BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> AL-DULIMI AND MONTANA MANAGEMENT INC. v. SWITZERLAND - 5809/08 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1173 (26 November 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1173.html Cite as: [2013] ECHR 1173 |
[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE AL-DULIMI ET MONTANA MANAGEMENT INC. c. SUISSE
(Requête no 5809/08)
ARRÊT
STRASBOURG
26 novembre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 5809/08) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant irakien, M. Khalaf M. Al-Dulimi (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er février 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La Requête a également été introduite au nom de Montana Management Inc. (« la requérante »), une société de droit panaméen sise à Panama, dont le requérant était le directeur.
2. Les requérants ont été représentés par Me Jean-Cédric Michel, avocat à Genève. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. Adrian Scheidegger, de l’unité droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.
3. Les requérants alléguaient en particulier que la confiscation de leurs avoirs avait été ordonnée en l’absence de toute procédure conforme à l’article 6 de la Convention.
4. Le 12 mars 2009, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond. Il a par ailleurs été décidé de traiter l’affaire en priorité (article 41 du règlement de la Cour - « le règlement »).
5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La Requête est ainsi échue à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).
6. Chacune des parties a soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été reçues des gouvernements français et britannique, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
7. Par une décision du 4 novembre 2010, la chambre a décidé d’ajourner l’examen de l’affaire [jusqu’au prononcé par la Grande Chambre de son arrêt dans l’affaire Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, CEDH 2012].
8. Les requérants ont également demandé que leur cause soit entendue publiquement devant la Cour. En l’espèce, la chambre n’a pas considéré nécessaire à l’accomplissement de ses fonctions au titre de la Convention de tenir une audience sur le fond de l’affaire (article 59 § 3 du règlement).
9. Le 28 mai 2013, la section a exprimé son intention de se dessaisir de l’affaire en faveur de la Grande Chambre en vertu de l’article 30 de la Convention. Par une lettre du 18 juin 2013, le Gouvernement s’est opposé au dessaisissement. Le 17 septembre 2013, la chambre a pris acte de l’opposition du Gouvernement et décidé de reprendre l’examen de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10. Le requérant est né en 1941 et réside à Amman (Jordanie). Selon le Conseil de sécurité des Nations Unies, il était responsable des finances des services secrets irakiens sous le régime de Saddam Hussein.
A. La genèse de l’affaire
11. Après l’invasion du Koweït par l’Irak le 2 août 1990, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (l’« ONU ») adopta les Résolutions 661 (1990) du 6 août 1990 et 670 (1990) du 25 septembre 1990, invitant les Etats membres et non-membres de l’ONU à mettre en place un embargo général contre l’Irak et sur les ressources koweitiennes susceptibles d’être confisquées par l’occupant, ainsi qu’un embargo sur les transports aériens.
12. Le 7 août 1990, le Conseil fédéral suisse adopta l’ordonnance instituant des mesures économiques envers la République d’Irak (l’« ordonnance sur l’Irak », paragraphe 75 ci-dessous). Les requérants allèguent que, depuis cette date, leurs avoirs en Suisse sont gelés.
13. Le 10 septembre 2002, la Suisse devint membre de l’ONU.
14. Le 22 mai 2003, le Conseil de sécurité de l’ONU adopta la Résolution 1483 (2003), abrogeant notamment la Résolution 661 (1990). Le paragraphe 23 de la Résolution 1483 (2003) est ainsi libellé :
« Le Conseil de sécurité
(...)
Décide que tous les Etats Membres où se trouvent :
a) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques du Gouvernement iraquien précédent ou d’organes, entreprises ou institutions publiques qui avaient quitté l’Iraq à la date d’adoption de la présente résolution, ou
b) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques sortis d’Iraq ou acquis par Saddam Hussein ou d’autres hauts responsables de l’ancien régime iraquien ou des membres de leur famille proche, y compris les entités appartenant à ces personnes ou à d’autres personnes agissant en leur nom ou selon leurs instructions, ou se trouvant sous leur contrôle direct ou indirect,
sont tenus de geler sans retard ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques et, à moins que ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques n’aient fait l’objet d’une mesure ou d’une décision judiciaire, administrative ou arbitrale, de les faire immédiatement transférer au Fonds de développement pour l’Iraq, étant entendu que, sauf si elles ont été soumises autrement, les demandes présentées par des particuliers ou des entités non gouvernementales concernant ces fonds ou autres avoirs financiers transférés, peuvent être soumises au gouvernement représentatif de l’Iraq, reconnu par la communauté internationale ; et décide en outre que les privilèges, immunités et protections prévus au paragraphe 22 s’appliqueront aussi à ces fonds, autres avoirs financiers ou ressources économiques. »[1]
15. Il fut porté à l’ordonnance sur l’Irak, adoptée le 7 août 1990, de nombreuses modifications successives, notamment le 30 octobre 2002, pour tenir compte de l’entrée en vigueur de la loi fédérale du 22 mars 2002 sur l’application des sanctions internationales (loi sur les embargos, en vigueur depuis le 1er janvier 2003), et le 28 mai 2003, pour tenir compte de la Résolution 1483 (2003). L’article 2 de l’ordonnance sur l’Irak prévoit en substance le gel des avoirs et ressources économiques de l’ancien gouvernement irakien, de hauts responsables de l’ancien gouvernement et d’entreprises ou de corporations elles-mêmes contrôlées ou gérées par ceux-ci. D’après l’ordonnance, le Département fédéral de l’économie est chargé d’en établir la liste d’après les données de l’Organisation des Nations unies (article 2, alinéa 2, de l’ordonnance sur l’Irak).
16. Le 24 novembre 2003, un comité des sanctions (le « comité des sanctions 1518 »), créé par la Résolution 1518 (2003) du Conseil de sécurité et comprenant tous les membres du Conseil, fut chargé de recenser les hauts responsables de l’ancien régime irakien et les membres de leurs familles proches, ainsi que les entités appartenant à ces personnes ou à d’autres personnes agissant en leur nom ou se trouvant sous leur contrôle, conformément au paragraphe 23 de la Résolution 1483 (2003). A cette fin, le comité tient à jour les listes de personnes et entités déjà recensées par l’ancien comité des sanctions qu’avait créé la Résolution 661 (1990) adoptée pendant le conflit armé opposant l’Irak au Koweït.
17. Le 26 avril 2004, le comité des sanctions inscrivit respectivement sur la liste des entités et sur la liste des personnes la deuxième requérante, qui avait son siège à Genève, et le premier requérant, directeur de la deuxième requérante.
18. Le 12 mai 2004, les requérants furent inscrits sur la liste des personnes physiques et morales, groupes et organisations visés par les mesures prévues par l’article 2 de l’ordonnance sur l’Irak.
19. Le 18 mai 2004, le Conseil fédéral adopta en outre, en vertu de l’article 184, alinéa 3, de la Constitution fédérale, l’ordonnance sur la confiscation des avoirs et ressources économiques irakiens gelés et leur transfert au Fonds de développement pour l’Irak (l’« ordonnance sur la confiscation » ; paragraphe 76 ci-dessous). Cette ordonnance fut d’abord valide jusqu’au 30 juin 2010, puis sa durée de validité fut prolongée jusqu’au 30 juin 2013.
20. Les requérants indiquent que leurs avoirs en Suisse, gelés depuis le 7 août 1990, font l’objet d’une procédure de confiscation engagée par le Département fédéral de l’économie lors de l’entrée en vigueur, le 18 mai 2004, de l’ordonnance sur la confiscation.
21. Souhaitant adresser une Requête de radiation directement au comité des sanctions 1518, le requérant invita le Département fédéral de l’économie, par une lettre du 25 août 2004, à suspendre la procédure de confiscation de ses avoirs.
22. Par une lettre du 5 novembre 2004 adressée au Président du comité des sanctions, le gouvernement suisse, par l’intermédiaire de son représentant permanent auprès de l’Organisation des Nations unies, appuya cette démarche.
23. Par une lettre du 3 décembre 2004, le Président du comité des sanctions informa les requérants que le comité avait examiné la demande et qu’elle était à l’étude. Il sollicita des éléments justificatifs et d’information supplémentaires susceptibles d’étayer cette demande.
24. Le premier requérant répondit par une lettre du 21 janvier 2005 qu’il souhaitait être entendu oralement par le comité des sanctions.
25. Cette demande étant restée sans effet, les requérants sollicitèrent, par une lettre du 1er septembre 2005, la poursuite en Suisse de la procédure relative à la confiscation.
26. Le 22 mai 2006, le Département fédéral de l’économie adressa aux requérants un projet de décision de confiscation et de transfert des fonds déposés à leurs noms à Genève.
27. Dans leurs observations du 22 juin 2006, les requérants s’opposèrent à cette décision.
28. Par une décision du 16 novembre 2006, adressée au mandataire des requérants, le Département fédéral de l’économie prononça la confiscation des avoirs, pour des valeurs en francs suisses (CHF) différentes en ce qui concerne le premier requérant et la deuxième requérante. Il précisa les modalités selon lesquelles ces sommes seraient transférées, dans les 90 jours suivant l’entrée en vigueur de la décision, sur le compte bancaire du Fonds de développement pour l’Irak.
29. A l’appui de sa décision, le Département fédéral de l’économie observa que les noms des requérants figuraient sur les listes des personnes et des entités établies par le comité des sanctions, que la Suisse était tenue d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, et qu’elle ne pouvait radier un nom de l’annexe de l’ordonnance sur l’Irak qu’à la suite d’une décision du comité des sanctions.
30. Le Département fédéral rappela également que les requérants avaient renoncé à poursuivre les pourparlers avec le comité des sanctions. Il indiqua que sa décision pouvait faire l’objet d’un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral.
31. Le 19 décembre 2006, le Conseil de sécurité, ayant à cœur d’assurer que des procédures équitables et claires soient mises en place pour l’inscription d’individus et d’entités sur les listes des comités des sanctions, notamment celles du comité des sanctions 1518, et pour leur radiation de ces listes ainsi que pour l’octroi d’exemptions pour raisons humanitaires, adopta la Résolution 1730 (2006) (paragraphe 48 ci-dessous), qui créait une procédure de radiation des listes.
32. Les requérants saisirent le Tribunal fédéral de trois recours de droit administratif, un relatif au premier requérant et deux relatifs à la deuxième requérante, contre la décision du Département fédéral du 16 novembre 2006. Ces recours concernaient la confiscation des avoirs gelés en Suisse auprès de la banque X., d’une part, et auprès de la banque Y., d’autre part.
33. Dans ces recours, les requérants demandaient l’annulation de la décision rendue le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie. A l’appui de leurs conclusions, ils arguaient que la confiscation de leurs avoirs violait le droit de propriété garanti par l’article 26 de la Constitution fédérale et que la procédure qui avait conduit à leur inscription sur les listes annexées à la Résolution 1483 (2003) et à l’ordonnance sur l’Irak avait violé les garanties fondamentales de procédure consacrées par l’article 14 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques, par les articles 6 et 13 de la Convention et par les articles 29 à 32 de la Constitution fédérale. Les requérants estimaient que le Tribunal fédéral, et avant lui le Département fédéral de l’économie, étaient compétents pour contrôler la légalité et la conformité avec la Convention et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de la décision du comité des sanctions 1518 les portant nommément sur la liste des entités visées par le paragraphe 23 lettre b de la Résolution 1483 (2003). Ils ne voyaient, en effet, pas d’incompatibilité ni de conflit entre les obligations découlant de la Charte et les droits fondamentaux garantis par la Convention ou par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
34. Le Département fédéral de l’économie conclut au rejet des recours.
35. Par une décision du 22 mars 2007, le Président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral ordonna un deuxième échange d’écritures. Les requérants répliquèrent le 27 avril 2007, et le Département fédéral de l’économie dupliqua le 12 juin 2007. Les parties maintinrent leurs conclusions.
36. Le 10 décembre 2007, sans y avoir été invités, les requérants déposèrent des observations complémentaires limitées à l’appréciation de la portée d’un arrêt du Tribunal fédéral du 14 novembre 2007 (l’affaire qui a abouti ultérieurement à l’arrêt Nada c. Suisse, précité) sur le bien-fondé de leurs propres recours. Ils sollicitèrent en outre la possibilité de plaider oralement sur ce point. Une copie de ces écritures fut adressée au Département fédéral de l’économie pour information.
37. Le 18 janvier 2008, les requérants adressèrent au Tribunal fédéral une lettre dans laquelle ils appelaient son attention sur les conclusions déposées le 16 janvier 2008 par l’avocat général en l’affaire Yassin Abdullah Kadi, alors pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, devenue le 1er décembre 2009 la « Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) »), et réitérèrent leur demande de plaidoirie du 10 décembre 2007.
B. Les arrêts du Tribunal fédéral du 23 janvier 2008
38. Par trois arrêts presque identiques, le Tribunal fédéral rejeta les recours sur le fond. Ces arrêts sont ainsi libellés dans leurs parties pertinentes (sauf indication contraire, il s’agit du texte de l’arrêt concernant le premier requérant) :
« 5.1 Depuis le 10 septembre 2002, la Suisse est Membre de l’Organisation des Nations Unies et a ratifié la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 (la Charte ; RS 0.120). Aux termes de l’article 24 paragraphe 1 de la Charte, afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de sécurité agit en leur nom. D’après l’article 25 de la Charte, les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la Charte. Le caractère contraignant des décisions du Conseil de sécurité concernant des mesures prises conformément aux articles 39, 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales résulte également de l’article 48 paragraphe 2 de la Charte qui dispose que ces décisions sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie. L’effet obligatoire des décisions du Conseil de sécurité fonde celui des décisions d’organes subsidiaires, notamment des Comités de sanctions (Eric Suy/Nicolas Angelet, La Charte des Nations Unies, commentaire article par article in : Jean-Pierre Cot/Alain Pellet/Mathias Forteau, 3ème éd., Economica 2005, art. 25, p. 915 s.).
5.2 C’est en vertu du chapitre VII (art. 39 à 51) de la Charte que le Conseil de sécurité a adopté la Résolution 1483 (2003) : Eu égard à la situation en Irak, le Conseil de sécurité a considéré qu’il devait prendre des mesures « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Parmi ces mesures figurent notamment, les décisions des paragraphes 19 et 23 de la résolution : en particulier, le Conseil de sécurité a décidé que les Etats Membres étaient tenus de geler et de transférer au Fonds de développement pour l’Irak les avoirs décrits par le paragraphe 23 de cette résolution. Il a aussi décidé que le Comité des sanctions 1518 devait recenser les personnes et les entités dont il était fait mention au paragraphe 23.
5.3 Après son entrée en fonction, le Comité des sanctions 1518 a publié (http://www.un.org/french/sc/committees/1518/indexshtml) les directives relatives à l’application des paragraphes 19 et 23 de la Résolution 1483 (2003) ; elles décrivent la façon dont les listes de personnes et d’entités sont établies et diffusées. Aux termes de cette directive, le Comité demande que « les noms des personnes et entités qui lui sont communiqués aux fins d’inscription soient, dans la mesure du possible, accompagnés d’un exposé des informations susceptibles de fonder ou de justifier la prise de mesures en application de la Résolution 1483 (2003) ». La procédure est ensuite la suivante : le Comité prend ses décisions par consensus. A défaut de consensus, le Président procède à des consultations susceptibles de faciliter l’accord. Si, à l’issue des consultations, le Comité n’est pas parvenu à un accord, la question est soumise au Conseil de sécurité. Etant donné la nature particulière des informations, le Président peut encourager les Etats Membres intéressés à procéder à des échanges bilatéraux afin de mieux cerner la question avant la prise d’une décision. Si le Comité le décide, les décisions peuvent être prises dans le cadre d’une procédure écrite. Dans ce cas, le Président fait distribuer le projet de décision à tous les Membres du Comité aux fins d’adoption, selon la procédure d’approbation tacite, avec un délai de trois jours ouvrables. S’il ne reçoit aucune objection pendant ce délai, la décision est considérée comme adoptée.
5.4 S. SA et [le premier requérant] figurent sur les listes des entités et des personnes établies par le Comité des sanctions 1518 sous le no (...) pour la société et (...) pour ce dernier, au motif que son directeur est [le premier requérant], ancien responsable des finances des services secrets irakiens de l’époque, qui contrôle également H., K. SA et M. [deuxième requérante], trois entités destinées à gérer les avoirs de l’ancien régime et de ses membres influents. La décision prise le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie de confisquer les avoirs du recourant en application de l’ordonnance sur l’Irak et de l’ordonnance sur la confiscation repose ainsi sur la Résolution 1483 (2003). »
Les deux arrêts concernant la deuxième requérante :
« 5.4 La deuxième requérante figure sur la liste des entités établie par le Comité des sanctions 1518 sous le no (...), au motif que son directeur est [le premier requérant], qui contrôle également H. et K. SA, deux entités destinées à gérer les avoirs de l’ancien régime et de ses membres influents. La décision prise le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie de confisquer les avoirs de la recourante en application de l’ordonnance sur l’Irak et de l’ordonnance sur la confiscation repose ainsi sur la Résolution 1483 (2003). »
L’arrêt concernant le premier requérant (suite) :
« La décision prise le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie de confisquer les avoirs du recourant en application de l’ordonnance sur l’Irak et de l’ordonnance sur la confiscation repose ainsi sur la Résolution 1483 (2003).
6.1 Depuis le 28 novembre 1974, la Suisse est Partie contractante de la Convention européenne des droits de l’homme. En revanche, bien qu’elle ait signé le 19 mai 1976 le Protocole additionnel no 1 du 20 mars 1952, qui garantit en particulier la propriété des biens (art. 1), elle ne l’a pas ratifié à ce jour. Celui-ci n’est donc pas entré en vigueur à l’égard de la Suisse. Par conséquent, en Suisse, la propriété est garantie par la seule Constitution fédérale (art. 26 Cst.). D’après l’article 1 CEDH, les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la Convention (art. 2 à 18 CEDH). L’article 6 paragraphe 1 CEDH, notamment, confère à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. D’après l’article 13 CEDH, toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale.
(...)
6.4 Bien qu’il invoque la garantie de la propriété et qu’il rappelle que la propriété ne peut subir de restrictions que dans le respect des conditions prévues par l’article 36 Cst., le recourant ne se plaint en réalité que de la violation de garanties de procédure et non pas de la violation des articles 26 et 36 Cst. : il souligne que des restrictions à sa propriété, comme la confiscation dont ses biens font l’objet, ne peuvent être prononcées qu’à l’issue d’une procédure juridictionnelle de droit interne comportant l’examen matériel des conditions légales de la restriction, dans le respect des droits fondamentaux, des garanties fondamentales de procédure, des droits de partie, soit le droit d’être entendu, l’exigence de motivation, l’interdiction du déni de justice, l’égalité des armes et le principe du contradictoire (cf. mémoire de recours, ch. 76 à 80). Il se plaint que les motifs de son inscription sur la liste du Comité des sanctions 1518 n’auraient jamais été portés à sa connaissance et qu’il n’aurait pas pu s’exprimer à leur égard ni se défendre de manière contradictoire devant une instance judiciaire indépendante et impartiale, ce que le Département de l’économie ne dément pas - à juste titre - au vu du déroulement de la procédure d’inscription (cf. ci-dessus : consid. 4.3).
A cet égard, le recourant est d’avis que la Suisse est tenue d’appliquer la Résolution 1483 (2003), mais également les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte international sur les droits civils et politiques relatives aux garanties de procédure ; il soutient qu’il n’y a pas de contradiction entre ces diverses obligations, raison pour laquelle la décision attaquée devrait être annulée et la cause renvoyée pour une nouvelle procédure de confiscation devant les instances judiciaires suisses, qui en examineraient le bien-fondé dans le respect des garanties fondamentales de procédure.
Il convient par conséquent d’examiner quelles garanties de procédure la Suisse est tenue de respecter au vu des obligations résultant de la Charte et de la Résolution 1483 (2003) dans la procédure introduite par le Département fédéral de l’économie conduisant à la confiscation des avoirs du recourant.
7.1 D’après l’article 5 alinéa 4 Cst., la Confédération et les cantons respectent le droit international. Selon l’article 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Par droit international au sens de l’article 190 Cst., la jurisprudence entend l’ensemble du droit international contraignant pour la Suisse, qui comprend les accords internationaux, le droit international coutumier, les règles générales du droit des gens ainsi que les décisions des organisations internationales qui s’imposent à la Suisse. Il s’ensuit que le Tribunal fédéral est en principe tenu de respecter les dispositions de la Charte, les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies ainsi que les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
7.2 L’article 190 Cst. ne prévoit en revanche aucune règle de conflit entre diverses normes du droit international également contraignantes pour la Suisse. Toutefois, d’après l’article 103 de la Charte, en cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront. Cette primauté est également rappelée par l’article 30 paragraphe 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV ; RS 0.111 ; entrée en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1990).
D’après la doctrine et la jurisprudence, il s’agit d’une primauté absolue et générale qui opère indépendamment de la nature du traité qui est en conflit avec la Charte, de son caractère bilatéral ou multilatéral, ou du fait que le traité est entré en vigueur avant ou après l’entrée en vigueur de la Charte. Cette primauté est accordée non seulement aux obligations explicitement énoncées dans la Charte, mais également, d’après la Cour internationale de justice, à celles qui découlent des décisions obligatoires des organes des Nations Unies, en particulier aux décisions obligatoires du Conseil de sécurité rendues en application de l’article 25 de la Charte (Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, CIJ, Rec. 1992, p. 15, paragraphe 39 ; Felipe Paolillo, Les conventions de Vienne sur le droit des traités, commentaire article par article, sous la direction de Olivier Corten et Pierre Klein, Bruylant Bruxelles 2006, no 33 ad article 30 CV et les nombreuses références citées). Cette primauté n’entraîne pas la nullité du traité en conflit avec les obligations découlant de la Charte, mais uniquement sa suspension, tant que dure le conflit (Eric Suy, Les conventions de Vienne sur le droit des traités, op. cit., no 15 ad article 53 CV et les références citées).
Par ailleurs, ni la Convention européenne des droits de l’homme ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne contiennent de clauses qui auraient, par elles-mêmes ou en vertu d’un autre traité, la primauté sur la clause de conflit doublement instituée par les articles 103 de la Charte et 30 paragraphe 1 CV.
L’article 46 Pacte ONU II dispose bien qu’« aucune disposition du Pacte ne doit être interprétée comme portant atteinte aux dispositions de la Charte des Nations Unies et des constitutions des institutions spécialisées qui définissent les responsabilités respectives des divers organes de l’Organisation des Nations Unies et des institutions spécialisées en ce qui concerne les questions traitées dans le Pacte ». Toutefois, selon la doctrine, cette disposition signifierait simplement que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne saurait gêner dans leur fonction les organes politiques et les institutions spécialisées qui sont chargés par la Charte de s’occuper des droits de l’homme (Manfred Nowak, U.N. Covenant on civil and political Rights, CCPR Commentary, Kehl 2005, no 3 ad article 46 Pacte ONU II, p. 798). Elle n’instituerait donc pas de hiérarchie entre les décisions du Conseil de sécurité et les droits garantis par le Pacte ONU II, auquel d’ailleurs l’Organisation des Nations Unies en tant que telle n’est pas partie. On ne saurait en conclure que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’emporte sur les obligations résultant de la Charte.
