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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MAFFEI AND DE NIGRIS v. ITALY - 28090/03 28462/03 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 1202 (26 November 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1202.html
Cite as: [2013] ECHR 1202

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MAFFEI ET DE NIGRIS c. ITALIE

     

    (Requêtes nos 28090/03 et 28462/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     


  1. novembre 2013
  2.  

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     

     

     


    En l’affaire Maffei et De Nigris c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

    Dragoljub Popović, président,
    Paulo Pinto de Albuquerque,
    Helen Keller, juges,
    et Seçkin Erel, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 novembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  3. .  A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28090/03 et 28462/03) dirigées contre la République italienne et dont des ressortissants de cet Etat, MM. Giuseppe Maffei et Gennaro De Nigris (« les requérants »), ont saisi la Cour le 29 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  4. .  Les requérants sont représentés par Me G. Romano, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent Mme E. Spatafora et son ancien coagent, M. N. Lettieri.

  5. .  Le 8 janvier 2007, la Cour a communiqué les requêtes au Gouvernement.
  6. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  7. .   Les requérants, parties à des procédures judiciaires, ont saisi les juridictions internes compétentes au sens de la loi « Pinto ».

  8. .  Les faits essentiels des requêtes ressortent des informations contenues dans le tableau en annexe.
  9. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  10. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi n89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans les arrêts Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V) et Simaldone c. Italie, (no 22644/03, §§ 11-15, 31 mars 2009).

  11. .  Le droit et la pratique internes pertinents concernant l’accélération du procès administratif et, en particulier, le décret-loi no 112 du 25 juin 2008, entré en vigueur le même jour et converti par la loi no 133 du 6 août 2008 figurent dans la décision Daddi c. Italie ((déc.), no 15476/09, 2 juin 2009)
  12. EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES


  13. .  Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et au problème de fond qu’elles posent, la Cour estime nécessaire de les joindre et décide de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
  14. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT À LA DURÉE DES PROCÉDURES PRINCIPALES ET À L’INSUFFISANCE DE L’INDEMNISATION « PINTO »


  15. .  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée des procédures principales et de l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre du remède « Pinto ».

  16. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

  17. .  L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé :
  18. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Observation liminaire


  19. .  Les requérants demandent à la Cour de ne pas prendre en compte les observations du Gouvernement en raison du fait qu’elles auraient été déposées au greffe tardivement.

  20. .  La Cour se limite à relever que les observations en question ont été déposées au greffe le 18 avril 2007 et non pas le 19 avril comme prétendu par les requérants. Partant, le Gouvernement a respecté le délai pour le dépôt de ses observations.
  21. 2.  Qualité de « victime »


  22. .  Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent plus se prétendre « victimes » de la violation de l’article 6 § 1, car ils ont obtenu des cours d’appel « Pinto » un constat de violation et un redressement approprié et suffisant.

  23. .  À l’appui, le Gouvernement avance des arguments que la Cour a déjà rejetés, notamment dans les arrêts Aragosa c. Italie (no 20191/03, §§ 17-24, 18 décembre 2007) et Simaldone c. Italie (précité, §§ 19-33).

  24. .  La Cour, n’apercevant aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions, après avoir examiné l’ensemble des faits des causes et les arguments des parties, considère que les redressements litigieux se sont révélés insuffisants (voir Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03, §§ 26-31, 5 juin 2007, CEDH 2007-VI ; Cocchiarella, précité, §§ 69-98)

  25. .  Le Gouvernement conteste aussi le fait que les requérants n’ont pas sollicité au cours de la procédure principale la fixation en urgence de l’audience (istanza di prelievo).

  26. .  La Cour a déjà affirmé que l’existence de l’obligation de solliciter la fixation en urgence de l’audience ne pouvait être considérée en droit national que seulement à partir du 25 juin 2008, date d’entrée en vigueur du décret-loi no 112/2008, et ce, exclusivement dans le but de se plaindre, à un stade ultérieur et par le moyen d’un recours « Pinto », de la durée déraisonnable de la procédure (Daddi, précitée). De surcroît, s’opposer à la recevabilité des recours « Pinto » portant sur la durée d’un procès administratif qui s’est terminé avant le 25 juin 2008, en raison exclusivement du manque d’une demande de fixation en urgence de l’audience, pourrait être de nature à exempter les requérants de l’obligation d’épuiser le recours « Pinto » (ibidem).

  27. .  A la lumière de ces considérations, la Cour estime que les requérants peuvent toujours se prétendre victimes.
  28. 3.  Conclusion


  29. .  La Cour constate que ce grief ne se heurte à aucun autre des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention. Aussi, le déclare-t-elle recevable.
  30. B.  Sur le fond


  31. .  La Cour constate que les procédures litigieuses ont duré, à la date d’introduction du recours « Pinto », respectivement :
  32.  

    - no 28090/03 : environ dix ans et trois mois pour un degré de juridiction ;

    - no 28462/03 : environ dix ans et quatre mois pour un degré de juridiction.

     

    La Cour a traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions semblables à celles des cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater, dans chaque requête, une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, pour les mêmes motifs.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1


  33. .  Invoquant les articles 6 § 1 de la Convention et 1er du Protocole no 1, les requérants se plaignent du retard des autorités nationales à se conformer aux décisions de la cour d’appel « Pinto ».
  34. A.  Sur la recevabilité


  35. .  Le Gouvernement estime que le retard dans l’exécution des décisions « Pinto » serait compensé par l’octroi d’intérêts moratoires au moment du paiement.

  36. .   À l’appui, le Gouvernement avance des arguments que la Cour a déjà rejetés, en dernier lieu, dans l’arrêt Belperio et Ciarmoli c. Italie (no 7932/04, 21 décembre 2010).

