En l’affaire Rubortone et Caruso c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en un comité composé de :
Dragoljub Popović, président,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15
janvier 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 24892/03) dirigée contre la
République italienne et dont deux ressortissants de cet État, M. Giuseppe
Rubortone et Mme Angelina Caruso
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 1er février
2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales (« la Convention »).
. Les requérants
ont été représentés par Me L. Crisci, avocat à Bénévent. Le
gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son
agent, Mme E. Spatafora et M. N. Lettieri, coagent.
. Le 8 juin 2006,
la Requête a été communiquée au Gouvernement.
. En application
du Protocole no 14, la Requête a été attribuée à un comité.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Les requérants
sont nés respectivement en 1936 et 1937 et résident à Castelpagano.
. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les
requérants, peuvent se résumer comme suit.
. Les requérants étaient propriétaires d’un
terrain sis à Castelpagano et enregistré au cadastre, feuille 30, parcelle 117.
. Par un arrêté du 6 septembre 1989, la
communauté (comunità montana)
d’Alto Tammaro approuva le projet de construction d’une route sur ce terrain.
. Le 23 octobre 1989, la communauté d’Alto
Tammaro procéda à l’occupation matérielle d’une partie du terrain des
requérants.
. Par un arrêté du 10 mai 1990, la municipalité
de Castelpagano autorisa la communauté d’Alto Tammaro à occuper ce terrain en
vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de la route.
. Par un arrêté du 27 juin 1995, l’administration
décréta l’expropriation formelle de la partie du terrain qui avait été occupée.
1. La procédure principale
. Entre-temps, par un acte d’assignation notifié
le 12 septembre 1992, les requérants avaient introduit une action en
dommages-intérêts à l’encontre de la communauté d’Alto Tammaro devant le
tribunal de Bénévent. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain
était illégale dès le début au motif qu’elle s’était produite avant l’adoption
de l’arrêté qui l’autorisait. A la lumière de ces considérations, ils
demandaient notamment un dédommagement pour la perte de la partie du terrain
qui avait été occupée, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la
partie restante du terrain et une indemnité pour la destruction au cours des
travaux des cultures existant sur le terrain.
. Au cours du procès, une expertise fut déposée
au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain qui avait été occupée
avait une extension globale de 1 422 mètres carrés et sa valeur vénale en
1989 était de 5 500 ITL (2, 84 EUR, environ) le mètre carré.
. Par un jugement déposé au greffe le 8 avril
2003, le tribunal de Bénévent rejeta la demande des requérants, au motif que ces
derniers ne s’étaient pas opposés à l’occupation de leur terrain de la part de
l’administration.
. Par un acte notifié le 13 octobre 2003, les
requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples,
faisant valoir qu’ils avaient été privés du terrain en vertu du principe
de l’expropriation indirecte et demandant par conséquent un dédommagement pour
la perte de leur bien.
. Par un arrêt déposé au greffe le 17 mai 2005,
la cour d’appel déclara que les requérants n’avaient conclu avec l’administration
aucun acte de cession et qu’ils avaient été privés de la partie du terrain en
raison de sa transformation irréversible, en vertu du principe de l’expropriation
indirecte. La cour d’appel releva que les travaux de construction de l’ouvrage
public s’étant terminés le 23 octobre 1991, les requérants devaient être
considérés expropriés de leur terrain à partir de cette date, par conséquent,
le décret d’expropriation du 27 juin 1995 était tardif.
. A la lumière de ces considérations, la cour d’appel
condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants un dédommagement de
3 976 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, ainsi
que 932,94 EUR pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et 258,
23 EUR pour la destruction des cultures existant sur le terrain. La cour d’appel
accorda aux requérants la somme globale réévaluée de 7 590 EUR, plus intérêts à
partir du 23 octobre 1991, date de la transformation irréversible du terrain.
. En outre, la cour d’appel condamna la
communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants la somme de 112 EUR,
plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, à titre d’indemnité d’occupation.
La cour d’appel condamna ainsi la communauté d’Alto Tammaro à verser aux
requérants 4 815,47 EUR pour les frais de procédures engagés devant le
tribunal de Bénévent et devant la cour d’appel.
. Il ressort du dossier que cet arrêt est devenu
définitif au plus tôt le 17 mai 2006.
2. La procédure « Pinto »
. Par deux
recours distincts déposés au greffe le 17 avril 2002, les requérants saisirent la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89
du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se
plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Ils demandèrent
à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de
la Convention et de condamner l’État italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis.
