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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> XYPOLITAKOS v. GREECE - 25998/10 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 1248 (05 December 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1248.html
Cite as: [2013] ECHR 1248

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PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE XYPOLITAKOS c. GRÈCE

 

(Requête no 25998/10)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

5 décembre 2013

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Xypolitakos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

Elisabeth Steiner, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ksenija Turković, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 25998/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioannis Xypolitakos (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Mes V. Chirdaris et E. Michou, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil Juridique de l’Etat et Z. Chatzipavlou, auditrice auprès du Conseil Juridique de l’Etat.

3.  Le 8 décembre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1954 et réside à Egaleo.

5.  Par décision no 4158/1561 du 9 août 1985, l’Etat grec procéda à l’expropriation de biens fonciers d’une superficie totale de 6 200 m2 au profit de l’Organisme des bâtiments scolaires. Le terrain du requérant faisait partie des propriétés expropriées.

6. Par décision no 8462/1993, la cour d’appel d’Athènes fixa le prix unitaire définitif d’indemnisation au mètre carré.

7. A une date non précisée, le requérant s’est vu payer une indemnisation de 2 925 814 drachmes (8 586,394 euros environ) pour la perte de sa propriété.

8. Le 4 août 2000, le requérant, après avoir constaté que les travaux prévus n’avaient pas progressé, demanda à l’administration de procéder à la révocation de l’expropriation, faute d’accomplissement du but d’utilité publique invoqué par l’Etat. Face au silence de l’administration, équivalent selon le droit interne à un refus de faire droit à sa demande, le requérant saisit, le 6 décembre 2000, le Conseil d’Etat.

9. Le 17 mars 2003, le Conseil d’Etat reporta l’examen de l’affaire au motif qu’une affaire similaire avait été renvoyée devant la formation plénière de ladite juridiction.

10. Le 27 juin 2005, la formation plénière du Conseil d’Etat a rendu l’arrêt dans l’affaire précité.

11. Le 6 avril 2009, le Conseil d’Etat rejeta le recours du requérant, notamment au motif que, vu la nature et l’importance des travaux à exécuter, le laps de temps écoulé ne justifiait pas la révocation de l’expropriation. De surcroît, selon la haute juridiction administrative, l’administration n’avait aucunement manifesté l’intention d’abandonner ces projets. En outre, le Conseil d’Etat nota qu’entre-temps, en 2004, les travaux avaient été accomplis et que les bâtiments scolaires avaient été construits (arrêt no 1240/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 6 novembre 2009.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

12.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

13. Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations.

A.  Sur la recevabilité

14.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1. Période à prendre en considération

15.  La période à considérer a débuté le 6 décembre 2000 avec la saisine du Conseil d’Etat par le requérant et s’est terminée le 6 novembre 2009, date à laquelle l’arrêt no 1240/2009 fut mis au net et certifié conforme. Elle a donc duré huit ans et onze mois pour un degré de juridiction.

2. Caractère raisonnable de la procédure

16.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, 21 décembre 2010).

17.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Vassilios Athanasiou et autres précité).

18. Certes, la Cour estime que l’objet du litige soumis aux juridictions internes présentait une complexité certaine, étant donné que le Conseil d’Etat a dû reporter l’examen de l’affaire au motif qu’une affaire similaire avait été renvoyée devant la formation plénière de ladite juridiction. Il n’en reste pas moins qu’après que cette dernière juridiction se soit prononcé le 25 juin 2005, le Conseil d’Etat n’a statué dans la présente affaire qu’en date du 6 avril 2009. En même temps, la Cour ne relève aucun élément de nature à mettre en cause la responsabilité du requérant dans l’allongement de la procédure. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’occurrence la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

19. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

20.  Le requérant se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucun recours effectif pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

 

A.  Sur la recevabilité

21.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

22.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

23.  Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Vassilios Athanasiou et autres précité, §§ 33-35).

24. La Cour note que le 12 mars 2012 a été publiée la loi no 4055/2012 portant sur l’équité et la durée raisonnable de la procédure judiciaire, qui est entrée en vigueur le 2 avril 2012. En vertu des articles 53 suiv. de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure administrative dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative. La Cour observe cependant que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires déjà terminées six mois avant son entrée en vigueur.

25. En l’espèce, l’arrêt no 1240/2009 du Conseil d’Etat a été publié le 6 avril 2009, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi n4055/2012. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION

26. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint enfin d’une atteinte à son droit au respect de ses biens en alléguant qu’il a été privé de son bien pour une longue période avant que l’ouvrage poursuivi par la procédure d’expropriation ait été réalisé.

27.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière (voir Papadopoulou et autres c. Grèce, no 53901/00, 14 mars 2002 et Bitsinas c. Grèce (déc.), no 33076/02, 23 novembre 2004), la Cour, dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. En particulier, la Cour note que, comme le Conseil d’Etat l’a considéré, l’expropriation en cause poursuivait un but légitime d’ « intérêt public » et que le but de l’expropriation n’avait pas été abandonné.

28.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

30.  Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

31.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande au titre du dommage moral. Il affirme en outre qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante et qu’en tout cas, si la Cour considère qu’il faut accorder une satisfaction pécuniaire, celle-ci doit être inférieure à 2 500 EUR.

32.  La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 800 EUR au titre du préjudice moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B.  Frais et dépens

33. Le requérant demande également 1 230 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il produit une facture signée par son avocat, sur laquelle figure la somme réclamée.

34.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

35.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

36.  En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être par lui à titre d’impôt.

C.  Intérêts moratoires

37.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure et de l’absence de recours interne effectif à cet égard et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

 

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

 

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i)  4 800 EUR (quatre mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André Wampach Elisabeth Steiner
Greffier adjoint
Présidente


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