de révision, et l’Etat défendeur ayant l’obligation de convaincre la Cour que le recours qu’il invoque était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits.
  66. 2.  Appréciation de la Cour


  67. .  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser - normalement par la voie des tribunaux - les violations alléguées contre eux avant qu’elles ne soient soumises à la Cour (voir, entre autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention - et avec lequel elle présente d’étroites affinités - que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

  68. .  L’article 35 de la Convention ne prescrit toutefois l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, notamment, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, et Selmouni, précité, § 75). Rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 55, CEDH 2009).

  69. .  Par ailleurs, la simple considération que le requérant aurait pu tenter d’obtenir le redressement de la violation alléguée par d’autres moyens au cours des différentes étapes de la procédure ou qu’il ait attendu jusqu’à la fin de la procédure pour présenter un tel recours, comme le droit interne le permettait, ne modifie en rien cette conclusion : selon la jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, entre autres, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 février 2009, Micallef, précité, § 58, et Canali c. France, no 40119/09, 25 avril 2013).

  70. .  En l’espèce, la Cour constate que MM. Navone et Lafleur ont soumis l’examen de leur grief, comme le droit interne le leur permettait, à la chambre du conseil de la cour d’appel puis, dans le cadre d’un pourvoi, à la Cour de révision. La Cour note que le recours choisi par les requérants était disponible et adéquat. Les deux juridictions internes saisies se sont en effet expressément prononcées sur la demande en nullité des requérants, pour la rejeter, au regard notamment des dispositions de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention : la cour d’appel, tout d’abord, qui, s’exprimant au sujet de ces dispositions et de la jurisprudence de la Cour, a estimé devoir conclure à l’absence d’un corpus de normes juridiques qui puisse être appliqué par les juges internes sans risque de porter atteinte à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ; la Cour de révision, ensuite, qui a considéré que le libre exercice du droit de se défendre seul, prévu par l’article 6 § 3 c), est exclusif de celui de ne faire aucune déclaration et rend dès lors inutile la notification de ce dernier droit.

  71. .  Partant, eu égard à ce qui précède et des termes pour le moins exempts d’ambiguïté utilisés par les juges internes, la Cour estime qu’il serait excessif de demander aux requérants d’introduire la voie de recours mentionnée par le Gouvernement, laquelle est similaire et, en tout état de cause, aboutit à nouveau, en fin de procédure, à une saisine de la Cour de révision, alors qu’ils ont utilisé une voie de droit effective et suffisante leur permettant de dénoncer la violation alléguée.

  72.   La Cour rejette donc l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement concernant MM. Navone et Lafleur.

  73. .  S’agissant ensuite de la perte de qualité de victime alléguée de M. Re, la Cour considère que cette question se confond avec le fond de l’affaire, le grief du requérant concernant précisément la question du redressement adéquat suite au constat, par la Cour de révision, de la violation de l’article 6 § 3 de la Convention.

  74. .  La Cour estime dès lors, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que les griefs de MM. Navone, Lafleur et Re posent de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la Requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit qu’ils ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.
  75. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    a)  Les requérants


  76. .  MM. Navone et Lafleur estiment que l’arrêt Brusco c. France (n1466/07, § 62, 14 oct. 2010) confirme une position ancienne et logique : l’objectif poursuivi par l’article 6 est de faire en sorte que la personne gardée à vue et interrogée soit informée de son droit de garder le silence et de ne pas s’incriminer elle-même. Cette garantie essentielle ne se confond pas avec le droit à être assisté par un avocat dès le début de l’interrogatoire : il s’agit d’une garantie distincte et autonome. Il ressort de l’arrêt Brusco que l’obligation de notifier à la personne gardée à vue son droit de conserver le silence est d’autant plus forte que la personne n’est pas assistée par un avocat ; dans le cas contraire, l’avocat pourrait lui-même en informer son client.

