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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MO.M. v. FRANCE - 18372/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 357 (18 April 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/357.html
Cite as: [2013] ECHR 357

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    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MO.M. c. FRANCE

     

    (Requête no 18372/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    18 avril 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Mo.M. c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Mark Villiger, président,
              Angelika Nußberger,
              Ann Power-Forde,
              André Potocki,
              Paul Lemmens,
              Helena Jäderblom,
              Aleš Pejchal, juges,
    et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mars 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 18372/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant tchadien, M. Mo.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

  2. .  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me S. Laspalles, avocat à Toulouse. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l’éloigner vers le Tchad l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

  4. .  Le 6 septembre 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
  7. A.  Quant aux faits s’étant déroulés au Tchad


  8. .  Le requérant est né en 1977 et réside à Montauban.

  9. .  Le requérant, d’origine arabe, appartient à l’ethnie beni halba. Il exerça, à compter de 1996, le métier de commerçant. Dans ce cadre, il effectuait régulièrement le trajet entre Abéché, ville tchadienne où il résidait et El Geneina, capitale du Darfour occidental (Soudan), région où les rebelles étaient très présents.

  10. .  Alors qu’il était en voyage au Soudan, des concurrents l’auraient dénoncé aux autorités comme étant un espion pour le compte des rebelles, qu’il aurait aidés financièrement et pour qui il aurait fait passer des informations à travers la frontière. Des membres de l’Agence Nationale de Sécurité (ANS) (services secrets tchadiens) se rendirent alors chez lui, détruisirent son commerce et prirent tous les objets de valeur. Comme il n’était pas présent, sa famille fut menacée si elle ne révélait pas où il se trouvait. Son père fut arrêté puis relâché au bout d’une semaine, choqué par cette détention. De retour de son voyage d’affaires au Soudan, le requérant fut appréhendé par l’ANS, le 16 décembre 2006. Il fut mis en prison et ses biens furent confisqués. Il fut accusé d’entretenir des liens avec des mouvements d’opposition armés, notamment l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), groupe de rebelles de l’Est. Il explique avoir été détenu dans une cellule de l’ANS avec huit autres personnes pendant cinq jours. Au cours de sa détention, il aurait été interrogé, à plusieurs reprises, sur son implication dans la rébellion, brûlé avec des cigarettes et torturé au moyen d’un câble électrique lui envoyant des décharges. Le requérant produit, à l’appui de ses dires, un certificat médical, en date du 18 décembre 2007, ainsi libellé :
  11. « [Le requérant] présente de nombreuses cicatrices :

    -  Dans le cuir chevelu, deux petites cicatrices attribuées à des coups ;

    -  Sur la face antérieure du torse, de nombreuses cicatrices de traitements traditionnels par incisions superficielles ; parmi ces cicatrices, une est un peu différente : plus pigmentée, un peu plus large, plus irrégulière. Elle est attribuée à un coup de « chicote » ;

    -  Dans le dos également, nombreuses traces de traitements traditionnels par incision ; parmi ces cicatrices, deux sont un peu différentes (comme celle de la face avant du torse) et sont attribués à des coups de « chicote » ;

    -  Un peu au-dessous du coude droit, une cicatrice hyper pigmentée d’environ 2 cm de diamètre, attribuée à une brûlure par cigarette (geste d’éteindre la cigarette en tournant sur sa peau) ;

    -  A la face externe du genou gauche, une trace ovale d’environ 2 cm, attribuée aux mauvais traitements, sans précision ;

    -  A la face antérieure de la jambe gauche, une trace horizontale d’environ 8 cm de long sur moins d’un cm de large, attribuée à un coup de fouet au fil électrique (« la chicote ») ;

    -  A la face antérieure des deux jambes, à peu près à mi-distance du genou et de la cheville, de manière symétrique, une petite cicatrice d’environ 4 mm sur 2 mm, pigmentée, à la peau fine, en creux, attribuée à l’extrémité des fils au cours d’une torture à l’électricité ;

    -  A la face dorsale du pied droit, une cicatrice verticale d’environ 2,5 cm, dont il se rappelle qu’elle vient de sa détention, sans pouvoir se rappeler de sa cause précise ;

    -  A la face supérieure du gros orteil du pied droit, un reste d’hématome sous unguéal en voie d’expulsion progressive, attribué à un coup de crosse.

    (...)

    Les observations cliniques sont en faveur de la réalité de tortures et mauvais traitements sur la personne [du requérant]. Les dates qu’il indique sont vraisemblables.