7.3 Par conséquent, en cas de conflit entre les obligations de la Suisse découlant de la Charte et celles découlant de la Convention européenne des droits de l’homme ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les obligations découlant de la Charte l’emportent en principe sur les secondes, ce que le recourant ne nie pas. Il estime toutefois que ce principe n’est pas absolu. A son avis, les obligations résultant de la Charte, en particulier celles de la Résolution 1483 (2003), perdent leur caractère contraignant si elles contreviennent aux règles du jus cogens.
8. Le recourant soutient que les garanties de procédure équitable des articles 14 Pacte ONU II et 6 CEDH constituent du jus cogens. En violant ces garanties, la Résolution 1483 (2003) perdrait son effet obligatoire.
8.1 Sous le titre « Traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens) », l’article 53 CV prévoit la nullité de tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général, c’est-à-dire une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. D’après l’article 64 CV en outre, si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin. L’article 71 CV règle les conséquences liées à la nullité des traités en pareilles hypothèses.
8.2 L’article 53 CV ne contient pas d’exemple de normes impératives de droit international général (Rapport de la Commission du droit international, Commentaire ad art. 50, Annuaire de la Commission du droit international 1966 II, p 269 s.). Les mots « par la communauté internationale des Etats dans son ensemble » ne permettent pas d’exiger qu’une règle soit acceptée et reconnue comme impérative par l’unanimité des Etats. Il suffit d’une très large majorité. A titre d’exemple, on cite généralement les normes ayant trait à l’interdiction du recours à la force, de l’esclavage, du génocide, de la piraterie, des traités inégaux et de la discrimination raciale (Eric Suy, op. cit., no 12 ad art. 53 CV, p. 1912 ; Nguyen Quoc Dinh"/Patrick Daillier/Alain Pellet, Droit international public, 7ème éd., LGDJ 2002, no 127, p. 205 ss ; Joe Verhoeven, Droit international public, Larcier 2000, p. 341 ss).
Cette liste d’exemples ne comprend pas les droits tirés des articles 14 Pacte ONU II et 6 CEDH, dont se prévaut le recourant. Leur simple reconnaissance par le Pacte international sur les droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme ne leur confère pas encore le caractère de norme impérative du droit international général. Il résulte en outre des travaux à l’origine de l’article 53 CV et de la lettre de cette disposition qu’on ne saurait en principe concevoir un jus cogens régional (Eric Suy, op. cit., no 9 ad art. 53 CV, p. 1910 ; le sujet est controversé en doctrine, cf. notamment : Eva Kornicker, Ius cogens und Umweltvölkerrecht, Thèse Bâle 1997, p. 62 ss et les nombreuses références citées).
8.3 Il est vrai qu’en cas de danger exceptionnel menaçant l’existence de la nation, l’article 4 paragraphes 1 et 2 Pacte ONU II autorise, sous certaines conditions, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le Pacte, à l’exception de celles prévues par les articles 6, 7, 8 (paragraphes 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 (droit à la vie, interdiction de la torture, interdiction de l’esclavage, interdiction de la détention pour dette, interdiction de rétroactivité de la loi pénale, reconnaissance de la personnalité juridique, liberté de pensée, de croyance et de religion). L’article 15 paragraphes 1 et 2 CEDH prévoit également une clause d’état d’urgence permettant de déroger aux obligations de la Convention et exclut également toute dérogation aux articles 2, 3, 4 (paragraphe 1) et 7 (droit à la vie, interdiction de la torture, interdiction de l’esclavage, pas de peine sans loi). Certains auteurs considèrent que les droits et interdictions énumérés par les articles 4 paragraphe 2 Pacte ONU II et 15 paragraphe 2 CEDH correspondent au noyau central des droits de l’homme et pourraient de ce fait revêtir le caractère de normes impératives de droit international général (Stefan Oeter, Ius cogens und der Schutz der Menschenrechte, in : Liber amicorum Luzius Wildhaber 2007, p. 499 ss, p. 507 ss) ; pour d’autres auteurs, il ne s’agirait que d’un indice en ce sens (Eva Kornicker, Ius cogens und Umweltvölkerrecht, Thèse Bâle 1997, p. 58 ss). Cette dernière opinion semble correspondre à celle de l’(ancienne) Commission des droits de l’homme pour qui la liste des droits auxquels l’article 4 paragraphe 2 Pacte ONU II n’autorise aucune dérogation peut certes être mise en relation, mais ne se confond pas, avec la question de savoir si certains droits de l’homme revêtent le caractère de norme impérative du droit international général (Observations générales 29/72 du 24 juillet 2001 fondées sur l’article 40 paragraphe 4 Pacte ONU II, ch. 11, publiées in : Manfred Nowak, U.N. Covenant on civil and political Rights, CCPR Commentary, Kehl 2005, p. 1145 ss, p. 1149). En l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher cette question du moment que les articles 14 Pacte ONU II et 6 CEDH ne figurent de toute façon pas dans les énumérations des articles 4 paragraphe 2 Pacte ONU II et 15 § 2 CEDH.
8.4 Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme le recourant, ni les garanties fondamentales de procédure, ni le droit de recours effectif des articles 6 et 13 CEDH et 14 Pacte ONU II, ne revêtent pour eux-mêmes le caractère de normes impératives de droit international général (jus cogens), en particulier dans le cadre de la procédure de confiscation qui porte sur la propriété du recourant (dans le même sens : arrêt du Tribunal fédéral suisse 1A.45/2007 du 14 novembre 2007 en la cause Nada c. DFE, consid. 7.3 ; arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 septembre 2005, Yusuf et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, T-306/01 Rec. 2005 II p. 3533, paragraphes 307 et 341 ; arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission, T-315/01 Rec. 2005 II p. 3649, paragraphes 268 et 286 ; arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 juillet 2006, Ayadi/Conseil, T-253/02 Rec. 2006 II p. 2139, paragraphe 116 ; arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 juillet 2006, Hassan/Conseil et Commission, T-49/04 Rec. 2006 II p. 52, paragraphe 92).
Quant aux droits garantis par les articles 29 ss Cst., il s’agit de droit national qui ne saurait constituer du jus cogens et faire obstacle à la mise en œuvre par la Suisse de la Résolution 1483 (2003).
9. Selon le recourant, la Suisse disposerait d’une latitude suffisante, même au regard de ses obligations vis-à-vis du Conseil de sécurité, pour respecter les devoirs qui lui incombent en vertu des articles 14 Pacte ONU II et 6 CEDH. Il serait nécessaire, selon lui, de distinguer la question de la radiation de son nom sur la liste établie par le Comité des sanctions 1518 de celle de la confiscation des avoirs gelés : la question de la confiscation pourrait faire l’objet d’une procédure équitable, sans violer les obligations résultant de la Charte.
9.1 Cette opinion ne peut être suivie. En effet, la description des mesures (gel des fonds ou d’autres avoirs financiers, transfert immédiat de ceux-ci au Fonds de développement de l’Irak), des personnes et des entités visées (gouvernement irakien précédent, Saddam Hussein, autres hauts responsables de l’ancien régime irakien, membres de leur famille proche, y compris les entités appartenant à ces personnes ou d’autres personnes agissant en leur nom ou selon leurs instructions ou encore se trouvant sous leur contrôle direct ou indirect) ainsi que du mandat confié au Comité des sanctions 1518 (recenser les personnes et les entités dont il fait mention au paragraphe 23) est détaillée et ne laisse aucune place à l’interprétation. De même, la liste des personnes et entités établie par le Comité des sanctions 1518 ne revêt aucun caractère dispositif. Il ne s’agit pas de décider si le nom du recourant doit y être inscrit ou l’est à bon droit, mais uniquement de constater que ce nom figure dans la liste en cause, qui doit être transposée en droit interne suisse. En affirmant qu’il serait possible de traiter séparément la question de la confiscation de ses avoirs, le recourant perd de vue que, parmi les mesures imposées aux Etats Membres, figure le transfert immédiat des avoirs gelés au Fonds pour le développement de l’Irak. Cette injonction ne nécessite aucune interprétation ni n’accorde de latitude dans le résultat qu’elle exige des Etats Membres quant au sort des avoirs gelés détenus par des personnes qui, à l’instar du recourant, sont nommément inscrites sur la liste du Comité des sanctions 1518. Clairement déterminés, ces avoirs doivent être transférés au Fonds pour le développement de l’Irak. Sous cet angle, la présente cause diffère de celle jugée par le Tribunal de première instance des Communautés européennes opposant l’Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran au Conseil de l’Union européenne. Cette affaire avait pour objet la Résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 instituant des mesures destinées à lutter contre le terrorisme ; cette résolution exigeait des Etats Membres des Nations Unies - en l’occurrence à la Communauté européenne - l’identification concrète des personnes, groupes et entités dont les fonds devaient être gelés, parce qu’elle ne donnait aucune liste de ces derniers. Le Tribunal de première instance a jugé que leur désignation devait respecter les garanties de procédure (arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T-228/02, non encore publié au Recueil).
9.2 Dans ces conditions, contrairement à ce qu’affirme le recourant, la mise en œuvre de la Résolution 1483 (2003) exige de la Suisse qu’elle se tienne strictement aux mesures instaurées et aux décisions du Comité des sanctions 1518, qui, sous réserve d’une éventuelle violation du jus cogens par le Conseil de sécurité, ne laisse aucune place, même sous couvert du respect des garanties de procédure de la Convention européenne de droits de l’homme, du Pacte international des droits civils et politiques ainsi que de la Constitution suisse, à un examen de la procédure d’inscription du recourant sur la liste publiée par le Comité des sanctions 1518, ou encore à la vérification du bien-fondé de l’inscription.
10. Le recourant soutient encore que l’article 4 de l’ordonnance sur la confiscation conférerait au Tribunal fédéral un plein pouvoir de cognition, lui permettant de sanctionner le fait que l’autorité inférieure n’aurait pas vérifié le bien-fondé de la confiscation de ses avoirs ou, en d’autres termes, qu’elle aurait admis à tort leur confiscation sur la seule base de sa désignation sur la liste annexe à la Résolution 1483 (2003), sans pallier la violation de ses droits de procédure découlant notamment des articles 29 ss Cst.
10.1 Selon les considérants qui précèdent, l’article 4 de l’ordonnance sur la confiscation ne saurait autoriser le Tribunal fédéral, pas plus que l’autorité intimée, à vérifier si l’inscription du recourant sur la liste publiée par le Comité des sanctions 1518 s’est faite conformément aux garanties de procédure des articles 14 Pacte ONU, 6 CEDH et 29 ss Cst. Sous réserve de l’examen de la violation du jus cogens, comme cela a été démontré ci-dessus, la Suisse n’est en effet pas autorisée à contrôler la validité des décisions du Conseil de sécurité, notamment de la Résolution 1483 (2003), même sous l’angle du respect des garanties de procédure ni d’en guérir, le cas échéant, les vices. En effet, cela pourrait avoir pour effet de priver l’article 25 de la Charte de tout effet utile, ce qui serait le cas si les avoirs gelés du recourant n’étaient pas confisqués et transférés au Fonds pour le développement de l’Irak (Eric Suy/Nicolas Angelet, La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, sous la direction de Jean-Pierre Cot/Alain Pellet/Mathias Forteau, 3ème éd., Economica 2003, art. 25, p. 917).10.2.
En revanche, sous cette réserve, la Suisse est libre de choisir le mode de transposition en droit interne des obligations qui résultent de la Résolution 1483 (2003), ainsi que les modalités du transfert des avoirs gelés. Le Conseil fédéral a fait usage de ce choix en distinguant les mesures de gel des avoirs de celles tendant au transfert des avoirs gelés. Le Département fédéral a pour sa part suspendu la procédure de confiscation sur Requête du recourant qui cherchait à saisir le Comité des sanctions et ne l’a reprise que sur Requête expresse du recourant. Sous la même réserve, le Conseil fédéral était habilité à garantir le droit d’être entendu des titulaires d’avoirs gelés avant que ne soit prononcée la décision de confiscation. Il était également habilité à ouvrir la voie du recours de droit administratif contre de telles décisions.
En l’espèce, le recourant a fait plein usage de son droit d’être entendu puisqu’il a eu accès au dossier du Département fédéral de l’économie, du moins aux pièces bancaires pertinentes, et qu’il a eu l’occasion de s’exprimer devant ce dernier. Il a en outre fait pleinement usage de la voie de droit prévue par l’article 4 de l’Ordonnance sur la confiscation en déposant le présent recours de droit administratif. Sous cet angle, qui seul relève de la compétence de la Suisse, force est de constater que le recourant n’émet aucun grief tiré de la violation des articles 26 et 36 Cst. à l’encontre de la procédure de confiscation (cf. consid. 5.4).
Dans un dernier grief enfin, le recourant considère que le refus d’annuler la décision rendue le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie pour violation des garanties de procédure heurte la position maintes fois défendue par la Suisse, le Conseil fédéral ou le Département fédéral des affaires étrangères affirmant le respect intangible qu’il convient de vouer aux droits de l’homme. Il s’agirait là d’une position « indivisible » à l’égard des autres Nations qui aurait été bafouée par la décision rendue le 16 novembre 2006 par le Département fédéral de l’économie.
10.3 Le recourant semble méconnaître le sens qu’il est convenu d’accorder à l’indivisibilité (dans le domaine) des droits de l’homme. Selon la doctrine, le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme signifie que les Etats ne peuvent pas choisir entre les droits de l’homme pour faire prévaloir certains sur d’autres. Ce principe a pour but d’éviter que les gouvernements puissent prétendre défendre les droits de l’homme en choisissant à leur guise sur la liste ceux qu’ils accepteraient et ceux qu’ils négligeraient (Françoise Bouchet-Saulnier, Droits de l’homme, droit humanitaire et justice internationale, Acte Sud 2002, p. 23 et 27 s.).
10.4 En l’espèce, pour autant qu’on le comprenne bien, le recourant se plaint plutôt de l’attitude de la Suisse qu’il juge contradictoire. Cette opinion perd de vue que l’ordre juridique positif tel qu’il a été exposé ci-dessus s’impose en vertu de l’article 190 Cst. et pour des motifs de sécurité du droit : La Suisse ne saurait à elle seule radier le recourant de la liste établie par le Comité des sanctions qui détient seul cette compétence, quand bien même la procédure à cet effet n’est pas entièrement satisfaisante (cf. arrêt 1A.45/2007 du 14 novembre 2007, consid. 8.3). Au demeurant, il n’est pas contradictoire de la part des autorités fédérales d’en constater l’imperfection et, comme en l’espèce, de plaider et d’agir sur le plan politique pour le respect intangible des droits de l’homme notamment dans les procédures d’inscription et de radiation appliquées par le Comité des sanctions 1518. Sous cet angle, le comportement de la Suisse ne viole pas non plus les articles 26, 29 ss Cst., les articles 6 et 13 CEDH ainsi que l’article 14 du Pacte ONU II.
11. Le recours doit par conséquent être rejeté. Le Tribunal fédéral juge toutefois que, dans le cadre du pouvoir et de la liberté d’exécution de la Suisse (cf. consid. 10.2), il appartient à l’autorité intimée d’octroyer au recourant un bref et dernier délai, avant de passer à l’exécution de la décision du 16 novembre 2006 - dont l’entrée en force est acquise par le rejet du présent recours - pour qu’il puisse saisir, s’il le désire, le Comité des sanctions 1518 d’une nouvelle procédure de radiation selon les modalités améliorées de la Résolution 1730 (2006) du 19 décembre 2006, dont le recourant n’a pas eu l’occasion de faire usage, tous ses espoirs reposant à tort sur le présent recours de droit administratif.
12. Le recours est ainsi rejeté dans le sens des considérants (...). »
C. Les faits ultérieurs
39. Le 13 juin 2008, les requérants adressèrent une demande de radiation de la liste dans le cadre de la procédure prévue par la Résolution 1730 (2006). Cette demande fut rejetée le 6 janvier 2009.
40. Par un préavis favorable émis par le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco) le 26 septembre 2008, les requérants furent informés de l’autorisation de recourir aux avoirs gelés en Suisse pour régler les futurs honoraires d’un avocat américain, dans la mesure où les activités de ce dernier se limitaient à leur défense en rapport avec la procédure de confiscation en Suisse et avec la procédure de radiation.
41. A quatre reprises, dont la dernière le 26 février 2009, le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco), sur la base de l’article 2, alinéa 3, de l’ordonnance sur l’Irak, fit droit aux demandes des requérants et autorisa que certains montants en vue du paiement des frais d’avocat afférents aux décisions de confiscation soient débloqués.
42. Le 6 mars 2009, les autorités suisses décidèrent de surseoir à l’exécution des décisions de confiscation dans l’attente de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, et de celui du Tribunal fédéral sur la demande de révision interne en cas de constat par la Cour d’une violation de la Convention.
43. Par sa Résolution 1956(2010) du 15 décembre 2010, le Conseil de sécurité abrogea le Fonds de développement pour l’Iraq au 30 juin 2011. Ses produits furent transférés aux comptes des mécanismes successeurs du Gouvernement iraquien. Le comité des sanctions établi en vertu de la Résolution 1518(2003) continue ses activités.
44. Par une lettre du 21 février 2013, l’avocat des requérants informa la Cour que la confiscation des avoirs de ses clients n’avait toujours pas eu lieu, étant donné que le gouvernement défendeur avait sursis à l’exécution des décisions de confiscation. Il ajouta néanmoins que le gouvernement pouvait à tout moment procéder à l’exécution de ces décisions.
II. LE DROIT INTERNATIONAL ET INTERNE PERTINENT
A. Le droit international
1. La Charte des Nations unies
45. Les dispositions pertinentes de la Charte des Nations unies sont ainsi libellées :
« Préambule :
Nous, peuples des Nations Unies, résolus
à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,
à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,
à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,
à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande,
et à ces fins
à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage,
à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales,
à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun,
à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples,
(...)
Chapitre I
Buts et principes
Article 1 :
Les buts des Nations Unies sont les suivants :
1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ;
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;
3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion ;
4. Être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes.
Article 25 :
Les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte.
(...)
Article 103 :
En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront. »
2. La Convention de Vienne sur le droit des traités
46. Les dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, entrée en vigueur à l’égard de la Suisse le 6 juin 1990, se lisent ainsi :
« Article 30: Application de traités successifs portant sur la même matière
1. Sous réserve des dispositions de l’Article 103 de la Charte des Nations Unies, les droits et obligations des Etats parties à des traités successifs portant sur la même matière sont déterminés conformément aux paragraphes suivants.
2. Lorsqu’un traité précise qu’il est subordonné à un traité antérieur ou postérieur ou qu’il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité, les dispositions de celui-ci l’emportent.
3. Lorsque toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur, sans que le traité antérieur ait pris fin ou que son application ait été suspendue en vertu de l’article 59, le traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur.
4. Lorsque les parties au traité antérieur ne sont pas toutes parties au traité postérieur :
a) dans les relations entre les Etats parties aux deux traités, la règle applicable est celle qui est énoncée au paragraphe 3 ;
b) dans les relations entre un Etat partie aux deux traités et un Etat partie à l’un de ces traités seulement, le traité auquel les deux Etats sont parties régit leurs droits et obligations réciproques.
5. Le paragraphe 4 s’applique sans préjudice de l’article 41, de toute question d’extinction ou de suspension de l’application d’un traité aux termes de l’article 60, ou de toute question de responsabilité qui peut naître pour un Etat de la conclusion ou de l’application d’un traité dont les dispositions sont incompatibles avec les obligations qui lui incombent à l’égard d’un autre Etat en vertu d’un autre traité.
(...)
Article 53 : Traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens)
Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.
(...)
Article 64 : Survenance d’une nouvelle norme impérative du droit international général (jus cogens)
Si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin.
