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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LEGILLON v. FRANCE - 53406/10 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 26 (10 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/26.html
Cite as: [2013] ECHR 26

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE LEGILLON c. FRANCE

     

    (Requête no 53406/10)

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    10 janvier 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Legillon c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Mark Villiger, président,
              Angelika Nußberger,
              Boštjan M. Zupančič,
              Ann Power-Forde,
              André Potocki,
              Helena Jäderblom,
              Aleš Pejchal, juges,
    et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 53406/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Olivier Legillon (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant est représenté par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence de motivation de l’arrêt rendu par la cour d’assises d’appel.

  4. .  Le 25 août 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1955 et il est actuellement détenu.

  7. .  Au mois de mars 2000, les gendarmes de la brigade territoriale de Pleine-Fougères recueillirent le témoignage de l’une des filles du requérant, M., née le 9 mars 1986. Elle leur expliqua qu’elle avait fait l’objet d’attouchements et de violences de la part de son père depuis que sa mère avait quitté le domicile conjugal et qu’elle partageait la chambre de son père. Entendue, la mère indiqua ne pas être au courant de tels faits et refusa de porter plainte. L’enquête établit cependant qu’elle avait fait part d’actes de violences et d’abus sexuels sur ses filles au surveillant général d’un lycée. La sœur de M., S., confirma avoir entendu parler de gestes impudiques rapportés par les camarades de sa sœur, camarades qui confirmèrent, à l’instar du chauffeur du bus scolaire, avoir reçu des confidences de M. Les demi-frère, K.P., et demi-sœur, S.P., issus d’un premier mariage de leur mère, furent également interrogés. K.P. déclara avoir reçu un courrier de M. dans lequel elle lui révélait avoir été violée. S.P., née le 8 août 1973, indiqua avoir été violée à plusieurs reprises par le requérant au cours de vacances en Belgique, alors qu’elle n’avait que treize ans, décrivant le climat de violence que le requérant faisait régner au sein de la famille. Elle déposa plainte à l’occasion de sa déclaration. Une fille née d’un autre mariage du requérant, A., née le 20 juin 1977, déclara quant à elle qu’après la séparation de ses parents, elle avait été violée à plusieurs reprises par son père, qui la faisait dormir dans son lit quand elle n’avait que six ans. Elle déposa plainte également.

  8. .  Interpellé et placé en garde à vue, le requérant contesta les faits dans un premier temps, avant de reconnaître avoir eu des attouchements involontaires et sans caractère sexuel.

  9. .  N’ayant pas répondu à une convocation du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Saint-Malo chargé de l’affaire, le requérant fut arrêté et conduit devant ce magistrat en vertu d’un mandat d’amener.

  10. .  Le 1er février 2002, à l’issue de l’interrogatoire de première comparution, le juge d’instruction le mit en examen et le plaça en détention provisoire.

  11. .  Par une ordonnance du 23 janvier 2003, le requérant bénéficia d’une mise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire.

  12. .  A la fin de l’instruction, le requérant demanda que seuls les faits délictuels concernant sa fille M. soient retenus et qu’un non-lieu soit prononcé pour les faits criminels de viols commis sur sa fille A. et sa belle-fille S.

  13. .  Par une ordonnance du 28 mai 2004, le juge d’instruction renvoya le requérant devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine sous l’accusation de viols par ascendant sur la personne de sa fille A., de viols par personne ayant autorité sur sa belle-fille S.P. et d’agressions sexuelles par ascendant sur sa fille M., toutes trois étant mineures de quinze ans au moment des faits reprochés. Il délivra également ordonnance de prise de corps. Le requérant interjeta appel le 3 juin 2004.

  14. .  Par un arrêt du 16 septembre 2004, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, après avoir rappelé les faits et les déclarations recueillies au cours de l’enquête et de l’instruction, confirma l’ordonnance. Le dispositif de l’arrêt se lit notamment comme suit :
  15. « Confirme l’ordonnance dont appel et dit qu’il y a lieu d’accuser [le requérant] d’avoir :

    - à La Morlaye (60), entre le 01 janvier 1982 et le 31 décembre 1983, en tout cas dans le département de l’Oise et depuis temps non prescrit, commis par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle sur la personne de [A.],

    * avec ces circonstances aggravantes que [A.] était, à la date des faits ci-dessus spécifiés, mineure de 15 ans comme étant née le 20 juin 1977, et que [le requérant] est son père légitime ;

