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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RUBORTONE v. ITALY - 24891/03 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 123 (05 February 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/123.html
Cite as: [2013] ECHR 123

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE RUBORTONE c. ITALIE

     

    (Requête no 24891/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    5 février 20143

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rubortone c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24891/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Giuseppe Rubortone (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 février 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me L. Crisci, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora et M. N. Lettieri, coagent.

  3. .  Le 23 juin 2006, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

  4. .  En application du Protocole no 14, la Requête a été attribuée à un Comité.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1936 et réside à Castelpagano.

  7. .  Les faits de la cause, tels que exposés par le requérant peuvent se résumer comme suit.

  8. .  Le requérant était propriétaire d’un terrain sis à Castelpagano et enregistré au cadastre, feuille 30, parcelle 356.

  9. .  Par un arrêté du 6 septembre 1989, la communauté (comunità montana) d’Alto Tammaro approuva le projet de construction d’une route sur ce terrain.

  10. .  Le 23 octobre 1989, une partie du terrain du requérant fut matériellement occupée.

  11. .  Par un arrêté du 10 mai 1990, la municipalité de Castelpagano autorisa la communauté d’Alto Tammaro à occuper d’urgence le terrain du requérant en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de la route.

  12. .  Par un arrêté du 27 juin 1995, l’administration décréta l’expropriation formelle de la partie du terrain qui avait été occupée.
  13. 1.  La procédure principale


  14. .  Entre-temps, par un acte d’assignation notifié le 11 septembre 1992, le requérant avait introduit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la communauté d’Alto Tammaro devant le tribunal de Bénévent. Il faisait valoir que l’occupation du terrain était illégale dès le début au motif que celle-ci s’était produite avant l’adoption de l’arrêté qui l’autorisait. A la lumière de ces considérations, il demandait notamment un dédommagement pour la perte de la partie du terrain qui avait été occupée, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et une indemnité pour la destruction au cours des travaux des cultures existant sur le terrain.

  15. .  Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain qui avait été occupée avait une extension globale de 1 622 mètres carrés et sa valeur vénale en 1989 était de 5 200 ITL le mètre carré, 2,69 EUR environ.

  16. .  Par un jugement déposé au greffe le 8 avril 2003, le tribunal de Bénévent rejeta la demande du requérant, au motif que ce dernier ne s’était pas opposé à l’occupation de son terrain de la part de l’administration.

  17. .  Par un acte notifié le 13 octobre 2003, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples, faisant valoir qu’il avait été privé du terrain en vertu du principe de l’expropriation indirecte et demandant par conséquent un dédommagement pour la perte de son bien.

  18. .  Par un arrêt déposé au greffe le 17 mai 2005, la cour d’appel déclara que le requérant n’avait conclu avec l’administration aucun acte de cession et qu’il avait été privé de la partie du terrain qui avait été occupée en raison de sa transformation irréversible, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. Par conséquent, le décret d’expropriation du 27 juin 1995 était tardif.

  19. .  A la lumière de ces considérations, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser au requérant un dédommagement de 4 363,18 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, ainsi que 954 EUR pour la perte de valeur de la partie restante du terrain. La cour d’appel accorda au requérant la somme globale réévaluée de 7 830 EUR, plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, date de la transformation irréversible du terrain. En outre, le tribunal condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser au requérant la somme de 129,76 EUR, plus intérêts, à titre d’indemnité d’occupation. La cour d’appel condamna ainsi la communauté d’Alto Tammaro à verser au requérant 16 431,28 EUR pour le frais de procédure engagés devant le tribunal de Bénévent et devant la cour d’appel.

  20. .  Il ressort du dossier que cet arrêt a acquis force de chose jugée au plus tôt le 17 mai 2006.
  21. 2.  La procédure « Pinto »


  22. .  Par un recours déposé au greffe le 17 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure devant le tribunal de Bénévent décrite ci-dessus. Il demanda à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au versement de 18 550 EUR au titre de dédommagement des préjudices matériels et moraux subis.

  23. .  Par une décision déposée au greffe le 16 mai 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 1 250 EUR comme réparation du dommage moral et 650 EUR pour frais et dépens en ce qui concerne la procédure interne.

  24. .  Il ressort du dossier que cette décision fut notifiée à l’administration le 27 août 2003 et acquit force de chose jugée le 19 novembre 2003.
  25. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  26. .  Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.

  27. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
  28. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  29. .  Le requérant allègue qu’il a été privé de son terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :
  30. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


  31. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  32. A.  Sur la recevabilité


  33. .  Le Gouvernement avance que le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 n’a pas été allégué par la partie requérante mais relevé par la Cour ex officio. Au vu de ces considérations, il excipe de l’irrecevabilité du grief aux sens de l’article 47 § 1 de la Convention.