(...) »
3. Les résolutions du Conseil de sécurité pertinentes en l’espèce
47. La Résolution 1483 (2003) du 23 mai 2003 est ainsi libellée :
« Le Conseil de sécurité,
Rappelant toutes ses résolutions antérieures sur la question,
Réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq,
Réaffirmant également qu’il importe de désarmer l’Iraq de ses armes de destruction massive et, à terme, de confirmer le désarmement de l’Iraq,
Soulignant le droit du peuple iraquien de déterminer librement son avenir politique et d’avoir le contrôle de ses ressources naturelles, se félicitant de ce que toutes les parties concernées se soient engagées à appuyer la création des conditions lui permettant de le faire le plus tôt possible et se déclarant résolu à ce que le jour où les Iraquiens se gouverneront eux-mêmes vienne rapidement,
Encourageant le peuple iraquien dans les efforts qu’il déploie pour former un gouvernement représentatif, fondé sur l’état de droit et garantissant la justice et des droits égaux à tous les citoyens iraquiens, sans considération d’appartenance ethnique, de religion ou de sexe, et rappelant à cet égard la Résolution 1325 (2000) du 31 octobre 2000,
Se félicitant des premiers pas du peuple iraquien à cette fin et prenant note de la déclaration de Nassiriya, en date du 15 avril 2003, et de la déclaration de Bagdad du 28 avril 2003,
Résolu à ce que les Nations Unies jouent un rôle crucial dans le domaine humanitaire, dans la reconstruction de l’Iraq et dans la création et le rétablissement d’institutions nationales et locales permettant l’établissement d’un gouvernement représentatif,
Prenant note de la déclaration des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du Groupe des sept pays les plus industrialisés, en date du 12 avril 2003, dans laquelle ceux-ci ont reconnu la nécessité d’un effort multilatéral pour aider à la reconstruction et au développement de l’Iraq, de même que celle d’une assistance du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale pour appuyer cet effort,
Accueillant avec satisfaction la reprise de l’aide humanitaire et les efforts que le Secrétaire général et les institutions spécialisées ne cessent de déployer pour fournir vivres et médicaments à la population iraquienne,
Se félicitant que le Secrétaire général ait désigné un conseiller spécial pour l’Iraq,
Affirmant qu’il convient d’obliger l’ancien régime iraquien à répondre des crimes et atrocités qu’il a commis,
Insistant sur la nécessité de respecter le patrimoine archéologique, historique, culturel et religieux de l’Iraq et de continuer à assurer la protection des sites archéologiques, historiques, culturels et religieux, ainsi que des musées, bibliothèques et monuments,
Prenant note de la lettre que les Représentants permanents des Etats-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont adressée à son Président le 8 mai 2003 (S/2003/538) et reconnaissant les pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces États en tant que puissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l’« Autorité »), en vertu du droit international applicable,
Notant que d’autres États qui ne sont pas des puissances occupantes travaillent actuellement ou pourraient travailler sous l’égide de l’Autorité,
Se félicitant également de la volonté des États Membres de contribuer à la stabilité et à la sécurité en Iraq en fournissant personnel, équipement et autres ressources, sous l’égide de l’Autorité,
Préoccupé par le sort de nombreux Koweïtiens et ressortissants d’États tiers portés disparus depuis le 2 août 1990,
Considérant que la situation en Iraq, si elle s’est améliorée, continue de menacer la paix et la sécurité internationales,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Appelle les États Membres et les organisations concernées à aider le peuple iraquien dans les efforts qu’il déploie pour réformer ses institutions et reconstruire le pays et de (sic) contribuer à assurer la stabilité et la sécurité en Iraq conformément à la présente résolution ;
2. Exhorte tous les États Membres qui sont en mesure de le faire à répondre immédiatement aux appels humanitaires lancés par l’Organisation des Nations Unies et d’autres organismes internationaux en faveur de l’Iraq et à contribuer à répondre aux besoins humanitaires et autres de la population iraquienne en apportant des vivres et des fournitures médicales ainsi que les ressources nécessaires à la reconstruction de l’Iraq et à la remise en état de son infrastructure économique ;
3. Demande à tous les États Membres de refuser de donner refuge aux membres de l’ancien régime iraquien présumés responsables de crimes et d’atrocités et de soutenir toute action visant à les traduire en justice ;
4. Demande à l’Autorité, conformément à la Charte des Nations Unies et aux dispositions pertinentes du droit international, de promouvoir le bien-être de la population iraquienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité et à créer les conditions permettant au peuple iraquien de déterminer librement son avenir politique ;
5. Demande à toutes les parties concernées de s’acquitter pleinement de leurs obligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement de La Haye de 1907 ;
6. Appelle l’Autorité et les organismes et personnes compétents à poursuivre les efforts menés pour localiser, identifier et rapatrier tous les Koweïtiens et ressortissants d’États tiers qui sont en Iraq depuis le 2 août 1990, ou leurs dépouilles, ainsi que les archives koweïtiennes, ce que le précédent régime iraquien n’a pas fait et, à cet égard, charge le Coordonnateur de haut niveau, en consultation avec le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission tripartite, de prendre, avec l’appui approprié du peuple iraquien et en coordination avec l’Autorité, des mesures pour s’acquitter de son mandat en ce qui concerne les Koweïtiens et ressortissants d’États tiers portés disparus et leurs biens ;
7. Décide que tous les États Membres doivent prendre les mesures voulues pour faciliter la restitution, en bon état, aux institutions iraquiennes des biens culturels iraquiens et des autres objets ayant une valeur archéologique, historique, culturelle, scientifique ou religieuse, qui ont été enlevés illégalement du Musée national iraquien, de la Bibliothèque nationale et d’autres sites en Iraq depuis l’adoption de la Résolution 661 (1990) du 6 août 1990, notamment en frappant d’interdiction le commerce ou le transfert de ces objets et des objets dont il y a de bonnes raisons de croire qu’ils ont été enlevés illégalement et appelle l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, Interpol et autres organisations internationales compétentes à faciliter la mise en œuvre du présent paragraphe ;
8. Demande au Secrétaire général de désigner un représentant spécial pour l’Iraq qui aura, de façon indépendante, la responsabilité de faire régulièrement rapport au Conseil sur les activités qu’il mènera au titre de la présente résolution, de coordonner l’action des Nations Unies au lendemain du conflit en Iraq, d’assurer la coordination des efforts déployés par les organismes des Nations Unies et les organisations internationales fournissant une aide humanitaire et facilitant les activités de reconstruction en Iraq et, en coordination avec l’Autorité, de venir en aide à la population iraquienne en :
a) Coordonnant l’aide humanitaire et l’aide à la reconstruction apportée par les organismes des Nations Unies et les activités menées par ces derniers et les organisations non gouvernementales ;
b) Facilitant le rapatriement librement consenti des réfugiés et des déplacés dans l’ordre et la sécurité ;
c) Œuvrant sans relâche avec l’Autorité, le peuple iraquien et les autres parties concernées à la création et au rétablissement d’institutions nationales et locales permettant la mise en place d’un gouvernement représentatif, notamment en travaillant ensemble pour faciliter un processus débouchant sur la mise en place d’un gouvernement iraquien représentatif, reconnu par la communauté internationale ;
d) Facilitant la reconstruction des infrastructures clefs, en coopération avec d’autres organisations internationales;
e) Favorisant le relèvement économique et l’instauration de conditions propices au développement durable, notamment en assurant la coordination avec les organisations nationales et régionales, selon qu’il conviendra, et avec la société civile, les donateurs et les institutions financières internationales ;
f) Encourageant les efforts déployés par la communauté internationale pour que les fonctions essentielles d’administration civile soient assurées ;
g) Assurant la promotion de la protection des droits de l’homme ;
h) Appuyant les efforts déployés à l’échelle internationale pour rendre à nouveau opérationnelle la police civile iraquienne ;
i) Soutenant les efforts menés par la communauté internationale pour promouvoir des réformes juridiques et judiciaires ;
9. Appuie la formation par le peuple iraquien, avec l’aide de l’Autorité et en collaboration avec le Représentant spécial, d’une administration provisoire iraquienne qui servira d’administration transitoire dirigée par des Iraquiens jusqu’à ce qu’un gouvernement représentatif, reconnu par la communauté internationale, soit mis en place par le peuple iraquien et assume les responsabilités de l’Autorité ;
10. Décide qu’à l’exception des interdictions frappant la vente ou la fourniture à l’Iraq d’armes et de matériel connexe autres que ceux dont l’Autorité a besoin pour faire appliquer la présente résolution et d’autres résolutions sur la question, toutes les interdictions portant sur le commerce avec l’Iraq et l’apport de ressources financières ou économiques à ce pays imposées par la Résolution 661 (1990) et les résolutions ultérieures pertinentes, y compris la Résolution 778 (1992) du 2 octobre 1992, cessent de s’appliquer ;
11. Réaffirme que l’Iraq doit honorer ses obligations en matière de désarmement, encourage le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique à tenir le Conseil informé de leurs activités dans ce domaine, et souligne que le Conseil a l’intention de réexaminer les mandats de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des Nations Unies et de l’Agence internationale de l’énergie atomique énoncés dans les Résolutions 687 (1991) du 3 avril 1991, 1284 (1999) du 17 décembre 1999 et 1441 (2002) du 8 novembre 2002 ;
12. Prend acte de la création d’un Fonds de développement pour l’Iraq, qui sera détenu par la Banque centrale d’Iraq et audité par des experts-comptables indépendants approuvés par le Conseil international consultatif et de contrôle du Fonds de développement pour l’Iraq, et attend avec intérêt la réunion prochaine du Conseil international consultatif et de contrôle, qui comptera parmi ses membres des représentants dûment habilités du Secrétaire général, du Directeur général du Fonds monétaire international, du Directeur général du Fonds arabe de développement économique et social et du Président de la Banque mondiale ;
13. Note également que les ressources du Fonds de développement pour l’Iraq seront décaissées selon les instructions données par l’Autorité, en consultation avec l’administration provisoire iraquienne, aux fins prévues au paragraphe 14 ci-dessous ;
14. Souligne que le Fonds de développement pour l’Iraq sera utilisé dans la transparence pour répondre aux besoins humanitaires du peuple iraquien, pour la reconstruction économique et la remise en état de l’infrastructure de l’Iraq, la poursuite du désarmement de l’Iraq, les dépenses de l’administration civile iraquienne et à d’autres fins servant les intérêts du peuple iraquien ;
15. Demande instamment aux institutions financières internationales d’aider le peuple iraquien à reconstruire et à développer son économie et de faciliter les activités d’assistance de la communauté des donateurs dans son ensemble, et se félicite du fait que les créanciers, notamment ceux du Club de Paris, sont disposés à chercher une solution aux problèmes de la dette souveraine de l’Iraq ;
16. Prie également le Secrétaire général de continuer, en coordination avec l’Autorité, à exercer les responsabilités qui lui ont été confiées par le Conseil de sécurité en vertu de ses Résolutions 1472 (2003) du 28 mars 2003 et 1476 (2003) du 24 avril 2003 pendant une période de six mois suivant l’adoption de la présente résolution et, au cours de cette période, de mettre fin suivant les modalités les plus économiques aux opérations actuelles du programme « pétrole contre nourriture » (ci-après dénommé le « programme »), au Siège et sur le terrain, en remettant la responsabilité de l’administration des activités restantes du programme à l’Autorité, notamment en prenant les mesures nécessaires suivantes :
a) Prendre au plus tôt les dispositions voulues pour faciliter l’expédition et la livraison certifiée des marchandises civiles prioritaires définies par le Secrétaire général et des représentants désignés par lui, en coordination avec l’Autorité et l’administration provisoire iraquienne, dans le cadre des contrats approuvés et financés qui ont été conclus par le Gouvernement iraquien précédent, aux fins de l’assistance humanitaire du peuple iraquien, et en négociant, si nécessaire, les aménagements à apporter aux clauses et conditions des contrats et aux lettres de crédit correspondantes visés à l’alinéa d) du paragraphe 4 de la Résolution 1472 (2003) ;
b) Examiner, compte tenu de l’évolution de la situation et en coordination avec l’Autorité et l’administration provisoire iraquienne, l’utilité relative de chaque contrat approuvé et financé pour déterminer s’il porte sur des articles nécessaires pour répondre aux besoins du peuple iraquien, dans l’immédiat et pendant la reconstruction, et surseoir à l’exécution des contrats dont l’utilité aura été établie comme contestable ainsi que des lettres de crédit correspondantes jusqu’à ce qu’un gouvernement iraquien représentatif, reconnu sur le plan international, soit en mesure de décider pour son propre compte si ces contrats doivent être exécutés ;
c) Soumettre pour examen au Conseil de sécurité, dans les 21 jours suivant l’adoption de la présente résolution, un budget de fonctionnement estimatif tenant compte des fonds déjà réservés dans le compte créé en application de l’alinéa d) du paragraphe 8 de la Résolution 986 (1995) du 14 avril 1995, en précisant :
i) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles que l’Organisation des Nations Unies devra engager pour maintenir le fonctionnement des activités liées à l’application de la présente résolution, notamment les dépenses de fonctionnement et d’administration des institutions et programmes des Nations Unies chargés de l’application du programme au Siège et sur le terrain;
ii) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles occasionnées par la clôture du programme;
iii) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles occasionnées par la restitution des fonds du Gouvernement iraquien transférés par les États Membres au Secrétaire général en application du paragraphe 1 de la Résolution 778 (1992) du 2 octobre 1992 ; et
iv) Toutes les dépenses connues et prévisionnelles relatives au représentant dûment habilité par le Secrétaire général à siéger au Conseil international consultatif et de contrôle pendant la période de six mois définie ci-dessus, après quoi ces dépenses seront à la charge de l’Organisation des Nations Unies ;
d) Regrouper en un seul fonds les comptes créés en vertu des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la Résolution 986 (1995) ;
e) De s’acquitter de toutes les obligations relatives à la clôture du programme qui n’ont pas encore été honorées, notamment en négociant, suivant les modalités les plus économiques, avec les parties ayant précédemment souscrit des obligations contractuelles à son égard au titre de ce programme, le versement de tous les montants à régler, lesquels seront imputés sur les comptes séquestres créés en application des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la Résolution 986 (1995), et de déterminer, en coordination avec l’Autorité et avec l’Administration intérimaire iraquienne, le statut futur des contrats passés par l’Organisation des Nations Unies et les organismes apparentés au titre des comptes créés en application des alinéas b) et d) du paragraphe 8 de la Résolution 986 (1995) ;
f) De présenter au Conseil de sécurité, 30 jours avant la clôture du programme, une stratégie complète arrêtée en coordination étroite avec l’Autorité et l’Administration intérimaire iraquienne, qui permette de fournir toute la documentation pertinente et de transférer toute la responsabilité opérationnelle du programme à l’Autorité ;
17. Demande en outre que le Secrétaire général transfère dans les meilleurs délais au Fonds de développement pour l’Iraq, un montant d’un milliard de dollars des États-Unis prélevé sur les soldes inutilisés des comptes créés en application des alinéas a) et b) du paragraphe 8 de la Résolution 986 (1995), et qu’il restitue les fonds du Gouvernement iraquien que des États Membres avaient remis au Secrétaire général conformément au paragraphe 1 de la Résolution 778 (1992), et décide qu’après déduction de toutes les dépenses occasionnées à l’ONU par l’expédition des marchandises sur lesquelles portent les contrats autorisés, et des dépenses afférentes au programme, qui sont visées à l’alinéa c) du paragraphe 16 ci-dessus, y compris les obligations résiduelles, tous les soldes des comptes séquestres créés en application des alinéas a), b), d) et f) de la Résolution 986 (1995) seront transférés aussitôt que possible au Fonds de développement pour l’Iraq ;
18. Décide de mettre fin, à compter de l’adoption de la présente résolution, aux fonctions relatives aux activités d’observation et de surveillance entreprises par le Secrétaire général au titre du programme, y compris les activités de surveillance des exportations de pétrole et de produits pétroliers provenant d’Iraq ;
19. Décide de dissoudre à l’issue de la période de six mois visée au paragraphe 16 ci-dessus, le Comité créé en application du paragraphe 6 de la Résolution 661 (1990), et décide en outre que le Comité recensera les personnes et les entités dont il est fait mention au paragraphe 23 ci-après ;
20. Décide que toutes les ventes à l’exportation de pétrole, de produits pétroliers et de gaz naturel provenant d’Iraq effectuées après la date d’adoption de la présente résolution seront mises en conformité avec les pratiques optimales en vigueur sur le marché international, et auditées par des experts comptables indépendants faisant rapport au Conseil international consultatif et de contrôle visé au paragraphe 12 ci-dessus, afin de garantir la transparence, et décide en outre qu’hormis les fonds visés au paragraphe 21 ci-après, tous les produits de ces ventes seront versés au Fonds de développement pour l’Iraq, en attendant qu’un gouvernement iraquien représentatif et reconnu par la communauté internationale soit dûment constitué ;
21. Décide en outre que 5 % des produits visés au paragraphe 20 ci-dessus seront versés au Fonds d’indemnisation créé en application de la Résolution 687 (1991) du 3 avril 1991 et des résolutions ultérieures sur la question, et qu’à moins qu’un gouvernement iraquien représentatif, reconnu par la communauté internationale et le Conseil d’administration du Fonds d’indemnisation des Nations Unies, exerçant son autorité sur les moyens de s’assurer que les montants requis sont versés au Fonds d’indemnisation, n’en décident autrement, cette condition aura force obligatoire à l’égard de tout gouvernement iraquien représentatif, dûment constitué et reconnu par la communauté internationale et son successeur ;
22. Notant qu’il importe d’établir un gouvernement représentatif reconnu par la communauté internationale en Iraq et qu’il est souhaitable de restructurer rapidement la dette iraquienne comme il est indiqué au paragraphe 15 ci-dessus, décide en outre que jusqu’au 31 décembre 2007, à moins que le Conseil n’en convienne autrement, le pétrole, les produits pétroliers et le gaz naturel provenant d’Iraq ne pourront, jusqu’à ce que le titre les concernant soit transmis à l’acquéreur initial, faire l’objet d’aucune procédure judiciaire ni d’aucun type de saisie, saisie-arrêt ou autre voie d’exécution, que tous les États devront prendre toutes les mesures voulues dans le cadre de leurs systèmes juridiques nationaux respectifs pour assurer cette protection et que le produit de la vente de ces produits et les obligations y afférentes, ainsi que les avoirs du Fonds de développement pour l’Iraq, bénéficieront de privilèges et immunités équivalents à ceux dont bénéficie l’Organisation des Nations Unies, à cela près que lesdits privilèges et immunités ne s’appliqueront pas aux procédures judiciaires à l’occasion desquelles il est nécessaire d’utiliser ce produit ou ces obligations pour réparer des dommages liés à un accident écologique, notamment une marée noire, survenant après la date d’adoption de la présente résolution ;
23. Décide que tous les États Membres où se trouvent :
a) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques du Gouvernement iraquien précédent ou d’organes, entreprises ou institutions publiques qui avaient quitté l’Iraq à la date d’adoption de la présente résolution, ou
b) Des fonds ou d’autres avoirs financiers ou ressources économiques sortis d’Iraq ou acquis par Saddam Hussein ou d’autres hauts responsables de l’ancien régime iraquien ou des membres de leur famille proche, y compris les entités appartenant à ces personnes ou à d’autres personnes agissant en leur nom ou selon leurs instructions, ou se trouvant sous leur contrôle direct ou indirect,
sont tenus de geler sans retard ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques et, à moins que ces fonds ou autres avoirs financiers ou ressources économiques n’aient fait l’objet d’une mesure ou d’une décision judiciaire, administrative ou arbitrale, de les faire immédiatement transférer au Fonds de développement pour l’Iraq, étant entendu que, sauf si elles ont été soumises autrement, les demandes présentées par des particuliers ou des entités non gouvernementales concernant ces fonds ou autres avoirs financiers transférés, peuvent être soumises au gouvernement représentatif de l’Iraq, reconnu par la communauté internationale; et décide en outre que les privilèges, immunités et protections prévus au paragraphe 22 s’appliqueront aussi à ces fonds, autres avoirs financiers ou ressources économiques ;
24. Prie le Secrétaire général de faire rapport au Conseil à intervalles réguliers sur l’action menée par le Représentant spécial pour appliquer la présente résolution et les travaux du Conseil international consultatif et de contrôle et encourage les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à informer le Conseil à intervalles réguliers des efforts qu’ils déploient dans le cadre de la présente résolution ;
25. Décide d’examiner l’application de la présente résolution dans les 12 mois suivant son adoption et d’envisager d’autres mesures qui pourraient être nécessaires.
26. Demande aux États Membres et aux organisations internationales et régionales de concourir à l’application de la présente résolution ;
27. Décide de rester saisi de la question. »
48. La Résolution 1730 (2006) du Conseil de sécurité du 19 décembre 2006, qui établit la procédure de radiation, est ainsi libellée dans sa partie pertinente :
« Résolution 1730 (2006) :
Le Conseil de sécurité,
Rappelant la déclaration de son président en date du 22 juin 2006 (S/PRST/2006/28),
Soulignant que les sanctions sont un instrument important de maintien et de rétablissement de la paix et de la sécurité internationales,
Soulignant également que tous les États Membres ont l’obligation d’appliquer intégralement les mesures contraignantes par lui adoptées,
Toujours résolu à faire en sorte que les sanctions soient ciblées avec soin, tendent à des objectifs clairs et soient appliquées d’une façon qui permette de trouver l’équilibre entre efficacité et incidences négatives possibles,
Ayant à cœur d’assurer que des procédures équitables et claires soient en place pour l’inscription d’individus et d’entités sur les listes des comités des sanctions et pour leur radiation de ces listes, ainsi que pour l’octroi d’exemptions pour raisons humanitaires,
1. Adopte la procédure de radiation indiquée dans le document annexé à la présente résolution et demande au Secrétaire général de créer au Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité un point focal chargé de recevoir les demandes de radiation et d’accomplir les tâches décrites dans ledit document ;
2. Charge les comités des sanctions qu’il a créés, notamment par les Résolutions 1718 (2006), 1636 (2005), 1591 (2005), 1572 (2004), 1533 (2004), 1521 (2003), 1518 (2003), 1267 (1999), 1132 (1997), 918 (1994) et 751 (1992), de modifier leurs lignes directrices en conséquence ;
3. Décide de demeurer saisi de la question.
Procédure de radiation
Le Conseil de sécurité demande au Secrétaire général de créer au Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité un point focal chargé de recevoir les demandes de radiation. Ceux qui souhaitent en présenter une peuvent le faire par l’intermédiaire de ce point focal, selon la procédure décrite ci-après, ou par l’intermédiaire de leur État de résidence ou de nationalité.[2]
Le point focal accomplira les tâches suivantes :
1. Recevoir les demandes de radiation présentées par un requérant (individu(s), groupes, entreprises ou entités figurant sur les listes établies par le Comité des sanctions) ;
2. Vérifier s’il s’agit d’une nouvelle demande ;
3. Si la demande n’est pas nouvelle et si elle n’apporte aucune information supplémentaire, la renvoyer au requérant ;
4. Accuser réception de la demande et informer le requérant de la procédure générale de traitement des demandes ;
5. Transmettre la demande, pour information et observations éventuelles, au(x) gouvernement(s) à l’origine de l’inscription sur la liste et au gouvernement de l’État de nationalité et de l’État de résidence. Ces derniers sont invités à consulter le gouvernement qui est à l’origine de l’inscription sur la liste avant de recommander la radiation. Pour ce faire, ils peuvent s’adresser au point focal, qui peut les mettre en rapport avec le(s) gouvernement(s) à l’origine de l’inscription si celui-ci (ceux-ci) en est (sont) d’accord ;
6. a) Si, à l’issue de ces consultations, un de ces gouvernements recommande la radiation, il fait parvenir sa recommandation, directement ou par l’intermédiaire du point focal, au Président du Comité des sanctions, accompagnée de ses explications. Le Président inscrit alors la demande de radiation à l’ordre du jour du Comité ;
b) Si l’un des gouvernements qui ont été consultés en application du paragraphe 5 ci-dessus s’oppose à la demande de radiation, le point focal en informe le Comité et transmet à celui-ci copie de la demande de radiation. Tout membre du Comité ayant des informations en faveur de la radiation est invité à en faire part aux gouvernements qui ont examiné la demande de radiation en application du paragraphe 5 ci-dessus ;
c) Si, après un délai raisonnable (trois mois), aucun des gouvernements saisis de la demande de radiation en application du paragraphe 5 ci-dessus n’a ni formulé d’observations ni fait savoir au Comité qu’il est en voie de traiter la demande de radiation et qu’il a besoin d’un délai supplémentaire de durée déterminée, le point focal en informe tous les membres du Comité et leur transmet copie de la demande de radiation. Tout membre du Comité peut, après avoir consulté le(s) gouvernement(s) à l’origine de l’inscription sur la liste, recommander la radiation en envoyant la demande au Président du Comité des sanctions, accompagnée de ses explications. (Il suffit qu’un membre du Comité se prononce en faveur de la radiation pour que cette question soit inscrite à l’ordre du jour du Comité.) Si, après un mois, aucun membre du Comité ne recommande la radiation de la liste, la demande est réputée rejetée et le Président du Comité en informe le point focal ;
7. Transmettre au Comité, pour information, toutes les communications reçues des États Membres ;
8. Informer le requérant, selon le cas :
a) Que le Comité des sanctions a décidé d’accéder à la demande de radiation ;
b) Que le Comité des sanctions a achevé l’examen de la demande de radiation et que le requérant reste inscrit sur la liste. »
4. Les travaux de la Commission du droit international des Nations unies
49. Le rapport du groupe d’étude de la Commission du droit international (CDI) intitulé « Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », publié en avril 2006, comporte les observations suivantes relativement à l’article 103 de la Charte :
4. Harmonisation − Intégration systémique
« 37. En droit international, une forte présomption pèse contre le conflit normatif. L’interprétation des traités relève de la diplomatie, or la diplomatie est censée éviter ou atténuer les conflits, ce qui vaut pour le règlement judiciaire. Voici comment Rousseau concevait les devoirs du juge dans l’une des analyses les plus anciennes du conflit de lois qui a conservé toute son utilité :
(...) lorsqu’il est en présence de deux accords de volontés divergentes, il doit être tout naturellement porté à rechercher leur coordination plutôt qu’à consacrer à leur antagonisme [(Charles Rousseau, « De la compatibilité des normes juridiques contradictoires dans l’ordre international », RGDIP, vol. 39 (1932), p. 153)].
