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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> STOYANOV AND TABAKOV v. BULGARIA - 34130/04 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1181 (26 November 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1181.html Cite as: [2013] ECHR 1181 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE STOYANOV ET TABAKOV c. BULGARIE
(Requête no 34130/04)
ARRÊT
STRASBOURG
26 novembre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Stoyanov et Tabakov c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de
section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 novembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 34130/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont deux ressortissants bulgares, MM. Valeri Stoyanov Stoyanov et Valentin Stoyanov Tabakov (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 septembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme M. Kotseva , du ministère de la Justice.
3. Les requérants se plaignent en particulier, au regard des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, du défaut d’exécution de jugements rendus en leur faveur et de l’absence de voies de recours internes efficaces pour remédier à cette situation.
4. Le 25 août 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1962 et 1960 et résident à Pazardzhik.
A. La procédure judiciaire concernant la demande de privatisation des requérants
1. La demande de privatisation déposée par les requérants
6. Les requérants exercent tous les deux la profession d’avocat et sont inscrits au barreau de Pazardzhik. Depuis le 28 avril 1993, ils louaient ensemble un bureau de 17 m2 situé dans un immeuble appartenant à la municipalité, dans le centre de Pazardzhik (le bureau no 1).
7. Le 14 février 1996, les requérants adressèrent à la municipalité une proposition de privatisation du bureau dont ils étaient locataires. Cette proposition était fondée sur la loi de 1992 relative à la transformation et à la privatisation des entreprises de l’Etat et des communes (« la loi sur la privatisation »). Les dispositions en question prévoyaient, sous certaines conditions, une procédure simplifiée de privatisation au bénéfice, notamment, des locataires de biens publics. Par la suite, les requérants se portèrent également candidats à la privatisation de sept autres bureaux situés dans le même bâtiment, qui ne relevaient pas de la procédure simplifiée prévue pour les locataires. Le premier requérant a déposé une Requête devant la Cour relativement à cette procédure, qui a été enregistrée sous le no 4168/11. Les procédures internes relatives à ces sept autres bureaux ne sont mentionnées dans le présent arrêt que dans la mesure où elles concernent également le bureau no 1 (voir également le paragraphe 65 ci-dessous).
8. N’ayant pas obtenu de réponse à leur demande de privatisation du bureau no 1, le 15 mars 1996, les requérants contestèrent devant le tribunal régional de Pazardzhik le refus tacite du conseil municipal. Par une lettre du 19 juin 1996, la municipalité informa le tribunal que des particuliers avaient formulé une demande en restitution du bâtiment dans lequel se trouvait le bureau et qu’ils avaient introduit un recours judiciaire contre le refus du maire d’accueillir cette demande. Le 17 février 1997, le tribunal régional décida de suspendre l’examen de l’affaire des requérants, au motif que sa solution dépendait de l’issue du litige entre la municipalité et les demandeurs de restitution.
2. La procédure judiciaire relative à la demande de restitution
9. L’affaire relative à la demande de restitution fut inscrite au rôle du tribunal en janvier 1996. Huit audiences eurent lieu au courant de 1996 et 1997, dont quatre furent ajournées pour des motifs liés à des problèmes de santé des demandeurs de restitution ou à un empêchement de leur avocat et une autre au motif que le tribunal avait omis de fixer le montant des frais de procédure que les demandeurs devaient payer à l’avance.
10. Par un jugement du 17 février 1998, le tribunal régional de Pazardzhik rejeta le recours judiciaire au motif que les conditions de la restitution n’étaient pas réunies. Ce jugement fut annulé le 29 septembre 1998 par la Cour administrative suprême, qui ordonna le réexamen de l’affaire par une autre formation du tribunal régional.
11. Dix audiences furent fixées entre décembre 1998 et le début de 2001. Deux d’entre elles furent ajournées au motif de citations irrégulières, quatre furent ajournées au motif que l’expert judiciaire nommé par le tribunal régional n’avait pas comparu et qu’il n’avait pas présenté son rapport d’expertise. Le tribunal régional infligea une amende à l’expert judiciaire. Deux audiences sur le fond furent tenues en juin et septembre 1999. Par une ordonnance du 8 septembre 2000, le tribunal joignit à cette procédure une autre affaire, qui portait sur un second recours des demandeurs en restitution concernant le même bâtiment.
12. Les deux requérants qui, en leur qualité d’avocats, étaient les représentants de la municipalité dans la procédure, introduisirent un recours fondé sur l’article 217a du code de procédure civile pour se plaindre des retards injustifiés intervenus dans la procédure. L’issue du recours concernant la durée de la procédure n’a pas été précisée mais à l’audience du 20 juin 2001, tous les juges de la formation chargée de l’examen de l’affaire se récusèrent, au motif que le texte du recours introduit par les requérants était trop critique à leur égard. Par la suite, deux audiences eurent lieu et l’affaire fut mise en délibéré le 5 décembre 2001.
13. Par un jugement du 14 mai 2002, le tribunal régional rejeta le recours des demandeurs en restitution. Cet arrêt fut confirmé par la Cour administrative suprême le 24 juillet 2003.
3. La reprise de l’instance dans l’affaire concernant la demande de privatisation des requérants
14. Le 2 mars 2004, les requérants demandèrent au tribunal régional de reprendre l’examen de leur recours contre le rejet de leur demande de privatisation. Par un jugement du 8 juillet 2004, le tribunal régional fit droit à leur recours. Il annula le refus tacite du conseil municipal et ordonna que le dossier lui soit retourné pour qu’il se prononce sur la demande en privatisation introduite par les requérants, en tenant compte des motifs du jugement.
15. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils arguèrent que la question d’ouvrir ou non une procédure de privatisation ne relevait pas de la discrétion de l’administration et qu’après avoir annulé le refus du conseil municipal, le tribunal aurait dû statuer sur le fond de leur demande et ordonner l’ouverture d’une procédure de privatisation au lieu de renvoyer le dossier à l’administration.
16. Par un arrêt du 17 février 2005, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi. La haute juridiction considéra qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas de compétence liée où le tribunal devait substituer sa décision à celle de l’administration. Elle précisa qu’en vertu de l’article 35, alinéa 2 de la loi sur la privatisation, le jugement d’annulation du refus du conseil municipal obligeait l’administration à ouvrir une procédure de privatisation dans un délai de deux mois et à proposer aux requérants l’achat du bureau en question.
B. L’exécution du jugement du 8 juillet 2004
1. Les tentatives des requérants d’obtenir l’exécution du jugement auprès de la municipalité
17. Par des lettres des 17 avril et 25 avril 2005, les requérants demandèrent à la municipalité de se conformer au jugement du 8 juillet 2004. Ils exigèrent que le bureau leur soit vendu au prix valable en 1996 et que leur soit accordée la possibilité d’un paiement échelonné, que les loyers payés depuis la date de l’introduction de leur demande de privatisation leur soient restitués et que la vente d’une partie du terrain afférent au bâtiment soit suspendue afin qu’ils puissent en acquérir une quote-part au moment de l’achat du bureau.
18. Par une lettre du 26 juin 2007, les requérants s’adressèrent de nouveau à la municipalité et demandèrent à savoir qui empêchait l’exécution du jugement prononcé en leur faveur.
19. Par une lettre du 29 mars 2007, l’Agence de privatisation indiqua à la municipalité de Pazardzhik les démarches à suivre pour vérifier s’il était possible ou non d’ouvrir une procédure de privatisation du bureau no 1. Elle précisa que le conseil municipal pouvait ouvrir une procédure de privatisation seulement si le bureau pouvait constituer un lot indépendant.
20. Le 26 juillet 2007, le conseil municipal de Pazardzhik décida d’ouvrir une procédure de privatisation du bureau no 1 suivant la procédure prévue par loi de 1992 sur la privatisation.
21. Par une décision du 20 septembre 2007, le conseil municipal de Pazardzhik désigna les requérants comme acheteurs et détermina les conditions de la privatisation, notamment le prix de rachat qui fut fixé à 8 500 levs bulgares (BGN), soit 4 350 euros (EUR).
22. Les requérants introduisirent un recours judiciaire contre cette décision. Par un jugement du 20 mars 2008, le tribunal administratif de Pazardzhik écarta les arguments des requérants, qui avaient soulevé plusieurs irrégularités au regard de la loi sur la privatisation, notamment que le conseil municipal aurait dû leur proposer un paiement échelonné. Toutefois, procédant à un contrôle d’office de la régularité de l’acte, le tribunal estima que celui-ci n’était pas dûment motivé et il prononça son annulation pour ce motif.
23. Les requérants introduisirent un recours en complément du jugement dans la partie concernant les frais, qui fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 9 mai 2008.
24. Les requérants se pourvurent en cassation contre le jugement du 20 mars 2008. Par une décision du 16 décembre 2008, la Cour administrative suprême déclara le pourvoi irrecevable. Cette décision fut annulée le 12 mai 2009 par une formation de cinq membres de cette juridiction, qui retourna le pourvoi afin qu’il soit examiné.