    Les observations psycho-comportementales sont en faveur de la véridicité de son récit. Nous n’avons pas observé d’élément susceptible de faire soupçonner une affabulation ou une déréalité du récit, non plus que des exagérations volontaires. »


  12. .  Le requérant fournit également une attestation du Docteur H.J., indiquant avoir une expérience personnelle des conflits armés au Tchad, qui l’a examiné le 25 mars 2010 et qui conclut :
  13. « -  les séquelles : les cicatrices qu’il présente lors d’un examen très sommaire correspondent à ce qu’on peut voir dans les suites des types de torture allégués. Si certaines ne sont pas des preuves en soi, d’autres signent la délibération des actes, constitutifs de la définition de la torture. En outre, [le requérant] présente des troubles psychologiques qu’on retrouve chez les victimes d’événements particulièrement graves, avec les traits les plus fréquemment retrouvés chez les victimes de violence d’origine humaine.

    -  les éléments d’anamnèse : ce que [le requérant] décrit des effets immédiats des traitements endurés qui correspondent à ce que j’ai pu constater sur le terrain.

    -  ceci reposant en effet sur l’expérience acquise, notamment sur les méthodes employées au Tchad où j’ai travaillé sur une période de plus de dix ans à soigner des victimes d’Hissen Habré (et, plus directement, celles de Deby) et des suites qu’on peut observer. Cette expérience, dans un domaine où je fais partie des pionnières en France et à l’étranger, m’a valu d’être membre de la CNCDH (Commission Nationale Consultative pour les Droits de l’Homme) de 1987 à 2005, et de participer à l’enseignement universitaire de la victimologie dans les violences d’origine humaine.

    Je considère que, sans préjuger des raisons qui lui accorderaient l’asile, [le requérant] entre dans le champ d’application de la Convention de Genève de 1984 contre la torture dont la France fait partie. »


  14. .  Le requérant n’aurait échappé à ses geôliers que grâce à l’aide de ses codétenus qui organisèrent une évasion avec la complicité de certains gardiens. Il prit la fuite, le 21 décembre 2006, et se réfugia chez un oncle habitant à quarante kilomètres de là. Ils partirent ensemble pour Biltine à cheval. Son oncle trouva un passeur dans cette ville qui, pour 150 000 CFA, emmena le requérant en Libye. Ce dernier quitta le pays dès le 22 décembre 2006 et passa par Akada, Oumchaloba, Faba, Ouianga, Sarra (ce trajet dura environ six jours). Le 29 décembre 2006, il arriva à El Koufra en Libye et resta une semaine dans la gare de cette ville. Le 6 janvier 2007, il partit pour Tripoli où il travailla pendant un mois, dans un restaurant puis pour une société de nettoyage. Le 7 mars 2007, il quitta la Libye pour l’Europe par bateau, après avoir payé 1 200 dollars.

  15. .  Depuis son arrivée en France, le requérant milite en faveur du Rassemblement national démocratique populaire (RNDP), un parti d’opposition basé dans l’est du Tchad, à la frontière soudanaise.

  16. .  Le requérant dit craindre, en cas de retour, d’être arrêté par l’ANS, remis en prison et de subir à nouveau des tortures, voire d’être assassiné. A l’appui de ces dires, il produit un mandat en date du 2 mars 2009 du parquet général de N’djamena ordonnant de l’amener pour « être entendu sur les inculpations de fourniture de matériels aux délinquants armés venant du Soudan pour déstabiliser le pays ».
  17. B.  Quant aux événements s’étant déroulés en France


  18. .  Arrivé en France en mars 2007, le requérant formula une demande d’asile qui fut rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 22 juin 2007, puis par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le 3 mars 2009, aux motifs suivants :
  19. « ni les pièces au dossier, ni les déclarations faites en séance publique (...) ne permettent de tenir pour établis les soupçons portés à son encontre par des agents de l’ANS selon lesquels il appartiendrait à la rébellion, son arrestation, sa détention et son évasion consécutives à ces soupçons et pour fondées les craintes énoncées (...) qu’en particulier, le certificat établi par un praticien français le 18 décembre 2007 concluant à la compatibilité des séquelles constatées avec les déclarations ne permet pas d’infirmer cette analyse (...) »