38. Ce principe d’interprétation désormais largement accepté peut se formuler de différentes façons. Il peut se présenter sous une forme empirique: en se créant de nouvelles obligations, les États ne sont pas supposés déroger à leurs autres obligations. Jennings et Watts par exemple notent l’existence
d’une présomption selon laquelle les parties se proposent quelque chose qui n’est pas incompatible avec les principes généralement reconnus du droit international ni avec des obligations conventionnelles antérieures à l’égard d’États tiers [(Sir Robert Jennings et Sir Arthur Watts (éd.), Oppenheim’s International Law (Londres : Longman, 1992) (9e éd.), p. 1275. Pour l’acceptation plus large de la présomption défavorable au conflit - c’est-à-dire la suggestion de l’harmonie - voir également Pauwelyn, Conflict of Norms..., supra, note 21, p. 240 à 244)].
39. Dans l’affaire du Droit de passage, la Cour internationale de Justice déclarait :
c’est une règle d’interprétation qu’un texte émanant d’un Gouvernement doit, en principe, être interprété comme produisant et étant destiné à produire des effets conformes et non pas contraires au droit existant [(Affaire du Droit de passage sur le territoire indien (exceptions préliminaires) (Portugal c. Inde), C.I.J., Recueil des arrêts, Avis consultatifs et ordonnances, 1957, p. 21)].
(...)
331. L’Article 103 ne précise pas que la Charte prime, mais renvoie aux obligations en vertu de la Charte. Outre les droits et obligations prévus par la Charte elle-même, il vise les devoirs découlant de décisions exécutoires des organes des Nations Unies. L’Article 25, qui fait obligation aux États Membres d’accepter et d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du Chapitre VII de la Charte, est le premier exemple qui vient à l’esprit. Même si la primauté des décisions du Conseil de sécurité selon l’Article 103 n’est pas expressément prévue dans la Charte, dans la pratique comme dans la doctrine, elle a été largement acceptée (...) »
5. La jurisprudence internationale pertinente
50. Les mesures prises en vertu des résolutions du Conseil de sécurité établissant un régime d’inscription sur des listes et la possibilité de contrôler leur légalité ont été examinées, au niveau international, par la Cour de justice de l’Union européenne et par le Comité des droits de l’homme des Nations unies.
a) L’affaire Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil et Commission
51. L’arrêt Yassin Abdullah Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes (affaires jointes C-402/05 P et C-415/05 P ; l’arrêt « Kadi ») concernait une mesure de gel des avoirs des requérants prise en application de règlements communautaires adoptés dans le cadre de la mise en œuvre des Résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) du Conseil de sécurité, lesquelles imposaient notamment à tous les Etats membres de l’ONU de prendre des mesures pour geler les fonds et autres ressources financières des individus et entités considérés par le comité des sanctions du Conseil de sécurité comme liés à Oussama Ben Laden, au réseau Al-Qaïda ou aux talibans. En l’espèce, les requérants relevaient de cette catégorie et leurs avoirs avaient donc été gelés, mesure qu’ils estimaient constituer une atteinte à leur droit fondamental au respect de leurs biens protégé par le traité instituant la Communauté européenne (« le traité CE »). Ils soutenaient que les règlements communautaires en cause avaient été adoptés ultra vires.
52. Le 21 septembre 2005, le Tribunal de première instance (devenu le 1er décembre 2009 « le Tribunal ») rejeta ces griefs et confirma la licéité des règlements, jugeant essentiellement que l’article 103 de la Charte avait pour effet de faire prévaloir les résolutions du Conseil de sécurité sur toutes les autres obligations internationales (hormis celles découlant du jus cogens), y compris celles issues du traité CE. Il conclut qu’il n’était pas autorisé à examiner des résolutions du Conseil de sécurité, fût-ce de manière incidente, aux fins de vérifier qu’elles respectaient les droits fondamentaux.
53. M. Kadi forma un pourvoi devant la Cour de justice. Ce pourvoi fut examiné en grande chambre conjointement avec une autre affaire. Dans son arrêt, rendu le 3 septembre 2008, la Cour de justice déclara que, l’ordre juridique communautaire étant un ordre juridique interne et distinct, elle était compétente pour examiner la licéité d’un règlement communautaire adopté au sein de cet ordre juridique, même si celui-ci avait été adopté pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité. Elle jugea dès lors que, même s’il ne lui incombait pas d’examiner la régularité des résolutions du Conseil de sécurité, le « juge communautaire » pouvait contrôler les actes communautaires ou les actes des Etats membres donnant effet à ces résolutions, et que cela « [n’impliquait] pas une remise en cause de la primauté de [la résolution concernée] au plan du droit international ».
54. La Cour de justice conclut que, les droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, les juridictions communautaires devaient assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité au regard de ces droits de l’ensemble des actes communautaires, y compris ceux visant, tel le règlement en cause, à mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité. Elle s’exprima notamment ainsi :
« (...)
281. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Communauté est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité CE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23).
(...)
293. Le respect des engagements pris dans le cadre des Nations unies s’impose tout autant dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, lors de la mise en œuvre par la Communauté, par l’adoption d’actes communautaires pris sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE, de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
294. Dans l’exercice de cette dernière compétence, la Communauté se doit en effet d’attacher une importance particulière au fait que, conformément à l’article 24 de la charte des Nations unies, l’adoption, par le Conseil de sécurité, de résolutions au titre du chapitre VII de cette charte constitue l’exercice de la responsabilité principale dont est investi cet organe international pour maintenir, à l’échelle mondiale, la paix et la sécurité, responsabilité qui, dans le cadre dudit chapitre VII, inclut le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir.
(...)
296. Or, si, du fait de l’adoption d’un tel acte, la Communauté est tenue de prendre, dans le cadre du traité CE, les mesures qu’impose cet acte, cette obligation implique, lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, que, lors de l’élaboration de ces mesures, la Communauté tienne dûment compte des termes et des objectifs de la résolution concernée ainsi que des obligations pertinentes découlant de la charte des Nations unies relatives à une telle mise en œuvre.
297. Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que, aux fins de l’interprétation du règlement litigieux, il y a également lieu de tenir compte du texte et de l’objet de la Résolution 1390 (2002), que ce règlement, selon son quatrième considérant, vise à mettre en œuvre (arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, point 54 et jurisprudence citée).
298. Il y a toutefois lieu de relever que la charte des Nations unies n’impose pas le choix d’un modèle déterminé pour la mise en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de cette charte, cette mise en œuvre devant intervenir conformément aux modalités applicables à cet égard dans l’ordre juridique interne de chaque membre de l’ONU. En effet, la charte des Nations unies laisse en principe aux membres de l’ONU le libre choix entre différents modèles possibles de réception dans leur ordre juridique interne de telles résolutions.
299. Il découle de l’ensemble de ces considérations que les principes régissant l’ordre juridique international issu des Nations unies n’impliquent pas qu’un contrôle juridictionnel de la légalité interne du règlement litigieux au regard des droits fondamentaux serait exclu en raison du fait que cet acte vise à mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
300. Une telle immunité juridictionnelle d’un acte communautaire tel que le règlement litigieux, en tant que corollaire du principe de primauté au plan du droit international des obligations issues de la charte des Nations unies, en particulier de celles relatives à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de cette charte, ne trouve par ailleurs aucun fondement dans le traité CE.
(...)
319. Selon la Commission, tant que, dans ledit régime de sanctions, les particuliers ou entités concernés ont une possibilité acceptable d’être entendus grâce à un mécanisme de contrôle administratif s’intégrant dans le système juridique des Nations unies, la Cour ne devrait intervenir d’aucune façon.
320. À cet égard, il convient tout d’abord de relever que, si, effectivement, à la suite de l’adoption par le Conseil de sécurité de plusieurs résolutions, des modifications ont été apportées au régime des mesures restrictives instauré par les Nations unies pour ce qui concerne tant l’inscription sur la liste récapitulative que la radiation de celle-ci [voir, spécialement, les Résolutions 1730 (2006), du 19 décembre 2006, et 1735 (2006), du 22 décembre 2006], ces modifications sont intervenues postérieurement à l’adoption du règlement litigieux, de sorte que, en principe, elles ne sauraient être prises en compte dans le cadre des présents pourvois.
321. En tout état de cause, l’existence, dans le cadre de ce régime des Nations unies, de la procédure de réexamen devant le comité des sanctions, même en tenant compte des modifications récentes apportées à celle-ci, ne peut entraîner une immunité juridictionnelle généralisée dans le cadre de l’ordre juridique interne de la Communauté.
322. En effet, une telle immunité, qui constituerait une dérogation importante au régime de protection juridictionnelle des droits fondamentaux prévu par le traité CE, n’apparaît pas justifiée, dès lors que cette procédure de réexamen n’offre manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle.
323. À cet égard, s’il est désormais possible pour toute personne ou entité de s’adresser directement au comité des sanctions en soumettant sa demande de radiation de la liste récapitulative au point dit «focal», force est de constater que la procédure devant ce comité demeure essentiellement de nature diplomatique et interétatique, les personnes ou entités concernées n’ayant pas de possibilité réelle de défendre leurs droits et ledit comité prenant ses décisions par consensus, chacun de ses membres disposant d’un droit de veto.
324. Il ressort à cet égard des directives du comité des sanctions, telles que modifiées en dernier lieu le 12 février 2007, que le requérant ayant présenté une demande de radiation ne peut en aucune manière faire valoir lui-même ses droits lors de la procédure devant le comité des sanctions ni se faire représenter à cet effet, le gouvernement de l’État de sa résidence ou de sa nationalité ayant seul la faculté de transmettre éventuellement des observations sur cette demande.
325. En outre, lesdites directives n’imposent pas au comité des sanctions de communiquer audit requérant les raisons et les éléments de preuve justifiant l’inscription de celui-ci sur la liste récapitulative ni de lui donner un accès, même limité, à ces données. Enfin, en cas de rejet de la demande de radiation par ce comité, aucune obligation de motivation ne pèse sur ce dernier.
326. Il découle de ce qui précède que les juridictions communautaires doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité CE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui, tel le règlement litigieux, visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
327. Partant, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 212 à 231 de l’arrêt attaqué Kadi ainsi que 263 à 282 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, qu’il découle des principes régissant l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire que le règlement litigieux, dès lors qu’il vise à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ne laissant aucune marge à cet effet, doit bénéficier d’une immunité juridictionnelle quant à sa légalité interne sauf pour ce qui concerne sa compatibilité avec les normes relevant du jus cogens.
328. Les moyens des requérants sont donc fondés sur ce point, de sorte qu’il y a lieu d’annuler les arrêts attaqués à cet égard.
329. Il en découle qu’il n’y a plus lieu d’examiner les griefs dirigés contre la partie des arrêts attaqués relative au contrôle du règlement litigieux au regard des règles de droit international relevant du jus cogens et, partant, il n’est pas non plus nécessaire d’examiner le pourvoi incident du Royaume-Uni sur ce point.
330. En outre, dès lors que, dans la partie subséquente des arrêts attaqués relative aux droits fondamentaux spécifiques invoqués par les requérants, le Tribunal s’est limité à examiner la légalité du règlement litigieux au regard de ces seules règles, alors qu’il lui incombait d’effectuer un examen, en principe complet, au regard des droits fondamentaux relevant des principes généraux du droit communautaire, il y a également lieu d’annuler cette partie subséquente desdits arrêts.
Sur les recours devant le Tribunal
331. Conformément à l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer définitivement sur le litige, lorsqu’il est en état d’être jugé.
332. En l’espèce, la Cour estime que les recours en annulation du règlement litigieux introduits par les requérants sont en état d’être jugés et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci.
333. Il convient, en premier lieu, d’examiner les griefs que M. Kadi et Al Barakaat ont fait valoir quant à la violation des droits de la défense, en particulier celui d’être entendu, et du droit à un contrôle juridictionnel effectif qu’emporteraient les mesures de gel de fonds telles qu’elles leur ont été imposées par le règlement litigieux.
334. À cet égard, au vu des circonstances concrètes ayant entouré l’inclusion des noms des requérants dans la liste des personnes et des entités visées par les mesures restrictives contenue à l’annexe I du règlement litigieux, il doit être jugé que les droits de la défense, en particulier le droit d’être entendu ainsi que le droit à un contrôle juridictionnel effectif de ceux-ci n’ont manifestement pas été respectés.
335. En effet, selon une jurisprudence constante, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH, ce principe ayant d’ailleurs été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1) (voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271, point 37).
336. En outre, au vu de la jurisprudence de la Cour dans d’autres domaines (voir, notamment, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097, point 15, ainsi que du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C 202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, points 462 et 463), il doit être conclu en l’espèce que l’efficacité du contrôle juridictionnel, devant pouvoir porter notamment sur la légalité des motifs sur lesquels est fondée, en l’occurrence, l’inclusion du nom d’une personne ou d’une entité dans la liste constituant l’annexe I du règlement litigieux et entraînant l’imposition à ces destinataires d’un ensemble de mesures restrictives, implique que l’autorité communautaire en cause est tenue de communiquer ces motifs à la personne ou entité concernée, dans toute la mesure du possible, soit au moment où cette inclusion est décidée, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’elle l’a été afin de permettre à ces destinataires l’exercice, dans les délais, de leur droit de recours.
337. Le respect de cette obligation de communiquer lesdits motifs est en effet nécessaire tant pour permettre aux destinataires des mesures restrictives de défendre leurs droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge communautaire (voir, en ce sens, arrêt Heylens e.a., précité, point 15) que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de l’acte communautaire en cause qui lui incombe en vertu du traité CE.
338. Pour ce qui concerne les droits de la défense, et en particulier le droit d’être entendu, s’agissant de mesures restrictives telles que celles qu’impose le règlement litigieux, il ne saurait être requis des autorités communautaires qu’elles communiquent lesdits motifs préalablement à l’inclusion initiale d’une personne ou d’une entité dans ladite liste.
339. En effet, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 308 de l’arrêt attaqué Yusuf et Al Barakaat, une telle communication préalable serait de nature à compromettre l’efficacité des mesures de gel de fonds et de ressources économiques qu’impose ce règlement.
340. Afin d’atteindre l’objectif poursuivi par ledit règlement, de telles mesures doivent, par leur nature même, bénéficier d’un effet de surprise et, ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, s’appliquer avec effet immédiat (voir, en ce sens, arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus, précité, point 63).
341. Pour des raisons tenant également à l’objectif poursuivi par le règlement litigieux et à l’efficacité des mesures prévues par celui-ci, les autorités communautaires n’étaient pas non plus tenues de procéder à une audition des requérants préalablement à l’inclusion initiale de leurs noms dans la liste figurant à l’annexe I de ce règlement.
342. En outre, s’agissant d’un acte communautaire visant à mettre en œuvre une résolution adoptée par le Conseil de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de la Communauté et de ses États membres peuvent s’opposer à la communication de certains éléments aux intéressés et, dès lors, à l’audition de ceux-ci sur ces éléments.
343. Cela ne signifie cependant pas, s’agissant du respect du principe de protection juridictionnelle effective, que des mesures restrictives telles que celles imposées par le règlement litigieux échappent à tout contrôle du juge communautaire dès lors qu’il est affirmé que l’acte qui les édicte touche à la sécurité nationale et au terrorisme.
344. Toutefois, en pareil cas, il incombe au juge communautaire de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les soucis légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité d’accorder à suffisance au justiciable le bénéfice des règles de procédure (voir, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 131).
(...)
356. Afin de déterminer la portée du droit fondamental au respect de la propriété, principe général du droit communautaire, il y a lieu de tenir compte, notamment, de l’article 1er du Protocole additionnel no 1 à la CEDH, qui consacre ce droit.
357. Il convient donc d’examiner si la mesure de gel prévue par le règlement litigieux constitue une intervention démesurée et intolérable portant atteinte à la substance même du droit fondamental au respect de la propriété de personnes qui, tel M. Kadi, sont mentionnées dans la liste reprise à l’annexe I dudit règlement.
358. Cette mesure de gel constitue une mesure conservatoire qui n’est pas censée priver lesdites personnes de leur propriété. Toutefois, elle comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété de M. Kadi, restriction qui, au surplus, doit être qualifiée de considérable eu égard à la portée générale de la mesure de gel et compte tenu du fait que celle-ci lui a été applicable depuis le 20 octobre 2001.
(...). »
55. La Cour de justice conclut donc que les règlements dénoncés, qui ne prévoyaient aucun droit de recours contre le gel d’avoirs, étaient contraires aux droits fondamentaux et devaient être annulés.
56. Dans un arrêt rendu le 30 septembre 2010 dans une procédure opposant le même requérant à la Commission européenne (Affaire T-85/09), le Tribunal a largement confirmé les conclusions de la Cour de justice. A la lumière de l’arrêt de celle-ci, le Tribunal estima qu’il lui incombait d’assurer en l’espèce un contrôle juridictionnel complet et rigoureux de la légalité du règlement attaqué, sans faire bénéficier ce règlement d’une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il viserait à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Les paragraphes pertinents de cet arrêt sont ainsi libellés :
« 115. Plus fondamentalement, certains doutes ont pu être exprimés, dans les milieux juridiques, quant à la pleine conformité de l’arrêt Kadi de la Cour, d’une part, avec le droit international, et plus particulièrement avec les articles 25 et 103 de la charte des Nations unies, et, d’autre part, avec les traités CE et UE, et plus particulièrement avec l’article 177, paragraphe 3, CE, les articles 297 CE et 307 CE, l’article 11, paragraphe 1, UE et l’article 19, paragraphe 2, UE (voir, également, l’article 3, paragraphe 5, TUE et l’article 21, paragraphes 1 et 2, TUE, ainsi que la déclaration no 13 de la conférence des gouvernements des États membres sur la politique étrangère et de sécurité commune, annexée au traité de Lisbonne, qui souligne que « l’UE et ses États membres demeureront liés par la charte des Nations unies et, en particulier, par la responsabilité principale incombant au Conseil de sécurité et à ses États membres du maintien de la paix et de la sécurité internationales »).
116. À cet égard, il a notamment été soutenu que, bien que la Cour ait affirmé, au point 287 de son arrêt Kadi, qu’il n’incombait pas au juge communautaire, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’une résolution du Conseil de sécurité adoptée au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, il n’en demeure pas moins que contrôler la légalité d’un acte communautaire qui se borne à mettre en œuvre, au niveau de la Communauté, une telle résolution ne laissant aucune marge à cet effet revient nécessairement à contrôler, au regard des normes et des principes de l’ordre juridique communautaire, la légalité de la résolution ainsi mise en œuvre.
117. Il a d’ailleurs été observé que, aux points 320 à 325 de son arrêt Kadi, la Cour a procédé en tout état de cause à un tel contrôle juridictionnel de la conformité du régime de sanctions instauré par les Nations unies avec le régime de protection juridictionnelle des droits fondamentaux prévu par le traité CE, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel lesdits droits fondamentaux étaient désormais suffisamment protégés dans le cadre de ce régime, compte tenu en particulier de l’amélioration de la procédure de réexamen qui conférait aux particuliers et aux entités concernés une possibilité acceptable d’être entendus par le comité des sanctions. La Cour a en particulier jugé, aux points 322 et 323 dudit arrêt, que la procédure de réexamen en question n’offrait « manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle » et que les personnes ou entités concernées n’avaient « pas de possibilité réelle de défendre leurs droits ».
(...)
119. Ainsi, alors que la Cour conçoit normalement les rapports entre le droit communautaire et le droit international à la lumière de l’article 307 CE [voir, à cet égard, arrêt du 14 janvier 1997, Centro-Com, C-124/95, Rec. p. I-81, points 56 à 61, où il a été jugé que l’article 234 CE (devenu, après modification, article 307 CE) peut permettre des dérogations même au droit primaire, en l’occurrence l’article 133 CE], elle a, dans son arrêt Kadi, exclu l’applicabilité de cet article lorsque sont en cause les « principes de la liberté, de la démocratie ainsi que du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés à l’article 6, paragraphe 1, UE, en tant que fondements de l’Union » (point 303) ou, selon une autre formule, les « principes qui relèvent des fondements mêmes de l’ordre juridique communautaire, parmi lesquels celui de la protection des droits fondamentaux » (point 304). S’agissant de ces principes, la Cour semble donc avoir interprété le cadre constitutionnel du traité CE comme étant celui d’un ordre juridique purement autonome, non subordonné aux normes supérieures du droit international, en l’occurrence le droit issu de la charte des Nations unies.
(...)
126. C’est pourquoi le Tribunal considère, en définitive, qu’il lui incombe d’assurer en l’espèce, comme la Cour l’a dit pour droit aux points 326 et 327 de son arrêt Kadi, un contrôle, « en principe complet », de la légalité du règlement attaqué au regard des droits fondamentaux, sans faire bénéficier ledit règlement d’une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
127. Il doit en aller ainsi, à tout le moins, aussi longtemps que les procédures de réexamen mises en œuvre par le comité des sanctions n’offrent manifestement pas les garanties d’une protection juridictionnelle effective, comme la Cour l’a laissé entendre au point 322 de son arrêt Kadi (voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro sous ledit arrêt, précitées, point 54).