25. Par un arrêt du 8 janvier 2010, la Cour administrative suprême annula le premier jugement. Statuant sur le fond du recours, elle considéra que le défaut de motivation constaté ne concernait qu’une partie de la décision du conseil municipal, qui portait sur la détermination des conditions de la transaction et la validation du contrat de cession. En conséquence, elle prononça l’annulation partielle de la décision du 20 septembre 2007 pour ce motif.
2. Les procédures d’exécution engagées par les requérants
a) La procédure d’exécution du jugement du 8 juillet 2004
26. Parallèlement à la procédure susmentionnée, le 7 avril 2009, à la demande des requérants, une procédure administrative d’exécution, qui fut référencée sous le no 1065/2009, fut ouverte en vertu de l’article 267 et suivants du code de procédure administrative (CPA) en vue de l’exécution du jugement du 8 juillet 2004. Le 7 avril 2009, l’huissier de justice en charge de la procédure mit en demeure le conseil municipal de Pazardzhik de se conformer au jugement. Le conseil municipal introduisit un recours contre la mise en demeure, qui fut rejeté par le tribunal administratif le 18 novembre 2009.
27. Au courant des mois de mars et avril 2010, les requérants demandèrent à trois reprises à l’huissier de justice d’imposer au président du conseil municipal le payement d’une astreinte sur le fondement de l’article 290 CPA. Le 11 avril 2010, l’huissier de justice refusa l’imposition d’une astreinte au motif que le conseil municipal était un organe collectif qui ne pouvait être soumis à une telle mesure et qu’il revenait au maire et non au président du conseil municipal de saisir celui-ci d’une proposition d’ouvrir une procédure de privatisation et donc d’exécuter le jugement du 8 juillet 2004. Le recours introduit par les requérants contre cette décision sur la base de l’article 294 CPA fut rejeté par le tribunal administratif le 15 juin 2010. Le tribunal estima qu’il n’y avait pas lieu de trancher quelle autorité était tenue de saisir le conseil municipal car l’exécution du jugement devait être effectuée par le conseil municipal dans son ensemble et non par l’autorité de saisine de celui-ci ; en conséquence, le président du conseil municipal ne pouvait faire l’objet d’une astreinte.
28. A la suite d’une nouvelle demande de requérants, par une décision du 22 juin 2010, l’huissier de justice imposa au maire de Pazardzhik une astreinte d’un montant de 100 BGN (51 EUR), à verser chaque semaine jusqu’à exécution du jugement. Sur recours du maire, cette décision fut annulée par le tribunal administratif le 1er octobre 2010 au motif que l’exécution du jugement ne pouvait être réalisée par l’action du maire de saisir le conseil municipal, et que le maire ne pouvait dès lors se voir imposer une astreinte.
b) La procédure d’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010
29. En avril 2010, une deuxième procédure d’exécution no 1082/2010 fut ouverte à l’encontre du conseil municipal de Pazardzhik concernant l’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010 (paragraphe 25 ci-dessus). Le 15 avril 2010, puis le 20 mai 2010, l’huissier de justice mit en demeure le maire de la ville de se conformer à l’arrêt. Par une décision du 22 juin 2010, l’huissier de justice imposa au maire une astreinte de 100 BGN par semaine jusqu’à exécution de l’arrêt. Sur recours du maire, cette décision fut annulée par un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2010 au motif que l’autorité compétente pour se prononcer sur la demande de privatisation des requérants en exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010 était le conseil municipal et non le maire et que ce dernier ne pouvait donc se voir imposer une astreinte en application de l’article 290 CPA.
c) Les autres recours exercés par les requérants relativement aux procédures d’exécution
30. Le 2 avril 2012, les requérants s’adressèrent au tribunal régional de Pazardzhik pour se plaindre de la passivité de l’huissier de justice et de l’absence de mesures prises dans le cadre des deux procédures d’exécution. Par une lettre du 9 avril 2012, le vice-président du tribunal constata qu’effectivement aucune mesure n’avait été accomplie pendant une longue période et informa les requérants qu’un autre huissier de justice avait été chargé du dossier.
31. Le 1er novembre 2012 les requérants saisirent le tribunal administratif de Pazardzhik d’un recours formel contre l’inaction de l’huissier de justice en application de l’article 294 CPA, au motif que ce dernier avait omis d’imposer une astreinte au président du conseil municipal de Pazardzhik. A la demande des requérants, tous les juges du tribunal se récusèrent et l’affaire fut transférée au tribunal administratif de Plovdiv. Par un jugement définitif du 30 janvier 2013, le tribunal administratif de Plovdiv rejeta le recours. Il considéra que le président du conseil municipal ne pouvait se voir imposer une astreinte dans la mesure où l’organe compétent pour exécuter l’arrêt du 8 janvier 2010 était le conseil municipal, organe collectif. Il nota en outre que ce dernier avait entrepris des mesures en vue de l’exécution de l’arrêt, notamment par le biais d’une commission spécialement désignée.
32. Par ailleurs, le premier requérant saisit le tribunal administratif de Pazardzhik pour demander l’imposition d’une sanction administrative au maire et au président du conseil municipal de Pazardzhik en vertu de l’article 304 CPA pour le défaut d’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010. Par une ordonnance du 12 octobre 2010, le tribunal refusa l’imposition d’une sanction au motif que l’arrêt du 8 janvier 2010 avait réglé le litige au fond et ne contenait pas d’injonction envers l’organe administratif de se prononcer de nouveau. Le recours introduit par le premier requérant fut rejeté le 20 octobre 2010 au motif que le refus d’imposer une sanction n’était pas susceptible d’appel.
3. Les actions en dommages et intérêts introduites par les requérants
a) Les actions en responsabilité contre la commune pour défaut d’exécution du jugement du 8 juillet 2004
33. Le 21 janvier 2009, le premier requérant introduisit une action en dommages et intérêts contre la municipalité de Pazardzhik, au motif que l’inaction de ses organes en vue de l’exécution du jugement du 8 juillet 2004 lui avait causé un préjudice matériel et moral. Son action portait sur la période postérieure au 21 juillet 2006, date à partir de laquelle le principe de responsabilité des personnes publiques était devenu applicable aux communes suite à la modification de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes.
34. Concernant le dommage matériel, le requérant prétendait que si la municipalité lui avait vendu le bureau en exécution du jugement du 8 juillet 2004, il n’aurait pas eu à payer de loyers. Par un jugement du 30 avril 2009, le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta la demande concernant le dommage matériel, considérant qu’aucun acte, action ou inaction illégaux de l’administration n’avaient été établis. Par ailleurs, le loyer payé par le requérant ne résultait pas d’un acte, action ou inaction d’un organe exerçant des fonctions administratives mais avait été convenu dans le cadre du contrat de location conclu entre l’intéressé et la commune. Le pourvoi en cassation du requérant contre ce jugement fut rejeté par un arrêt du 1er mars 2010.
35. Concernant le dommage moral allégué, la demande du requérant fut dans un premier temps déclarée irrecevable le 11 février 2009, au motif que l’acte introductif d’instance n’avait pas été régularisé dans le délai imparti. Cette ordonnance fut toutefois annulée le 7 mai 2009 par la Cour administrative suprême, qui estima que le requérant avait régularisé sa demande.
36. Par un jugement du 29 juin 2009, la demande relative au dommage moral fut également rejetée. Le tribunal considéra que l’expression « inaction illégale » se référait à un manquement de l’administration d’effectuer une action matérielle et non un acte juridique, et ne trouvait dès lors pas application s’agissant de la décision du conseil municipal d’ouvrir ou non une procédure de privatisation. Il observa en outre que la municipalité s’était conformée au jugement du 8 juillet 2004 par ses décisions des 26 juillet et 20 septembre 2007 d’ouvrir une procédure de privatisation.
37. Par un arrêt du 31 mai 2010, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi en cassation du premier requérant et confirma le premier jugement en substituant les motifs. Elle nota que le jugement avait été exécuté par l’ouverture d’une procédure de privatisation le 26 juillet 2007 mais considéra qu’en tout état de cause, la loi sur la responsabilité de l’Etat et des communes ne pouvait trouver application dans la mesure où l’article 294 CPA prévoyait une voie de recours spécifique en matière d’exécution des actes administratifs et des jugements rendus en matière administrative (voir paragraphe 57 ci-dessous).
