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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RUBORTONE AND CARUSO v. ITALY - 24892/03 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 124 (05 February 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/124.html
Cite as: [2013] ECHR 124

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE RUBORTONE ET CARUSO c. ITALIE

     

    (Requête no 24892/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    5 février 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme

     


    En l’affaire Rubortone et Caruso c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 janvier 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 24892/03) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État, M. Giuseppe Rubortone et Mme Angelina Caruso (« les requérants »), ont saisi la Cour le 1er février 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants ont été représentés par Me L. Crisci, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora et M. N. Lettieri, coagent.

  3. .  Le 8 juin 2006, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

  4. .  En application du Protocole no 14, la Requête a été attribuée à un comité.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les requérants sont nés respectivement en 1936 et 1937 et résident à Castelpagano.

  7. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

  8. .  Les requérants étaient propriétaires d’un terrain sis à Castelpagano et enregistré au cadastre, feuille 30, parcelle 117.

  9. .  Par un arrêté du 6 septembre 1989, la communauté (comunità montana) d’Alto Tammaro approuva le projet de construction d’une route sur ce terrain.

  10. .  Le 23 octobre 1989, la communauté d’Alto Tammaro procéda à l’occupation matérielle d’une partie du terrain des requérants.

  11. .  Par un arrêté du 10 mai 1990, la municipalité de Castelpagano autorisa la communauté d’Alto Tammaro à occuper ce terrain en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de la route.

  12. .  Par un arrêté du 27 juin 1995, l’administration décréta l’expropriation formelle de la partie du terrain qui avait été occupée.
  13. 1.  La procédure principale


  14. .  Entre-temps, par un acte d’assignation notifié le 12 septembre 1992, les requérants avaient introduit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la communauté d’Alto Tammaro devant le tribunal de Bénévent. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale dès le début au motif qu’elle s’était produite avant l’adoption de l’arrêté qui l’autorisait. A la lumière de ces considérations, ils demandaient notamment un dédommagement pour la perte de la partie du terrain qui avait été occupée, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et une indemnité pour la destruction au cours des travaux des cultures existant sur le terrain.

  15. .  Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la partie du terrain qui avait été occupée avait une extension globale de 1 422 mètres carrés et sa valeur vénale en 1989 était de 5 500 ITL (2, 84 EUR, environ) le mètre carré.

  16. .  Par un jugement déposé au greffe le 8 avril 2003, le tribunal de Bénévent rejeta la demande des requérants, au motif que ces derniers ne s’étaient pas opposés à l’occupation de leur terrain de la part de l’administration.

  17. .  Par un acte notifié le 13 octobre 2003, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples, faisant valoir qu’ils avaient été privés du terrain en vertu du principe de l’expropriation indirecte et demandant par conséquent un dédommagement pour la perte de leur bien.

  18. .  Par un arrêt déposé au greffe le 17 mai 2005, la cour d’appel déclara que les requérants n’avaient conclu avec l’administration aucun acte de cession et qu’ils avaient été privés de la partie du terrain en raison de sa transformation irréversible, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. La cour d’appel releva que les travaux de construction de l’ouvrage public s’étant terminés le 23 octobre 1991, les requérants devaient être considérés expropriés de leur terrain à partir de cette date, par conséquent, le décret d’expropriation du 27 juin 1995 était tardif.

  19. .  A la lumière de ces considérations, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants un dédommagement de 3 976 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, ainsi que 932,94 EUR pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et 258, 23 EUR pour la destruction des cultures existant sur le terrain. La cour d’appel accorda aux requérants la somme globale réévaluée de 7 590 EUR, plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, date de la transformation irréversible du terrain.

  20. .  En outre, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants la somme de 112 EUR, plus intérêts à partir du 23 octobre 1991, à titre d’indemnité d’occupation. La cour d’appel condamna ainsi la communauté d’Alto Tammaro à verser aux requérants 4 815,47 EUR pour les frais de procédures engagés devant le tribunal de Bénévent et devant la cour d’appel.