128. Or, les considérations exprimées à cet égard par la Cour, aux points 323 à 325 de son arrêt Kadi, notamment en ce qui concerne le point focal, demeurent fondamentalement valables à l’heure actuelle, même en tenant compte du « bureau du médiateur », dont la création a été décidée en son principe par la Résolution 1904 (2009) et qui a été très récemment pourvu. En substance, le Conseil de sécurité n’a toujours pas estimé opportun d’établir un organe indépendant et impartial chargé de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions. En outre, ni le mécanisme du point focal ni l’office du médiateur ne remettent en cause le principe selon lequel la radiation d’une personne de la liste du comité des sanctions requiert un consensus au sein de ce comité. De plus, le choix des éléments de preuve qui peuvent être révélés à l’intéressé continue à relever de l’entière discrétion de l’État qui a proposé l’inscription de celui-ci sur la liste du comité des sanctions, et aucun mécanisme ne garantit que l’intéressé dispose de suffisamment d’éléments d’information pour lui permettre de se défendre utilement (ni même qu’il connaisse l’identité de l’État qui a demandé son inscription sur la liste du comité des sanctions). Pour ces motifs au moins, la création du point focal et du médiateur ne saurait être assimilée à l’institution d’un recours juridictionnel effectif contre les décisions du comité des sanctions (voir également, à cet égard, les considérations énoncées aux points 77, 78, 149, 181, 182 et 239 de l’arrêt Ahmed e.a. de la UK Supreme Court et les considérations exprimées au point III du neuvième rapport de l’équipe de surveillance).
(...)
148. À ces considérations bien établies dans la jurisprudence issue de l’arrêt OMPI, il convient d’ajouter certaines considérations fondées sur la nature et les effets des mesures de gel des fonds telles que celles en cause en l’espèce, appréhendées dans leur dimension temporelle.
149. Ces mesures sont en effet particulièrement oppressives pour ceux qui y sont astreints. Le requérant est assujetti, depuis près de dix ans maintenant, à un régime qui gèle indéfiniment l’intégralité de ses fonds et autres avoirs, dont il ne peut disposer sans avoir obtenu une dérogation du comité des sanctions. Au point 358 de son arrêt Kadi, la Cour avait déjà relevé que la restriction à l’usage du droit de propriété du requérant que comportait la mesure de gel de ses fonds devait être qualifiée de considérable eu égard à sa portée générale et compte tenu du fait qu’elle lui était applicable depuis le 20 octobre 2001. Dans son arrêt Ahmed e.a. (points 60 et 192), la UK Supreme Court a quant à elle estimé qu’il n’était pas exagéré d’affirmer que les personnes ainsi désignées sont en fait « prisonnières » des autorités étatiques : leur liberté de mouvement est sévèrement restreinte dès lors qu’elles n’ont pas accès à leurs fonds, et les effets du gel des fonds, sur elles-mêmes et leur famille, peuvent être accablants.
150. Il est même permis de se demander si l’appréciation portée par le Tribunal au point 248 de son arrêt Kadi, et reprise en substance par la Cour au point 358 de son arrêt Kadi, selon laquelle le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation, ne devrait pas être remise en cause, maintenant que près de dix ans se sont écoulés depuis le gel initial des fonds du requérant. Il en va de même de l’affirmation du Conseil de sécurité, rappelée à diverses reprises, notamment dans sa Résolution 1822 (2008), selon laquelle les mesures en question « ont un caractère préventif et sont indépendantes des règles pénales de droit interne ». À l’échelle d’une vie humaine, dix ans représentent en effet une durée considérable, et la qualification des mesures en question comme étant de nature préventive ou répressive, conservatoire ou confiscatoire, civile ou pénale, paraît désormais ouverte (voir également, à cet égard, le neuvième rapport de l’équipe de surveillance, paragraphe 34). Tel est également l’avis du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme qui, dans un rapport à l’Assemblée générale des Nations unies du 2 septembre 2009, intitulé « Report [...] on the protection of human rights and fundamental freedoms while countering terrorism » (document A/HRC/12/22, point 42), indique ce qui suit :
« Les décisions individuelles d’inscription sur la liste étant actuellement illimitées dans le temps, elles peuvent aboutir à ce qu’un gel des avoirs temporaire devienne permanent, ce qui peut à son tour équivaloir à une peine criminelle en raison de la sévérité de la sanction. Cela risque d’aller bien au-delà de l’objectif des Nations unies de combattre la menace terroriste posée par un cas individuel. En outre, il n’existe pas d’uniformité concernant les standards de preuve et les procédures. Cela pose de sérieux problèmes en matière de droits de l’homme, puisque toutes les décisions pénales devraient être soit judiciaires, soit susceptibles de contrôle judiciaire. »
151. Bien que la discussion de cette question dépasse le cadre du présent litige, tel qu’il est défini par les moyens articulés dans la Requête, le Tribunal considère que le principe d’un contrôle juridictionnel complet et rigoureux des mesures de gel des fonds telles que celle en cause en l’espèce est d’autant plus justifié que ces mesures affectent de façon sensible et durable les droits fondamentaux des intéressés, dès lors qu’est admise la prémisse, consacrée par l’arrêt Kadi de la Cour, selon laquelle aucune immunité de juridiction ne s’attache à de tels actes au motif qu’ils visent à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.
152. C’est à la lumière et sous le bénéfice des considérations qui précèdent qu’il convient maintenant de procéder à l’examen des deuxième et cinquième moyens.
(...) »
« (...)
111. Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 881/2002, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont dispose cette autorité à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, c’est-à-dire, à tout le moins, l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 336 et 337), et ce afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union.
112. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son encontre (voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21 ; du 21 septembre 2000, Mediocurso/Commission, C-462/98 P, Rec. p. I-7183, point 36, ainsi que du 22 novembre 2012, M., C-277/11, non encore publié au Recueil, point 87 et jurisprudence citée).
113. S’agissant d’une décision consistant, comme en l’occurrence, à maintenir le nom de la personne concernée sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 881/2002, le respect de cette double obligation procédurale doit, contrairement à ce qui est le cas pour une inscription initiale (voir, à cet égard, arrêt Kadi, points 336 à 341 et 345 à 349, ainsi que arrêt France/People’s Mojahedin Organization of Iran, précité, point 61), précéder l’adoption de cette décision (voir arrêt France/People’s Mojahedin Organization of Iran, précité, point 62). Il n’est pas contesté que, en l’espèce, la Commission, auteur du règlement litigieux, s’est conformée à cette obligation.
114. Lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci (voir, par analogie, arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14; du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C-525/04 P, Rec. p. I-9947, point 58, et M., précité, point 88).
115. À ce titre, il incombe à cette autorité d’évaluer, eu égard, notamment, au contenu de ces observations éventuelles, la nécessité de solliciter la collaboration du comité des sanctions et, à travers ce dernier, du membre de l’ONU qui a proposé l’inscription de la personne concernée sur la liste récapitulative dudit comité, pour obtenir, dans le cadre du climat de coopération utile qui, en vertu de l’article 220, paragraphe 1, TFUE, doit présider aux relations de l’Union avec les organes des Nations unies dans le domaine de la lutte contre le terrorisme international, la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, qui lui permettent de s’acquitter de ce devoir d’examen soigneux et impartial.
116. Enfin, sans aller jusqu’à imposer de répondre de manière détaillée aux observations soulevées par la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, précité, point 141), l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE implique en toutes circonstances, y compris lorsque la motivation de l’acte de l’Union correspond à des motifs exposés par une instance internationale, que cette motivation identifie les raisons individuelles, spécifiques et concrètes, pour lesquelles les autorités compétentes considèrent que la personne concernée doit faire l’objet de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêts précités Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, points 140 et 142, ainsi que Conseil/Bamba, points 49 à 53).
117. S’agissant de la procédure juridictionnelle, en cas de contestation par la personne concernée de la légalité de la décision d’inscrire ou de maintenir son nom sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 881/2002, le contrôle du juge de l’Union doit porter sur le respect des règles de forme et de compétence, y compris sur le caractère approprié de la base juridique (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 121 à 236 ; voir également, par analogie, arrêt du 13 mars 2012, Tay Za/Conseil, C-376/10 P, non encore publié au Recueil, points 46 à 72).
118. Le juge de l’Union doit, en outre, vérifier le respect par l’autorité compétente de l’Union des garanties procédurales mentionnées aux points 111 à 114 du présent arrêt de même que de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, rappelée au point 116 du présent arrêt, et, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués.
119. L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige également que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 881/2002 (arrêt Kadi, point 336), le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C-478/11 P à C-482/11 P, non encore publié au Recueil, point 56), repose sur une base factuelle suffisamment solide (voir, en ce sens, arrêt Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, précité, point 68). Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision (voir, en ce sens, arrêt E et F, précité, point 57), de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés.
120. À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, point 59).
121. C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.
(...)
125. Certes, des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée. En pareil cas, il incombe toutefois au juge de l’Union, auquel ne saurait être opposé le secret ou la confidentialité de ces informations ou éléments, de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt Kadi, points 342 et 344; voir également, par analogie, arrêt ZZ, précité, points 54, 57 et 59).
126. À cette fin, il incombe au juge de l’Union, en procédant à un examen de l’ensemble des éléments de droit et de fait fournis par l’autorité compétente de l’Union, de vérifier le bien-fondé des raisons invoquées par ladite autorité pour s’opposer à une telle communication (voir, par analogie, arrêt ZZ, précité, points 61 et 62).
(...)
135. Il résulte des éléments d’analyse qui précèdent que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige, d’une part, de l’autorité compétente de l’Union qu’elle communique à la personne concernée l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions sur lequel est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de ladite personne sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 881/2002, qu’elle lui permette de faire connaître utilement ses observations à ce sujet et qu’elle examine, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués à la lumière des observations formulées et des éventuels éléments de preuve à décharge produits par cette personne.
136. Le respect desdits droits implique, d’autre part, que, en cas de contestation juridictionnelle, le juge de l’Union contrôle, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions ainsi que, le cas échéant, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués.
(...)
161. Dans sa réponse du 8 décembre 2008 aux observations de M. Kadi, la Commission a affirmé que les indications selon lesquelles la Depozitna Banka aurait servi à la préparation d’un attentat en Arabie Saoudite contribuaient à confirmer que M. Kadi avait usé de sa position à des fins étrangères à des activités ordinaires.
162. Toutefois, aucun élément d’information ou de preuve n’ayant été mis en avant pour étayer l’allégation selon laquelle des réunions ont pu se tenir dans les locaux de la Depozitna Banka afin de préparer des actes terroristes en association avec le réseau Al-Qaida ou Oussama ben Laden, les indications relatives au lien entretenu par M. Kadi avec cette banque ne permettent pas de soutenir l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à son encontre.
163. De l’analyse contenue aux points 141 et 151 à 162 du présent arrêt, il ressort qu’aucune des allégations formulées à l’encontre de M. Kadi dans l’exposé fourni par le comité des sanctions n’est de nature à justifier l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’encontre de celui-ci, et ce en raison soit d’une insuffisance de motivation, soit de l’absence d’éléments d’information ou de preuve qui viennent étayer le motif concerné face aux dénégations circonstanciées de l’intéressé.
164. Dans ces conditions, les erreurs de droit, identifiées aux points 138 à 140 et 142 à 149 du présent arrêt, dont est entaché l’arrêt attaqué ne sont pas de nature à invalider ce dernier, étant donné que son dispositif annulant le règlement litigieux pour autant que celui-ci concerne M. Kadi est fondé pour les motifs de droit énoncés au point précédent.
165. Partant, les pourvois doivent être rejetés.
(...). »
b) L’affaire Sayadi et Vinck c. Belgique (Comité des droits de l’homme des Nations unies)
58. Dans l’affaire opposant Nabil Sayadi et Patricia Vinck à la Belgique (constatations du Comité des droits de l’homme du 22 octobre 2008, relatives à la communication no 1472/2006), le Comité des droits de l’homme a examiné la façon dont l’Etat partie avait appliqué le régime des sanctions établi par le Conseil de sécurité dans sa Résolution 1267 (1999). En janvier 2003, les deux auteurs de la communication, des ressortissants belges, avaient été inscrits sur la liste annexée à la Résolution 1267 (1999) sur la base d’informations fournies au Conseil de sécurité par la Belgique, qui avait ouvert une instruction judiciaire à leur égard en septembre 2002. A plusieurs reprises, les deux auteurs avaient présenté sans succès des demandes de radiation aux autorités nationales et régionales ainsi qu’à l’ONU. En 2005, le tribunal de première instance de Bruxelles avait notamment ordonné à l’Etat belge de demander d’urgence au comité des sanctions de radier de la liste les noms des auteurs de la communication, ce que l’Etat avait fait.
59. De l’avis du Comité, même si l’Etat partie n’était pas compétent pour retirer lui-même de la liste les noms des auteurs, il avait le devoir d’entreprendre tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir ce retrait au plus vite, d’indemniser les auteurs, de rendre publiques les demandes de radiation et de veiller à ce que de tels abus ne se reproduisent plus.
60. Le 20 juillet 2009, les auteurs de la communication ont été radiés de la liste sur décision du comité des sanctions.
61. En ce qui concerne l’article 14 du Pacte[3], le Comité s’est prononcé dans les termes suivants :
« 10.9 Eu égard à l’allégation de violation de l’article 14, paragraphe 1, les auteurs font valoir qu’ils ont été inscrits sur la liste des sanctions, et leurs avoirs gelés, sans qu’ils aient eu accès aux « informations pertinentes » justifiant l’inscription sur cette liste, et sans qu’aucun tribunal ne se prononce sur leur sort. Les auteurs relèvent également l’application prolongée de ces sanctions, et indiquent qu’ils n’ont pas eu accès à un recours utile, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité note à cet égard que l’Etat partie indique que les auteurs ont disposé d’un recours, puisqu’ils ont assigné l’Etat partie devant le Tribunal de Première Instance and (sic) Bruxelles et ont obtenu que soit adressée au Comité des sanctions une demande de radiation. Se limitant à l’examen des actions de l’Etat partie, le Comité estime donc que les auteurs ont bénéficié d’un recours utile dans la limite des compétences de l’Etat partie, qui en a garanti la bonne suite en effectuant deux demandes de radiation. Le Comité est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 3 de l’article 2, ni du paragraphe 1 de l’article 14, du Pacte. »
6. Rapport du Rapporteur spécial des Nations unies du 26 septembre 2012 sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme (A/67/396)
62. Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, Ben Emmerson, a présenté son deuxième rapport annuel à l’Assemblée générale des Nations unies le 26 septembre 2012. Il y énumère les activités menées entre le 3 avril et le 31 août 2012 et évalue le mandat du bureau du médiateur créé par la Résolution 1904 (2009) du Conseil de sécurité [et modifié par la Résolution 1989 (2011)] et sa compatibilité avec les normes internationales en matière des droits de l’homme, en particulier son impact sur les lacunes en matière de respect de la légalité inhérentes au régime des sanctions contre Al-Qaïda établi par le Conseil. Le rapport fait des recommandations visant la modification du mandat le rendant pleinement conforme aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Les paragraphes pertinents en l’espèce sont libellés comme suit (références omises) :
« 16. Dans le cadre du régime de sanctions contre Al-Qaida, le Conseil, par le biais de son Comité des sanctions, est chargé de désigner les individus et les entités devant figurer sur la Liste récapitulative et de statuer sur les demandes de radiation présentées. Cette procédure ne concorde pas avec une conception raisonnable du respect de la légalité et donne l’apparence que le Conseil agit en dehors de la loi. Certains membres du Conseil ne sont toutefois pas disposés à laisser un organisme indépendant procéder à un examen juridiquement contraignant des pouvoirs qu’ils détiennent au titre du Chapitre VII. Certains estiment en fait que cela serait contraire aux dispositions de la Charte des Nations Unies elle-même, et partant ultra vires.
17. Le Rapporteur spécial n’est pas d’accord avec cette position. Bien que le Conseil de sécurité soit avant tout un organe politique et non pas juridique, il exerce des fonctions quasi législatives et quasi judiciaires dans le contexte actuel. Au titre des Articles 25 et 103 de la Charte, les États sont tenus de respecter les décisions obligatoires adoptées par le Conseil en vertu du Chapitre VII, même si cela revient à violer leurs obligations au titre d’un autre traité international. Compte tenu de la présomption, en droit international, d’absence de conflits normatifs, les organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme ont mis au point une règle d’interprétation visant à ce que les résolutions du Conseil soient interprétées en partant de l’hypothèse qu’il n’est pas dans l’intention du Conseil de violer les droits fondamentaux. Dans le cas du régime des sanctions contre Al-Qaida, toutefois, le libellé des résolutions concernées interdit cette approche.
(...)
19. En 2005, il a été demandé, dans le Document final du Sommet mondial, au Conseil de sécurité agissant avec le concours du Secrétaire général de veiller à ce que les procédures prévues pour inscrire des particuliers et des entités sur les listes de personnes et d’entités passibles de sanctions et pour les radier de ces listes ainsi que pour octroyer des dérogations à des fins humanitaires soient équitables et transparentes. Le 22 juin 2006, lors de la conclusion de son débat thématique sur l’état de droit, le Conseil de sécurité s’est engagé à donner suite à cette recommandation. Le Conseil a lui-même reconnu que les droits de l’homme et le droit international devaient orienter les initiatives de lutte contre le terrorisme. De façon pertinente, le Conseil inclut, depuis 2008, une déclaration à cet effet dans le préambule de chacune de ses résolutions sur le régime des sanctions 1267/1989.
20. Conformément à l’Article 39 de la Charte, le Conseil considère que le terrorisme international lié à Al-Qaida représente une menace pour la paix et la sécurité internationales et que pour faire face à cette menace, il convient d’adopter un régime de sanctions en vertu de l’Article 41. Le Conseil ne disposant pas de mécanismes d’application qui lui soient propres, la mise en œuvre de ses résolutions est cependant fonction des capacités des États. S’il n’est pas lui-même officiellement lié par le droit international des droits de l’homme lorsqu’il agit en vertu du Chapitre VII (une thèse fortement contestée), il ne fait aucun doute que les États membres, lorsqu’ils appliquent ses décisions, sont liés par des obligations en matière de droits de l’homme. L’expérience montre que l’absence de mécanisme indépendant d’examen judiciaire au niveau des Nations Unies compromet sérieusement l’efficacité du régime et influe négativement sur la manière dont sa légitimité est perçue. Les tribunaux nationaux et régionaux et les organes conventionnels estiment qu’ils n’ont pas compétence pour examiner les décisions du Conseil en soi et s’intéressent plutôt aux mesures d’application nationales, dont ils vérifient la compatibilité avec les normes fondamentales en matière de respect de la légalité. En invalidant des textes d’application ou en les déclarant illégaux, une série de décisions judiciaires a d’ailleurs mis en relief le problème.
21. La plus récente de ces décisions est l’arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Nada c. Suisse. La Cour a estimé que les restrictions à la liberté de circulation du requérant imposées par une ordonnance du Conseil fédéral suisse portant application de la Résolution 1267 (1999) (telle que modifiée), violaient l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et constituaient une atteinte à sa vie privée. Le fait que la Cour ait conclu à une violation de l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif devant une instance nationale) a cependant des conséquences pratiques beaucoup plus importantes. La Cour a jugé qu’en l’absence d’un mécanisme d’examen judiciaire effectif au niveau des Nations Unies, les États parties à la Convention se devaient, dans le cadre de leur législation nationale, d’offrir un tel recours utile. Cela implique qu’une entité habilitée à déterminer si les mesures étaient justifiées et proportionnées et disposent du pouvoir de les invalider et procède à un examen en fait et en droit (sic). L’arrêt Nada renvoie ainsi à la position de la Cour de justice européenne et du Tribunal dans l’affaire Kadi, à savoir que les mesures d’application régionales adoptées par la Commission européenne devaient être jugées à l’aune des normes en matière de droits de l’homme qui lient les institutions communautaires. Le principe retenu dans l’affaire Nada a toutefois des ramifications plus vastes sur le plan géographique que celui de l’affaire Kadi, car il s’applique aux 47 États membres du Conseil de l’Europe, dont trois sont membres permanents du Conseil de sécurité.
22. Préfigurant la décision prise dans l’affaire Nada, l’ancien Rapporteur spécial avait déjà fait remarquer que tant qu’il n’y aurait pas d’examen judiciaire efficace et indépendant des listes au niveau des Nations Unies, il était « essentiel que les personnes et entités inscrites sur ces listes soient autorisées à demander l’examen par les tribunaux nationaux de toute mesure prise en application du régime des sanctions établi par la Résolution 1267 (1999) ». L’examen par les tribunaux nationaux ne constitue cependant pas un substitut adéquat à une procédure régulière au niveau des Nations Unies, l’État chargé de l’application n’ayant pas forcément accès à toutes les informations justifiant l’inscription sur la Liste (...). Même lorsqu’il y a accès, il peut ne pas être autorisé par l’État à l’origine de l’inscription à divulguer les informations. Cela peut empêcher les tribunaux nationaux ou régionaux de procéder correctement à un examen effectif. Plus généralement, comme l’a fait remarquer la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, la capacité des individus et des entités à contester leur inscription au niveau national est limitée par l’obligation des États membres en vertu des Articles 25 et 103 de la Charte.
23. Même si, à ce jour, les arrêts qui ont été rendus ne remettent pas en cause directement les résolutions du Conseil, ils ont eu pour effet de rendre ces dernières inapplicables dans le faits (sic). Si ces résolutions ne peuvent être appliquées légalement aux niveaux national et régional, alors la logique des sanctions universelles est battue en brèche, laissant craindre que les fonds visés par le régime migrent vers des pays qui ne peuvent légalement appliquer le régime. Il est donc impératif que le Conseil trouve une solution compatible avec les normes en matière de droits de l’homme qui lient les États membres (...). »
63. En ce qui concerne plus spécifiquement l’amélioration des garanties procédurales en faveur des personnes dont le nom figure sur la liste établie par le Conseil de sécurité en vertu des Résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000), le Rapporteur spécial se prononce comme suit (références omises) :
« 27. Le 17 décembre 2009, le Conseil a adopté la Résolution 1904 (2009), créant un poste de médiateur indépendant pour une période initiale de 18 mois afin d’assister le Comité dans son examen des demandes de radiation de la Liste. La première Médiatrice, Kimberly Prost, ancienne juge ad litem du Tribunal international chargé de juger les personnes accusées de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, forte de 20 années d’expérience comme Procureure fédérale au Canada, a été nommée par le Secrétaire général le 3 juin 2010. Aux termes de la Résolution 1904 (2009), elle a été chargée de recevoir les demandes de radiation de la Liste conformément aux modalités définies à l’annexe II à la résolution et d’établir un « rapport d’ensemble » à l’intention du Comité dans un délai fixé à l’avance. Elle a également été priée de rendre compte au Conseil, deux fois par an, de l’exécution de son mandat.
28. La procédure prévue par la Résolution 1904 (2009) présentait deux grands inconvénients. Le premier tenait à ce que le Médiateur ne disposait d’aucun pouvoir de recommandation formel. Mme Prost a néanmoins considéré que ses rapports d’ensemble devaient aborder, dans les limites de la norme prescrite, la question de savoir si le maintien sur la Liste était justifié. Dans sa Résolution 1989 (2011), le Conseil a reconnu et entériné cette pratique, donnant pour mission supplémentaire au Médiateur de formuler en conséquence des recommandations concernant les demandes de radiation de la Liste traitées.