    - à La Panne, Royaume de Belgique, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1986, en tout cas en tant que citoyen français et depuis temps non prescrit, commis, par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle sur la personne de [S. P.],

    * avec ces circonstances aggravantes que [S. P.] était, à la date des faits ci-dessus spécifiés, mineure de 15 ans comme étant née le 08 août 1973, et que [le requérant] avait autorité sur elle comme étant le mari de sa mère chez lesquels elle résidait ;

    - à Vieux-Viel (35), entre le 01 mars 1999 et le 31 mars 2000, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, commis ou tenté des attentats à la pudeur sur la personne de [M.], mineure de 15 ans comme étant née le 08 mars 1986,

    * avec ces circonstances aggravantes que les faits ci-dessus spécifiés ont été commis ou tentés avec violence, contrainte ou surprise, et que [le requérant] est son père légitime ;

    Crimes et délit connexe prévus et punis par les articles 222-22, 222-23, 222-24, 222-27, 222-29, 222-30, 222-44, 222-45, 222-47 et 222-48-1 du code pénal et les articles 331 et 332 du code pénal abrogés à compter du 1er mars 1994, et de la compétence de la Cour d’assises aux termes de l’article 214 du Code de procédure pénale (...) »


  16. .  Le 14 décembre 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dont elle avait été saisie.

  17. .  Le 23 avril 2007, la première audience de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine s’ouvrit.

  18. .  Par un arrêt du 25 avril 2007, la cour et le jury déclarèrent le requérant coupable de « viols sur mineure de quinze ans par ascendant légitime, viols sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité et agression sexuelle sur mineure de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité » et le condamna à une peine de douze années de réclusion criminelle. La cour décerna mandat de dépôt criminel à l’égard du requérant le jour-même.

  19. .  Par un arrêt du 13 juin 2007, la Cour de cassation désigna la cour d’assises des Côtes d’Armor pour statuer sur l’appel du requérant et l’appel incident du ministère public.

  20. .  Le 27 juillet 2007, le requérant fut mis en liberté sous contrôle judiciaire.

  21. .  Le 24 mars 2009, les débats s’ouvrirent devant la cour d’assises des Côtes d’Armor.

  22. .  Les questions suivantes furent posées à la cour et au jury :
  23. « Question no 1 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à LA MORLAYE (Oise), entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1983, commis sur la personne de [A.], par violence, contrainte ou surprise des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient ?

    Question no 2 : [A.], née le 20 juin 1977, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiées à la question No 1, âgée de moins de quinze ans ?

    Question no 3 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [A.] ?

    Question no 4 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable, en tant que citoyen français, d’avoir à LA PANNE (Royaume de Belgique), entre le 1er juillet 1985 et le 15 septembre 1985, commis sur la personne de [S. P.], par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient ?

    Question no 5 : [S. P.], née le 8 août 1973, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question No 4, âgée de moins de quinze ans ?

    Question no 6 : L’accusé Olivier LEGILLON avait-il, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question No 4, autorité sur [S. P.], comme étant le mari de la mère de cette mineure, celle-ci résidant chez eux ?

    Question no 7 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à VIEUX-VIEL, département d’Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 mars 2000, commis des attentats à la pudeur sur la personne de [M.], mineure de quinze ans comme étant née le 8 mars 1986 ?

    Question no 8 : Les attentats à la pudeur ci-dessus spécifiés à la question No 7 ont-ils été commis avec violence, contrainte ou surprise ?

    Question no 9 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [M.] ?

    Question subsidiaire no 1 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il coupable d’avoir à VIEUX-VIEL, département d’Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 décembre 2000, commis sur la personne de [M.], par violence, contrainte, menace ou surprise, des agressions sexuelles exemptes d’actes de pénétration ?

    Question subsidiaire no 2 : [M.], née le 8 mars 1986, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question subsidiaire No 1, âgée de moins de 15 ans ?

    Question subsidiaire no 3 : L’accusé Olivier LEGILLON est-il le père légitime de [M.] ? »


  24. .  Il fut répondu « oui à la majorité de dix voix au moins » aux six premières questions et aux trois questions subsidiaires, « non » à la septième question, les questions 8 et 9 étant considérées « sans objet ».