  37. .  N’apercevant aucun motif de déroger à cette approche, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement et considère que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l’article 34 de la Convention.

  38. .  La Cour constate que le grief formulé par les requérants n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  39. B.  Sur le fond


  40. .  La Cour rappelle avoir jugé que, dans le cadre du recours « Pinto », les justiciables n’ont pas d’obligation d’entamer une procédure d’exécution (voir Delle Cave et Corrado précité, §§ 23-24). Elle a aussi admis qu’une administration puisse avoir besoin d’un certain laps de temps pour procéder à un paiement. Néanmoins, s’agissant d’un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive de procédures, ce laps de temps ne devrait généralement pas dépasser six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation est devenue exécutoire (voir Cocchiarella précité, § 89 et Simaldone précité, §§ 55-56).

  41. .  La Cour constate que les sommes octroyées par la juridiction « Pinto » ont été payées bien après ce délai (voir le tableau en annexe).

  42. .  Il y a eu, partant, violation du droit des requérants à l’exécution des décisions judiciaires garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

  43. .  Compte tenu des motifs pour lesquels elle a conclu à la violation de l’article 6, à l’approche adopté par la Cour dans l’affaire Simaldone c. Italie susmentionnée et au vu de l’argumentation des requérants, la Cour estime qu’en l’espèce, il y a eu aussi violation de l’article 1 du Protocole no 1.
  44. IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 13 ET 53 DE LA CONVENTION


  45. .  Invoquant les articles 13 et 53 de la Convention, les requérants se plaignent de l’ineffectivité du remède « Pinto » en raison de l’insuffisance de la réparation octroyée par la cour d’appel « Pinto ».

  46. .  La Cour rappelle que, selon la jurisprudence Delle Cave et Corrado c. Italie (précité, §§ 43-46) et Simaldone c. Italie (précité, §§ 71-72), l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ne remet pas en cause l’effectivité de cette voie de recours.
  47. Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  48. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  49. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  50. .  Chaque requérant réclame 25 145,59 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

  51. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions, les estimant excessives.

  52. .  Compte tenu de la solution adoptée dans les arrêts Cocchiarella (précité, §§ 139-142 et 146), Belperio et Ciarmoli c. Italie (no 7932/04, §§ 61-64, 21 décembre 2010), et Gaglione et autres c. Italie (no 45867/07 et autres, §§ 64 et 70, 21 décembre 2010), la Cour, statuant en équité, alloue aux requérants les sommes indiquées dans le tableau ci-dessous, comparées aux montants qu’elle aurait octroyés en l’absence de voie de recours interne, au vu de l’objet de chaque litige, de l’enjeu des procédures et de l’existence de retards imputables aux requérants.
  53.  

     

    No requête

     

    Somme que la Cour aurait accordée en l’absence de voies de recours internes

     

    Pourcentage alloué par la juridiction « Pinto »

     

    Somme accordée pour dommage moral

     


  54.  

    28090/03

     

     


  55. 800 EUR
  56.  


  57. ,14 %
  58.  

    3 700 EUR (durée excessive de la procédure) ainsi que

    200 EUR (retard paiement indemnisation « Pinto »)

     

     


  59.  

    28462/03

     

     


  60. 800 EUR
  61.  


  62. ,14 %
  63.  

    3 700 EUR (durée excessive de la procédure) ainsi que

    200 EUR (retard paiement indemnisation « Pinto »)

    B.  Frais et dépens


  64. .  Chaque requérant demande également 15 754,78 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  65. .  Le Gouvernement trouve excessives les sommes réclamées.

  66. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

  67. .  Compte tenu des documents en sa possession, elle estime raisonnable d’allouer à chaque requérant 500 EUR au titre des frais et dépens.
  68. C.  Intérêts moratoires


  69. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  70. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les requêtes ;

     

    2.  Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et du retard dans le paiement des sommes Pinto et irrecevables pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1, en raison du retard mis par les autorités nationales à se conformer aux décisions Pinto ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois,

    i)  3 900 EUR (trois mille neuf cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii)  500 EUR (cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Seçkin Erel Dragoljub Popović
    Greffier adjoint f.f.
    Président


    ANNEXE

     

     

    Numéro de requête et date d’introduction

    Détails requérant(s)

    Procédure principale et procédure « Pinto » y relative

     

    1.

     

    no 28090/03

     

     

    Giuseppe MAFFEI

    ressortissant italien, né en 1930, résidant à Torrecuso (BN)

     

    Procédure principale

    Objet : remboursement du prix des tickets restaurant.

    Première instance : tribunal administratif régional de Campanie (RG no 9643/92), du 21 octobre 1992 au 19 février 2003 (dépôt décision Pinto).

     

    Procédure « Pinto »

    Introduite le 18 avril 2002 devant la cour d’appel de Rome (RG no 3735/02). Décision déposée le 19 février 2003. Constat de violation. 700 EUR pour dommage moral, plus 1000 EUR pour frais et dépens.

    Indemnisation « Pinto » payée le 22 juin 2004.

     

    2.

     

    no 28462/03

     

     

    Gennaro DE NIGRIS

    ressortissant italien, né en 1938, résidant à Bénévent

     

    Procédure principale

    Objet : remboursement du prix des tickets restaurant.

    Première instance : tribunal de administratif régional de Campanie (RG no 9554/92), du 20 octobre 1992 au 4 mars 2003 (dépôt décision Pinto).

     

    Procédure « Pinto »

    Introduite le 18 avril 2002 devant la cour d’appel de Rome (RG no 3730/02). Décision déposée le 4 mars 2003. Constat de violation. 700 EUR pour dommage moral, plus 900 EUR pour frais et dépens.

    Indemnisation « Pinto » payée le 8 juin 2004.

     


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