38. Le deuxième requérant introduisit également une action en responsabilité contre la municipalité de Pazardzhik du fait du défaut d’exécution du jugement du 8 juillet 2004. Sa demande fut d’abord rejetée par un jugement du tribunal administratif du 9 juillet 2009 au motif que la responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas de manquement de l’administration d’effectuer une action matérielle à laquelle elle était tenue, et non un acte juridique. Ce jugement fut toutefois annulé le 12 mai 2010 par la Cour administrative suprême, qui renvoya l’affaire pour un nouvel examen au fond. Par un jugement du 27 juillet 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta la demande au motif que l’inaction dénoncée concernait l’exécution d’un jugement et que le requérant disposait dès lors de voies de recours spécifiques prévues à l’article 294 CPA. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 11 février 2011.
b) L’action en responsabilité concernant l’inaction de l’huissier de justice
39. Au courant de 2011, le deuxième requérant introduisit une autre action en dommages et intérêts, soutenant que la passivité de l’huissier de justice dans la procédure d’exécution no 1065/2009 lui avait causé un préjudice moral. Le requérant ayant invoqué le droit civil général et non le code de procédure administrative, les juridictions durent d’abord statuer sur la compétence de l’ordre judiciaire civil ou de l’ordre administratif et, par une ordonnance du 29 février 2012, un collège de juges de la Cour administrative suprême et de la Cour suprême de cassation trancha en faveur de la compétence des juridictions administratives. Quant au bien-fondé de l’action, par un arrêt définitif du 30 mai 2013, la Cour administrative suprême considéra qu’il convenait d’examiner la demande sous l’angle de la responsabilité de la personne publique en cas d’exécution forcée illégale, prévue à l’article 299 CPA (voir paragraphe 63 ci-dessous), et déclara la demande irrecevable au motif que le requérant n’avait pas au préalable obtenu le constat judiciaire de l’illégalité des actions on inactions litigieuses de l’huissier de justice en application des articles 294 et suivants du CPA. La cour estima que la mise en œuvre de cette procédure était un préalable nécessaire à l’engagement d’une action en responsabilité de l’Etat pour les agissements de l’huissier de justice.
c) L’action en responsabilité concernant la décision du 20 septembre 2007
40. Par ailleurs, en 2010, les requérants introduisirent deux actions en responsabilité contre la municipalité, par lesquelles ils demandèrent réparation du préjudice moral résultant de la décision illégale du conseil municipal du 20 septembre 2007 (ordonnant la cession du local aux requérants et fixant les conditions de la privatisation), qui avait été partiellement annulée par l’arrêt du 8 janvier 2010. Le tribunal administratif de Pazardzhik fit droit à l’action introduite par le premier requérant par un jugement du 4 juin 2010 et lui accorda la totalité de la somme demandée, soit 6 000 BGN (3 062 EUR). Le tribunal considéra que la décision irrégulière de l’administration avait empêché l’acquisition du bureau, à laquelle le requérant avait droit en vertu du jugement du 8 juillet 2004, et lui avait ainsi causé un dommage moral. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 16 mai 2011. Par un jugement du 8 juillet 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik fit partiellement droit à l’action du deuxième requérant et lui accorda 1 000 BGN (510 EUR). Le jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 28 mars 2011.
4. Autres développements pertinents
41. Par une décision du 26 mars 2009, le conseil municipal de Pazardzhik décida le retrait des décisions prises le 26 juillet 2007 et 20 septembre 2007 concernant l’ouverture de la procédure de privatisation du bureau no 1, mais aussi concernant l’ouverture d’une procédure de privatisation de sept autres bureaux situés dans le même bâtiment. A cette date, la procédure judiciaire concernant la décision du 20 septembre 2007 ordonnant la vente du bureau no 1 aux requérants était pendante (paragraphes 21-25 ci-dessus). Les requérants et les autres personnes concernées introduisirent un recours contre cette décision. Par un jugement du 17 juillet 2009, le tribunal administratif de Pazardzhik fit droit au recours et annula la décision du 26 mars 2009 au motif que le conseil municipal ne pouvait pas de la sorte abroger des décisions qu’il avait prises et qui étaient devenues définitives, soit parce qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un recours, soit parce qu’elles avaient été confirmées par le tribunal. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 25 juin 2010.
42. A la suite de cette procédure, les requérants introduisirent deux actions en responsabilité contre la municipalité de Pazardzhik, par lesquelles ils demandèrent réparation du préjudice moral résultant de la décision illégale du conseil municipal du 26 mars 2009, qui avait été annulée par l’arrêt du 25 juin 2010. Par un jugement du 7 octobre 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik fit partiellement droit à la demande du premier requérant et lui accorda 1 000 BGN (510 EUR) pour le dommage moral subi. Par un jugement du 25 novembre 2010 (confirmé par la Cour administrative suprême le 28 avril 2011), le tribunal fit également droit à la demande du deuxième requérant et lui accorda 4 000 BGN (2 041 EUR) à ce titre.
43. Par ailleurs, en décembre 2010, la municipalité de Pazardzhik introduisit devant le tribunal administratif un recours visant à déclarer nulles et non avenues les décisions susmentionnées du conseil municipal des 26 juillet 2007 et 20 septembre 2007. Le motif de nullité invoqué par la municipalité était le fait que les bureaux en question ne constituaient pas des lots indépendants pouvant être cédés individuellement selon les termes de la loi sur l’aménagement du territoire (Закон за устройство на територията). Le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta ce recours par un jugement du 7 octobre 2011, qui fut confirmé par la Cour administrative suprême le 15 juin 2012.
44. Selon les dernières informations fournies par les requérants en octobre 2013, le conseil municipal de Pazardzhik aurait décidé la vente aux enchères de l’ensemble du bâtiment dans lequel est situé le bureau no 1. Il n’apparaît pas toutefois qu’à la date du présent arrêt une telle vente ait eu lieu.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi sur la privatisation
45. La loi de 1992 relative à la transformation et à la privatisation des entreprises de l’Etat et des communes (Закон за преоразуване и приватизация на държавни и общински предприятия - « la loi sur la privatisation »), abrogée en 2002, régissait les différentes formes de transformation de la propriété publique et son transfert à des personnes privées.
46. L’article 3 de cette loi désignait l’autorité compétente pour prendre une décision de privatisation, selon la nature des biens à privatiser. Pour les entreprises, parts de sociétés ou immeubles utilisés à des fins commerciales qui étaient la propriété des communes, l’autorité compétente était le conseil municipal (alinéa 4).
47. La loi prévoyait, en ses articles 35 et suivants, un droit privilégié à l’acquisition de certains biens publics au profit, notamment, des locataires des biens en question, dans les termes suivants :
Article 35
(1) Les entreprises appartenant à l’Etat ou aux communes peuvent être acquises en tout ou partie sans enchères ni concours, après estimation de leur valeur, par :
(...)
2. Les locataires et affermataires titulaires de contrats conclus entre le 15 octobre 1990 et le 15 octobre 1993 si, indépendamment de la durée du contrat, la relation locative est en cours au moment du dépôt de la demande de privatisation.
(2) (tel que libellé à compter du 11 avril 1998) Lorsqu’un refus explicite ou implicite d’ouverture d’une procédure de privatisation en application de l’alinéa (...) 1(2) du présent article a fait l’objet d’une annulation par un jugement définitif, l’autorité mentionnée à l’article 3 doit, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le jugement est devenu définitif, accomplir les actes préparatoires à la privatisation et proposer le bien aux ayants droit pour acquisition.
(...)
Article 38
(1) L’autorité mentionnée à l’article 3 rejette les propositions de privatisation faites en application de l’article 35 lorsque les conditions de cette loi ou le programme annuel de privatisation ne sont pas respectés (...).
(2) Le rejet ou l’absence de décision dans les délais (...) sont susceptibles d’un recours conformément à la loi sur la procédure administrative. (...)
(...)
48. La loi de 2002 sur la privatisation et le contrôle subséquent (Закон за приватизацията и следприватизационния контрол) a succédé à la loi de 1992. Selon le paragraphe 17 (3) des dispositions transitoires et finales de la loi de 2002, c’est la loi de 1992 qui reste applicable dans les cas où, au moment de l’entrée en vigueur de la loi de 2002, le refus d’accorder la privatisation en vertu de l’article 35 de la loi de 1992 faisait l’objet d’un examen par les tribunaux à la suite de l’introduction d’un recours judiciaire.
B. Le contrôle judiciaire sur les actes administratifs
49. La loi de 1979 sur la procédure administrative (Закон за административното производство), désormais abrogée, réglementait l’édiction, l’exécution et les voies de recours contre les actes administratifs. Depuis le 12 juillet 2006, cette matière est réglementée par le code de procédure administrative (CPA). La partie du code concernant les voies de recours judiciaires est quant à elle entrée en vigueur le 1er mars 2007.
50. En vertu de ces textes, les actes administratifs, de même que les refus d’édicter un acte, sont, sauf exception, susceptibles d’un recours administratif hiérarchique et d’un recours judiciaire. L’absence de décision dans le délai imparti est considérée comme une décision implicite de rejet.
51. En cas d’introduction d’un recours judiciaire, si la question ne relève pas de la discrétion de l’administration, le tribunal règle le litige au fond - c’est-à-dire, en se prononçant sur les droits du demandeur et non sur la seule légalité de l’acte attaqué. Si la question relève de la discrétion de l’administration, ou si en raison de la nature de l’acte, le tribunal ne peut pas régler le litige au fond, il annule l’acte administratif (ou la décision implicite de rejet) et transmet le dossier à l’autorité administrative compétente, avec des indications quant à l’interprétation et à l’application de la loi (article 42, alinéas 2 et 3, de la loi sur la procédure administrative, et article 173, alinéas 1 et 2, du CPA).
52. Le CPA dispose que le tribunal ne se borne pas à analyser les motifs d’annulation soulevés par le demandeur, mais qu’il a l’obligation d’examiner d’office, sur la base des preuves fournies par les parties, tous les motifs légaux d’annulation de l’acte (article 168 en combinaison avec l’article 146).