  25. .  Par un arrêt du 27 mars 2009, le requérant fut déclaré coupable et condamné dans les termes suivants :
  26. « Considérant qu’il résulte de la déclaration de la Cour et du jury réunis qu’à la majorité de dix voix au moins [le requérant] est coupable d’avoir :

    - à La Morlaye (Oise), entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1983, commis sur la personne de [A.], par violence, contrainte ou surprise des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient avec ces circonstances aggravantes que [A.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 20 juin 1977, et qu’il en est le père légitime ;

    - en tant que citoyen français, à La Panne (Royaume de Belgique), entre le 1er juillet 1985 et le 15 septembre 1985, commis sur la personne de [S. P.], des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu’ils soient avec ces circonstances- aggravantes que [S. P.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 08 août 1973, et qu’il avait autorité sur elle comme étant le mari de sa mère et résident chez eux ;

    - à Vieux-Viel (Ille-et-Vilaine), entre le 1er mars 1999 et le 31 mars 2000, commis sur la personne de [M.], par violence, contrainte, menace ou surprise, des agressions sexuelles exemptes d’actes de pénétration, avec ces circonstances- que [M.] était, à la date des faits, âgée de moins de quinze ans, comme étant née le 08 mars 1986, et qu’il en est le père légitime ;

    Considérant que les faits ci-dessus déclarés constants par la Cour et le jury constituent les crimes de viol sur mineure de quinze ans par ascendant, viol sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité et le délit connexe d’agression sexuelle sur mineure de quinze ans par ascendant prévus et réprimés par les articles 121-1, 121-3, 131-26, 131-27, 131-31, 222-22 al. 1, 222-23, 222-24 § 2, 222-29 § 1, 222-30 § 2, 222-44, 222-45, 222-47, du Code Pénal et 332 du Code Pénal abrogé à compter du 1er mars 1994 (...)

    CONDAMNE [le requérant] à la peine de QUINZE ANS DE RECLUSION CRIMINELLE »


  27. .  La cour seule décerna mandat de dépôt criminel contre lui.

  28. .  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire ampliatif, le premier moyen de cassation visait expressément l’article 6 § 1 de la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne, exposant que le fait d’apposer la mention « oui à la majorité de dix voix au moins » pour répondre aux questions posées constituait une motivation vague et abstraite ne lui permettant pas de connaître les motifs pour lesquels il est répondu positivement ou négativement à celles-ci.

  29. .  Par un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’assises du 27 mars 2009. Elle jugea qu’étaient reprises, dans l’arrêt de condamnation, les réponses qu’en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d’assises d’appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, avaient donné aux questions posées et soumises à la discussion des parties. Elle estima que, dès lors qu’avaient été assurés l’information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l’arrêt de la cour d’assises satisfaisait aux exigences légales et conventionnelles invoquées.
  30. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    Voir Agnelet c. France, no 61198/08, §§ 29 à 34, 10 janvier 2013.

    EN DROIT


  31. .  Le requérant se plaint d’avoir été privé de son droit à un procès équitable, compte tenu de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
  32. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »


  33. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  34. A.  Sur la recevabilité


  35. .  Après avoir présenté la procédure criminelle, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité, estimant que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il considère que les articles 315 et 316 du code de procédure pénale lui permettaient de contester la formulation des questions en déposant des conclusions écrites et de provoquer un incident contentieux sur lequel la cour d’assises devait statuer par un arrêt incident motivé. Par ailleurs, l’article 352 prévoit que la cour d’assises statue dans les mêmes conditions en cas d’incident contentieux à propos des questions dont le président a donné lecture après clôture des débats. Il rappelle que la Cour a déjà considéré, dans les affaires Hakkar et Verrier c. France (respectivement no 43580/04, 7 avril 2009 et no 1958/06, 20 avril 2010), que l’opposition à des questions spéciales et des incidents sur le déroulement d’une audience de cour d’assises doit donner lieu à l’exercice du recours prévu par l’article 315 du code de procédure pénale avant de la saisir. Par conséquent, si le requérant considère que les questions posées étaient laconiques et insuffisantes, à elles-seules, pour motiver ou expliquer les raisons de sa culpabilité, il aurait dû formuler des contestations ou soulever un incident devant la cour d’assises.