  34. .  La Cour rappelle tout d’abord que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 54, 17 septembre 2009). En tout état de cause, la Cour relève qu’en l’espèce, le requérant se plaignait dans son formulaire de Requête de la violation de son droit de propriété en raison de l’expropriation indirecte et qu’il a soulevé explicitement le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette exception ne saurait donc être retenue.

  35. .  Le Gouvernement avance que le requérant n’est plus « victime » de la violation alléguée puisqu’il a obtenu du tribunal de Bénévent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié.

  36. .  Le requérant demande le rejet de cette exception.

  37. .  La Cour rappelle que l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à lui retirer la qualité de «victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36). Il s’ensuit que cette exception ne saurait être retenue.

  38. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  39. B.  Sur le fond


  40. .  Le requérant rappelle qu’il a été privé de son bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit.

  41. .  Selon le Gouvernement, en dépit de l’absence d’un arrêté légitime d’expropriation et de la transformation du terrain de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, rendant sa restitution impossible, l’occupation litigieuse a été faite dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. En l’espèce, le Gouvernement fait valoir que le requérant a obtenu du tribunal un dédommagement égal à la valeur vénale du terrain au moment de sa transformation irréversible.

  42. .  La Cour note tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu « privation de la propriété ».

  43. .  La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005 ; Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière.

  44. .  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré le requérant privé de son bien à compter de la date de la réalisation de l’ouvrage public, à savoir le 23 octobre 1991. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, le requérant n’a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain qu’au plus tôt le 17 mai 2006, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel de Naples est devenu définitif.

  45. .  La Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants entraînant la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
  46. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  47. .  Le requérant se plaint de l’excessive durée de la procédure civile ainsi que de l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre du recours « Pinto ».

  48. .  Les dispositions pertinentes de l’article 6 § 1 sont ainsi libellés :
  49. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

     


  50. .  Le Gouvernement conteste cette thèse.
  51. A.  Sur la recevabilité

    1.  Non-épuisement des voies de recours internes


  52. .  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes sous un double aspect. Tout d’abord, il affirme que la Cour aurait suspendu l’examen de la Requête et cela aurait permis au requérant de se prévaloir du remède introduit par la loi « Pinto », entre-temps entrée en vigueur, créant ainsi une disparité de traitement par rapport à d’autre Requêtes introduites avant l’adoption de ladite loi et rejetées par la Cour pour non-épuisement des voies de recours internes, au motif que les requérantes n’avaient pas usé du recours « Pinto » (inter alia, Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01). En deuxième lieu, le Gouvernement affirme que la condition de l’épuisement de voies de recours internes n’aurait pas été satisfaite du fait que le requérant ne s’est pas pourvu en cassation contre la décision de la cour d’appel de Rome.

  53. .  S’agissant du premier volet de l’exception du Gouvernement, la Cour observe que, contrairement à l’affaire Brusco, où le requérant avait indiqué qu’il ne souhaitait pas se prévaloir du remède offert par la loi « Pinto » et avait invité la Cour à enregistrer sa Requête, le requérant, en l’espèce, a communiqué à la Cour son intention d’introduire le recours « Pinto », ce qu’il a fait ensuite sans renoncer à sa Requête. Les voies de recours ayant été épuisées (voir Di Matteo et autres c. Italie, nos 7603/03, 7610/03, 7614/03 et 7616/03, § 12, 21 décembre 2010 et Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004), la Cour estime que ce volet de l’exception de non-épuisement ne saurait être retenu.

  54. .  Quant au deuxième volet de l’exception, la Cour relève que la décision de la cour d’appel de Naples est devenue définitive le 19 novembre 2003. À la lumière de sa jurisprudence (Di Sante c. Italie, précité), elle considère que le requérant était dispensé d’utiliser la voie de la cassation, qui n’a acquis le degré de certitude juridique suffisant qu’à compter du 26 janvier 2004.

  55. .  Il s’ensuit que les deux volets de l’exception de non-épuisement du Gouvernement ne sauraient être retenus.
  56. 2.  Tardivité de la Requête


  57. .  Le Gouvernement excipe de la tardivité de la Requête dans la mesure où le requérant aurait demandé à la Cour de reprendre l’examen de sa Requête plus de six mois après la clôture de la procédure « Pinto » y relative. Cela entraînerait la violation d’un principe général qui imposerait à un requérant de fournir des renseignements sur sa Requête dans un délai d’un an à compter de la suspension.