C. L’exécution des actes administratifs et des décisions judiciaires rendues en matière administrative
1. Les dispositions prévues au chapitre 17 du CPA
53. Le chapitre 17 du CPA (articles 267 à 301) régit l’exécution des actes administratifs et des décisions judiciaires rendues en matière administrative. Ce chapitre est applicable à l’exécution des obligations de nature non-pécuniaire, les créances d’ordre pécuniaire étant exécutées selon les procédures prévues au code de procédure fiscale ou du code de procédure civile, selon la nature des créances en cause (article 269 CPA).
54. Lorsque l’exécution de l’acte ou de la décision est due par une personne privée, l’autorité administrative concernée est chargée de procéder à son exécution (article 271 CPA). Lorsque l’exécution est due par une personne publique, un huissier de justice du ressort territorial correspondant (съдебен изпълнител) est compétent pour procéder à l’exécution.
55. Lorsque l’exécution consiste en une obligation de faire, l’article 290 dispose qu’en cas d’inexécution fautive de l’administration, l’huissier de justice peut imposer au fonctionnaire responsable une astreinte (изпълнителнa глоба) d’un montant de 50 à 1 200 BGN (25 à 612 EUR) par semaine, jusqu’à l’exécution. Lorsque l’organe tenu d’exécuter la décision est un organe collectif, l’astreinte n’est pas imposée aux membres qui ont voté en faveur de l’exécution.
56. La décision d’imposer une astreinte est susceptible d’un recours devant le tribunal administratif.
57. En vertu de l’article 294, les décisions, les actions ou inactions de l’organe chargé de l’exécution (organe administratif ou huissier de justice selon le cas, voir le paragraphe 54 ci-dessus) sont susceptibles d’un recours judiciaire devant le tribunal administratif. S’il décide d’annuler une décision ou une action ou de déclarer une inaction illégale, le tribunal peut prononcer les mesures nécessaires, notamment enjoindre à l’administration d’exécuter l’action en question dans un délai déterminé. La décision du tribunal est définitive.
2. Autres dispositions pertinentes du CPA
58. L’article 304 CPA dispose qu’en dehors des hypothèses prévues au chapitre 17, un fonctionnaire qui méconnaîtrait une obligation découlant d’une décision judiciaire définitive peut faire l’objet d’une sanction administrative sous la forme d’une amende d’un montant de 200 à 2 000 BGN. En cas d’inexécution renouvelée, une amende de 500 BGN est imposée chaque semaine, jusqu’à l’exécution. La sanction est imposée par une ordonnance du président du tribunal administratif concerné et peut faire l’objet d’un recours devant une formation de trois juges du même tribunal (article 306).
59. En outre, l’article 250 CPA prévoit la possibilité de saisir le juge administratif en référé pour faire cesser une action injustifiée d’un organe ou d’un agent de l’administration, qui ne serait pas basée sur un acte administratif ou la loi. L’article 256 prévoit une telle possibilité en cas de défaut d’exécution par l’administration d’une action qu’elle est tenue d’exécuter en vertu de la loi. Le tribunal peut alors enjoindre à l’administration d’exécuter l’action en question dans un délai déterminé. Il ne peut s’agir que d’une action matérielle et non, par exemple, de l’édiction d’un acte administratif (реш. № 1508 от 4.02.2009 г. по а. х. д. № 10712/ 2008, ВАС, II отд.). Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour administrative suprême, cette voie de recours ne trouve pas application lorsque l’obligation découle d’une décision de justice (реш. № 8067 от 1.07.2008 г. по а. х. д. № 4643/2008, ВАС, IV отд.).
D. La responsabilité délictuelle des personnes publiques
60. A la suite d’une modification entrée en vigueur le 12 juillet 2006, la loi de 1988 sur la responsabilité délictuelle de l’Etat et des communes (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) dispose que l’Etat et les municipalités sont responsables du préjudice matériel et moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents exerçant des fonctions administratives (article 1, alinéa 1). L’engagement de la responsabilité ne requiert pas l’établissement d’une faute de la part du fonctionnaire responsable (article 4).
61. La responsabilité de l’autorité publique pour un acte administratif illégal peut être engagée lorsque celui-ci a été annulé dans le cadre d’une procédure préalable. Le recours en annulation et l’action en responsabilité peuvent aussi être introduits simultanément (article 204, alinéa 2, CPA). Le caractère illégal d’une action ou inaction doit quant à lui être constaté dans le cadre de l’action en responsabilité (article 204, alinéa 4, CPA).
62. La jurisprudence a parfois admis que la responsabilité d’une autorité publique pouvait être engagée en application de l’article 1 alinéa 1 en cas de retard ou de défaut d’exécution d’une décision de justice définitive, notamment dans des situations similaires à celle de l’espèce lorsque, suite à l’annulation judiciaire du refus de l’administration d’ouvrir une procédure de privatisation, celle-ci devait se conformer à la décision de justice en ouvrant une telle procédure (реш. № 7088 от 31.05.2010 г. по а. д. № 12358/2009, ВАС, confirmant реш. № 1075 от 10.11.2008 г. по а. д. № 6339/2007, адм. съд София ; реш. от 27.04.2009 г. по гр. д. № 71/2009, ОС Разград). A d’autres occasions, les juridictions ont cependant considéré que la responsabilité de la personne publique ne pouvait être engagée dans pareil cas, car les intéressés devaient poursuivre l’exécution par la voie des moyens prévus aux articles 290 et 294 CPA (реш. № 4730 от 15.08.2012 г. по а. д. № 9471/2010, адм. съд София) ou encore parce que la responsabilité de la personne publique ne pouvait être engagée que pour des actions ou inactions matérielles et non pour le défaut de prise d’un acte juridique (реш. № 1706 от 3.02.2011 г. по а. д. № 9953/2010, ВАС ; опр. № 7877 oт 7.06.2013 г. по а. д. 7001/2013, ВАС).
63. Par ailleurs, l’article 299 CPA prévoit un cas spécifique de responsabilité de la personne publique pour les dommages causés à des particuliers ou à des personnes morales suite à l’exécution forcée irrégulière d’un acte administratif ou d’une décision judiciaire. L’Etat est responsable lorsque l’organe administratif chargé de l’exécution relève de l’administration d’Etat et les communes sont responsables lorsqu’il s’agit d’un organe municipal. La jurisprudence considère que pour mettre en cause la responsabilité de la personne publique dans ce cas, le caractère irrégulier de l’action ou de l’inaction de l’organe chargé de l’exécution doit avoir été constaté préalablement à l’introduction de l’action en responsabilité par la mise en œuvre du recours prévu à l’article 294 et suivants CPA (voir paragraphe 57 ci-dessus) (опр. № 3384 от 13.03.2009 г. по а. д. № 2864/2009, ВАС, опр. № 691 от 15.01.2009 г. по а. д. № 15380/2008, ВАС).
E. Le recours contre la durée excessive des procédures judiciaires
64. L’article 217a du code de procédure civile de 1952, introduit le 16 juillet 1999, disposait que les parties à une procédure civile pouvaient introduire un recours pour se plaindre des délais excessifs de la procédure devant le président du tribunal supérieur (жалба за бавност). Les instructions du président concernant les mesures à prendre par le tribunal saisi de l’affaire revêtaient un caractère contraignant. En cas de constatation de retards dans la procédure, il pouvait proposer au collège disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature d’imposer des sanctions disciplinaires. Cette disposition s’appliquait aussi aux procédures administratives en vertu de l’article 45 de la loi sur la procédure administrative. Cette disposition a été reprise dans des termes similaires par l’article 255 du nouveau code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er mars 2008.
EN DROIT
I. SUR L’OBJET DE LA PRÉSENTE Requête
65. La Cour note que parallèlement à leur demande de privatisation du bureau no 1 dont ils étaient locataires, qui fait l’objet de la présente Requête, les requérants ont introduit une demande de privatisation de sept autres bureaux situés dans le même bâtiment. Les griefs formulés devant la Cour en relation avec cette procédure ont été enregistrés comme une nouvelle Requête sous le no 4168/11 (voir le paragraphe 7 ci-dessus). Dès lors, pour autant que les observations des parties portent sur des faits et des arguments relatifs à cette autre procédure de privatisation, ils ne feront pas l’objet de l’examen de la Cour dans le cadre de la présente Requête.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCLE No 1 EN RAISON DE L’INEXÉCUTION DES JUGEMENTS RENDUS
66. Les requérants dénoncent l’inexécution des décisions judiciaires définitives rendues en leur faveur. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, qui disposent en leurs parties pertinentes :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Sur la qualité de victimes des requérants
67. Le Gouvernement soutient que les requérants ont perdu leur qualité de victimes des violations alléguées, au sens de l’article 34 de la Convention, dans la mesure où ils ont obtenu une indemnisation pour le préjudice subi en raison du défaut d’exécution des décisions rendues en leur faveur et de l’annulation judiciaire des actes pris par la municipalité.
68. Les requérants répliquent que les jugements rendus en leur faveur n’ont toujours pas été exécutés et qu’ils ne disposent pas de voies recours efficaces contre cette situation.
69. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, parmi d’autres, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 56, 15 janvier 2009). En l’espèce, les requérants se sont vu octroyer une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la prise par le conseil municipal de deux décisions qui se sont avérées irrégulières puisqu’elles ont fait l’objet d’une annulation suite au recours exercés par les intéressés. Il s’agit, plus particulièrement, de l’annulation partielle de la décision du 20 septembre 2007, fixant les conditions de la cession du bureau no 1 aux requérants, et de l’annulation de la décision du 26 mars 2009 qui avait ordonné le retrait de ses décisions antérieures concernant la privatisation des bureaux (paragraphes 40 et 42 ci-dessus).
70. La Cour observe que si les procédures en question et les dommages revendiqués par les requérants sont dans une certaine mesure liés à l’inexécution des décisions judiciaires rendues en leur faveur, la responsabilité de la personne publique en l’occurrence a pour fondement l’annulation des actes administratifs irréguliers et non l’inexécution des décisions judiciaires ; de plus, les jugements ainsi rendus ne contiennent pas de reconnaissance, explicite ou en substance, des griefs des requérants relatifs au défaut d’exécution. Les actions en dommages et intérêts introduites par les intéressés sur ce dernier fondement ont d’ailleurs été rejetées par les juridictions (paragraphes 33-39 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour considère qu’il n’y a pas eu en l’espèce une reconnaissance suffisante des violations alléguées par les requérants, qui n’ont dès lors pas perdu leur qualité de victime de ces violations. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement à cet égard.
2. Sur l’épuisement des voies de recours
71. Le Gouvernement soulève également une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Il expose que l’article 290 CPA prévoit la possibilité pour l’huissier de justice en charge de la procédure d’exécution d’une décision de justice, d’imposer des astreintes à l’organe tenu d’exécuter la décision jusqu’à ce que ce dernier s’y conforme. Le Gouvernement ajoute qu’en vertu de l’article 294 CPA, le refus de l’huissier de justice d’entreprendre une mesure d’exécution est susceptible d’un recours judiciaire et que le tribunal peut enjoindre à l’huissier d’entreprendre de telles mesures. Le Gouvernement se réfère également à l’article 304 CPA, qui prévoit l’imposition d’une amende aux fonctionnaires qui ne se conforment pas à une obligation découlant d’une décision judiciaire, ainsi qu’aux articles 250 et 256 CPA qui réglementent la possibilité de contester devant les tribunaux une action de l’administration qui ne serait pas fondée sur un acte administratif ou sur la loi, ou encore le défaut d’exécution d’une action que celle-ci est tenue d’exécuter en vertu de la loi.
72. Les requérants répliquent que la seule possibilité, existante en droit interne, de contraindre l’administration à exécuter les jugements rendus en leur faveur était le mécanisme d’astreintes prévu à l’article 290 CPA, qui s’est toutefois révélé inefficace puisque les astreintes imposées par l’huissier de justice au maire et au président du conseil municipal ont finalement été annulées par le tribunal administratif. Les requérants affirment qu’aucune autre mesure exécutoire n’est envisageable dans leur situation, ce qui rendrait inopérante la possibilité de contester en justice les actions ou inactions de l’huissier de justice (article 294 CPA). De même, les articles 250 et 256 et 304 seraient inapplicables au vu de la motivation adoptée par les tribunaux à l’occasion des différentes procédures qu’ils ont engagées.
73. La Cour constate que l’exception ainsi soulevée est étroitement liée au fond du grief des requérants tiré de l’article 13 de la Convention concernant l’absence de voies de recours internes effectifs. Il convient donc de la joindre à l’examen du grief tiré de l’article 13.
3. Conclusion sur la recevabilité
74. La Cour constate par ailleurs que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Ils doivent donc être déclaré recevables.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
75. Les requérants se plaignent de l’inexécution prolongée, par les autorités municipales de Pazardzhik, des jugements rendus en leur faveur. Ils affirment que le jugement du 8 juillet 2004 a reconnu leur droit d’acquérir le bureau no 1 selon une procédure de privatisation simplifiée et que l’administration était dès lors tenue d’ouvrir une telle procédure dans un délai de deux mois et de leur faire une proposition d’acquisition. Malgré cela, les autorités municipales sont restées passives et ont démontré leur absence de volonté de se conformer au jugement. Face à l’inaction de la municipalité, les requérants ont dû demander l’ouverture d’une procédure d’exécution, qui ne leur a cependant pas permis d’obtenir l’exécution. Les autorités municipales ont par ailleurs pris des actes illégaux, que les requérants ont été contraints d’attaquer en justice, ce qui a eu pour effet de retarder encore plus l’exécution des jugements.
76. Le Gouvernement réitère les arguments soulevés à titre liminaire dans le sens que les requérants ne peuvent se prétendre victimes des violations alléguées et qu’ils disposent de recours effectifs en droit interne pour remédier à la situation dénoncée. Il considère en outre que par l’adoption des deux décisions du 26 juillet et du 20 septembre 2007, la municipalité a exécuté le jugement du 8 juillet 2004. Le Gouvernement souligne enfin que les requérants occupent toujours le bureau en question et n’ont subi aucun préjudice de la situation qu’ils dénoncent.
2. Appréciation de la Cour
77. La Cour rappelle que le défaut ou le retard excessif dans l’exécution par un Etat contractant d’un jugement définitif rendu à son encontre peut constituer une violation du droit du justiciable à tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil 1997-II, Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH 2002-III, et Kalinkin et autres c. Russie, nos 16967/10, 37115/08, 52141/09, 57394/09, 57400/09, 2437/10, 3102/10, 12850/10, 13683/10, 19012/10, 19401/10, 20789/10, 22933/10, 25167/10, 26583/10, 26820/10, 26884/10, 28970/10, 29857/10, 49975/10 et 56205/10, § 41, 17 avril 2012). L’inexécution d’un jugement peut en outre porter atteinte au droit du justiciable au respect de ses biens, lorsque le jugement rendu en sa faveur fait naître une créance qui peut être qualifiée de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Bourdov, précité, § 40).
78. Pour juger du respect de l’exigence d’exécution dans un délai raisonnable, la Cour prend en compte la complexité de la procédure, le comportement des parties, ainsi que l’objet de la décision à exécuter (Kalinkin, précité, § 42).
79. En l’espèce, par un jugement du 8 juillet 2004, le tribunal administratif a annulé le refus du conseil municipal de Pazardzhik de faire droit à la demande de privatisation d’un local par les requérants. L’arrêt de la Cour administrative suprême du 17 février 2005, qui a confirmé ce jugement, a explicitement indiqué, et cette circonstance ne prête pas à controverse entre les parties, que l’annulation du refus obligeait l’autorité administrative à ouvrir une procédure de privatisation et à faire une proposition d’acquisition aux requérants. Le respect de l’article 6 en l’espèce exigeait donc la réalisation de ces actes par l’administration (voir Basarba OOD c. Bulgarie, no 77660/01, § 32, 7 janvier 2010, et Popnikolov c. Bulgarie, no 30388/02, § 29, 25 mars 2010).
80. Par ailleurs, comme la Cour l’a déjà considéré dans des affaires similaires, la reconnaissance judiciaire du droit des requérants de se voir proposer le rachat du local à des conditions préférentielles représente une valeur patrimoniale que les intéressés pouvaient avoir l’espérance légitime de voir concrétiser et qui constitue dès lors un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Basarba OOD, §§ 42-44, et Popnikolov, § 40, arrêts précités). L’inexécution prolongée des décisions internes rendues est donc également constitutive d’une ingérence dans le droit garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
81. La Cour observe qu’à ce jour, les requérants ne se sont pas vus proposer une offre valide d’acquisition du local en exécution du jugement du 8 juillet 2004. Elle doit donc déterminer si cette situation a emporté violation des dispositions susmentionnées de la Convention.
82. La Cour note qu’il a dans un premier temps fallu près de deux ans et demi à la municipalité pour ouvrir une procédure de privatisation et faire une proposition d’acquisition aux requérants, ce qui a été fait par deux décisions du 26 juillet 2007 et du 20 septembre 2007. Les décisions ainsi prises, par lesquelles l’on pourrait considérer que l’administration s’est conformée au jugement du 8 juillet 2004, n’ont cependant pas été mises en œuvre puisque, à la suite du recours introduit par les requérants, par un arrêt du 8 janvier 2010, la décision du 20 septembre 2007 a été partiellement annulée pour défaut de motivation (paragraphes 21-25 ci-dessus). La Cour relève qu’en introduisant un recours contre une décision qui leur était sur le principe favorable, les requérants se sont rendus en partie responsables des délais qui ont été nécessaires pour l’examen de leur recours, les intéressés devant avoir conscience que l’engagement d’une telle procédure aurait pour effet de retarder l’exécution du jugement rendu en leur faveur. On ne saurait toutefois leur reprocher le fait que la décision en question c’est avérée défectueuse et a été annulée par juridictions compétentes. Force est également de constater que, suite à l’arrêt du 8 janvier 2010, l’administration était tenue de prendre une nouvelle décision conforme aux constats de cet arrêt. Or cela n’a pas été fait jusqu’à présent malgré les démarches entreprises par les requérants.