  77. .  Or, en l’espèce, les requérants soulignent qu’il n’y a eu ni assistance d’un avocat ni notification du droit au silence. Ils en déduisent deux conséquences : d’une part, la prétendue renonciation à l’assistance d’un avocat n’est pas univoque et dépourvue d’ambiguïté, étant rappelé à cet égard que MM. Navone et Lafleur sont italiens, ne parlent pas français et qu’il n’est pas possible de savoir dans quelles conditions l’entretien a été traduit ; d’autre part, à supposer qu’une renonciation valable soit retenue, la violation de l’article 6 demeure, les requérants n’ayant pas renoncé à se voir notifier leur droit de garder le silence puisqu’ils ignoraient l’existence de ce droit.

  78. .  M. Re considère que l’annulation de toute la procédure subséquente à son interrogatoire sans avocat lors de la garde à vue, et non seulement du procès-verbal dressé pour cet interrogatoire, était justifiée par le fait que ses déclarations ont aggravé sa situation pénale et compromis l’équité de la procédure pénale. Il estime tout d’abord que, lors de l’interrogatoire réalisé sans l’assistance d’un avocat, il a nié les faits d’une manière particulièrement maladroite, ce qu’il n’aurait sans doute pas fait s’il avait pu s’entretenir avec un avocat. En outre, il a fait de telles déclarations circonstanciées que ses propres dénégations devenaient impossibles à croire. Ses propos ont ensuite été repris par le juge d’instruction, qui n’a pas manqué de les relever durant les interrogatoires qui ont suivi. Or M. Re n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, que ce soit avant ou pendant les interrogatoires eux-mêmes.

  79. .  Par ailleurs, le requérant soutient qu’il est inexact d’affirmer que les juges du fond n’ont pas eu accès au procès-verbal annulé par la Cour de révision : non seulement ils y ont tous eu accès, mais de surcroît ses déclarations ont été reprises par le juge d’instruction durant les interrogatoires qui ont fait l’objet de procès-verbaux, lesquels ont été versés au dossier dont ont disposé les juges du fond. Il ajoute que l’attitude d’un prévenu est déterminante pour la suite du procès, les déclarations faites dans un tel contexte équivalent à un « suicide procédural ». Il en conclut que l’annulation d’un seul procès-verbal en l’espèce n’est qu’une application théorique de la Convention.
  80. b)  Le Gouvernement


  81. .  Le gouvernement défendeur soutient tout d’abord, concernant MM. Navone et Lafleur, que lors de leur placement en garde à vue, les requérants ont renoncé de manière non équivoque à leur droit d’être assistés par un avocat et que cette renonciation a été entourée d’un minimum de garanties. Au vu du déroulement des faits, il estime indiscutable que le droit d’être assisté par un avocat leur a été signifié par un officier de police judiciaire, en présence d’un interprète. M. Navone a ainsi répondu qu’il ne désirait pas d’avocat tant la première fois que lors de la prolongation de la garde à vue par le juge des libertés ; M. Lafleur a quant à lui d’abord répondu dans le même sens, avant de solliciter l’assistance d’un avocat lors de la prolongation de sa garde à vue. Les procès-verbaux ont été lus et signés par les deux requérants. Ainsi, ils ont clairement, librement et volontairement refusé de se faire assister par un avocat pendant toute la garde à vue pour M. Navone et pendant les premières vingt-quatre heures pour M. Lafleur.

  82. .  Le Gouvernement estime dès lors normal que les juges internes aient tiré les conséquences d’un tel refus, à savoir que lorsqu’une personne poursuivie refuse d’être assistée par un avocat, c’est qu’elle refuse toutes les garanties qui y sont liées, comme l’a jugé la Cour de révision. Le Gouvernement soutient ainsi que l’interprétation de l’arrêt Brusco (précité) par les requérants est inexacte. Selon lui, la jurisprudence de la Cour signifie que l’officier de police judiciaire doit informer la personne du droit de se taire uniquement si celle-ci a accepté le droit à un avocat et si l’avocat n’est pas présent dès le début de la garde à vue ; en revanche, si la personne gardée à vue a refusé d’être assistée par un avocat, elle renonce également au bénéfice des conseils d’un avocat, notamment concernant le droit de se taire.