  36. .  Le requérant considère tout d’abord que l’exception du Gouvernement ne peut être retenue, dès lors que la Cour de cassation elle-même a jugé ce grief recevable. En outre, il relève que les articles 315 et 316 du code de procédure pénale n’instituent pas une voie de recours, et encore moins une voie de recours utile pour se plaindre de l’absence de motivation des arrêts d’assises. On ne saurait exiger d’un accusé de soulever un incident contentieux pour être éclairé sur une culpabilité et une peine qui n’ont pas été prononcées et qui ne sont qu’éventuelles avant le délibéré. Par ailleurs, depuis un arrêt de 1999, la Cour de cassation a toujours censuré les tentatives des cours d’assises de motiver leurs décisions autrement que par l’ensemble des réponses données par le jury aux questions posées (Cass. crim., 15 décembre 1999, 2 arrêts, Bull. crim. nos 307 et 308, puis de manière constante, avec notamment plusieurs arrêts en 2011).

  37. .  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, par exemple, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Selmouni c. France, [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).

  38. .  Néanmoins, les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, notamment, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I, et Selmouni, précité, § 75).

  39. .  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la Cour de cassation a répondu au moyen du requérant tiré de l’absence de motivation, sans lui opposer ni évoquer le défaut de recours aux possibilités offertes par les articles 315 et 316 du code de procédure pénale.

  40. .  Par ailleurs, elle constate que les jurisprudences invoquées par le Gouvernement ne sont pas transposables en l’espèce et que le recours invoqué n’est pas susceptible de redresser le grief soulevé devant elle. En effet, comme le relève d’ailleurs le Gouvernement dans ses observations sur le fond, le requérant « considère que la seule question qui fonde le présent recours est celle de la "motivation des décisions des cours d’assises" ». Le grief du requérant ne concerne donc pas la formulation des questions posées à la cour et au jury, ou encore un incident dans le déroulement des débats, mais le fait que l’arrêt de la cour d’assises, postérieur non seulement à la lecture desdites questions par le président, mais également au délibéré pendant lequel il a été décidé de la culpabilité de l’accusé et de la peine infligée, ne soit pas motivé. Ainsi, la formulation des questions ne constitue pas le cœur du grief en l’espèce : elle ne représente qu’un critère identifié parmi d’autres par la Cour dans sa jurisprudence pour apprécier, dans le cadre de l’examen sur le bien-fondé, le respect de l’article 6 en cas d’absence de motivation de l’arrêt lui-même.

  41. .  L’exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

  42. .  Par ailleurs, la Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  43. B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties


  44. .  Le requérant souligne, à titre liminaire, que le système français a été modifié, après que la Cour eut condamné la Belgique dans l’affaire Taxquet c. Belgique ([GC], n926/05, CEDH 2010-....), par la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a inséré dans le code de procédure pénale un article 365-1 prévoyant une motivation. A ses yeux, il s’agit d’un aveu implicite d’absence de conformité aux exigences du procès équitable, d’autant plus marqué qu’il intervient après de nombreuses discussions et interrogations doctrinales et jurisprudentielles en France à la suite de l’arrêt Taxquet (précité). Il note en particulier que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, les travaux préparatoires attestent de la volonté de prise en compte de la jurisprudence de la Cour, à l’instar notamment de l’étude d’impact du 11 avril 2011, publiée sur le site internet du Sénat. Cette étude précise que « le projet introduit une motivation obligatoire des arrêts de cours d’assises, afin de tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ».

  45. .  Il considère que la motivation des décisions de justice est le seul moyen de vérifier que les exigences du procès équitable ont été effectivement respectées. L’arrêt de la Grande Chambre dans l’affaire Taxquet (précitée) constitue le cadre de référence et les précisions apportées par rapport à l’arrêt de la chambre ne changent rien au fait que la France doit être condamnée lorsqu’un accusé n’a pas bénéficié de garanties l’ayant mis à même de comprendre le verdict. Le requérant estime que les différences entre les systèmes belges et français sont mineures : dans les deux cas, l’accusé est mis en accusation aux termes d’une instruction, un acte d’accusation est rédigé, puis lu à l’audience, les questions posées au jury doivent résulter de l’acte d’accusation et respecter certaines formes, des questions sont posées au jury par le président de la cour d’assises à l’issue des débats et la cour doit statuer par un arrêt motivé en cas de contestation des questions.

  46. .  En France, la décision de mise en accusation ne se prononce que sur la suffisance de charge pour renvoyer l’accusé devant une cour d’assises et elle est lue avant les débats au cours desquels les jurés se forgent, ensuite, leur intime conviction. Partant, si cette décision précise les charges qui justifient le renvoi, elle n’explique pas les raisons pour lesquelles le jury a par la suite retenu la culpabilité de l’accusé. La réforme réalisée par la loi du 10 août 2011 précise d’ailleurs que la motivation, annexée à la feuille de questions, consiste justement « dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises » (article 365-1 du code de procédure pénale).