  20. .  Le 2 juin 2009, le préfet notifia au requérant un arrêté portant refus d’octroi d’un titre de séjour et une obligation de quitter le territoire avec le Tchad pour destination. Par un jugement en date du 20 octobre 2009, le tribunal administratif de Toulouse rejeta la Requête du requérant tendant à l’annulation des arrêtés aux motifs suivants :
  21. « les documents produits, notamment les pièces nouvelles consistant en un mandat d’amener en date du 2 mars 2009, un ordre d’arrestation en date du 19 mai 2009 dépourvus de garantie d’authenticité et en deux « notes » du 13 mars 2009 de l’oncle et du 12 avril 2009 du père de M. Mo.M. ainsi que le certificat médical du 18 décembre 2007 établi par le docteur D., déjà produit devant la Cour nationale du droit d’asile, ne suffisent pas à établir la réalité des risques allégués ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, doit être écarté. »


  22. .  Le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 6 avril 2010, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers le Tchad pour la durée de la procédure devant la Cour.
  23. II.  TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

    A.  Sur le contexte général au Tchad


  24. .  Le 13 mai 2008, le Tchad et le Soudan ont signé un accord de paix et de cessez-le-feu (« Accords de Dakar ») visant à mettre fin aux différends qui opposaient leurs pays et à rétablir la stabilité dans la région. Le 14 janvier 2009, bien que saluant la reprise des relations diplomatiques entre les gouvernements soudanais et tchadien, le Conseil de sécurité des Nations Unies réaffirma son inquiétude quant aux répercussions de la violence qui se poursuivait au Darfour et les problèmes de sécurité dans l’est du Tchad. Il fut décidé que la mission de maintien de la paix relevant du chapitre VII de la Charte des Nations Unies serait prolongée pour une durée d’un an soit jusqu’au 15 mars 2010. Par une résolution 1913 du 12 mars 2010, le Conseil de sécurité confirma la prolongation de la mission après avoir constaté que la situation dans la région continuait de constituer une menace pour la paix internationale et la sécurité.

  25. .  Au mois de janvier 2010, le Tchad et le Soudan ont signé à N’Djamena un « accord de normalisation » et un « protocole de sécurisation des frontières ». Ils se sont engagés, par cet accord, à cesser tout soutien aux mouvements rebelles sur leurs territoires respectifs. Le 8 février 2010, le président tchadien Idriss Deby a rendu visite à son homologue soudanais Omar Al Bachir, signe symbolique d’apaisement dans leurs relations. A la suite de cette visite, les gouvernements ont pris des initiatives concrètes pour réprimer les activités des groupes rebelles armés sur leur territoire et déployé une force conjointe chargée de la surveillance de leur frontière commune. Les combats entre les forces de sécurité tchadiennes et les membres des mouvements rebelles, de retour dans le pays, ont ainsi cessé en avril 2010. Le processus de normalisation a encore franchi une étape lorsque le président soudanais s’est rendu au Tchad pour participer au Sommet de la Communauté des Etats sahélosahariens. La mission de maintien de la paix a, conformément à la résolution du Conseil de sécurité, achevé son mandat, le 31 décembre 2010, sans que cela ne perturbe la sécurité dans la région.
  26. B.  Concernant la torture


  27. .  Dans ses deux derniers rapports relatifs à l’« Examen présenté par les Etats parties en application de l’article 19 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » en date des 28 septembre 2008 (CAT/C/TCD/1) et 4 juin 2009 (CAT/C/TCD/CO/1), le Comité des Nations Unies contre la torture constatait que les actes de torture ne constituent pas des infractions au regard du droit pénal au Tchad. Il en déduisait que cette faiblesse de la législation contribuait en partie à l’impunité qui règne dans le pays. Ainsi, de nombreux cas de tortures et mauvais traitements imputés aux forces et services de sécurité de l’Etat, notamment dans les commissariats et les maisons d’arrêt, bénéficiaient d’une large impunité. Les rapports précisent que ces actes étaient tout particulièrement utilisés contre les opposants politiques et les prisonniers de guerre.

  28. .  Le Département d’Etat américain, dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme au Tchad, en date du 24 mai 2012, note que la Constitution et la législation interdisent désormais la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Si des faits de torture commis par des membres des forces de sécurité tchadienne ont été rapportés, ceux-ci n’avaient aucune motivation politique, ni n’ont été conduits par le gouvernement.
  29. C.  Conditions d’emprisonnement et de détention


  30. .  Dans le rapport précité, le Département d’Etat américain affirme que les conditions de détention demeurent difficiles et mettent en danger la vie des prisonniers. Les prisons sont surpeuplées et les conditions sanitaires très pauvres. L’alimentation et les soins médicaux sont inadéquats. Le rapport mentionne aussi que certains détenus sont restés enfermés alors qu’ils avaient fini de purger leur peine ou que leur libération avait été ordonnée par les tribunaux.