  83. .  En tout état de cause, le Gouvernement souligne que cette question n’est plus d’actualité à Monaco, puisqu’une note du procureur général du 30 mai 2011, reprise dans un projet de loi sur la garde à vue, prévoit désormais que « la personne gardée à vue est informée qu’elle a le droit de ne faire aucune déclaration » dès le début de sa garde à vue, qu’elle ait souhaité de bénéficier d’un avocat ou non.

  84. .  Le Gouvernement relève au surplus que les déclarations de MM. Navone et Lafleur n’ont pas été déterminantes quant à la décision de culpabilité, puisqu’ils ont reconnu les vols et confirmé leurs aveux tout au long de la procédure pénale, que ce soit devant le juge d’instruction ou à l’audience du tribunal et de la cour d’appel. Les juges du fond se sont en outre basés, au-delà des déclarations des requérants, sur d’autres éléments concordants.

  85. .  Concernant M. Re, le Gouvernement souligne en premier lieu qu’en droit monégasque, l’attitude d’un prévenu pendant la garde à vue n’est pas déterminante pour les perspectives de défense ultérieure, la personne poursuivie ayant la faculté de discuter des éléments de preuve devant les juges du fond. Il estime ensuite avéré que le premier interrogatoire, établi avant que l’avocat choisi soit prévenu, a été retiré de la procédure et que les juges du fond n’ont pu en prendre connaissance. Il note que le requérant a nié les faits tout au long de la procédure et qu’il a pu présenter sa défense, en concertation avec son avocat, devant les juges du fond. Compte tenu de sa persistance à nier les faits, ces derniers ont retenu d’autres motifs que ses interrogatoires en garde à vue pour le condamner.
  86. c)  Le gouvernement italien


  87. .  Le gouvernement italien, après avoir rappelé les principales étapes des gardes à vue pour les requérants, le contenu des procès-verbaux, ainsi que la jurisprudence de la Cour, note que les requérants n’ont reçu aucune information sur leur droit de se taire et qu’aucun avocat choisi librement ou désigné d’office n’a assisté aux interrogatoires durant la garde à vue.

  88. .  Il constate que des éléments sérieux attestent de leur souhait d’être assistés d’un avocat, ce qui contredit une renonciation de leur part, renonciation qui doit être non équivoque et entourée de garanties. Il relève que lorsqu’un avocat a pu intervenir, pour MM. Lafleur et Ré, il n’a pu ni être présent aux interrogatoires ni avoir accès au dossier. Enfin, le gouvernement italien note que l’activité d’investigation pendant la garde à vue a été particulièrement approfondie et dynamique, avec de nombreux interrogatoires détaillés et cadencés de telle sorte qu’il existe un lien étroit entre eux, ce qui a été déterminant pour condamner les trois requérants, comme en attestent les décisions sur le fond.
  89. 2.  Appréciation de la Cour

    a)  Sur l’absence de notification à MM. Navone et Lafleur de leur droit de garder le silence


  90. .  La Cour rappelle que si l’article 6 de la Convention a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. En particulier, l’article 6 - spécialement son paragraphe 3 - peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès (Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 36, série A no 275). Ainsi qu’il est établi dans la jurisprudence de la Cour, le droit énoncé au paragraphe 3 c) de l’article 6 constitue un élément parmi d’autres de la notion de procès équitable en matière pénale contenue au paragraphe 1 (ibidem, § 37).

  91. .  La Cour a maintes fois souligné l’importance du stade de l’enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 54, CEDH 2008). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même.

  92. .  S’agissant plus particulièrement du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et du droit de garder le silence lors d’un interrogatoire de police, la Cour rappelle qu’il s’agit de normes internationales généralement reconnues et qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray c. Royaume-Uni [GC], no 18731/91, § 45, Recueil 1996-I). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII, Brusco, précité, § 44, et Süzer c. Turquie, no 13885/05, § 75, 23 avril 2013).

  93. .  En l’espèce, la Cour constate d’emblée qu’il n’est pas contesté qu’à aucun moment, durant leur garde à vue, les requérants ne se sont vus notifier leur droit de garder le silence.