29. Le deuxième inconvénient tenait à ce qu’il fallait que le Comité parvienne à un consensus pour qu’une radiation soit prononcée. La modification la plus marquante apportée par la Résolution 1989 (2011) a été de revenir sur cette exigence de consensus. À présent, une recommandation de radiation émanant du Médiateur est automatiquement suivie d’effet 60 jours après que le Comité a achevé son examen du rapport d’ensemble, à moins qu’il n’en décide autrement par consensus. En l’absence de consensus, tout membre du Comité peut renvoyer la demande de radiation de la Liste au Conseil de sécurité (procédure de saisine).
(...)
34. Toutefois, s’agissant de l’apparence (objective) d’indépendance, les failles structurelles demeurent les mêmes. Le Comité des droits de l’homme estime qu’une situation dans laquelle le pouvoir exécutif « est en mesure de contrôler ou de diriger » le pouvoir judiciaire « est incompatible avec le principe de tribunal indépendant ». La Cour européenne des droits de l’homme a également estimé pour sa part qu’une règle prévoyant que des décisions quasi judiciaires soient ratifiées par un organe exécutif ayant le pouvoir de les modifier ou de les abroger était contraire à la « notion même » de tribunal indépendant. Ce principe ne se fonde pas sur l’impression selon laquelle l’existence d’un tel pouvoir pourrait indirectement influencer la manière dont l’organe en question traite les affaires et rend ses décisions. Le « simple fait » qu’un pouvoir exécutif puisse annuler la décision d’un organe quasi judiciaire suffit à priver cet organe de l’« apparence » d’indépendance requise, même si en pratique, tel est rarement le cas, et indépendamment du fait que cette prérogative soit ou ait pu être exercée.
35. Il s’ensuit que, malgré les améliorations notables apportées par la Résolution 1989 (2011), le mandat du Médiateur ne satisfait toujours pas, s’agissant du respect des formes régulières, à l’exigence structurelle d’indépendance objective vis-à-vis du Comité. Le Rapporteur spécial adhère à la recommandation de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme selon laquelle le Conseil de sécurité doit dorénavant examiner « tous les moyens possibles » d’établir « une procédure quasi judiciaire indépendante » pour l’examen des décisions d’inscription et de radiation. Il est donc nécessaire, à cette fin, que le Comité accepte comme définitifs les rapports d’ensemble de la Médiatrice et qu’il se voit privé, tout comme le Conseil, de son pouvoir de décision. Pour qu’il soit tenu compte de cette modification, le Rapporteur spécial invite le Conseil de sécurité à envisager de renommer le Bureau du Médiateur Bureau de l’Arbitre indépendant.
(...)
64. Le rapporteur formule les conclusions et recommandations suivantes :
« 59. Saluant les progrès considérables accomplis sur le plan de la régularité de la procédure grâce à la Résolution 1989 (2011) du Conseil de sécurité, le Rapporteur spécial estime néanmoins que le régime des sanctions contre Al-Qaida ne garantit toujours pas le respect des normes internationales minimales en la matière et formule par conséquent les recommandations suivantes :
a) Il conviendrait de revoir le mandat du Bureau du Médiateur pour lui permettre de recevoir les demandes présentées par les personnes et entités inscrites sur la Liste récapitulative en vue : i) d’être radiées de la Liste ; et ii) d’obtenir une dérogation pour des raisons humanitaires, et de se prononcer au sujet de ces demandes en rendant une décision que le Comité des sanctions contre Al-Qaida et le Conseil de sécurité considéreraient comme finale.
(...). »
7. La jurisprudence pertinente d’autres Etats
65. Les mesures litigieuses ont également été examinées, au niveau national, par la Cour suprême du Royaume-Uni et par la Cour fédérale du Canada.
a) L’affaire Ahmed and Others v. HM Treasury (Cour suprême du Royaume-Uni)
66. L’affaire Ahmed and Others v. HM Treasury, jugée par la Cour suprême du Royaume-Uni le 27 janvier 2010, concernait une mesure de gel des avoirs des requérants prise en application du régime des sanctions établi par les Résolutions 1267 (1999) et 1373 (2001). La Cour suprême estima qu’en adoptant certaines ordonnances d’application des résolutions du Conseil de sécurité établissant le régime des sanctions, le Gouvernement avait outrepassé les pouvoirs que lui conférait la loi de 1946 sur les Nations unies.
67. Dans l’arrêt, Lord Hope, vice-président de la Cour suprême, s’exprima ainsi :
« 6. (...) Nous devons contrôler d’autant plus soigneusement la compétence du Trésor au regard de la loi de 1946 pour adopter les mesures de contrainte qu’il a prises que les conséquences des ordonnances prononcées sont en l’espèce draconiennes et liberticides. Même face à la menace que constitue le terrorisme international, la sécurité des personnes n’est pas un objectif inconditionnel. Il faut nous garder dans la même mesure des atteintes incontrôlées à la liberté individuelle. »
68. Il reconnut que les requérants avaient été privés du droit à un recours effectif et, à cet égard, fit notamment observer :
« 81. Je dirais que G est fondé à obtenir satisfaction dans la mesure où le régime auquel il a été soumis l’a privé d’un recours effectif. Comme l’indique M. Swift, il ne sera d’aucune utilité à l’intéressé de contester en justice la décision du Trésor de le traiter en personne désignée en vertu de l’ordonnance, car il a bien été désigné comme tel, par le Comité 1267. Pour bénéficier d’un recours effectif, ce dont il a besoin est un moyen de soumettre à un contrôle judiciaire son inscription sur la liste. Or, en vertu du mode de fonctionnement actuel du Comité 1267, il ne dispose pas d’une telle possibilité. Selon moi, l’article 3 § 1 b) de l’ordonnance sur Al-Qaïda, qui a donné lieu à cette situation, a donc été adopté en dépassement des pouvoirs conférés par l’article 1 de la loi de 1946. Il n’est pas nécessaire aux fins de la présente affaire d’examiner le point de savoir si l’ordonnance sur Al-Qaïda est, dans son ensemble, ultra vires. Je précise toutefois à cet égard que je n’entends pas indiquer que, s’il avait été applicable à G, l’article 4 de cette ordonnance n’aurait pas dû être également censuré.
82. Il en va de même de HAY : lui aussi est une « personne désignée » au motif que son nom figure sur la liste du Comité 1267. Comme indiqué précédemment, le Royaume-Uni demande à présent le retrait de son nom de la liste. Par une lettre du 1er octobre 2009, l’équipe des sanctions du Trésor a informé ses avocats [solicitors] que la demande de radiation avait été communiquée le 26 juin 2009 mais que lorsque le Comité l’avait examinée pour la première fois, un certain nombre d’Etats estimaient ne pas être en mesure d’accéder à cette demande. D’autres démarches sont entreprises actuellement pour obtenir la radiation, mais pour l’heure, elles n’ont pas abouti. HAY reste donc soumis aux dispositions de l’ordonnance sur Al-Qaïda. Cette situation le prive lui aussi d’un recours effectif. »
69. La Cour suprême jugea illégales tant l’ordonnance prise en application de la Résolution 1373 (2001) dans le cadre général de la lutte contre le terrorisme (l’ordonnance sur le terrorisme, Terrorism Order) que celle prise en application des résolutions relatives à Al-Qaïda et aux talibans (l’ordonnance sur Al-Qaïda, Al-Qaida Order). Elle ne censura cependant l’ordonnance sur Al-Qaïda que pour autant qu’elle ne prévoyait pas de recours effectif (voir également l’opinion dissidente de Lord Brown à cet égard).
b) L’affaire Abdelrazik c. Canada (Cour fédérale du Canada)
70. Dans l’affaire Abdelrazik c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), jugée le 4 juin 2009, la Cour fédérale du Canada considéra que la procédure d’inscription du comité des sanctions contre Al-Qaïda et les talibans était incompatible avec le droit à un recours effectif. En l’espèce, le requérant, de nationalités canadienne et soudanaise, se trouvait dans l’impossibilité de rentrer au Canada en raison de l’application par ce pays des résolutions du Conseil de sécurité établissant le régime des sanctions. Il était ainsi contraint de demeurer à l’ambassade du Canada à Khartoum, au Soudan, pays où il craignait d’être détenu et torturé.
71. Le juge Zinn, qui exprima l’opinion de la majorité, s’exprima notamment ainsi :
« [51] J’ajoute mon nom à ceux qui considèrent le régime instauré par le Comité 1267 comme un déni de recours juridiques fondamentaux et comme une mesure indéfendable selon les principes du droit international en matière de droits de la personne. Rien dans la procédure d’inscription ou de radiation ne reconnaît les principes de justice naturelle ou n’assure une équité procédurale fondamentale. (...) »
72. Il ajouta :
« (...)
[54] (...) il est effrayant d’apprendre qu’un citoyen de notre pays ou de tout autre puisse voir son nom inscrit sur la liste du Comité 1267, sur de simples soupçons. »
73. Après avoir examiné les mesures d’interdiction de voyager prises sur la base des résolutions relatives à Al-Qaïda et aux talibans, il conclut qu’il avait été porté au droit du requérant d’entrer au Canada une atteinte incompatible avec les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés (§§ 62 et suiv.).
B. Le droit interne
74. L’article 190 de la Constitution fédérale énonce :
« Article 190 : Droit applicable
Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. »
75. Les dispositions pertinentes de l’ordonnance du 7 août 1990, instituant des mesures économiques envers la République d’Irak (« ordonnance sur l’Irak »), se lisent ainsi :
« Article 1 : Interdiction de fournir des biens d’équipement militaires
Sont interdits la fourniture, la vente et le courtage de biens d’armement à tous les destinataires en Irak à l’exception du gouvernement de l’Irak ou de la force multinationale au sens de la Résolution 1546 (2004) du Conseil de sécurité.
L’alinéa 1 ne s’applique que dans la mesure où la loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre et la loi du 13 décembre 1996 sur le contrôle des biens ainsi que leurs ordonnances d’application ne sont pas applicables.
(...)
Article 2 : Gel des avoirs et des ressources économiques
Sont gelés les avoirs et les ressources économiques :
a. appartenant à ou sous contrôle de l’ancien gouvernement irakien ou d’entreprises ou de corporations sous le contrôle de celui-ci. Ne tombent pas sous le coup de ce gel les avoirs et les ressources économiques des représentations irakiennes en Suisse ainsi que les avoirs et les ressources économiques qui ont été déposés en Suisse par des entreprises ou des corporations publiques irakiennes ou qui leur ont été versés ou transférés après le 22 mai 2003 ;
b. appartenant à ou sous contrôle de hauts responsables de l’ancien gouvernement irakien ou des membres de leurs proches familles ;
c. appartenant à ou sous contrôle d’entreprises ou de corporations elles-mêmes contrôlées par des personnes visées par la lettre b ou gérées par des personnes agissant au nom ou selon les instructions de personnes visées par la lettre b.
Les personnes physiques, entreprises et corporations visées par l’alinéa 1 sont mentionnées à l’annexe. Le Département fédéral de l’économie établit l’annexe d’après les données de l’Organisation des Nations Unies.
Le Secrétariat d’Etat à l’économie (seco) peut, après avoir consulté les offices compétents du Département fédéral des affaires étrangères et du Département fédéral des finances, autoriser des versements prélevés sur des comptes bloqués, des transferts de biens en capital gelés et le déblocage de ressources économiques gelées afin de protéger des intérêts suisses ou de prévenir des cas de rigueur.
Article 2a : Déclarations obligatoires
Les personnes ou les institutions qui détiennent ou gèrent des avoirs dont il faut admettre qu’ils tombent sous le coup du gel des avoirs défini à l’article 2, al. 1, doivent les déclarer sans délai au seco.
Les personnes ou les institutions qui ont connaissance de ressources économiques dont il faut admettre qu’elles tombent sous le coup du gel des ressources économiques défini à l’article 2, alinéa 1, doivent les déclarer sans délai au seco.
Sur la déclaration doivent figurer le nom du bénéficiaire, l’objet et la valeur des avoirs et des ressources économiques gelés.
Les personnes ou les institutions en possession de biens culturels au sens de l’article 1a doivent les déclarer sans délai à l’Office fédéral de la culture.
Article 2c : Mise en œuvre du gel des ressources économiques
Sur instruction du seco, les autorités compétentes prennent les mesures nécessaires pour le gel des ressources économiques, p. ex. la mention d’un blocage du registre foncier ou la saisie ou la mise sous scellé des biens de luxe.
(...). »
76. L’ordonnance du 18 mai 2004 sur la confiscation des avoirs et ressources économiques irakiens gelés et leur transfert au Fonds de développement pour l’Irak (« ordonnance sur la confiscation ») est libellée comme suit :
« Article 1 : Objet
La présente ordonnance règle :
a. la confiscation des avoirs et des ressources économiques qui sont gelés en vertu de l’art. 2, al. 1, de l’ordonnance du 7 août 1990 instituant des mesures économiques envers la République d’Irak ; et
b. le transfert des avoirs et du produit de la vente des ressources économiques au Fonds de développement pour l’Irak.
Article 2 : Procédure de confiscation
Le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) est autorisé à confisquer, par voie de décision, les avoirs et les ressources économiques selon l’art. 1.
Avant la notification de la décision de confiscation il transmet par écrit aux parties un projet de cette décision. Les parties peuvent se prononcer dans un délai de 30 jours.
Article 3 : Exceptions
Le DEFR peut, après avoir consulté les offices compétents du Département fédéral des affaires étrangères et du Département fédéral des finances autoriser des exceptions afin de prévenir des cas de rigueur. Les demandes y relatives sont à présenter au DEFR dans le délai prévu à l’art. 2, al. 2.
Article 4 : Recours
Les décisions de confiscation du DEFR peuvent faire l’objet d’un recours au Tribunal administratif fédéral.
Article 5 : Transfert au Fonds de développement pour l’Irak
Dès que la décision de confiscation a acquis autorité de chose jugée, le DEFR procède au transfert des avoirs confisqués ainsi que du produit de la vente des ressources économiques confisquées au Fonds de développement pour l’Irak.
Article 6 : Entrée en vigueur et durée de validité
La présente ordonnance entre en vigueur le 1er juillet 2004 et a effet jusqu’au 30 juin 2007.
La durée de validité de la présente ordonnance est prolongée jusqu’au 30 juin 2010.
La durée de validité de la présente ordonnance est prolongée jusqu’au 30 juin 2013. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
77. Les requérants allèguent que la confiscation de leurs avoirs a été ordonnée en l’absence de toute procédure conforme à l’article 6 de la Convention, disposition qu’ils tiennent pour applicable tant sous son volet civil que sous son volet pénal. Le passage pertinent de l’article 6 est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
78. Le Gouvernement combat cette thèse.
79. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, par exemple, Glor c. Suisse, no 13444/04, § 48, CEDH 2009, et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), estime que le grief des requérants doit être considéré comme une allégation de violation du droit d’accès à un tribunal. C’est sur le fondement de ce droit que l’affaire a été notifiée au gouvernement défendeur et que la Cour procédera à son examen.
A. Sur la recevabilité
1. Sur la compatibilité ratione personae avec la Convention et ses Protocoles du grief tiré de l’article 6 § 1
a) Les thèses des parties
i. Le gouvernement défendeur
80. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la Requête irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention. Il argue que les mesures litigieuses ont été prises sur le fondement des Résolutions 661 (1990), 670 (1990) et 1483 (2003) (abrogeant la Résolution 661 (1990)) du Conseil de sécurité, lesquelles, en vertu des articles 25 et 103 de la Charte des Nations unies, auraient force obligatoire et primeraient sur les obligations découlant de tout autre accord international. A cet égard, il renvoie notamment à une ordonnance portant mesures conservatoires rendue par la Cour internationale de Justice dans le cadre de l’affaire relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, CIJ Recueil 1992, p. 15, § 39). Le Gouvernement soutient que, dans ces circonstances, la Suisse ne saurait être tenue pour responsable au niveau international de la mise en œuvre des mesures en question.
ii. Les requérants
81. Selon les requérants, il est incontestable que les actes litigieux sont directement imputables à la Suisse et que la protection de leurs droits fondamentaux au niveau des Nations unies a été manifestement insuffisante par rapport à celle assurée par la Convention. Il n’y aurait donc pas d’incompatibilité ratione personae. Les requérants en déduisent que la Requête est recevable et que la Cour est compétente pour l’examiner.
b) Les thèses des tiers intervenants
i. Le gouvernement français
82. Le gouvernement français estime que les mesures édictées par la Suisse découlaient nécessairement de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, que tous les Etats seraient tenus d’appliquer et auxquelles, au surplus, ils seraient tenus d’accorder la priorité sur toute autre règle internationale. Dans ces conditions, la France considère que les mesures en cause ne sauraient être regardées comme relevant de la « juridiction » de la Suisse au sens de l’article premier de la Convention, sauf à vider cette notion de son sens.
83. Le gouvernement français indique que si, dans son arrêt du 30 juin 2005 dans l’affaire Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande ([GC], no 45036/98, CEDH 2005-VI), la Cour a estimé compatible avec l’article premier de la Convention une Requête contestant la validité d’une mesure nationale qui ne faisait que mettre en œuvre un règlement communautaire qui trouvait lui-même son origine dans une résolution du Conseil de sécurité, elle a relevé dans ce même arrêt que c’était le règlement communautaire et non la résolution du Conseil de sécurité qui constituait le fondement juridique de la mesure nationale en cause (§ 145 de l’arrêt).
84. Le gouvernement français est également convaincu que, bien que les mesures en cause ne relèvent pas de missions réalisées hors du territoire des Etats membres, comme dans les affaires Behrami et Behrami contre la France et Saramati contre la France, l’Allemagne et la Norvège (déc., [GC], nos 71412/01 et 78166/01), mais de mesures mises en œuvre en droit interne, les arguments développés dans ces précédents relativement à la nature des missions du Conseil de sécurité et des obligations en découlant pour les Etats devraient conduire la Cour à déclarer ces mesures imputables à l’ONU, et donc à considérer que les griefs des requérants sont incompatibles ratione personae avec la Convention. Ainsi, la présente affaire serait l’occasion pour la Cour de transposer sur le territoire même des Etats membres les principes dégagés dans l’affaire Behrami et Behrami (précitée), en tenant compte de la hiérarchie des normes de droit international et des différentes sphères juridiques qui en découlent.
ii. Le gouvernement du Royaume-Uni
85. Le gouvernement du Royaume-Uni rappelle que les résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies sont juridiquement contraignantes et que les obligations en découlant priment, en vertu de l’article 103 de la Charte, sur tout autre engagement international. Il en serait ainsi des obligations des Etats parties à la Convention en vertu de l’article 6, qui ne sont pas de nature impérative (jus cogens). A cet égard, le Royaume-Uni est d’avis que l’efficacité du régime des sanctions établi en vue de garantir la paix et la sécurité internationales serait gravement compromise si la priorité était donnée aux droits découlant de l’article 6 de la Convention.
c) L’appréciation de la Cour
86. A la lumière des arguments exposés par les parties et les tiers intervenants, la Cour doit déterminer si elle est compétente pour connaître des griefs soulevés par les requérants. Pour cela, il lui faut examiner si la Requête tombe dans le champ d’application de l’article 1 de la Convention et engage dès lors la responsabilité de l’Etat défendeur.
87. L’article 1 de la Convention est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »
88. Aux termes de cette disposition, l’engagement des Etats contractants se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énoncés dans la Convention (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 130, CEDH 2011, Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, § 74, CEDH 2011, Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001-XII, et Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no 161). La « juridiction », au sens de l’article 1, est une condition sine qua non pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Al-Skeini et autres, précité, § 130, Al-Jedda, précité, § 74, et Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 311, CEDH 2004-VII).
89. La notion de juridiction reflète la conception de ce terme en droit international public (Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 137, CEDH 2004-II, Gentilhomme, Schaff-Benhadji et Zerouki c. France, nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99, § 20, 14 mai 2002, et Banković et autres, décision précitée, §§ 59-61), de sorte que la compétence juridictionnelle d’un Etat est principalement territoriale (Al-Skeini et autres, précité, § 131, et Banković et autres, décision précitée, § 59) et qu’elle est présumée s’exercer sur l’ensemble de son territoire (Ilaşcu et autres, précité, § 312).
90. Se prévalant de la décision Behrami et Behrami, précitée, le gouvernement français notamment, tiers intervenant, soutient que les mesures prises par les Etats membres de l’ONU mettant en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte sont imputables à l’ONU et échappent donc à la compétence ratione personae de la Cour. Celle-ci ne saurait souscrire à cet argument. En effet, elle rappelle qu’elle a conclu, dans l’affaire Behrami et Behrami, que les actions et omissions litigieuses de la KFOR, dont les pouvoirs avaient été valablement délégués par le Conseil de sécurité en application du chapitre VII de la Charte, et de la MINUK, un organe subsidiaire de l’ONU instauré en vertu du même chapitre, étaient imputables à l’ONU en tant qu’organisation à vocation universelle remplissant un objectif impératif de sécurité collective (§ 151). En revanche, s’agissant de la présente affaire, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment la Résolution 1483 (2003), chargent les Etats d’agir en leur propre nom et de les mettre en œuvre au niveau national.
91. En l’espèce, les mesures imposées par les résolutions du Conseil de sécurité ont été mises en œuvre au niveau interne par une ordonnance du Conseil fédéral. Les avoirs des requérants ont été gelés et le Département fédéral de l’économie a prononcé la confiscation de certains avoirs par une décision du 16 novembre 2006. On se trouve donc clairement en présence d’actes nationaux d’application d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU (voir, mutatis mutandis, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précité, § 137, et, a contrario, Behrami et Behrami, décision précitée, § 151). Les violations alléguées de la Convention sont ainsi imputables à la Suisse (voir, mutatis mutandis, Nada, précité, § 121).
92. Il en découle que les mesures litigieuses ont été prises par l’Etat suisse dans l’exercice de sa « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention. Les actes ou omissions litigieux sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat défendeur en vertu de la Convention. Il s’ensuit également que la Cour est compétente ratione personae pour connaître de la présente Requête (voir, mutatis mutandis, Nada, précité, § 122).
93. Partant, la Cour rejette l’exception tirée de l’incompatibilité ratione personae de la Requête. En revanche, elle tiendra compte, dans l’examen au fond de la présente affaire, des arguments amplement développés par les parties et les tiers intervenants concernant la primauté des résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII de la Charte.
2. Sur la compatibilité ratione materiae du grief tiré de l’article 6 § 1
94. Le gouvernement défendeur soutient que les avoirs des requérants sont gelés en vertu de l’article 23 de la Résolution 1483 (2003), qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne. Il ajoute que le gel de ces avoirs, tout comme la confiscation, est la conséquence directe de l’inscription du nom des intéressés sur la liste établie en vertu de la résolution. L’atteinte alléguée aux droits de propriété des requérants trouverait donc son origine dans ladite résolution elle-même, indépendamment d’une quelconque règle du droit interne. Aussi les requérants ne pourraient-ils se prévaloir d’aucun « droit » au sens de la jurisprudence de la Cour. Pour le gouvernement défendeur, il s’ensuit que la procédure ultérieure, objet de la présente Requête et concernant la confiscation de ces avoirs ainsi que leur transfert au Fonds pour le développement de l’Irak, ne relève pas du champ d’application de l’article 6 de la Convention.