  21. .  Il ressort du dossier que cet arrêt est devenu définitif au plus tôt le 17 mai 2006.
  22. 2.  La procédure « Pinto »


  23. .  Par deux recours distincts déposés au greffe le 17 avril 2002, les requérants saisirent la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Ils demandèrent à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au dédommagement des préjudices matériels et moraux subis.

  24. .  S’agissant du recours introduit par le requérant, par une décision déposée au greffe le 24 janvier 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 600 EUR comme réparation du dommage moral et 750 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 24 avril 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 23 juin 2003.

  25. .  Quant au recours introduit par la requérante, par une décision déposée au greffe le 23 juillet 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 700 EUR en équité comme réparation du dommage moral et 550 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée à l’administration le 27 août 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 15 novembre 2003.
  26.  

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  27. .  Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.

  28. .  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31).
  29. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION


  30. .  Les requérants allèguent avoir été privés de leur bien de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
  31. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


  32. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  33. A.  Sur la recevabilité


  34. .  Le Gouvernement avance que les requérants ne sont plus « victimes » de la violation alléguée puisqu’ils ont obtenu du tribunal de Bénévent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié.

  35. .  Les requérants demandent le rejet de cette exception.

  36. .  La Cour rappelle que l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable aux requérants ne suffit en principe à leurs retirer la qualité de «victimes » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36). Il s’ensuit que cette exception ne saurait être retenue.

  37. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  38. B.  Sur le fond


  39. .  Les requérants rappellent qu’ils ont été privés de leur bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui n’est pas admissible dans un État de droit.

  40. .  Selon le Gouvernement, en dépit de l’absence d’un arrêté légitime d’expropriation et de la transformation du terrain de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, rendant sa restitution impossible, l’occupation litigieuse a été faite dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. En l’espèce, le Gouvernement fait valoir que les requérants ont obtenu du tribunal un dédommagement égal à la valeur vénale du terrain au moment de sa transformation irréversible.

  41. .  La Cour note tout d’abord que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu « privation de la propriété ».

  42. .  La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005 ; Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière.

  43. .  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants privés de leur bien à compter de la date de la réalisation de l’ouvrage public, à savoir le 23 octobre 1991. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain qu’au plus tôt le 17 mai 2006, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel de Naples est devenu définitif.

  44. .  La Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants entraînant la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
  45. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  46. .  Les requérants se plaignent de la durée de la procédure civile ainsi que de l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre du recours Pinto.

  47. .  Les dispositions pertinentes de l’article 6 § 1 sont ainsi libellés :
  48. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  49. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  50. A.  Sur la recevabilité

    1.  Non-épuisement des voies de recours internes.


  51. .  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que les requérants ne se sont pas pourvus en cassation contre la décision de la cour d’appel de Rome.

  52. .  La Cour relève que la décision de la cour d’appel de Rome concernant le requérant est devenue définitive au plus tard le 23 juin 2003. Quant à la requérante, la Cour relève que la décision de la cour d’appel de Rome est devenue définitive au plus tard le 15 novembre 2003. À la lumière de sa jurisprudence (Di Sante c. Italie, no 56079/00, 24 juin 2004), elle rejette cette exception.
  53. 2.  Qualité de « victimes ».


  54. .  Le Gouvernement avance que les requérants ne sont plus « victimes » de la violation alléguée de l’article 6 § 1 puisqu’ils ont obtenu de la cour d’appel de Rome un constat de violation ainsi qu’un redressement approprié et suffisant au regard de l’enjeu du litige.

  55. .  Les requérants s’opposent à l’exception du Gouvernement et font valoir que le montant accordé par la cour d’appel ne permet pas de considérer le redressement offert en l’occurrence comme suffisant à réparer la violation alléguée.

  56. .  La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 84) selon laquelle, dans ce genre d’affaires, il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.