83. Les intéressés ont en particulier demandé l’ouverture d’une procédure d’exécution et l’imposition d’astreintes aux différents organes municipaux, sans résultat.
84. La Cour relève de plus que les autorités municipales de Pazardzhik ont non seulement omis d’entreprendre les actions nécessaires pour se conformer aux décisions rendues en faveur des requérants mais qu’elles ont fait preuve d’une particulière mauvaise volonté à cet égard. Le conseil municipal de Pazardzhik a ainsi décidé, en 2009, le retrait de ses propres décisions du 26 juillet et 20 septembre 2007 qui reconnaissaient le droit des requérants à la privatisation du local. Les requérants ayant obtenu l’annulation de la décision de retrait, la municipalité a ensuite tenté d’obtenir la proclamation judiciaire de la nullité de ces mêmes décisions. Même si les juridictions internes ont finalement donné tort à la municipalité et même alloué des dommages et intérêts aux requérants (paragraphe 41-43 ci-dessus), force est de constater que les actions du conseil municipal ont eu pour effet de retarder de manière totalement injustifiée l’exécution des arrêts rendus en faveur des requérants, qui demeurent inexécutés à la date du présent arrêt.
85. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les jugements internes définitifs rendus en faveur des requérants à l’encontre des autorités publiques n’ont pas été exécuté dans un délai raisonnable et ce, sans justification valable. Il s’ensuit qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINE AVEC L’ARTICLE 6 § 1 ET L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
86. Les requérants se plaignent de l’absence de recours internes efficaces pour remédier à la violation dénoncée de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Ils invoquent l’article 13 de la Convention qui dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Arguments des parties
87. Le Gouvernement soutient que les requérants avaient à leur disposition des recours effectifs. Il précise que les intéressés ont introduit plusieurs actions en indemnisation et se sont vu allouer des dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait des retards accusés dans l’exécution et des actes de l’administration qui ont été annulés en justice. Il ajoute que les requérants avaient d’autres voies de recours à leur disposition, telle que la possibilité, prévue à l’article 290 CPA, de demander l’imposition d’une astreinte aux fonctionnaires responsables d’exécuter une décision, jusqu’à ce que ces derniers s’y conforment. Le Gouvernement précise que lorsqu’il s’agit d’un organe collectif, l’astreinte est imposée uniquement aux membres responsables du défaut d’exécution. Le recours prévu à l’article 294 CPA permet quant à lui de contester les actes ou l’inaction de l’huissier de justice chargé de la procédure d’exécution et, dans ce cadre, le tribunal peut enjoindre à l’huissier d’entreprendre les mesures appropriées. Le Gouvernement se réfère également à l’article 304 CPA, qui prévoit l’imposition d’une amende aux fonctionnaires qui ne se conforment pas à une obligation découlant d’une décision judiciaire, ainsi qu’aux articles 250 et 256 CPA qui permettent de demander en référé la cessation d’une action illégale de l’administration ou l’accomplissement d’une action que celle-ci est tenue de réaliser.
88. Les requérants maintiennent qu’ils ne disposent pas de voies de recours effectives pour remédier à la situation dénoncée. Ils soutiennent que le seul recours qui pourrait a priori contraindre l’administration à exécuter les jugements rendus en leur faveur était le mécanisme d’astreintes prévu à l’article 290 CPA, qui s’est toutefois révélé inefficace puisque les astreintes imposées par l’huissier de justice au maire et au président du conseil municipal ont finalement été annulées par le tribunal administratif. Ils estiment en outre que les membres du conseil municipal ne sont pas des « fonctionnaires » au sens de cette disposition et qu’une astreinte ne peut leur être imposée. Les requérants affirment qu’aucune autre mesure exécutoire n’est envisageable dans leur situation, ce qui rendrait inopérante la possibilité, prévue à l’article 294 CPA, de contester en justice les actions ou inactions de l’huissier de justice. De même, les articles 250 et 256 seraient inapplicables car, au vu de la motivation adoptée par les tribunaux à l’occasion des différentes procédures qu’ils ont engagées, il ne résulterait pas clairement de la loi quel est, dans leur situation, l’organe compétent pour effectuer des « actions » dont ils pourraient contester le défaut de réalisation. Quant à l’article 304 CPA, il ne concernerait pas l’exécution des décisions judiciaires, comme le démontreraient le texte de la disposition et la décision rendue dans leur cas.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
89. La Cour relève que ce grief est lié à ceux examinés ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
2. Sur le fond
a) Principes généraux
90. La Cour rappelle que l’article 13 exige que l’Etat mette en place un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée des obligations que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant et l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour l’intéressé. Pareil recours doit toutefois être effectif, en pratique comme en droit, c’est-à-dire apte à empêcher la survenance ou la continuation d’une violation ou à fournir un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite. En outre, un ensemble de recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’entre eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi d’autres, Bourdov (no 2), précité, §§ 96-97, 15 janvier 2009).
91. En ce qui concerne plus particulièrement les affaires relatives à l’inexécution de décisions judicaires rendues à l’encontre d’autorités publiques, la Cour a considéré qu’un recours visant à prévenir une violation en garantissant l’exécution des décisions de justice en temps voulu est en principe des plus utiles (Bourdov (no 2), précité, § 98, Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine, no 40450/04, § 65, CEDH 2009-... (extraits)). Toutefois, une personne qui a obtenu un jugement contre l’Etat n’a normalement pas à recourir à une procédure de ce type : la mise en œuvre d’une telle décision revient au premier chef aux instances publiques, lesquelles doivent user de toutes les voies ouvertes en droit national pour accélérer l’exécution et ainsi empêcher que la Convention ne soit méconnue (ibidem).
92. Les Etats peuvent également choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire, sans que celui-ci puisse être considéré comme manquant d’effectivité. Dès lors que pareil système est mis en place dans l’ordre juridique interne, la Cour doit laisser à l’Etat une ample marge d’appréciation pour organiser le recours en cohérence avec son propre système juridique, avec ses traditions et avec le niveau de vie du pays. La Cour est néanmoins appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué entraîne des conséquences conformes aux principes de la Convention tels qu’interprétés dans sa jurisprudence (Bourdov (no 2), précité, § 99, Yuriy Nikolayevich Ivanov, précité, § 65). Elle a fixé certains critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité de tels recours indemnitaires (ibid.) :
- l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable ;
- l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire ;
- les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;
- les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;
- le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires.
93. A propos de ce dernier critère, la Cour a précisé que le juge national est manifestement mieux placé pour statuer sur l’existence et l’ampleur du dommage matériel allégué. Il n’en va cependant pas de même à l’égard du dommage moral. Comme pour la durée excessive d’une procédure judiciaire, il existe une présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle le délai excessif dans l’exécution par les autorités publiques d’un jugement rendu à leur encontre cause un dommage moral (Bourdov (no 2), précité, § 100).
b) Application de ces principes à la présente l’espèce
94. En l’espèce, eu égard au constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, auquel elle est parvenue ci-dessus, la Cour estime que les requérants disposaient d’un grief défendable aux fins de l’article 13. La Cour note que le code de procédure administrative (CPA), entré en vigueur en 2006, contient plusieurs dispositions relatives à l’exécution des décisions rendues en matière administrative et que la loi sur la responsabilité de l’Etat prévoit la responsabilité des personnes publiques en cas d’action ou d’inaction illégale. Elle examinera donc si une ou plusieurs des voies de recours qui y sont prévues constituent un recours efficace au sens de l’article 13 de la Convention.
i. La procédure administrative d’exécution
95. Les articles 267 et suivants du CPA disposent que le bénéficiaire d’un jugement rendu à l’encontre de l’administration peut saisir un huissier de justice et engager une procédure d’exécution. Dans ce cadre, l’huissier de justice invite l’administration à se conformer au jugement et peut imposer des astreintes aux fonctionnaires responsables du défaut d’exécution (article 290 CPA). Les actes, actions et inactions de l’huissier de justice sont susceptibles d’un recours judiciaire ; s’il fait droit au recours, le tribunal enjoint l’huissier d’effectuer l’acte en question dans un délai déterminé (articles 294-298 CPA).
96. La Cour admet qu’un mécanisme d’imposition d’astreintes tel que celui prévu par l’article 290 CPA peut en principe constituer un moyen efficace pour contraindre les fonctionnaires responsables de se conformer à une décision de justice. Force est toutefois de constater que les requérants en l’espèce ont tenté d’utiliser cette procédure, en vain, puisque leurs demandes d’imposition d’astreintes ont soit été refusées, soit les astreintes imposées ont été annulées en justice. Cette situation semble notamment due à l’absence de jurisprudence claire en la matière et aux difficultés des organes compétents - huissier de justice et tribunaux - à déterminer quel était l’organe responsable de l’exécution du jugement : le maire, le président du conseil municipal ou le conseil municipal lui-même (paragraphes 27-29 et 31 ci-dessus).