95. Les requérants contestent cette argumentation.
96. La Cour ne saurait suivre l’avis du gouvernement défendeur. Elle rappelle que les requérants se plaignent devant elle de n’avoir pas eu accès à une procédure conforme à l’article 6 qui leur aurait permis de contester la confiscation de leurs avoirs. Celle-ci mettant directement en jeu la jouissance de leur propriété, qui est garantie notamment par l’article 26 de la Constitution suisse, les requérants peuvent se prévaloir d’un « droit (...) de caractère civil ». Il importe peu à cet égard que la Suisse n’ait pas ratifié le Protocole no 1, dont l’article premier garantit le droit au respect des biens.
97. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception du gouvernement défendeur tirée de l’incompatibilité ratione materiae du grief soulevé sur le terrain de l’article 6 § 1.
3. Conclusion
98. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a) Les requérants
99. Les requérants doutent que les mesures prises soient nécessaires et proportionnées au but du maintien de la paix. D’après eux, la Résolution 1483 (2003) poursuivait certainement à l’origine un but légitime, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales, lorsqu’elles étaient réellement menacées par l’ancien gouvernement irakien. La proportionnalité serait discutable s’agissant par exemple des mesures de gel temporaire d’actifs ou d’autres restrictions provisoires classiques d’embargo pendant une période limitée. En revanche, la Résolution 1483 (2003), adoptée plusieurs années après le renversement de l’ancien régime irakien, n’aurait plus aucun lien objectif ni direct avec le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
100. Les requérants sont convaincus que le régime de sanctions ciblées mis en place par le Conseil de sécurité est manifestement insuffisant pour assurer la protection garantie dans le cadre de la Convention. Partant, en mettant en œuvre la Résolution 1483 (2003) sans leur garantir la protection prévue à l’article 6, la Suisse aurait violé la Convention.
101. Les requérants jugent louable l’engagement de la Suisse sur le plan international, qui vise, selon eux, à améliorer la situation juridique des personnes inscrites sur les listes de l’ONU, mais ils estiment que ces efforts ne redressent pas les violations des droits fondamentaux dont ils sont victimes, puisque la Suisse a néanmoins jugé nécessaire de mettre en œuvre les résolutions litigieuses en l’état, contrairement à ses obligations issues de la Convention.
102. D’après les requérants, le gouvernement défendeur reconnaît explicitement que la procédure de delisting mise en place au niveau des Nations unies n’est pas conforme à la Convention, ce qui signifie qu’elle ne peut pas non plus satisfaire au principe de la protection équivalente, qui s’applique au cas d’espèce. Par ailleurs, la Suisse semblerait admettre qu’il y a eu violation de la Convention mais non qu’elle en est responsable. Pour les requérants, lorsqu’un Etat partie reconnaît l’existence d’une violation de la Convention, il ne saurait s’en excuser par la nécessité de respecter une autre obligation internationale. La Cour aurait pour mission de sauvegarder les droits protégés par la Convention et devrait par conséquent veiller à l’application autonome et sans faille des obligations en découlant dans un cas individuel et concret.
b) Le gouvernement défendeur
103. Le gouvernement défendeur indique que le droit d’accès aux tribunaux dans des affaires civiles n’est pas absolu. S’agissant d’un droit reconnu par la Convention, des limitations seraient implicitement admises. En outre, les Etats jouiraient d’une certaine marge d’appréciation en la matière.
104. Eu égard aux termes des résolutions du Conseil de sécurité, le contrôle judiciaire aurait été, à défaut de marge de manœuvre des autorités internes, limité aux questions de savoir si les requérants figuraient sur les listes établies par le comité des sanctions et si les avoirs concernés leur appartenaient. Pareille restriction du droit d’accès à un tribunal poursuivrait un but légitime, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales, qui auraient été en permanence menacées et violées à plusieurs reprises par l’ancien gouvernement irakien. Pour atteindre leur objectif, les résolutions adoptées à cet égard devraient être appliquées de manière conséquente par la communauté internationale. La correction d’éventuels défauts, tant procéduraux que matériels, nécessiterait des actions au sein de l’ONU.
105. Le gouvernement défendeur expose également que, depuis son adhésion à l’ONU le 10 septembre 2002, la Suisse s’engage, avec d’autres Etats, en faveur d’une amélioration de la situation juridique des personnes concernées et d’une procédure équitable de listing et de delisting. Néanmoins, la Suisse serait tenue, en vertu de la Charte, de mettre en œuvre les sanctions litigieuses.
106. Le gouvernement défendeur ne conteste pas que les requérants n’ont pas la possibilité d’obtenir un contrôle judiciaire de leur inscription sur les listes établies. Il indique néanmoins que les intéressés peuvent demander leur radiation en vertu de la Résolution 1730 (2006). De l’avis du Gouvernement, la possibilité de présenter directement une demande de radiation, qui a été introduite à la suite d’une initiative de la Suisse et d’autres Etats, sert à atténuer les effets de l’absence d’un contrôle judiciaire au sein de l’ONU. Le Gouvernement estime que la pratique pertinente permet de conclure que les demandes présentées au point focal font l’objet d’un examen circonstancié. Partant, le système établi par le Conseil de sécurité offrirait dans son ensemble une protection adéquate des droits de l’homme, bien que ni satisfaisante ni équivalente à celle qu’exige la Convention.
107. Le Gouvernement rappelle également que le Tribunal fédéral a explicitement demandé au Département fédéral de l’économie d’impartir aux requérants un délai pour déposer une demande de radiation avant que le transfert des avoirs au Fonds pour le développement de l’Irak ne puisse être exécuté (considérant 11 de l’arrêt). Il précise que cette demande a été rejetée le 6 janvier 2009.
108. Par ailleurs, depuis l’arrêt du Tribunal fédéral, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) aurait fait droit aux quatre demandes du premier requérant, qui sollicitait l’accès aux avoirs gelés pour payer les frais de sa défense. Par un préavis favorable du SECO en date du 26 septembre 2008, les requérants auraient en outre été informés de l’autorisation de recourir aux avoirs gelés en Suisse pour régler les futurs honoraires d’un avocat américain, les activités de ce dernier devant se limiter à leur défense en connexion avec la procédure de confiscation en Suisse et la procédure de radiation.
109. En ce qui concerne la proportionnalité de la mesure litigieuse, le gouvernement défendeur estime également que les mesures ordonnées au paragraphe 23 de la Résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité sont ciblées, ne visant qu’un cercle restreint de personnes, dont le premier requérant en tant que haut responsable de l’ancien régime irakien et directeur de la seconde requérante.
110. Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que les requérants n’ont pas eu accès à un tribunal au sens de l’article 6, le gouvernement défendeur soutient que la limitation dudit droit tend à un but légitime et respecte un rapport raisonnable de proportionnalité. D’après lui, si la Cour constatait une violation de l’article 6 § 1, elle pourrait néanmoins reconnaître que la Suisse, en raison de ses obligations découlant de la Charte, ne peut en être tenue pour responsable. Selon le Gouvernement, la Cour pourrait ainsi maintenir son entière compétence pour connaître des actes des Etats sur leur territoire tout en préservant une cohérence entre les systèmes juridiques du Conseil de l’Europe et des Nations unies.
2. Appréciation de la Cour
a) Question préalable : La coexistence des garanties de la Convention et des obligations imposées aux Etats par les résolutions du Conseil de sécurité
111. Selon une jurisprudence constante, les Parties contractantes sont responsables en vertu de l’article 1 de la Convention de toutes les actions et omissions de leurs organes, que celles-ci découlent du droit interne ou d’obligations juridiques internationales. L’article 1 ne fait aucune distinction à cet égard entre les différents types de normes ou de mesures et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l’empire de la Convention (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précité, § 153, et Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 29, Recueil 1998-I). Les engagements conventionnels contractés par l’Etat après l’entrée en vigueur de la Convention à son égard peuvent donc engager sa responsabilité au regard de cet instrument (Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, CEDH 2010, et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précité, § 154, avec les références citées).
112. Par ailleurs, la Cour rappelle que la Convention ne doit pas être interprétée isolément mais de manière à se concilier avec les principes généraux du droit international. En vertu de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 131, CEDH 2010, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI, et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18).
113. Le gouvernement défendeur ainsi que les gouvernements français et britannique, tiers intervenants, soutiennent que les autorités suisses n’avaient aucune latitude dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité pertinentes en l’espèce. La Cour rappelle que dans l’affaire Al-Jedda, (arrêt précité, § 109), elle a estimé que la résolution en cause, à savoir la Résolution 1546 (2004) du Conseil de sécurité, autorisait le Royaume-Uni à prendre des mesures pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak, mais que ni cette résolution ni aucune autre résolution adoptée ultérieurement par le Conseil de sécurité n’imposait expressément ou implicitement au Royaume-Uni d’incarcérer, sans limitation de durée ni inculpation, un individu qui, selon les autorités, constituait un risque pour la sécurité en Irak. Ultérieurement, dans l’affaire Nada (arrêt précité, § 172), elle a conclu en revanche que la Résolution 1390 (2002) demande expressément aux Etats d’interdire l’entrée et le transit sur leur territoire des personnes figurant sur la liste des Nations unies. Il en découlait, selon la Cour, que la présomption selon laquelle « le Conseil de sécurité n’entend pas imposer aux Etats membres une quelconque obligation qui contreviendrait aux principes fondamentaux en matière de sauvegarde des droits de l’homme » (Al-Jedda, précité, § 102), était renversée en l’espèce, eu égard aux termes clairs et explicites employés dans le cadre de cette résolution, imposant une obligation d’introduire des mesures susceptibles de violer les droits de l’homme.
114. La Cour rappelle que la Convention n’interdit pas aux Parties contractantes de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale à des fins de coopération dans certains domaines d’activité. Les Etats demeurent néanmoins responsables au regard de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes qui découlent du droit interne ou de la nécessité d’observer les obligations juridiques internationales (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précité, §§ 152-153). Une mesure de l’Etat prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention. En d’autres termes, si l’on considère que l’organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de présumer que les Etats respectent les exigences de la Convention lorsqu’ils ne font qu’exécuter des obligations juridiques résultant de leur adhésion à l’organisation (Michaud c. France, no 12323/11, § 103, 6 décembre 2012). En revanche, un Etat demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales, notamment lorsqu’il a exercé un pouvoir d’appréciation (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 338, CEDH 2011, et Michaud, précité, § 103).
115. Le critère de la protection équivalente est bien établi dans la jurisprudence de la Cour (outre les arrêts Michaud et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi, précités, voir, en particulier, l’affaire Gasparini c. Italie et Belgique (déc.), no 10750/03, 12 mai 2009, dans laquelle la Cour a conclu que « la protection offerte au requérant en l’espèce par le mécanisme de règlement interne des conflits de l’OTAN n’était donc pas entachée d’une « insuffisance manifeste » au sens donné à ce terme dans l’arrêt Bosphorus, particulièrement dans le contexte spécifique d’une organisation telle que l’OTAN » ; voir, pour d’autres références, mais moins explicites, au critère de la protection équivalente, Galić c. Pays-Bas (déc.), § 46, no 22617/07, 9 juin 2009, Blagojević c. Pays-Bas (déc.), § 46, no 49032/07, 9 juin 2009, et Rambus Inc. c. Allemagne (déc.), no 40382/04, 16 juin 2009).
116. La plupart des affaires précitées concerne le rapport entre le droit de l’Union européenne et les garanties découlant de la Convention. La Cour constate néanmoins qu’elle n’a jamais exclu d’appliquer le critère de la protection équivalente à une situation concernant la compatibilité avec la Convention d’actes relevant d’autres organisations internationales que l’Union européenne. En effet, elle estime que la présomption de protection équivalente vise en particulier à éviter qu’un Etat partie soit confronté à un dilemme lorsqu’il lui faut invoquer les obligations juridiques qui s’imposent à lui, en raison de son appartenance à une organisation internationale non partie à la Convention (Michaud, précité, § 104). Or, comme en témoigne la présente affaire, ce dilemme peut se présenter pour un Etat aussi bien du fait de son appartenance à l’Union européenne, en tant qu’organisation supranationale de vocation européenne, qu’en sa qualité d’Etat membre des Nations unies.
117. La Cour estime que la présente affaire se prête à un examen à la lumière du critère de la protection équivalente, en particulier du fait que les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment le paragraphe 23 de la Résolution 1483 (2003), ne confèrent aux Etats visés aucun pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre des obligations en découlant. A cet égard, la situation de l’espèce se distingue essentiellement de celle de l’affaire Nada, précitée, dans laquelle la Grande Chambre a conclu que la Suisse jouissait d’une certaine latitude dans la mise en œuvre des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité (Nada, précité, §§ 175-180).
118. En ce qui concerne la protection offerte dans la présente affaire, la Cour constate que le gouvernement défendeur admet lui-même que le système en place, même dans sa forme améliorée à la suite de la Résolution 1730 (2006), permettant aux requérants de demander auprès d’un « point focal » leur radiation des listes établies par le Conseil de sécurité, n’offre pas une protection équivalente à celle qu’exige la Convention (paragraphe 106 ci-dessus). La Cour partage ce point de vue.
119. Cette conclusion se voit par ailleurs confirmée dans le rapport du 26 septembre 2012 du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme (paragraphe 62 ci-dessus). Le Rapporteur spécial y exprime clairement qu’en dépit des progrès considérables accomplis sur le plan de la procédure grâce aux Résolutions 1904 (2009) et 1989 (2011) du Conseil de sécurité, ayant créé un bureau du médiateur, le régime des sanctions contre Al-Qaïda établi par la Résolution 1267 (1989) ne garantit toujours pas le respect des normes internationales minimales en la matière (paragraphe 59 du rapport, cité au paragraphe 64 ci-dessus). La Cour se rallie sans réserve à cette conclusion du Rapporteur spécial.
120. En l’absence d’un mécanisme de contrôle comparable au bureau du médiateur créé dans le cadre du régime des sanctions contre l’ancien gouvernement irakien prévu par la Résolution 1483 (2003), il s’ensuit, a fortiori, que la protection offerte au niveau international n’est pas équivalente à celle découlant de la Convention. Par ailleurs, les défauts procéduraux du régime des sanctions ne sauraient en l’espèce être considérés comme étant compensés par des mécanismes internes de protection des droits de l’homme, étant donné que le Tribunal fédéral a refusé de contrôler le bien-fondé des mesures litigieuses (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Nada, précité, § 213, dans lequel la Cour a conclu que le requérant n’a eu à sa disposition aucun moyen effectif de demander la radiation de son nom de la liste annexée à l’ordonnance sur les talibans et, dès lors, de faire remédier aux violations de la Convention qu’il dénonçait).
121. Compte tenu de ce qui précède, il s’ensuit que la présomption de protection équivalente ne trouve pas à s’appliquer.
122. Dès lors, il incombe à la Cour de se prononcer sur le bien-fondé du grief concernant le droit d’accès à un tribunal.
b) L’examen du grief concernant l’accès à un tribunal
i. Les principes généraux applicables
123. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 49, CEDH 2002-IX). Chaque justiciable possède le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 54, CEDH 2010 ; Golder, précité, § 36 ; et Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 43, CEDH 2001-VIII).
124. Toutefois, le droit d’accès à un tribunal, reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient en revanche à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle se doit de vérifier que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation au droit d’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Cudak, précité, § 55 ; Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I ; T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 98, CEDH 2001-V ; et Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, § 33, CEDH 2001-XI).
125. Il y a lieu aussi de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. La remarque vaut également pour le droit d’accès aux tribunaux, vu la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique (Aït-Mouhoub c. France, 28 octobre 1998, § 52, Recueil 1998-VIII). Il serait incompatible avec la prééminence du droit dans une société démocratique et avec le principe fondamental qui sous-tend l’article 6 § 1, à savoir que les revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un juge, qu’un Etat puisse, sans réserve ou sans contrôle des organes de la Convention, soustraire à la compétence des tribunaux toute une série d’actions civiles ou exonérer de toute responsabilité des catégories de personnes (Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, série A no 294-B).
ii. Application des principes susmentionnés au cas d’espèce
- Limitation du droit d’accès à un tribunal
126. La Cour estime que les requérants, qui ont en vain tenté de saisir les juridictions suisses pour contester la confiscation de leurs avoirs, ont subi une limitation de leur droit d’accès à un tribunal. Cela ne semble pas avoir été mis en question par le gouvernement défendeur. Dès lors, il convient d’examiner si cette limitation poursuivait un but légitime et s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
- Justification de la limitation
127. Selon le gouvernement défendeur, la restriction du droit d’accès à un tribunal poursuit un but légitime, à savoir le maintien de la paix et de la sécurité internationales. La Cour est prête à accepter cette conclusion. Adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte, la Résolution 1483 (2003), qui est à la base de la restriction litigieuse, avait pour but d’imposer aux Etats membres toute une série de mesures en vue de la stabilisation et du développement de l’Irak. Il s’agissait notamment, en vertu du paragraphe 23 de cette résolution, de garantir que des avoirs et des biens de hauts responsables de l’ancien gouvernement irakien, dont le premier requérant, qui, selon le Conseil de sécurité, était un ancien responsable des finances des services secrets irakiens, fussent transférés au Fonds de développement pour l’Irak et, partant, rendus au peuple irakien pour qu’il en bénéficiât, un but pleinement compatible avec la Convention.
128. La Cour accepte l’argument du gouvernement défendeur selon lequel le refus des tribunaux internes d’examiner au fond les griefs des requérants découlant de la confiscation de leurs avoirs était inspiré par leur souci d’assurer une mise en œuvre efficace au niveau interne des obligations découlant de ladite résolution.
- Existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé
129. En ce qui concerne le rapport entre les moyens employés et le but visé, la Cour observe d’emblée que le Tribunal fédéral a exposé, dans des arrêts très détaillés, les motifs pour lesquels il se considérait incompétent pour examiner les demandes des requérants tendant à l’annulation de la confiscation (paragraphe 38 ci-dessus). Il a par ailleurs vérifié si les noms des requérants figuraient effectivement sur les listes établies par le comité des sanctions et si les avoirs concernés leur appartenaient. En revanche, il a refusé d’examiner au fond les allégations des requérants concernant leurs droits de caractère civil.
130. La Cour estime que, contrairement à la situation qui était à l’origine des mesures dont se plaignait le requérant dans l’affaire Nada (précitée), il ne s’agissait pas, en l’espèce, par l’adoption de la Résolution 1483 (2003) de répondre à une menace imminente de terrorisme, mais de réinstaller l’autonomie et la souveraineté du gouvernement irakien et de garantir au peuple de ce pays le droit de déterminer librement son avenir politique et de contrôler ses ressources naturelles (voir, dans ce sens, l’alinéa 4 du préambule de la Résolution 1483 (2003). Par conséquent, les mesures litigieuses s’inscrivent dans le prolongement d’un conflit armé, qui a eu son origine en 1990. Des mesures plus différenciées et ciblées semblent dès lors plus facilement compatibles avec une mise en œuvre efficace des résolutions (voir, dans ce sens également, l’arrêt Nada, précité, § 186, dans lequel la Cour a estimé que le maintien, voire le renforcement des mesures litigieuses au fil du temps doit être expliqué et justifié de manière convaincante par les autorités internes).
131. La Cour considère par ailleurs que les requérants subissent des restrictions importantes. Ceux-ci allèguent que leurs avoirs ont déjà été gelés en 1990, allégation non contestée par le Gouvernement. La confiscation de leurs avoirs a été prononcée le 16 novembre 2006. Les requérants sont donc privés de l’accès à leurs avoirs depuis un laps de temps considérable déjà, même si la décision de confiscation n’a pas encore été mise en œuvre. Sans devoir se pencher sur le bien-fondé de ces mesures, la Cour estime que les requérants ont le droit, conformément à l’article 6 § 1, de le faire contrôler par un tribunal. L’impossibilité de contester la confiscation pendant des années est à peine concevable dans une société démocratique (voir, pour la nature fondamentale du droit d’accès à un tribunal, l’affaire Kadi, arrêt de la Cour de justice, §§ 335 et suiv. (paragraphes 51 et suiv. ci-dessus), l’opinion de Lord Hope dans l’affaire Ahmed and Others v. HM Treasury, arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni du 27 janvier 2010 (paragraphes 67 et suiv. ci-dessus), l’opinion du juge Zinn dans l’affaire Abdelrazik v. Canada (Ministre des Affaires étrangères) de la Cour fédérale du Canada du 4 juin 2009, § 51 (paragraphe 71 ci-dessus)).
132. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a jugé qu’il appartenait à l’instance inférieure d’octroyer au premier requérant un bref et dernier délai pour lui permettre d’introduire devant le comité des sanctions une nouvelle procédure de radiation selon les modalités améliorées par la Résolution 1730 (2006), notamment la création d’un point focal pouvant recevoir des demandes de radiation. Or, ladite demande a été rejetée le 6 janvier 2009 (paragraphe 39 ci-dessus).
133. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les autorités suisses ont fait droit à quatre demandes des requérants qui sollicitaient l’accès aux avoirs gelés pour le paiement de leurs frais de défense. Les intéressés auraient également été informés de l’autorisation de recourir aux avoirs gelés en Suisse pour régler les futurs honoraires d’un avocat américain pour la procédure de confiscation en Suisse et la procédure de radiation devant le comité des sanctions (paragraphes 44 et 45 ci-dessus). La Cour estime que ces mesures sont certes susceptibles d’alléger dans une certaine mesure les restrictions apportées à la jouissance par les requérants de leur propriété, mais elles ne portent pas remède à l’impossibilité de faire examiner par un tribunal le bien-fondé des restrictions dont les intéressés se plaignent devant la Cour sur le terrain de l’article 6.
134. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que tant qu’il n’existe pas d’examen judiciaire efficace et indépendant, au niveau des Nations unies, de la légitimité de l’inscription des personnes et entités sur leurs listes, il est essentiel que ces personnes et entités soient autorisées à demander l’examen par les tribunaux nationaux de toute mesure prise en application du régime des sanctions. Or, les requérants n’ont pas bénéficié d’un tel contrôle. Il s’ensuit que leur droit d’accès à un tribunal a été atteint dans sa substance même.
135. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
136. Les requérants se plaignent en outre de plusieurs violations du droit à un procès équitable, alléguant notamment que les motifs de la confiscation litigieuse ne leur ont pas été notifiés.