  31. .  Les ONG locales continuent de dénoncer l’existence de prisons militaires auxquelles l’accès leur était refusé ; elles ont aussi rapporté l’existence de prisons gérées par les services secrets (ANS) et la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’Etat (DGSSIE).

  32. .  Bien que la Constitution et le droit interne tchadiens interdisent les arrestations et détentions arbitraires, les forces de sécurité violent parfois ces dispositions même si, en l’absence d’activité des mouvements rebelles pendant l’année 2011, le nombre de cas de détentions arbitraires a diminué.
  33. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  34. .  Le requérant considère que la mise à exécution de son renvoi vers le Tchad l’exposerait à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  35. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  36. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  37. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties


  38. .  Le requérant dit craindre, en cas de retour, d’être arrêté par les services secrets tchadiens, remis en prison et de subir à nouveau des tortures et traitements inhumains et dégradants puis d’être assassiné.

  39. .  Il relève, en premier lieu, que les décisions de l’OFPRA et de la CNDA, rejetant sa demande d’asile en raison d’un défaut de preuves matérielles, ne permettent pas d’exclure tout risque de mauvais traitements. Le requérant produit, en effet, de nouvelles pièces, postérieures à ces décisions. Il verse aux débats une attestation en date du 10 février 2010 émanant du Président du RNDP faisant état du parcours des militants de ce parti et une « attestation de militant » en date du 17 mars 2010 relative au rôle du requérant au sein du RNDP. Le requérant fournit également une attestation du Docteur H. J., spécialiste de la question tchadienne, qui l’a examiné le 25 mars 2010 et qui a conclu que ses cicatrices « sign[aient] la délibération des actes, constitutifs de la définition de la torture ».

  40. .  Le requérant renvoie ensuite aux deux rapports établis par le Comité des Nations Unies contre la torture en date des 28 septembre 2008 et 4 juin 2009, lesquels font apparaître que les tortures demeurent fréquentes au Tchad, ainsi que les violations par les forces de sécurité des dispositions du droit interne tchadien.

  41. .  Enfin, le requérant souligne que le Gouvernement ne produit aucun élément permettant de réfuter l’authenticité des pièces fournies par lui.

  42. .  Par conséquent, il considère que le risque de mauvais traitements au Tchad est avéré et conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

  43. .  Le Gouvernement soutient que le requérant n’apporte aucun élément crédible de nature à démontrer la véracité des mauvais traitements reçus au Tchad et que son récit est « scénarisé ». Il met en doute la réalité des craintes du requérant compte tenu de l’activité professionnelle de celui-ci et de son intégration dans son pays d’origine. Il s’étonne, en outre, de ce que les autorités tchadiennes auraient lancé des poursuites contre le requérant trois ans après son évasion, sans pour autant qu’il existe aucune trace de ces mandats dans les bases de données internationales prévues à cet effet.

  44. .  Le Gouvernement souligne que l’existence d’un risque de mauvais traitements à l’encontre du requérant a été examinée tant par les juridictions administratives que par les instances compétentes en matière d’asile. Ces examens successifs n’ont, selon lui, pas permis de conclure à l’existence d’un tel risque.

  45. .  Le Gouvernement signale enfin que le requérant aurait tenté, sous une fausse identité, de déposer frauduleusement une nouvelle demande d’asile au mois de mars 2010, ce qui ne peut, selon lui, que renforcer les doutes existants sur la réalité des allégations du requérant.

  46. .  Au vu de ces éléments et en l’absence d’éléments probants fournis par le requérant, le Gouvernement conclut au caractère infondé du grief.
  47. 2.  Appréciation de la Cour


  48. .  Sur le fond, la Cour se réfère aux principes applicables en la matière (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011).

  49. .  En particulier, la Cour considère qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi, précité, § 129). Elle rappelle également qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269, à propos de l’article 3) (art. 3).

  50. .  En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

  51. .  Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

  52. .  S’agissant de la situation générale au Tchad, la Cour note que si les relations entre ce pays et le Soudan se sont relativement apaisées depuis l’accord de paix signé en janvier 2010 (voir, en ce sens, B.A. c. France, no 14951/09, § 39, 2 décembre 2010), les menaces sur la sécurité des personnes demeurent et la situation reste instable. Dans ce contexte, il apparaît peu probable que le traitement réservé à ceux qui sont soupçonnés d’avoir collaboré avec les rebelles se soit adouci. Les rapports des ONG locales et des observateurs institutionnels témoignent, par ailleurs, de l’existence de prisons militaires gérées par les services secrets et de la persistance des dysfonctionnements au sein des prisons tchadiennes (voir paragraphes 19-21 ci-dessus).

