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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROHLENA v. THE CZECH REPUBLIC - 59552/08 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 343 (18 April 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/343.html Cite as: [2013] ECHR 343 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ROHLENA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 59552/08)
ARRÊT
STRASBOURG
18 avril 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Rohlena c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mars 2013 et le 26 mars 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Code pénal (loi no 140/1961), version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009
B. Doctrine et jurisprudence de la Cour suprême
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 § 1 DE LA CONVENTION
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
2. Appréciation de la Cour
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 7 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia
Westerdiek Mark Villiger
Greffière Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Lemmens.
M.V.
C.W.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS
1. Comme mes collègues, j’ai conclu à la non-violation de l’article 7 § 1 de la Convention en l’espèce. Toutefois, je suis parvenu à cette conclusion à l’issue d’un raisonnement légèrement différent.
2. Il me semble utile de rappeler brièvement les données essentielles de l’affaire. Le requérant avait été condamné pour une série de faits commis entre 2000 et le 8 février 2006 (paragraphe 6). Ces faits pouvaient être qualifiés de violence perpétrée à l’encontre d’un individu ou d’un groupe d’individus au sens de l’article 197a du code pénal et de coups et blessures au sens de l’article 221 du même code, dispositions applicables pendant toute la période litigieuse, mais aussi de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit au sens de l’article 215a de ce texte. Entrée en vigueur le 1er juin 2004, cette dernière disposition n’a été applicable que pendant une partie seulement de la période litigieuse.
Les juridictions internes ont considéré que ces faits s’analysaient en une « infraction continue » au sens de l’article 89 § 3 du code pénal. Elles ont estimé que cette infraction tombait sous le coup de la loi en vigueur au moment de la commission du dernier fait délictueux. En conséquence, le tribunal municipal de Brno, puis le tribunal régional de Brno, ont reconnu le requérant coupable de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit au sens de l’article 215a du code pénal, et ont infligé à l’intéressé la peine prévue par l’article 215a § 2 b). Cette peine était plus sévère que celles prévues par les articles 197a et 221 du code pénal.
Il échet de faire remarquer que la Cour suprême a explicitement considéré que la loi nouvelle, à savoir l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal, s’appliquait à l’ensemble des faits constitutifs de l’infraction continue, y compris à ceux commis avant le 1er juin 2004, dès lors que ceux-ci étaient pénalement réprimés par les anciennes dispositions, à savoir les articles 197a et 221 du code pénal (paragraphe 9).
3. C’est principalement sous l’angle du principe général de la légalité des délits et des peines que mes collègues ont examiné le grief soulevé par le requérant. Ils ont recherché si l’interprétation que les juridictions concernées avaient donnée de l’article 89 § 3 du code pénal en l’espèce était raisonnablement prévisible.
A mon humble avis, ce n’est pas ce point qui posait problème. Le requérant se plaignait de l’application - à ses yeux rétroactive - de l’article 215a du code pénal (paragraphe 17 de l’arrêt). C’était donc l’interdiction de l’application rétroactive du droit pénal au détriment de l’accusé, aspect particulier du principe général précité, qui aurait dû à mon sens être au cœur de l’examen opéré par la Cour. Le fait que les juridictions nationales aient conclu à l’applicabilité de ladite disposition légale sur la base d’une certaine interprétation de l’article 89 § 3 du code pénal n’était qu’un aspect secondaire de l’affaire.
4. En principe, l’application rétroactive d’une loi pénale nouvelle plus sévère que la loi antérieure est interdite par l’article 7 § 1 de la Convention.
Cette règle ne s’oppose pas à l’application de la loi nouvelle à une véritable « infraction continue », c’est-à-dire à une infraction caractérisée par l’existence d’une situation permanente contraire à la loi. Si l’infraction continue a commencé sous l’empire de la loi ancienne et perdure sous l’empire de la loi nouvelle, c’est la loi nouvelle qui s’applique, même si elle est plus sévère que la loi ancienne. On pourrait même se demander si, dans un tel cas, il y a vraiment application rétroactive de la loi nouvelle.
Toutefois, l’infraction qui était en cause dans la présente affaire ne peut être qualifiée d’« infraction continue » au sens précisé ci-dessus. Il s’agit en réalité d’une infraction qu’on pourrait appeler « continuée », en ce qu’elle est constituée par la réitération d’un certain nombre de délits instantanés, liés par une identité de nature et d’objet et commis dans un laps de temps relativement court (voir l’article 89 § 3 du code pénal). Appliquer la loi nouvelle à l’ensemble des faits constitutifs d’une infraction « continue » dans ce second sens revient à faire de la loi en question une application partiellement rétroactive : au moment où les premiers faits délictueux ont été commis, la loi nouvelle n’était pas encore entrée en vigueur.
Il me semble que mes collègues ont admis l’application de la loi nouvelle au seul motif que le requérant pouvait savoir qu’en poursuivant ses agissements après le 1er juin 2004, il risquait d’être condamné pour une infraction continue et de se voir infliger la peine prévue par la loi en vigueur au moment de la commission du dernier fait délictueux (paragraphe 38).
Ce motif ne me semble pas suffisant. D’ailleurs, les juridictions nationales ont été plus strictes puisqu’elles ont recherché si les faits commis avant le 1er juin 2004 tombaient sous le coup d’une loi pénale en vigueur au moment de leur commission (en l’espèce les articles 197a et 221 du code pénal). Certes, mes collègues se sont référés au constat opéré par les autorités nationales à cet égard (paragraphe 37), mais il ne semble pas qu’ils en aient fait une condition de leur acquiescement à l’application rétroactive de la loi nouvelle.
Pour ma part, j’estime que le critère à appliquer est encore plus strict que celui qui a été retenu par les juridictions nationales. A mon avis, il ne suffisait pas que les faits commis avant le 1er juin 2004 fussent punissables selon une loi quelconque en vigueur à cette époque (condition nécessaire selon l’arrêt Veeber c. Estonie (no 2), no 45771/99, § 38, CEDH 2003-I). J’estime qu’il fallait en plus que ces faits fussent qualifiables de délits en application de la loi nouvelle, même si celle-ci n’était pas encore en vigueur au moment de leur commission. Concrètement, pour que l’application de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal aux faits commis avant le 1er juin 2004 fût compatible avec l’article 7 § 1 de la Convention, il ne suffisait pas que ces faits fussent punissables en vertu des articles 197a et 221 du code pénal : il fallait en outre qu’ils fussent qualifiables de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal.
Il me semble que ni les juridictions nationales ni la Cour n’ont expressément recherché si cette dernière condition était remplie. Il est toutefois possible de conclure, au regard de la description des différents actes de violence en cause dans la présente affaire, que ceux-ci pouvaient effectivement tous être qualifiés de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal.
C’est pour cette dernière raison que j’ai souscrit à la conclusion de mes collègues selon laquelle l’article 7 § 1 de la Convention n’a pas été violé en l’espèce.