97. Quant à la possibilité de contester l’absence d’action de l’huissier de justice suivant la procédure prévue à l’article 294 et suivants CPA, la Cour constate que les requérants ont introduit à deux reprises un tel recours qui s’est révélé infructueux de nouveau en raison de l’absence de clarté concernant l’organe responsable de l’exécution (paragraphes 28 et 31 ci-dessus).
98. Compte tenu de ces considérations, la Cour constate que les voies de recours prévues aux articles 290 et 294 du CPA n’ont pas permis dans les circonstances de l’espèce de prévenir effectivement une violation tenant à l’inexécution des jugements rendus en faveur des requérants.
ii. Les sanctions administratives prévues à l’article 304 CPA
99. L’article 304 CPA, invoqué par le Gouvernement, prévoit l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire à tout fonctionnaire qui méconnaîtrait une obligation découlant d’une décision de justice définitive. La Cour n’exclut pas qu’une action répressive de cette nature puisse contribuer à faire évoluer l’attitude des fonctionnaires qui retardent l’exécution des jugements (Bourdov (no 2), précité, § 104). Elle relève toutefois qu’en l’espèce, le tribunal a considéré qu’il n’y avait pas de comportement fautif de la part de l’administration, justifiant l’imposition d’une telle sanction. Elle note en outre que la procédure en question, de nature pénale, impliquait uniquement le fonctionnaire responsable et le président du tribunal administratif, compétent pour infliger la sanction, et ne permettait pas aux requérants d’exposer leurs arguments dans la mesure où ils ne pouvaient ni prendre part à la procédure, ni faire appel du refus d’imposer une sanction (paragraphes 32 et 58 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour ne peut considérer cette possibilité comme ayant, en théorie ou en pratique, l’effectivité requise par l’article 13 de la Convention.
iii. Les recours prévus aux articles 250 et 256 CPA
100. Les articles 250 et 256 CPA permettent à toute personne concernée de demander, dans le cadre d’une procédure de référé accélérée, que le tribunal administratif enjoigne l’administration de cesser une action qui n’aurait aucune base légale ou de réaliser une action qu’elle est tenue d’effectuer en vertu de la loi. La Cour relève que ces dispositions ne semblent pas applicables à la situation des requérants, dans la mesure où la jurisprudence interne considère que celles-ci ne s’appliquent que concernant des actions matérielles et non juridiques de l’administration et que les obligations découlant d’une décision judiciaire ne sont pas inclues dans leur champ d’application (paragraphe 59 ci-dessus). Le Gouvernement n’a au demeurant fourni aucun exemple où ces recours auraient été mis en œuvre dans une situation similaire. Dès lors, la Cour n’est pas convaincue que ces recours représentaient une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention.
iv. Les actions en responsabilité des personnes publiques
101. En ce qui concerne les recours indemnitaires, la Cour observe qu’à compter du mois de juillet 2006, l’article 1 de la loi de 1988 prévoit la possibilité d’introduire une action judiciaire en dommages et intérêts non seulement contre l’Etat mais aussi contre les communes pour tout préjudice matériel ou moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents exerçant des fonctions administratives. L’article 299 CPA prévoit par ailleurs que l’Etat et les communes sont responsables pour les actions de l’organe chargé de l’exécution d’une décision administrative en cas d’exécution forcée irrégulière. La responsabilité est dans les deux cas objective et il n’est pas nécessaire de prouver la faute de l’administration (paragraphe 60 ci-dessus).
102. Eu égard aux critères définis dans sa jurisprudence concernant le caractère effectif des recours indemnitaires en cas de non-exécution par l’administration de décisions internes définitives (paragraphes 92-93 ci-dessus), la Cour considère que des actions en responsabilité comme celles décrites ci-dessus pourraient en principe constituer un recours effectif pour les griefs tirés de la non-exécution de jugements définitifs.
103. La Cour relève toutefois qu’en l’espèce, les requérants ont introduit de telles actions, sans succès. Les actions dirigées contre la commune de Pazardzhik ont été rejetées soit au motif que les actions des organes municipaux n’étaient pas contraires à la loi, soit parce que la loi sur la responsabilité de l’Etat n’était pas applicable en la matière, compte tenu de l’existence d’une procédure d’exécution et de voies de recours spécifiques réglementés par le CPA. L’action fondée sur l’inaction de l’huissier de justice a quant à elle été rejetée parce que les requérants n’avaient pas au préalable obtenu le constat d’illégalité de l’inaction de l’huissier par la voie du recours prévu à l’article 294 CPA. Les motifs retenus par les juridictions internes font douter de l’effectivité de ce recours compensatoire puisque, comme il a été précisé ci-dessus, le requérant a fait usage des procédures en questions, qui se sont révélées infructueuses.
104. En ce qui concerne les autres actions en réparation, dans lesquelles les requérants ont eu gain de cause et ont obtenu une compensation, la Cour a constaté ci-dessus à l’occasion de l’exception soulevée par le Gouvernement que la responsabilité de la personne publique a été dans ce cas engagée non en raison de l’inexécution des jugements rendus mais de l’annulation judiciaire de décisions administratives irrégulières (voir paragraphes 40, 42 et 70 ci-dessus). Ces actions n’avaient dès lors pas pour objet la réparation du préjudice subi du fait de l’inexécution et n’étaient pas susceptibles d’apporter un redressement approprié aux griefs des requérants malgré les montants alloués à titre de compensation.
v. Conclusion
105. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, dans les circonstances de la présente espèce, les recours existants en droit interne ne se sont pas révélés aptes à offrir aux requérants un redressement adéquat et suffisant pour leurs griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, nés de l’inexécution prolongée des décisions judiciaires rendues en leur faveur. Partant, elle rejette l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES L’ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION RELATIVEMENT À LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
106. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure judiciaire sur leur recours contre le refus tacite du maire d’ouvrir une procédure de privatisation. Ils considèrent ne pas disposer d’un recours effectif relativement à ce grief, en méconnaissance de l’article 13. Les dispositions en question sont libellées comme suit en leurs parties pertinentes :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...) »
A. Arguments des parties
107. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes au motif que les requérants n’auraient pas fait usage du recours prévu à l’article 217a du code de procédure civile de 1952 qui permettait de se plaindre de retards excessifs dans le cours des procédures judiciaires.
108. Sur le fond du grief, le Gouvernement soutient que l’exigence du délai raisonnable n’a pas été méconnue en l’espèce. Il souligne que l’examen de l’affaire des requérants a été suspendu dans l’attente d’une autre procédure, qui concernait le droit à restitution de l’immeuble et dont l’issue était déterminante pour la résolution du litige opposant les requérants à la municipalité. Quant à la durée de la procédure de restitution, celle-ci s’explique par la complexité factuelle et juridique du litige.
109. Les requérants maintiennent que la durée de la procédure était excessive.
B. Appréciation de la Cour
110. La Cour note que le Gouvernement a soulevé une objection de non-épuisement des voies de recours internes. Toutefois, considérant que le grief relatif à la durée de la procédure se heurte à un autre motif d’irrecevabilité, elle n’estime pas nécessaire de trancher la question de l’épuisement des voies de recours pour examiner ce grief.
111. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
112. En l’espèce, la période à prendre en considération a débuté avec l’introduction, le 15 mars 1996, du recours des requérants, et a pris fin par l’arrêt de Cour administrative suprême du 17 février 2005. La durée totale de la procédure s’élève donc à huit ans et onze mois. La Cour note d’emblée que pendant une grande partie de cette période la procédure est demeurée suspendue afin d’attendre l’issue d’une autre procédure judiciaire, qui était déterminante pour la résolution du litige.
113. L’affaire de l’espèce portait sur un recours en annulation du refus tacite du conseil municipal d’ouvrir une procédure de privatisation en vue du rachat par les requérants d’un local qu’ils louaient. De l’avis de la Cour, elle revêtait une certaine complexité.
114. Quant à l’enjeu du litige pour les requérants, la Cour relève que celui-ci concernait le droit des intéressés d’acquérir, à des conditions préférentielles, un local professionnel dont ils étaient locataires et qu’ils ont continué à occuper moyennant un loyer modeste durant le cours de la procédure. Dès lors, l’affaire ne saurait être considérée comme revêtant un enjeu d’une importance particulière pour les intéressés et exigeant à ce titre une diligence spéciale de la part des autorités judiciaires (voir, mutatis mutandis, Hadjikostova c. Bulgarie, no 36843/97, §§ 35-36, 4 décembre 2003).
115. En ce qui concerne le comportement des autorités judiciaires, la Cour rappelle que la procédure litigieuse est demeurée suspendue jusqu’à ce que le litige entre la municipalité et des tiers prétendant à la restitution concernant la propriété de l’immeuble soit tranché. Ce sursis de la procédure apparaît justifié et était nécessaire dans un objectif de bonne administration de la justice afin d’éviter des décisions contradictoires dans des affaires connexes. Toutefois, il convient de vérifier si d’éventuels retards injustifiés dans le cours de cette procédure ont pu avoir pour effet de rallonger indûment la procédure objet de la présente Requête (Djangozov c. Bulgarie, no 45950/09, § 38, 8 juillet 2004).