  57. .  La première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne prête pas à controverse puisque la cour d’appel de Rome l’a expressément constaté.

  58. .  Quant à la seconde condition, la Cour rappelle les caractéristiques que doit avoir un recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant; il s’agit tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation allouée par la cour d’appel, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne (Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 86-107).

  59. .  La Cour estime que, en se bornant à octroyer une somme de 600 EUR au requérant et 700 EUR à la requérante pour dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que les sommes en question ne représentent guère plus de 4% du montant qu’elle octroie généralement dans les affaires similaires dirigés contre l’Italie.

  60. .  Au vu de ce qui précède et eu égard aux insuffisances du redressement opéré, la Cour considère que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.

  61. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  62. B.  Sur le fond


  63. .  La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 12 septembre 1992, était encore pendante en première instance respectivement le 16 janvier 2003 et le 13 mars 2003, quand la cour d’appel « Pinto » s’est prononcée sur les deux différents recours introduits par le requérant et par la requérante.

  64. .  La Cour relève que la cour d’appel de Rome, dans les deux décisions, a évalué la durée de la procédure à la date de la dernière audience devant le tribunal de Bénévent, à savoir le 19 avril 2002. La procédure interne s’étant achevée le 17 mai 2005, une période d’environ trois ans n’a pas pu être prise en considération par la cour d’appel.

  65. .  La Cour relève qu’en ce qui concerne la phase postérieure à la date de la décision de la cour d’appel de Rome, les requérants auraient dû épuiser à nouveau les voies de recours internes en saisissant une nouvelle fois la cour d’appel au sens de la loi « Pinto ». Au vu de ce qui précède, l’examen de la Cour sera limité à la durée de la procédure ayant fait l’objet d’un examen par la cour d’appel « Pinto » (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006-V (extraits) ; Gattuso c. Italie (déc.), no 24715/04), soit une période d’environ dix ans pour un degré de juridiction.

  66. .  La Cour a traité à maintes reprises des Requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de constater une violation de l’article 6 § 1.
  67. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    54.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel


  68. .  Les requérants sollicitent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain à la date de l’arrêt de la Cour, estimée sur la base de la plus-value apportée au terrain par la construction de l’ouvrage d’utilité publique. Ils chiffrent cette prétention à 350 000 EUR.

  69. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que les requérants ont obtenu un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain, en conformité aux critères élaborés par la jurisprudence de la Cour.

  70. .  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

  71. .  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

  72. .  L’indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains.

  73. .  La Cour observe que les requérants ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain, réévaluée et assortie d’intérêts, à compter de la date de perte de la propriété, à savoir le 23 octobre 1991 (paragraphe 15 ci-dessus).

  74. .  La Cour estime partant que les intéressés ont déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.
  75. B.  Dommage moral


  76. .  Les requérants demandent 250 000 EUR chacun à titre de préjudice moral.

  77. .  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

  78. .  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien ainsi que l’excessive durée de la procédure ont causé aux requérants un préjudice moral important qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

  79. .  Conformément à la jurisprudence Guiso-Gallisay c. Italie (précité) et Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et, statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux requérants 13 000 EUR à titre de préjudice moral.
  80. B.  Frais et dépens


  81. .  Notes d’honoraires à l’appui, les requérants demandent également le remboursement des frais et dépens engagés devant mes juridictions nationales et devant la Cour, à hauteur de 141 355 EUR.

  82. .  Le Gouvernement s’oppose et fait valoir que les sommes réclamées sont excessives.

  83. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22).

  84. .  La Cour note que les requérants ont déjà obtenu, de la cour d’appel de Naples, le remboursement des frais de procédure engagés devant les juridictions internes (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement un montant de 7 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés.
  85. C.  Intérêts moratoires


  86. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  87. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes:

    i)  conjointement 13 000 EUR (treize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

     

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
      Greffière adjointe                                                                    
    Président


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