  53. .  S’agissant des risques personnels encourus en cas de renvoi, le requérant allègue avoir été torturé par les services secrets tchadiens et craindre de l’être à nouveau.

  54. .  La Cour observe que les certificats médicaux produits attestent de la présence de nombreuses cicatrices sur tout le corps du requérant. Si, parmi ces cicatrices, certaines résultent de traitements traditionnels par incisions superficielles, les médecins s’accordent pour attribuer toutes les autres à des actes de torture. En particulier, le docteur H.J., qui possède une expérience décennale sur les questions tchadiennes, affirme que les stigmates présentés par le requérant correspondent aux suites habituellement observées dans les types de torture allégués et sont, en conséquence, cohérents avec le récit de ce dernier. La Cour considère ainsi qu’elle dispose d’éléments suffisants pour rendre vraisemblables les tortures dénoncées par le requérant.

  55. .  La question demeure de savoir si le requérant court le risque de subir des mauvais traitements en cas de retour. Pour établir ce risque, le requérant produit un mandat d’amener pris à son encontre le 2 mars 2009, soit près de trois ans après son départ du Tchad. Le Gouvernement, pour mettre en doute l’authenticité de ce document, se limite à relever qu’il n’existe aucune trace d’un tel mandat dans les bases de données internationales prévues à cet effet. La Cour observe toutefois que si la diffusion internationale d’un mandat atteste de la réalité de celui-ci, sa seule absence de diffusion ne saurait suffire à établir son inexistence, l’Etat émetteur restant libre de diffuser internationalement ou non un tel acte. Le Gouvernement fait ensuite valoir que l’existence d’un risque de mauvais traitements en cas de retour du requérant dans son pays d’origine a été examinée, de manière circonstanciée, par les juridictions internes. La Cour constate cependant que les juridictions nationales, au terme d’une motivation très succincte, se sont bornées à relever l’absence d’éléments probants (voir paragraphes 13 et 14). Par conséquent, la Cour ne saurait se fonder sur l’appréciation du risque faite par les juridictions nationales dans la mesure où elle ne dispose, à cet égard, d’aucun élément explicatif. La Cour observe, en outre, que le requérant produit devant elle plusieurs pièces de nature à étayer son grief tiré de l’article 3, qui sont postérieures aux décisions de l’OFPRA et de la CNDA et qui n’ont donc pas pu être examinées par les juridictions internes (voir paragraphe 26). Le Gouvernement insiste, enfin, sur la demande d’asile faite par le requérant, en mars 2010, sous une fausse identité. Pour critiquable que soit un tel comportement, la Cour retient qu’il n’est pas de nature à influer sur le caractère probant des documents fournis par le requérant lors de sa première demande d’asile.

  56. .  La Cour souligne, par ailleurs, que le militantisme actuel du requérant au sein du RNDP, qui n’est pas contesté par le Gouvernement, accentue encore le risque pour le requérant d’être soumis à des mauvais traitements.

  57. .  La Cour estime ainsi, au vu du profil du requérant, des certificats médicaux établissant qu’il a subi des tortures et de la situation passée et actuelle au Tchad, qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’espèce, un risque réel que celui-ci soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de la part des autorités tchadiennes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi.

  58. .  Eu égard à tout ce qui précède, la Cour considère qu’un renvoi du requérant vers le Tchad emporterait violation de l’article 3 de la Convention.
  59. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR


  60. .  La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.
  61. 46.  Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  62. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  63. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  64. .  Le requérant demande 10 000 euros (EUR) pour le préjudice moral subi en raison de son séjour en centre de rétention.

  65. .  Le Gouvernement conteste tant la réalité que le montant, évalué de manière forfaitaire, des prétentions financières du requérant et estime que la constatation éventuelle par la Cour d’une violation suffirait à assurer la réparation du préjudice moral allégué.

  66. .  La Cour considère qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement vers le Tchad constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.
  67. B.  Frais et dépens


  68. .  Le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour. Il sollicite néanmoins 2 000 EUR en remboursement des honoraires qu’il a été contraint d’engager.

  69. .  Le Gouvernement estime que la somme de 1 500 EUR serait raisonnable pour couvrir les frais engagés sous réserve de justification des honoraires d’avocat.

  70. .  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’absence de notes d’honoraires au dossier, la Cour décide de ne rien allouer à ce titre.
  71. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit que, dans l’éventualité de la mise à exécution de la décision de renvoyer le requérant vers le Tchad, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention ;

    3.  Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

     

    4.  Dit que ce constat constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour dommage moral ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Claudia Westerdiek                                                                Mark Villiger
           Greffière                                                                              Président


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