  58.   La Cour rappelle tout d’abord que la Requête a été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi « Pinto ». Le requérant ayant décidé de maintenir sa Requête devant la Cour après la saisine de la cour d’appel « Pinto » compétente, la date d’introduction est celle de sa Requête initiale.

  59. .  La Cour constate aussi qu’il ressort du dossier que le requérant n’a jamais interrompu sa correspondance avec elle pour des périodes pouvant démontrer un manque d’intérêt pour le maintien de leurs Requêtes. Par conséquent, elle estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception du gouvernement.
  60. 3.  Qualité de victime


  61. .  Le Gouvernement avance que le requérant n’est plus « victime » de la violation alléguée de l’article 6 § 1 puisqu’il a obtenu de la cour d’appel de Rome un constat de violation ainsi qu’un redressement approprié et suffisant au regard de l’enjeu du litige.

  62. .  Le requérant s’oppose à l’exception du Gouvernement et fait valoir que le montant accordé par la cour d’appel ne permet pas de considérer le redressement offert en l’occurrence comme suffisant à réparer la violation alléguée.

  63. .  La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 84) selon laquelle, dans ce genre d’affaires, il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.

  64. .  La première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne prête pas à controverse puisque la cour d’appel de Rome l’a expressément constaté.

  65. .  Quant à la seconde condition, la Cour rappelle les caractéristiques que doit avoir un recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant; il s’agit tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation allouée par la cour d’appel, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne (Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 86-107).

  66. .  La Cour estime que, en se bornant à octroyer une somme de 1 250 EUR au requérant pour le dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus de 10% du montant qu’elle octroie généralement dans des affaires similaires dirigés contre l’Italie.

  67. .  Au vu de ce qui précède et eu égard aux insuffisances du redressement opéré, la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

  68. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  69. B.  Sur le fond


  70. .  La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 12 septembre 1992, était encore pendante en première instance le 27 mars 2003, lorsque la cour d’appel « Pinto » s’est prononcée.

  71. .  La Cour relève que la cour d’appel de Rome a évalué la durée de la procédure à la date de sa décision, à savoir le 27 mars 2003. La procédure interne s’étant achevée le 17 mai 2005, une période d’environ deux ans n’a pas pu être prise en considération par la cour d’appel.

  72. .  La Cour relève qu’en ce qui concerne la phase postérieure à la date de la décision de la cour d’appel de Rome, le requérant aurait dû épuiser à nouveau les voies de recours internes en saisissant une nouvelle fois la cour d’appel au sens de la loi « Pinto ». Au vu de ce qui précède, l’examen de la Cour sera limité à la durée de la procédure ayant fait l’objet d’un examen par la cour d’appel « Pinto » (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006-V (extraits) ; Gattuso c. Italie (déc.), no 24715/04), soit une période d’environ dix ans et six mois pour un degré de juridiction.

  73. .  La Cour a traité à maintes reprises des Requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
  74. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    60.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel


  75. .  Les requérant sollicite un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain à la date de l’arrêt de la Cour, estimée sur la base de la plus-value apportée au terrain par la construction de l’ouvrage d’utilité publique. Il chiffre cette prétention à 350 000 EUR.

  76. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que le requérant a obtenu un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain, en conformité aux critères élaborés par la jurisprudence de la Cour.

  77. .  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

  78. .  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

  79. .  L’indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains.

  80. .  La Cour observe que le requérant a reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain, réévaluée et assortie d’intérêts, à compter de la date de perte de la propriété, à savoir le 23 octobre 1991 (paragraphe 17 ci-dessus).

  81. .  La Cour estime partant que l’intéressé a déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.
  82. B.  Dommage moral


  83. .  Le requérant demande 195 000 EUR à titre de préjudice moral.

  84. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

  85. .  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien ainsi que l’excessive durée de la procédure ont causé aux requérants un préjudice moral important qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

  86. .  Conformément à la jurisprudence Guiso-Gallisay c. Italie (précité) et Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et, statuant en équité, la Cour alloue au requérant 6 500 EUR à titre de préjudice moral.
  87. C.  Frais et dépens


  88. .  Le requérant demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions nationales et devant la Cour, à hauteur de 141 355 EUR.

  89. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que le montant réclamé est excessif.

  90. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22).

  91. .  La Cour note que le requérant a déjà obtenu, de la cour d’appel de Naples, le remboursement des frais de procédure engagés devant les juridictions internes (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement.

  92. .  Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement un montant de 5 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés.
  93. C.  Intérêts moratoires


  94. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  95. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes:

    i)  6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;

    ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
       Greffière adjointe                                                                   
    Président


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