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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> EUSKO ABERTZALE EKINTZA - ACCION NACIONALISTA VASCA (EAE-ANV) v. SPAIN - 40959/09 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 39 (15 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/39.html
Cite as: [2013] ECHR 39

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE EUSKO ABERTZALE EKINTZA -

    ACCION NACIONALISTA VASCA (EAE-ANV) c. ESPAGNE (No 2)

     

    (Requête no 40959/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    15 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV) c. Espagne (no 2),

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Corneliu Bîrsan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 40959/09) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un parti politique, Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV) (« le parti requérant »), a saisi la Cour le 24 juillet 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le parti requérant a été représenté par Me D. Rouget, avocat à
    Saint-Jean-de-Luz, Me A. Araiz Flamarique, avocat à Pampelune, et Mes I. Iruin Sanz et U. Aiartza Azurtza, avocats à Guipúzcoa. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Irurzun Lozano, avocat de l’État.
  3. 3.  Sur le terrain des articles 10 et 11 de la Convention, le parti requérant allègue en particulier que sa dissolution a emporté violation de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association.


  4. .  Le 5 juillet 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant, Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (« EAE-ANV »), est un parti politique basque.

    A.  La genèse de l’affaire

    1.  Histoire du parti requérant jusqu’à la transition démocratique et jusqu’à son intégration dans la coalition électorale Herri Batasuna


  6. .  Le parti requérant fut créé en tant que parti politique le 30 novembre 1930, à Bilbao. Son idéologie se fondait en particulier sur l’affirmation de la spécificité d’Euskal Herria (Pays basque) et de son droit de décider librement de son avenir.

  7. .  Lorsque la Seconde République fut proclamée en Espagne le 14 avril 1931, le parti requérant milita et fit campagne en faveur de l’adoption d’un statut d’autonomie pour le Pays basque. Le 5 novembre 1933, le Parlement espagnol approuva par un vote le statut d’autonomie.

  8. .  En décembre 1976, après la mort du Général Franco, se tint le deuxième congrès du parti. Il avait pour objectif la réorganisation du parti, avec comme orientation la reconnaissance de la personnalité juridico-politique du Pays basque, l’existence d’une unité nationale basque de sept provinces et l’exercice du droit à l’autodétermination dans un cadre de libertés démocratiques. Il fut ainsi décidé que le parti requérant userait de tous les moyens à sa disposition pour que le Pays basque disposât d’un parti socialiste et abertzale (patriote).

  9. .  Le parti requérant commença à exister légalement le 14 avril 1977 avec l’instauration de la démocratie. En juin 1977, il participa aux élections générales au Parlement espagnol. Aucun de ses candidats ne fut élu.
  10. 10.  Lors du quatrième congrès du parti, le 17 décembre 1978, il fut décidé de renforcer le mouvement d’Unité populaire, Herri Batasuna (Herri Batasuna et Batasuna c. Espagne, nos 25803/04 et 25817/04, CEDH 2009), conjointement avec d’autres partis nationalistes de gauche et des personnalités individuelles. Le parti requérant soutint la formation de Herri Batasuna dès le début, tout en soulignant les divergences politiques existant entre les deux formations, mais sans cesser de réitérer son soutien à l’unité nationaliste de gauche.

    2.  L’inscription d’EAE-ANV au registre des partis politiques et ses statuts de 1977


  11. .  Dans les statuts enregistrés en 1977 par le parti politique requérant figurent les indications suivantes : « EAE-ANV est depuis 1930 un parti politique patriotique, à but non lucratif, qui prend en compte des valeurs historiques et traditionnelles des peuples circonvoisins et dont les objectifs sont l’obtention de l’autonomie pour le Pays basque et la constitution, par une action résolue, d’une société équilibrée, démocratique, la plus juste possible et non violente ». Pour parvenir à ces buts, « EAE-ANV (...) s’efforcera, par tout moyen légal possible, de parvenir à toute finalité susceptible de bénéficier au peuple basque, à Euskadi et ses gens, à sa personnalité propre et à son développement ». Le parti requérant fut inscrit au registre des partis politiques du ministère de l’Intérieur.