116. La Cour observe à cet égard que la procédure de restitution a débuté peu avant l’introduction de la procédure litigieuse par les requérants et a duré jusqu’en juillet 2003, soit pendant une période de sept ans et cinq mois alors que la procédure des requérants était pendante. Pendant cette période, l’affaire a été examinée par deux niveaux de juridiction mais, compte tenu de l’annulation du premier jugement par la Cour administrative suprême, les juridictions internes ont examiné l’affaire à quatre reprises. La Cour estime que l’affaire présentait une certaine complexité factuelle et juridique, dans la mesure où les juridictions devaient se prononcer sur le droit de propriété de l’immeuble et sur la régularité d’actes juridiques intervenus à un moment éloigné dans le temps ; la jonction d’une deuxième procédure concernant le même immeuble a certainement également contribué à rendre son examen plus complexe (paragraphe 11 ci-dessus). Dans ces circonstances, même si la durée de la procédure de restitution est considérable et qu’il ressort des éléments produits au dossier qu’elle a subi certains retards (paragraphes 10-12 ci-dessus), la Cour n’estime pas que cette durée permet en soi de conclure à la méconnaissance du délai raisonnable de la procédure, objet de la présente Requête.
117. La Cour observe à cet égard qu’après la reprise de l’instance dans l’affaire des requérants en mars 2004, les juridictions ont fait preuve d’une diligence particulière, puisque deux instances de juridiction ont examiné l’affaire en moins de onze mois (paragraphes 14-16 ci-dessus). La célérité dont les autorités ont fait preuve a ainsi pu dans une certaine mesure compenser le retard accumulé du fait du sursis de la procédure.
118. S’agissant du comportement des requérants, certains retards dans le cours de la procédure peuvent leur être imputés - ainsi, plus de sept mois se sont écoulés avant qu’ils ne demandent la reprise de l’instance après la fin de la procédure de restitution. La Cour relève également que les requérants ont introduit un pourvoi en cassation contre le jugement du 8 juillet 2004 qui leur était pourtant favorable, pour demander que les juridictions se substituent à l’administration et ouvrent elles-mêmes la procédure de privatisation, ce qui était de toute évidence impossible au regard du droit interne, comme l’a confirmé la Cour administrative suprême dans son arrêt (paragraphes 16 et 51 ci-dessus).
119. Au vu de toutes ces considérations, la Cour estime que l’exigence du délai raisonnable n’a pas été méconnue en l’espèce. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 6 § 1 est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
120. En ce qui concerne l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition exige un recours interne habilitant une instance nationale à connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir un redressement approprié (voir, parmi d’autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI). Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue concernant le grief tiré de l’article 6 § 1 relativement à la durée de la procédure, la Cour estime que les requérants n’avaient pas de grief défendable de violation de cette disposition. L’article 13 ne trouve donc pas à s’appliquer. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
121. Invoquant les articles 1, 6 § 1, 8, 13 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent également qu’ils ne peuvent pas obtenir le remboursement des loyers qu’ils ont payés depuis l’introduction de leur demande de privatisation en 1994 ; que leur droit au respect de la vie privée a été méconnu ; qu’ils sont victimes de discrimination dans la mesure où ils ne peuvent entamer une procédure d’exécution à l’encontre de la municipalité alors que l’Etat et les communes ont beaucoup plus de possibilités de faire exécuter un jugement à l’encontre d’un particulier ; que la procédure en dommages et intérêts ayant abouti à l’arrêt du 31 mai 2010 n’était pas équitable.
122. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations ainsi formulées, la Cour n’a relevé aucune autre apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
123. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Arguments des parties
124. Au titre de préjudice matériel, chaque requérant demande la somme de 7 546,50 EUR. Ce montant correspond, d’une part, au montant des loyers qu’ils ont payés pour le bureau pendant seize ans, à hauteur de 39,48 BGN (20 EUR) par mois, augmenté des intérêts légaux, soit un total de 6 609 EUR pour chacun des requérants, et, d’autre part, à l’augmentation de la valeur marchande du local si celui-ci leur avait été vendu en 2005, dont ils évaluent la part respective de chacun d’entre eux à 937,50 EUR.
125. Les requérants réclament en outre 20 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, en plus des montants qui leur ont été attribués dans le cadre des procédures internes, à savoir 7 000 levs bulgares (BGN) (3 569 EUR) pour le premier requérant et 5 000 BGN (2 549 EUR) pour le second.
126. En ce qui concerne les montants réclamés au titre de préjudice matériel, le Gouvernement considère que les prétentions des requérants sont fantaisistes et infondées. Pour ce qui est du dommage moral, le Gouvernement réitère que les requérants ont été indemnisés au niveau interne pour le préjudice subi du fait des violations alléguées de la Convention. Il estime en tout état de cause que leurs demandes sont excessives.
2. Appréciation de la Cour
127. La Cour note que les procédures d’exécution sont toujours pendantes et que les requérants insistent en substance sur l’exécution des décisions définitives reconnaissant leur droit de se voir proposer le rachat du bureau dont ils étaient locataires à des conditions préférentielles. La Cour a ci-dessus constaté la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 du fait de l’inexécution prolongée des jugements internes rendus en faveur des requérants. En pareil cas, la Cour estime en principe que le redressement le plus approprié consiste à placer les requérants, autant que possible, dans une situation équivalente à celle où ils se trouveraient s’il n’y avait pas eu de manquement aux exigences de ces dispositions (Kalinkin, précité, § 55). Elle considère dès lors que l’Etat défendeur doit garantir par des mesures appropriées, l’exécution des arrêts rendus en faveur des requérants.
128. En ce qui concerne la demande de réparation formulée par les requérants, la Cour considère que les intéressés ont effectivement subi un préjudice matériel du fait des retards déjà accumulés dans l’exécution. La détermination précise de ce préjudice se heurte toutefois à un certain nombre d’impondérables : en effet, même si cela est fort probable, il ne peut y avoir de certitude que si la municipalité avait fait une proposition de privatisation valide aux requérants ceux-ci l’auraient acceptée et se seraient porté acquéreurs du bureau (voir Basarba OOD c. Bulgarie (satisfaction équitable), no 77660/01, § 23, 20 janvier 2011) ; en outre, si cela avait été le cas, les intéressés auraient eu à engager un certain nombre de dépenses pour l’entretien ou les taxes et charges inhérentes au bien (ibid.). Par ailleurs, concernant la demande des requérants de se voir allouer la plus-value dont le bien aurait bénéficié de 2005 à aujourd’hui, la Cour observe qu’il est difficile de spéculer sur la question de savoir si les requérants auraient conservé la propriété du bureau jusqu’à la date d’aujourd’hui ou s’ils l’auraient revendu et à quel prix. Dans ces circonstances, la Cour juge approprié de fixer une réparation d’un montant forfaitaire, qui soit en rapport avec le loyer que les requérants ont versé pour la location durant la période postérieure à l’arrêt du 17 février 2005, date à laquelle le jugement du 8 juillet 2004 est devenu définitif. Dans la détermination de ce montant, la Cour ne peut enfin négliger le fait que, par une décision du 20 septembre 2007, la municipalité a effectué une proposition de privatisation aux requérants, que les intéressés n’ont cependant pas acceptée puisqu’ils ont préféré contester en justice la régularité de la décision du conseil municipal et ont obtenu son annulation partielle (paragraphes 21-25 ci-dessus).
129. Prenant en compte ces considérations et tous les éléments en sa possession, la Cour estime raisonnable d’accorder 3 000 EUR au titre de préjudice matériel à chaque requérant.
130. Pour ce qui est du préjudice moral revendiqué par les requérants, la Cour observe que malgré la non-exécution des jugements en cause les intéressés ont continué à occuper le local litigieux contre le paiement d’un loyer modeste et que la Cour leur a alloué une compensation pour dommage matériel en fonction de ce loyer. Ils ont en outre bénéficié d’une indemnisation pour dommage moral au niveau interne (à hauteur respectivement d’environ 3 500 EUR et 2 500 EUR) pour un préjudice similaire à celui revendiqué devant la Cour (voir les paragraphes 40, 42 et 70 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour estime que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au tort moral allégué par les requérants.
B. Frais et dépens
131. Le premier requérant demande également 100 EUR pour les frais d’expert qu’il a engagés devant la Cour.
132. Le Gouvernement déclare ne pas contester ces prétentions.
133. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession, la Cour estime que les frais dont le remboursement est demandé ont été réellement et nécessairement engagés et accorde le montant demandé au premier requérant.
C. Intérêts moratoires
134. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint l’exception du Gouvernement tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes à l’examen au fond du grief tiré de l’article 13 de la Convention ;
2. Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 et de l’article 13 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1, concernant le défaut d’exécution des décisions judiciaires définitives rendues en faveur des requérants et l’absence de voies de recours internes, et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 du fait de l’inexécution prolongée de ces décisions ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec les dispositions précédentes et rejette l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ;
5. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :
i) 3 000 EUR (trois mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii) 100 EUR (cent euros) au premier requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Fatoş Aracı Ineta Ziemele
Greffière adjointe Présidente