La Cour estime que ces griefs ne sont pas assez étayés. En tout état de cause, l’allégation relative au défaut de motivation est manifestement mal fondée, eu égard aux décisions très détaillées des instances internes, notamment les arrêts du Tribunal fédéral du 23 janvier 2008.
137. Selon les requérants, la confiscation méconnaît le principe de la présomption d’innocence et se heurte dès lors à l’article 6 § 2 de la Convention. Par ailleurs, les droits de la défense et l’égalité des armes n’auraient pas été respectés, au mépris de l’article 6 § 3. Les requérants allèguent également la violation de l’article 7 de la Convention, estimant que le principe « pas de peine sans loi » a été méconnu.
La Cour estime que les requérants n’ont pas fait l’objet d’une procédure portant sur le « bien-fondé [d’une] accusation en matière pénale dirigée contre [eux] », au sens de l’article 6. Par ailleurs, ils n’ont pas été « condamnés » au sens de l’article 7 de la Convention. Dès lors, ces griefs s’avèrent incompatibles ratione materiae avec la Convention.
138. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants soutiennent ensuite que l’inscription de leurs noms sur les listes du Conseil de sécurité établies en vertu de la Résolution 1483 (2003) constitue également une stigmatisation qui affecte leur vie privée.
La Cour observe que les requérants, qui étaient dûment représentés devant les instances internes, n’ont pas soulevé ce grief au niveau interne, même en substance.
139. Enfin, les requérants allèguent une violation de l’article 13 de la Convention, au motif que le droit suisse n’offrirait pas de recours permettant de contester l’inscription sur les listes susmentionnées.
La Cour estime que ce grief ne soulève pas des questions fondamentalement différentes de celles examinées par elle sous l’angle de l’article 6 § 1. Dès lors, elle considère qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur ce grief séparément sous l’angle de l’article 13.
140. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
141. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
142. Les requérants indiquent que la Suisse a décidé, le 6 mars 2009, de surseoir à l’exécution des décisions de confiscation confirmées par les juridictions internes qui font l’objet de la Requête. Les avoirs concernés n’auraient donc pas encore été matériellement confisqués. Les requérants font observer qu’ils ne subissent donc pas encore à ce stade de dommage matériel résultant des violations et susceptible de réparation au titre de la satisfaction équitable, mais ils demandent néanmoins à la Cour de réserver la question de la satisfaction équitable, en vertu de l’article 75 du règlement, pour le cas où les décisions de confiscation seraient exécutées par la Suisse à un stade ultérieur.
143. Le Gouvernement estime que la seule question litigieuse en l’espèce est celle de savoir si les requérants ont eu accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1. L’éventuelle violation de cette garantie n’affecterait pas la légitimité des prétentions des requérants relatives aux avoirs confisqués.
144. La Cour partage l’avis du Gouvernement et estime qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le constat de violation de l’article 6 § 1 et l’allégation d’un dommage matériel, dont la réalisation est par ailleurs pour l’instant purement hypothétique. La Cour constate également que les requérants n’ont demandé ni réparation pour préjudice moral ni le remboursement de leurs frais et dépens.
145. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de réserver la question de la satisfaction équitable et rejette la demande à cet égard. Partant, elle estime qu’aucun montant n’est dû au titre de l’article 41 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Rejette, à la majorité, les exceptions préliminaires d’incompatibilité ratione personae et materiae de la Requête soulevées par le Gouvernement ;
2. Déclare, à la majorité, recevable le grief soulevé sur le terrain de l’article 6 § 1 ;
3. Déclare, à l’unanimité, la Requête irrecevable pour le surplus ;
4. Dit, par quatre voix contre trois qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Guido Raimondi
Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
- opinion en partie dissidente du juge Sajó ;
- opinion dissidente du juge Lorenzen à laquelle se rallient les juges Raimondi et Jočienė.
G.R.A.
S.H.N.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ
(Traduction)
Je ne partage pas l’avis de la majorité quant à la recevabilité de cette Requête. J’estime qu’au regard des articles 25, 48 et 103 de la Charte des Nations unies, les obligations énoncées dans la Résolution 1483 du Conseil de sécurité de l’ONU sont contraignantes et prévalent sur tout autre accord international. De plus, les dispositions de la Résolution ne laissent guère de marge pour l’interprétation ou la souplesse en ce qui concerne les mesures d’application que doivent prendre les Etats. En conséquence, je considère que cette affaire aurait dû être déclarée irrecevable ratione personae. L’affaire ayant toutefois abouti à un arrêt au fond, je me rallie à la majorité pour ce qui est du constat de violation de l’article 6 de la Convention.
La primauté des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies
Il est un principe établi de droit international selon lequel les obligations des Etats membres de l’ONU découlant d’une résolution du Conseil de sécurité priment les obligations résultant de tout autre accord international, qu’il s’agisse d’un traité conclu avant ou après la Charte des Nations unies ou d’un accord régional (voir, par exemple, Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, CIJ Recueil, § 107, 1984 ; Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique et Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), CIJ Recueil, 16 § 42 et 113 § 39, 1992 ; Convention de Vienne sur le droit des traités, article 30, R.T.N.U. vol. 1155, p. 331., 23 mai 1969 ; voir aussi le Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international (CDI), Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, A/CN.4/L.702, §§ 34-35, 18 juillet 2006[4]).
L’article 25 de la Charte des Nations unies énonce une obligation absolue pour les Membres de l’Organisation « d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte » et l’article 48 § 2 dispose que ces décisions « sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie ». L’article 103 ajoute qu’ « [e]n cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations-Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». (Pour une discussion sur la portée et les effets de l’article 103 et la primauté des obligations des Etats liées aux résolutions du Conseil de sécurité, voir Marko Milanovic, « Norm Conflict in International Law: Whither Human Rights? », 20 Duke Journal of Comparative & International Law, pp. 69 et 76-78 (2009)). Combinées avec le chapitre VII, ces dispositions laissent peu de place à un contrôle juridictionnel des décisions du Conseil de Sécurité qui sont compatibles avec les objectifs de la Charte.
Dans Behrami et Behrami c. France ([GC], no 71412/01, CEDH 2007), la Cour a réaffirmé la responsabilité essentielle du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en déclarant : « S’il est tout aussi clair que la protection des droits de l’homme contribue de manière importante à l’établissement de la paix internationale (...), il n’en demeure pas moins que la responsabilité essentielle quant à cet objectif incombe au Conseil de sécurité, qui dispose de moyens considérables en vertu du chapitre VII pour l’atteindre, notamment par l’adoption de mesures coercitives » (§ 148). La tendance croissante de certains organes régionaux et nationaux à adopter des approches pluralistes qui mettent les ordres constitutionnels nationaux et les ordres régionaux en concurrence avec la Charte des Nations unies risque de fragmenter le système existant, au grand détriment de la stabilité et de l’ordre internationaux (voir, par exemple, Gráinne de Búrca, « The European Court of Justice and the International Legal Order After Kadi », Harvard International Law Journal, vol. 51, no 1, 2010, pour une discussion comparant l’arrêt de la CEJ dans Kadi au ton fortement dualiste de la Cour suprême des Etats-Unis dans Medellin c. Texas).
Pas une norme de jus cogens
La seule exception à ces principes de hiérarchie concerne le jus cogens, l’ensemble des normes impératives du droit international auxquelles aucune dérogation n’est permise. Ces normes ont été désignées comme des limites potentielles aux sanctions du Conseil de sécurité (voir, par exemple, Alexander Orakhelashvili, « The Impact of Peremptory Norms on the Interpretation and Application of United Nations Security Council Resolutions », European Journal of International Law, vol. 16, pp. 59 et 63, 2005 ; voir, cependant, Milanovic, précité, p. 71 : « [L]e jus cogens est rarement invoqué, si tant est qu’il le soit, pour invalider des normes censément incompatibles »).
Parmi les normes impératives établies figurent l’interdiction du recours à la force, le droit à l’autodétermination, l’interdiction du génocide et certains droits de l’homme fondamentaux (Rüdiger Wolfrum, « Judicial Control of Security Council Decisions » Annuaire de l’Institut de droit international Law, session de Tokyo, 1, 42-43 (2013)). Parmi ces droits ne figurent pas le droit d’une personne au respect de ses biens, la liberté économique ou l’accès à un tribunal, notamment dans une procédure civile. Ces droits n’ont pas non plus encore le statut de droit international coutumier. En conséquence, ils ne relèvent pas de l’exception du jus cogens qui limite l’obligation pour les Etats de mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité non conformes.
Absence de flexibilité dans la mise en œuvre de la Résolution 1483 du Conseil de sécurité : distinction avec Al-Jedda et Nada
Il existe une nette différence entre la présente espèce et Al-Jedda c. Royaume-Uni ([GC], no 27021/08, CEDH 2011). Al-Jedda portait sur la détention pendant trois ans d’un civil irakien par les forces britanniques en vertu de la Résolution 1546 du Conseil de sécurité, qui n’avait pas spécifiquement appelé à une telle mesure. La Cour a conclu qu’en l’absence de langage clair et explicite en sens contraire, il fallait présumer que le Conseil de sécurité n’entendait pas imposer aux Etats membres une quelconque obligation qui contreviendrait aux principes fondamentaux en matière de sauvegarde des droits de l’homme.
La conclusion de la Cour dans Nada c. Suisse ([GC], no 10593/08, CEDH 2012) doit elle aussi être distinguée des faits de la présente espèce. Dans Nada, la Cour a constaté que la Résolution 1390 (2002) contenait deux dispositions qui laissaient à la Suisse le « libre choix entre différents modèles possibles de réception dans [son] ordre juridique interne de telles résolutions » (§ 176).
La situation est différente dans Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse. Contrairement à la Résolution 1390, la Résolution 1483 renferme des directives claires et précises et ne laisse pas de choix quant à son application. La seule dérogation contenue dans la Résolution 1483 prévoit simplement une limitation des fonds objets de demandes antérieures, mais aucune souplesse qui permettrait aux Etats de se soustraire à l’exécution des directives contraignantes de la résolution en ce qui concerne les fonds non visés par ladite dérogation. La création ultérieure du comité des sanctions par la Résolution 1518 (2003) et la procédure minutieuse de radiation prévue par la Résolution 1730 (2006) ont renforcé la centralisation de ces démarches par les mécanismes du Conseil de sécurité et limité la capacité des Etats à manœuvrer de façon indépendante en ce qui concerne les personnes inscrites sur la liste établie en application de la Résolution 1518. Clairement recensés, les avoirs des personnes et entités visées doivent être transférés au Fonds de développement pour l’Irak.
La mise en œuvre d’une obligation inconditionnelle qui naît à partir du moment où le Conseil de sécurité a établi que la situation en Irak continuait à constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales au regard du Chapitre VII limite l’action de l’Etat à celle d’un agent des Nations unies. Dans la présente affaire, le choix de la Suisse se bornait au mode de transposition de la résolution dans son droit interne. La Suisse a mis en place une procédure judiciaire permettant de contester l’identité et la propriété, et les autorités nationales ont autorisé le requérant à présenter des demandes de radiation. La Suisse semble donc avoir fait un effort réel pour mettre en accord ses obligations découlant de la résolution du Conseil de sécurité et celles résultant de la Convention, tout en respectant la primauté de la Charte.
Conclusion
Il existe en droit international une obligation d’interpréter la Convention conformément à la Charte des Nations unies et au chapitre VII, et non en dehors de ces cadres contraignants. L’action d’un Etat particulier est limitée en vertu de la Résolution 1483 du Conseil de sécurité, les mesures d’application et de redressement étant lourdement centralisées par le comité des sanctions.
Compte tenu de l’absence de flexibilité de la Résolution 1483, la Requête aurait dû être déclarée irrecevable. La majorité ayant estimé la Requête recevable, je me joins toutefois à elle quant au constat de violation. Si la Cour, dans Golder c. Royaume-Uni (21 février 1975, § 29, série A no 18), a autorisé les dérogations implicites au droit à une procédure civile équitable même dans le contexte pénal, il ne semble pas y avoir de raison suffisante pour justifier que l’on ait limité la possibilité pour le requérant de bénéficier de telles procédures, plus de vingt ans après l’instauration du régime des listes. Examiné au fond, donc, le système de sanctions ne satisfait pas aux exigences de l’article 6. Il devrait cependant relever de la responsabilité des Etats parties à la Charte des Nations unies de remédier aux défaillances du système de sanctions et d’assurer la compatibilité de ce système avec les normes établies du droit international des droits de l’homme.
OPINION dissidente du juge LORENZEN à laquelle se rallient les juges RAIMONDI ET JOČIENÉ
(Traduction)
Je ne puis souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l’article 6 de la Convention en l’espèce, pour les raisons exposées ci-après.
J’approuve pleinement la majorité d’avoir estimé que le grief des requérants devait être considéré comme une allégation de violation du droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention. De même, j’estime comme la majorité, et pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans l’arrêt, que la Cour avait compétence au titre de l’article 1 de la Convention pour examiner ce grief.
Il ne prêtait pas à controverse que les intéressés n’ont pas eu accès à un tribunal dans la mesure exigée par l’article 6 de la Convention. Dès lors, il était crucial de savoir si la décision des autorités de confisquer les avoirs des requérants était justifiée par la nécessité d’observer la Résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité de l’ONU. La majorité a estimé que la limitation apportée au droit d’accès des requérants à un tribunal pouvait être justifiée par d’autres obligations contractées par l’Etat défendeur au titre d’autres instruments internationaux à la condition que l’organisation concernée offre aux intéressés une « protection équivalente » à celle de la Convention. Estimant que les mesures édictées par la résolution en question ne garantissaient pas aux requérants cette « protection équivalente », la majorité a conclu à la violation de l’article 6.
Je ne puis souscrire à ce raisonnement, qui fait l’impasse sur d’importantes questions qui n’ont jamais été tranchées par la jurisprudence de la Cour. La plus importante de ces questions est celle des effets de l’article 103 de la Charte des Nations unies, qui prévoit que, en cas de conflit entre les obligations des Etats membres de cette organisation en vertu de la Charte et leurs obligations en vertu d’autres accords internationaux, les premières prévaudront. Cette disposition découle de l’article 25 de la Charte, selon lequel les Etats membres sont tenus « d’accepter et d’appliquer » les décisions du Conseil de sécurité.
La Cour a déjà eu à connaître d’affaires où était en cause un prétendu conflit entre des décisions adoptées par le Conseil de sécurité et les obligations d’un Etat membre au titre de la Convention. Elle n’a jamais conclu à la réalité du conflit allégué. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Al-Jedda, elle a estimé que la décision litigieuse du Conseil de sécurité n’imposait pas expressément à l’Etat défendeur d’incarcérer sans procès les individus qu’elle visait, obligation qui aurait été contraire à l’article 5 de la Convention. En outre, dans l’affaire Nada, elle a jugé que la Suisse « jouissait d’une latitude, certes restreinte, mais néanmoins réelle, dans la mise en œuvre des résolutions contraignantes pertinentes du Conseil de sécurité » (paragraphe 180 de l’arrêt en question).
Dans l’arrêt Al-Jedda, la Cour est partie du principe selon lequel « le Conseil de sécurité [était] censé employer un langage clair et explicite s’il [voulait] que les Etats prennent des mesures particulières susceptibles d’entrer en conflit avec leurs obligations découlant des règles internationales de protection des droits de l’homme » (paragraphe 102 de l’arrêt Al-Jedda). Si aucune des dispositions de la Résolution 1483 (2003) ne donne à penser que ce texte vise à obliger les Etats membres à adopter des mesures contraires aux obligations en question, il en ressort clairement qu’il leur impose de manière inconditionnelle de geler certains fonds ou autres avoirs financiers et de les faire transférer au Fonds de développement pour l’Irak. Il est constant que les avoirs des requérants figurant sur la liste établie en application de la Résolution 1518 (2003) relevaient de cette obligation. En conséquence, la majorité a conclu comme le Tribunal fédéral suisse que ces résolutions « ne confèr[ai]ent aux Etats visés aucun pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre des obligations en découlant » (paragraphe 117 du présent arrêt). Je ne peux que me rallier à cette conclusion.
En l’espèce, la Cour était confrontée à un conflit entre une obligation imposée par la Charte des Nations unies et une obligation découlant de la Convention, conflit qu’elle ne pouvait résoudre qu’en accordant la primauté à l’une ou à l’autre. En se bornant à s’appuyer sur le principe de « protection équivalente » - qui n’avait pas été appliqué ni même mentionné dans les arrêts Al-Jeeda et Nada -, la majorité n’a pas directement abordé la question de savoir comment il convenait de résoudre ce conflit, concluant indirectement que les obligations imposées par la Convention prévalaient en l’absence de protection équivalente.
J’estime que la Cour aurait dû se pencher sur l’importance de l’article 103 de la Charte des Nations unies et je regrette que le gouvernement suisse se soit opposé à la décision de la chambre - pourtant bien légitime - de se dessaisir au profit de la Grande Chambre de cette affaire qui soulevait des questions nouvelles et importantes.
Eu égard aux circonstances de l’espèce, il me semble que la seule solution propre à résoudre ce conflit entre la Charte des Nations unies et la Convention consistait à dire que les juridictions internes ne pouvaient se prononcer sur le fond de la décision de confiscation des avoirs des requérants adoptée par les autorités suisses pour se conformer à la Résolution 1483 (2003) car leurs conclusions auraient pu conduire à invalider les obligations imposées aux Etats membres par ce texte. A cet égard, je souscris sans réserve à l’analyse précise et convaincante qui a conduit le Tribunal fédéral à conclure que, en cas de conflit entre les obligations résultant de l’article 103 de la Charte et celles imposées par la Convention, les Etats parties à ces deux instruments étaient tenus d’accorder la primauté aux premières. Il ressort de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice que les obligations mentionnées à l’article 103 de la Charte comprennent les obligations découlant des décisions adoptées par le Conseil de sécurité sur le fondement du chapitre VII de cet instrument. De la même manière, j’estime moi aussi que le recours à la notion de jus cogens ne pouvait conduire à une autre solution, le droit d’accès à un tribunal ne relevant manifestement pas de cette catégorie de normes. En outre, je rappelle que le recours introduit devant le Tribunal fédéral était circonscrit à la question de savoir si la décision de confiscation des avoirs des intéressés devait être annulée et que ceux-ci ont été entendus avant que cette décision ne soit prise et dans le cadre de la procédure suivie devant la haute juridiction. Bien que cette procédure ne portât pas sur la question de savoir si le nom des requérants avaient été à tort ou à raison inscrit sur la liste établie en application de la Résolution 1518 (2003), le Tribunal fédéral leur a accordé un délai supplémentaire pour adresser au Comité des sanctions de l’ONU une nouvelle demande de radiation de leur nom. J’ai pris connaissance des arrêts rendus respectivement par la Cour européenne de justice dans l’affaire Kadi et autres et par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’affaire A. et autres, sans rien y trouver qui puisse conduire la Cour de Strasbourg à adopter une conclusion différente en l’espèce. L’affaire Kadi concernait exclusivement une institution de l’ordre juridique de l’Union européenne, qui n’est pas partie à la Charte des Nations unies.
Si les énonciations du paragraphe 130 du présent arrêt étaient à interpréter comme signifiant que la Résolution 1483 (2003) revêt une importance moindre en ce qu’elle ne vise pas à répondre à une menace imminente de terrorisme, mais à réinstaller l’autonomie et la souveraineté du gouvernement irakien et à garantir au peuple de ce pays le droit de déterminer librement son avenir politique et de contrôler ses ressources naturelles, je devrais marquer mon désaccord avec une telle interprétation. La résolution en question énonce expressément que la situation de l’Irak continue de menacer la paix et la sécurité internationales et, en tout état de cause, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la question de savoir si le Conseil de sécurité était fondé à édicter les mesures énumérées dans cette résolution.
Il s’ensuit que le Tribunal fédéral n’a pas violé l’article 6 de la Convention en refusant d’examiner au fond le grief des requérants. Bien que la Convention ne comporte pas de clause expresse - telle que l’article 30 de la Convention de Vienne sur le droit des traités - accordant en tant que de besoin la primauté aux obligations imposées par la Charte des Nations unies, elle doit être appliquée comme si elle renfermait pareille disposition. En outre, s’agissant du droit d’accès à un tribunal, on peut estimer que ce principe découle déjà de l’interprétation de l’article 6 dans la jurisprudence de la Cour. En effet, celle-ci considère que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations implicitement admises. Si les limitations en question ne peuvent en principe restreindre l’accès d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même, il est arrivé à la Cour de reconnaître comme légitimes des limitations réduisant à peu de chose - voire supprimant totalement - le droit d’accès à un tribunal (en ce qui concerne l’immunité des Etats, voir par exemple Al-Adsani c. Royaume-Uni, arrêt du 21 novembre 2001 et, en ce qui concerne l’immunité parlementaire, A. c. Royaume-Uni, arrêt du 17 décembre 2002). La primauté accordée à la mise en œuvre des résolutions contraignantes du Conseil de sécurité de l’ONU peut être considérée comme relevant de cette catégorie d’exceptions.
Au vu de ce qui précède, force m’est de conclure à la non-violation de l’article 6 de la Convention. Cela dit, je précise que je souscris pleinement à l’avis de la majorité, partagé par des institutions nationales et des organisations internationales, selon lequel la procédure applicable à l’établissement des listes prévues par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU et les recours permettant de contester les listes en question sont manifestement insuffisantes et non conformes aux normes internationales de protection des droits de l’homme. Cependant, tant que le Conseil de sécurité - dont trois Etats membres du Conseil de l’Europe sont membres permanents - n’y aura pas remédié, l’obligation imposée par l’article 103 de la Charte des Nations unies doit à mon avis être respectée.
[1]. Pour l’intégralité du texte de la Résolution 1483 (2003), voir le paragraphe 47 ci-dessous.
[2]. Un Etat peut instaurer une règle selon laquelle ses ressortissants et ses résidents devront faire parvenir directement leur demande au point focal. Pour ce faire, il devra adresser au Président du Comité une déclaration qui sera publiée sur le site Web du Comité.
[3]. L’article 14 § 1 du Pacte est libellé comme il suit : « Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants. »
[4] « 34) Les rapports hiérarchiques reconnus en vertu d’une disposition conventionnelle : Article 103 de la Charte des Nations Unies. Une règle de droit international peut être également supérieure à d’autres en vertu d’une disposition conventionnelle. Ainsi, l’Article 103 de la Charte des Nations Unies...
35) Le champ d’application de l’Article 103 de la Charte. L’Article 103 s’applique non seulement aux articles de la Charte mais aussi aux décisions contraignantes prises par des organes de l’ONU comme le Conseil de sécurité. Vu le caractère de certaines dispositions de la Charte, la nature constitutionnelle de la Charte et la pratique établie des Etats et des organes de l’ONU, les obligations résultant de la Charte peuvent aussi prévaloir sur le droit
international coutumier en cas de divergence. »