  94. .  Certes, le Gouvernement estime que le refus de MM. Navone et Lafleur d’être assisté par un avocat doit être interprété comme entraînant automatiquement un refus de bénéficier de toutes les autres garanties, notamment le droit au silence ; selon lui, l’officier de police judiciaire n’aurait dû informer les requérants de leur droit de se taire que dans l’hypothèse où ils auraient décidé de demander l’assistance d’un avocat. La Cour ne saurait partager cette analyse.

  95. .  En effet, elle rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence précitée qu’une personne gardée à vue bénéficie, d’une part, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence et, d’autre part, du droit à l’assistance d’un avocat pendant tous les interrogatoires. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, il s’agit de droits distincts : dès lors, une éventuelle renonciation à l’un d’eux n’entraîne pas renonciation à l’autre. Par ailleurs, la Cour souligne que ces droits n’en sont pas moins complémentaires, puisqu’elle a déjà jugé que la personne gardée à vue doit a fortiori bénéficier de l’assistance d’un avocat lorsqu’elle n’a pas été préalablement informée par les autorités de son droit de se taire (Brusco, précité, § 54). Elle rappelle en outre que l’importance de la notification du droit au silence est telle que, même dans l’hypothèse où une personne consent délibérément à faire des déclarations aux policiers après avoir été informée que ses propos pourront servir de preuve contre elle, ce qui n’a pas davantage été le cas en l’espèce, son choix ne saurait être considéré comme totalement éclairé dès lors qu’aucun droit à garder le silence ne lui a été expressément notifié et qu’elle pris sa décision sans être assistée par un conseil (Stojkovic c. France et Belgique, no 25303/08, § 54, 27 octobre 2011).

  96. .  La Cour prend note de la réforme du droit monégasque, lequel prévoit, désormais, que la personne gardée à vue est informée dès le début de sa garde à vue qu’elle a le droit de ne faire aucune déclaration, et ce qu’elle ait choisi de bénéficier d’un avocat ou non (paragraphes 40, 41 et 64 ci-dessus). Tel n’était cependant pas le cas à l’époque des faits.

  97. .  Partant, l’absence de notification à MM. Navone et Lafleur de leur droit de garder le silence pendant la garde à vue a emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  98. b)  Sur le droit de MM. Navone, Lafleur et Re à l’assistance d’un avocat durant leur garde à vue


  99. .  La Cour rappelle que la personne placée en garde à vue doit bénéficier du droit à l’assistance d’un avocat dès le début de cette mesure, ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori, comme cela vient d’être rappelé, lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir, notamment, Salduz, précité, §§ 50-62, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010, et Brusco, précité, §§ 45 et 54).

  100. .  Elle a ainsi jugé que l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil (Dayanan, précité, § 32). A cet égard, l’absence d’un avocat lors de l’accomplissement des actes d’enquêtes constitue un manquement aux exigences de l’article 6 (voir, en particulier, İbrahim Öztürk c. Turquie, no 16500/04, §§ 48-49, 17 février 2009, et Karadag c. Turquie, no 12976/05, § 46, 29 juin 2010).

  101. .  La Cour souligne à ce titre qu’elle a plusieurs fois précisé que l’assistance d’un avocat durant la garde à vue doit notamment s’entendre, au sens de l’article 6 de la Convention, comme l’assistance « pendant les interrogatoires » (Karabil c. Turquie, no 5256/02, § 44, 16 juin 2009, Ümit Aydin c. Turquie, no 33735/02, § 47, 5 janvier 2010, et Boz, précité, § 34), et ce dès le premier interrogatoire (Salduz, précité, § 55, et Brusco, précité, § 54).

  102. .  Par ailleurs, elle a déjà jugé qu’une application systématique de dispositions légales pertinentes qui excluent la possibilité d’être assisté par un avocat pendant les interrogatoires suffit, en soi, à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (voir, en premier lieu, Salduz, précité, §§ 56 et 61-62).