  47. .  Quant à l’existence d’un double degré de juridiction, il indique que le pouvoir d’interjeter appel et l’obligation de motivation sont deux garanties totalement distinctes. La possibilité d’interjeter appel ne permet pas de compenser le risque d’arbitraire et de permettre à l’accusé de comprendre les raisons de sa condamnation. L’exigence de motivation, rappelée dans la jurisprudence de la Cour, permettrait en outre un meilleur contrôle de la légalité des décisions au niveau interne par la Cour de cassation.

  48. .  Le requérant considère par ailleurs qu’un examen in concreto de son affaire permet de constater une méconnaissance des exigences de l’article 6. Tout d’abord, l’ordonnance de mise en accusation ne se prononce que sur les charges, avant les débats : elle ne peut donc ni se prononcer sur la culpabilité et sur la peine, ni contenir aucun élément qui résulterait des débats. Or il n’est pas certain que les jurés ayant assisté aux débats se soient fondés sur les mêmes éléments que les juridictions d’instruction.

  49. .  En l’espèce, le requérant rappelle que, sur les neuf questions, deux étaient sans objet (no 8 et 9) compte tenu d’une réponse négative à la question no 7 : il a donc été condamné sur le fondement de six réponses affirmatives, les questions subsidiaires n’apportant aucune précision. Rien ne permet d’affirmer que les réponses affirmatives aux questions valaient appropriation de l’argumentation retenue dans la décision de mise en accusation. Les débats devant la cour d’assises sont d’une importance capitale et il n’est pas rare qu’ils révèlent des faits nouveaux, absents de l’ordonnance de renvoi.

  50. .  Le requérant fait également valoir que les questions auraient dû distinguer les éléments de violence, contrainte, menace ou surprise, qui sont pourtant définis de manière distincte dans la jurisprudence et qui recouvrent une réalité différente pour la victime ; à défaut, la question ne permet pas de former une trame apte à fonder la décision en l’absence de motivation. L’acte d’accusation et la feuille de questions sont d’autant plus insuffisants en l’espèce qu’il a toujours protesté de son innocence. Il relève d’ailleurs qu’il y a eu des changements de qualification entre les déclarations de la victime au cours de l’enquête, les chefs d’accusation retenus dans l’ordonnance de renvoi et les questions posées au jury, ce qui atteste du fait que la décision du jury ne se confond pas avec l’ordonnance de mise en accusation, rendant la motivation de l’arrêt de condamnation d’autant plus nécessaire.

  51. .  Le Gouvernement estime, à la lumière des critères dégagés dans l’arrêt de la chambre Taxquet c. Belgique du 13 janvier 2009, que la procédure criminelle suivie en l’espèce répondait aux exigences conventionnelles. Il indique tout d’abord que l’obligation de motiver les décisions de justice, qui ne figure pas dans la Convention, doit être considérée comme l’une des composantes du procès pris dans son ensemble et auquel il faut se référer. Partant, la Cour ne remet pas en cause l’absence de motivation des arrêts de cour d’assises en droit français : ce constat d’une chambre dans la décision Papon c. France du 15 novembre 2001 (no 54210/00, § 26, CEDH 2001-XII) a donc été confirmé par la Grande Chambre dans l’arrêt Taxquet (précité, §§ 90 et 93). La motivation ne constitue pas le seul moyen de comprendre la décision, dès lors que la décision de la cour d’assises sur la culpabilité est le fruit d’un raisonnement que l’intéressé peut comprendre et reconstruire grâce à un ensemble de garanties entourant le déroulement du procès (Taxquet, précité, § 92).

  52. .  Il relève que le requérant a interjeté appel de l’ordonnance de renvoi devant la cour d’assises et que l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel a été lu dans son intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises.

  53. .  Le Gouvernement ajoute que, pour tous les accusés, la lecture est faite non seulement de l’ordonnance de mise en accusation ou de l’arrêt de la chambre de l’instruction, mais également, devant les cours d’assises d’appel, des questions posées à la première cour d’assises, de ses réponses et de sa décision.

  54. .  Il précise que les charges, exposées oralement, sont ensuite discutées contradictoirement. Au cours des débats d’assises, chaque élément de preuve est discuté et l’accusé est assisté d’un avocat, dont le rôle est aussi d’informer et de conseiller ses clients.