. S’agissant du
recours introduit par le requérant, par une décision déposée au greffe le 24
janvier 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable.
Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était
pas étayée, accorda 600 EUR comme réparation du dommage moral et 750 EUR
pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 24
avril 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 23 juin 2003.
. Quant au
recours introduit par la requérante, par une décision déposée au greffe le 23
juillet 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable.
Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était
pas étayée, accorda 700 EUR en équité comme réparation du dommage moral et 550 EUR
pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 27 août
2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 15 novembre 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE
INTERNES PERTINENTS
. Le droit
interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt
Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00,
22 décembre 2009.
. Le droit et
la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du
24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie
([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION
. Les
requérants allèguent avoir été privés de leur bien de manière incompatible avec
l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit
au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas
atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils
jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt
général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des
amendes. »
. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
. Le
Gouvernement avance que les requérants ne sont plus « victimes » de
la violation alléguée puisqu’ils ont obtenu du tribunal de Bénévent un
dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié.
. Les
requérants demandent le rejet de cette exception.
. La Cour
rappelle que l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se
conçoit même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le
terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable aux
requérants ne suffit en principe à leurs retirer la qualité de «victimes » que
si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis
réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et
Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53,
3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36). Il s’ensuit que
cette exception ne saurait être retenue.
. La Cour
constate que ce grief n’est pas manifestement mal
fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par
ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient
donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
. Les
requérants rappellent qu’ils ont été privés de leur bien en vertu du principe
de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir
un bien en toute illégalité, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit.
. Selon le
Gouvernement, en dépit de l’absence d’un arrêté légitime d’expropriation et de
la transformation du terrain de manière irréversible par la construction d’un
ouvrage d’utilité publique, rendant sa restitution impossible, l’occupation
litigieuse a été faite dans le cadre d’une procédure administrative reposant
sur une déclaration d’utilité publique. En l’espèce, le Gouvernement fait
valoir que les requérants ont obtenu du tribunal un
dédommagement égal à la valeur vénale du terrain au moment de sa transformation
irréversible.
. La Cour note
tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu
« privation de la propriété ».
. La Cour
renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte
(voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera
S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no
43662/98, 17 mai 2005 ; Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour la
récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence
dans la matière.
. Dans la
présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions
internes ont considéré les requérants privés de leur bien à
compter de la date de la réalisation de l’ouvrage public,
à savoir le 23 octobre 1991. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation,
la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme
« prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire
définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation
indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition
du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les
requérants n’ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation
du terrain qu’au plus tôt le 17 mai 2006, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel
de Naples est devenu définitif.
. La Cour
estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de
légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des
requérants entraînant la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
. Les
requérants se plaignent de la durée de la procédure civile ainsi que de l’insuffisance
du redressement obtenu dans le cadre du recours Pinto.
. Les
dispositions pertinentes de l’article 6 § 1 sont ainsi libellés :
« Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...) »
. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Non-épuisement des voies de recours
internes.
. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des
voies de recours internes. Il fait valoir que les requérants ne se sont pas
pourvus en cassation contre la décision de la cour d’appel de Rome.
. La Cour relève que la décision de la cour d’appel
de Rome concernant le requérant est devenue définitive au plus tard le 23 juin
2003. Quant à la requérante, la Cour relève que la décision de la cour d’appel
de Rome est devenue définitive au plus tard le 15 novembre 2003. À la lumière
de sa jurisprudence (Di Sante c. Italie, no 56079/00, 24 juin
2004), elle rejette cette exception.
2. Qualité de « victimes ».
. Le
Gouvernement avance que les requérants ne sont plus « victimes » de
la violation alléguée de l’article 6 § 1 puisqu’ils ont obtenu de la cour d’appel
de Rome un constat de violation ainsi qu’un redressement approprié et suffisant
au regard de l’enjeu du litige.
. Les
requérants s’opposent à l’exception du Gouvernement et font valoir que le
montant accordé par la cour d’appel ne permet pas de considérer le redressement
offert en l’occurrence comme suffisant à réparer la violation alléguée.
. La Cour
rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie
([GC], no 64886/01, § 84) selon laquelle, dans ce genre d’affaires,
il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par
les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la
Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme
approprié et suffisant.
. La première
condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne
prête pas à controverse puisque la cour d’appel de Rome l’a expressément
constaté.