  103. .  Or, en l’espèce, nul ne conteste qu’à l’époque des faits, le droit monégasque ne permettait pas aux personnes gardées à vue de bénéficier d’une assistance d’un avocat pendant les interrogatoires : une telle assistance était donc automatiquement exclue en raison des dispositions légales pertinentes. La Cour relève en effet que le droit interne ne prévoyait qu’une consultation avec un avocat au début de la garde à vue ou de la prolongation de celle-ci, pendant une heure maximum, l’avocat étant en tout état de cause exclu des interrogatoires dans tous les cas (paragraphes 14, 21 et 39 ci-dessus).

  104. .  La Cour note que la situation a depuis été modifiée, dans un premier temps par une note du Procureur général en date du 30 mai 2011 (paragraphe 40 ci-dessus), puis par l’adoption de la loi no 1.399 portant réforme du code de procédure pénale en matière de garde à vue, adoptée le 25 juin 2013 (paragraphe 41 ci-dessus). Aux termes de celles-ci, l’avocat peut dorénavant assister la personne gardée à vue tout au long de la mesure, y compris pendant les interrogatoires. Force est cependant de constater que les requérants, dont la garde à vue était antérieure, n’ont pu bénéficier ni des mesures transitoires instituées par la note du 30 mai 2011 ni des nouvelles dispositions législatives.

  105. .  Par conséquent, la Cour ne peut que constater que les requérants ont été automatiquement privés de l’assistance d’un conseil au sens de l’article 6 lors de leur garde à vue, la loi en vigueur à l’époque pertinente faisant obstacle à leur présence durant les interrogatoires (voir, parmi d’autres, Salduz, précité, §§ 27-28, Dayanan, précité, § 33, et Boz, précité, § 35). Dans ces conditions, la question de la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat est sans objet.

  106. .  La Cour rappelle enfin qu’elle a déjà jugé que, du fait de l’automaticité de la privation d’un tel droit en raison de la loi, la violation de l’article 6 est acquise, y compris lorsque le requérant a gardé le silence au cours de sa garde à vue (Dayanan, précité). Un tel constat vaut donc, a fortiori, lorsque la personne gardée à vue a fait des déclarations circonstanciées, fut-ce pour nier les faits qui lui sont reprochés, à l’instar de M. Re en l’espèce, et ce même si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge à son procès devant les juridictions nationales (Savaş c. Turquie, no 9762/03, § 70, 8 décembre 2009). Il s’ensuit, concernant M. Re, qu’il ne saurait lui être opposé la perte de la qualité de victime du fait de l’annulation du procès-verbal de premier interrogatoire par la police, la possibilité d’une assistance d’un avocat durant les interrogatoires ultérieurs - détaillés et cadencés de telle sorte qu’il existe un lien étroit entre eux comme le relève le gouvernement italien - n’ayant pas été prévue par le droit interne applicable. Il convient donc de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

  107. .  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1.
  108. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    86.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


  109. .  Les requérants n’ont pas formulé, conformément aux dispositions de l’article 60 du règlement de la Cour, de demande spécifique à cet effet, en soumettant leurs prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui leur a été imparti pour la présentation de leurs observations sur le fond.

  110. .  La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
  111. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les Requêtes ;

     

    2. Joint au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement relative à la perte de qualité de victime alléguée de M. Re et la rejette ;

     

    3.  Déclare les Requêtes recevables ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de notification à MM. Navone et Lafleur de leur droit de garder le silence pendant la garde à vue ;

     

    5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1, faute pour les trois requérants d’avoir bénéficié en garde à vue de l’assistance d’un avocat durant leurs interrogatoires ;

     

    6.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme aux requérants au titre de la satisfaction équitable.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                                    Elisabeth Steiner
            Greffier                                                                              Présidente



    [1] Article 174 du Code de procédure pénale - Le juge d'instruction fait consigner ses questions et les réponses en dictant, au besoin, celles-ci au greffier. Il avertit, en ce cas, l'inculpé qu'il a le droit de faire les rectifications qu'il jugerait utiles.

    Le conseil de l'inculpé et celui de la partie civile ne peuvent prendre la parole que pour poser des questions et qu'après y avoir été autorisés par le magistrat ; en cas de refus, mention de l'incident est faite au procès-verbal.


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