  55. .  Le Gouvernement insiste en outre sur le fait que les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions : le dossier de la procédure ne leur étant pas accessible, ils ne se prononcent que sur les éléments contradictoirement débattus. Il relève qu’à la différence du système belge, dans lequel les jurés délibèrent seuls, le système français fait jouer un rôle important aux magistrats professionnels tout au long de la procédure et durant le délibéré.

  56. .  Enfin, le Gouvernement rappelle que, depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie, ce qui faisait défaut dans l’affaire Taxquet (précitée, § 99).

  57. .  S’agissant de la situation spécifique du requérant, le Gouvernement estime que l’ordonnance de mise en accusation, qui détermine la saisine de la Cour et les questions principales sur lesquelles les jurés doivent statuer, est particulièrement motivée : elle reprend l’ensemble des déclarations recueillies au cours de l’instruction (requérant, partie civile, victimes, entourage des victimes, témoins), ainsi que les conclusions des expertises psychiatriques et psychologiques des victimes qui concluent à la crédibilité de leurs propos, avant de décider que des indices graves et concordants ont été réunis à l’encontre du requérant d’avoir sexuellement abusé de ses deux filles et de sa belle-fille. Le requérant, assisté de ses conseils, a notamment pu, au cours de l’audience, librement se défendre et discuter chacun des éléments de preuve produits. Le Gouvernement estime par ailleurs que les faits, malgré les dénégations de l’intéressé, ne présentaient pas de difficulté particulière et qu’il comparaissait seul.

  58. .  Quant aux circonstances aggravantes tirées de l’ascendance, la présente affaire se distingue de l’affaire Taxquet : elles sont en l’espèce fondées sur des éléments difficilement contestables, le requérant étant le père de deux victimes et le mari de la mère d’une autre, toutes âgées de moins de quinze ans au moment des faits.

  59. .  Concernant les questions posées au jury, le Gouvernement souligne qu’elles étaient au nombre de neuf, les questions no 1, 4 et 7 portant sur les faits principaux, avec de nombreuses indications (date et lieu de commission des faits, identité de l’accusé et de la victime, éléments constitutifs des infractions de viols et d’agressions sexuelles). Outre le fait qu’elles n’ont pas été contestées, ces questions, ajoutées à la décision de mise en accusation et aux trois jours d’audience, permettaient au requérant de comprendre les raisons de sa condamnation.
  60. 2.  Appréciation de la Cour

    a.  Principes généraux

    52.  La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), n31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...).

    53.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).


  61. .  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de - ou ne peuvent pas - motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

  62. .  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem).

  63. .  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

  64. .  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

  65. .  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98).
  66. b.  Application de ces principes au cas d’espèce


  67. .  La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie.

  68. .  S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que les faits reprochés, indépendamment de leur gravité, n’étaient pas complexes.

  69. .  Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il était particulièrement circonstancié et que les charges ont ensuite été débattues pendant trois jours. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises.

  70. .  La Cour estime que le changement de qualification intervenu entre l’ordonnance de renvoi et les questions posées au jury souligne que la décision de ce dernier ne se confond pas avec l’acte de mise en accusation. Elle considère en outre que cette évolution, résultant des débats, a nécessairement permis à l’accusé de comprendre une partie du raisonnement du jury.

  71. .  Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation.

  72. .  En l’espèce, douze questions, composant un ensemble précis et exempt d’ambiguïté sur ce qui était reproché au requérant, ont été posées.

  73. .  Certes, le requérant se plaint également de l’absence de distinction entre les éléments de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, lesquels ne recouvrent pas la même réalité. La Cour estime cependant qu’il ne saurait prétendre avoir été, pour cette seule raison, empêché de comprendre le verdict qui a été rendu, en particulier compte tenu de la circonstance que les faits ont été commis par un ascendant sur des victimes mineures de son entourage immédiat.

  74. .  La Cour relève d’ailleurs que les circonstances aggravantes, en relation avec l’ascendance et l’âge des victimes, ont fait l’objet de questions individualisées, permettant ainsi au jury de déterminer individuellement et avec précision la responsabilité pénale du requérant (voir Goktepe c. Belgique, no 50372/99, 2 juin 2005).

  75. .  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

  76.   Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365-1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

  77. .  En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  78. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
           Greffière                                                                              Président


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