. Quant à la
seconde condition, la Cour rappelle les caractéristiques que doit avoir un
recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant; il s’agit
tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation
allouée par la cour d’appel, la Cour examine, sur la base des éléments dont
elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période
prise en considération par la juridiction interne (Cocchiarella c. Italie,
précité, §§ 86-107).
. La Cour
estime que, en se bornant à octroyer une somme de 600 EUR au requérant et
700 EUR à la requérante pour dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas
réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant
aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres Cocchiarella
c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que les sommes
en question ne représentent guère plus de 4% du montant qu’elle octroie
généralement dans les affaires similaires dirigés contre l’Italie.
. Au vu de ce
qui précède et eu égard aux insuffisances du redressement opéré, la Cour
considère que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes »
au sens de l’article 34 de la Convention.
. La Cour
constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35
§ 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
. La Cour
constate que la procédure principale, qui a débuté le 12 septembre 1992,
était encore pendante en première instance respectivement le 16 janvier 2003 et
le 13 mars 2003, quand la cour d’appel « Pinto » s’est prononcée sur
les deux différents recours introduits par le requérant et par la requérante.
. La Cour
relève que la cour d’appel de Rome, dans les deux décisions, a évalué la durée
de la procédure à la date de la dernière audience devant le tribunal de
Bénévent, à savoir le 19 avril 2002. La procédure interne s’étant achevée le 17
mai 2005, une période d’environ trois ans n’a pas pu être prise en
considération par la cour d’appel.
. La Cour relève qu’en ce qui concerne la phase postérieure à
la date de la décision de la cour d’appel de Rome, les requérants auraient dû
épuiser à nouveau les voies de recours internes en saisissant une nouvelle fois
la cour d’appel au sens de la loi « Pinto ». Au vu de ce qui précède,
l’examen de la Cour sera limité à la durée de la procédure ayant fait l’objet d’un
examen par la cour d’appel « Pinto » (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006-V (extraits) ; Gattuso
c. Italie (déc.), no 24715/04), soit une période d’environ
dix ans pour un degré de juridiction.
. La Cour a traité à maintes reprises des Requêtes soulevant
des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une
méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu
des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en
premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien
qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour
estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
54. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
. Les
requérants sollicitent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du
terrain à la date de l’arrêt de la Cour, estimée sur la base de la plus-value
apportée au terrain par la construction de l’ouvrage d’utilité publique. Ils
chiffrent cette prétention à 350 000 EUR.
. Le Gouvernement
s’oppose et fait valoir que les
requérants ont obtenu un dédommagement correspondant à la valeur vénale du
terrain, en conformité aux critères élaborés par la jurisprudence de la Cour.
. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une
violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la
violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que
faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce
(satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la
Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation
dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter
les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la
valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte,
pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis
par l’État sur les terrains.
. L’indemnisation doit donc correspondre à la
valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété,
telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au
cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme
éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour
compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts
susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est
écoulé depuis la dépossession des terrains.
. La Cour observe que les requérants ont reçu au
niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain,
réévaluée et assortie d’intérêts, à compter de la date de perte de la
propriété, à savoir le 23 octobre 1991 (paragraphe 15 ci-dessus).
. La Cour estime partant que les intéressés ont déjà
obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.
B. Dommage moral
. Les
requérants demandent 250 000 EUR chacun à titre de préjudice moral.
. Le
Gouvernement s’oppose à cette demande.
. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de
frustration face à la dépossession illégale de leur bien ainsi que l’excessive
durée de la procédure ont causé aux requérants un préjudice moral important qu’il
y a lieu de réparer de manière adéquate.
. Conformément à la jurisprudence Guiso-Gallisay
c. Italie (précité) et Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142
et 146) et, statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux requérants
13 000 EUR à titre de préjudice moral.
B. Frais et dépens
. Notes d’honoraires à l’appui, les requérants
demandent également le remboursement des frais et dépens engagés devant mes
juridictions nationales et devant la Cour, à hauteur de 141 355 EUR.
. Le
Gouvernement s’oppose et fait valoir que les sommes réclamées sont excessives.
. La Cour
rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre
de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité
et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie,
no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22).
. La Cour note que les requérants ont déjà
obtenu, de la cour d’appel de Naples, le remboursement des frais de procédure
engagés devant les juridictions internes (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour ne
doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les
honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a
lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la
cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement un montant de
7 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés.
C. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 1 du Protocole no1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux
requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes:
i) conjointement 13 000 EUR (treize
mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage
moral ;
ii) 7 000 EUR (sept mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour
frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 5 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Dragoljub Popović
Greffière adjointe Président