  12. .  Se fondant sur la loi no 43/1998 du 15 décembre 1998 sur les mesures de restitution ou de compensation en faveur des partis politiques pour les biens et les droits qui leur avaient été retirés en application de la réglementation sur les responsabilités politiques pour la période 1936-1939, le parti requérant réclama au gouvernement espagnol le versement de divers montants concernant plusieurs immeubles et comptes bancaires dont il avait été propriétaire ou titulaire pendant cette période. Il obtint partiellement gain de cause et perçut de l’État un montant global de 695 901,37 euros (EUR) en 2001 et 2003.

  13. .  Lors de son dixième congrès, qui eut lieu le 1er juin 2002, le parti requérant entérina sa décision de ne pas faire partie des structures de Batasuna. Il inscrivit ainsi ses activités de manière autonome et indépendante dans l’espace politique de la gauche abertzale.
  14. Dans ce contexte, par une décision du 28 avril 2007 rendue dans le cadre de la procédure pénale no 35/2002 dans laquelle la partie demanderesse Asociación dignidad y justicia sollicitait la suspension du parti requérant en raison de ses liens avec Batasuna, le juge central d’instruction no 5 rejeta la demande de suspension « en raison de l’absence de liens avec l’ETA-Batasuna ». Il s’exprima dans les termes suivants :

    « a)  ANV n’a été ni créé ni dirigé par l’ETA avant 2001, bien que, puisqu’il faisait partie de la coalition Herri Batasuna (l’un de ses membres était aussi membre de la direction nationale), il aurait pu être instrumentalisé indirectement par l’organisation [ETA], mais il n’y a pas d’indices dans ce sens autres que ceux déjà examinés dans cette procédure.

    b)  ANV n’a pas été soumis à la discipline de l’ETA après 2001 et ne l’est toujours pas, malgré certaines coïncidences ponctuelles dans des objectifs communs (soutien à des thèses électorales de Batasuna, hommages à des militants de l’ETA, opposition à la déclaration d’illégalité ou à la [loi organique sur les partis politiques], etc.), qui ne sont pas suffisantes pour permettre de soutenir sérieusement le contraire.

    c)  Sous réserve de ce qui pourrait résulter d’investigations ultérieures, ANV n’est pas, à ce jour, un instrument de l’ETA-Batasuna, mais un parti politique légal, avec des structures et des activités qui existent réellement et qui fonctionnent, et il ne ressort pas du dossier que ces dernières aient été « phagocytées » par d’autres structures ou organisations illégales.

    d)  Il s’agit d’une formation politique de la gauche abertzale, mais non de la gauche abertzale telle qu’elle a été interprétée et « définie » par l’ETA et Batasuna avec une prétention d’exclusivité, ce qui contredit la réalité de la gauche abertzale à laquelle appartiennent de multiples organisations politiques autres [que l’ETA et Batasuna]. »


  15. .  Par une autre décision du 8 février 2008 rendue contre certains individus dans le cadre d’une autre procédure no 4/2008 entamée pour délits présumés d’intégration d’une organisation terroriste et de collaboration avec un groupe terroriste, le juge central d’instruction prononça, parmi d’autres mesures, la suspension du parti requérant pour une période de trois ans comme l’avait sollicité le ministère public, la clôture de ses locaux et l’interdiction de présenter des candidatures dans les divers scrutins électoraux - y compris les élections législatives générales du 9 mars 2008 - en raison de ses liens avec Batasuna/ETA.
  16. 3.  La loi organique no 6/2002 du 27 juin 2002 portant sur les partis politiques, et la procédure de dissolution des partis politiques Batasuna, Herri Batasuna et Euskal Herritarrok


  17. .  Le 27 juin 2002, le Parlement espagnol adopta la loi organique no 6/2002 sur les partis politiques (« la LOPP »). Cette loi entra en vigueur le lendemain.

  18. .  Par un arrêt du 27 mars 2003, le Tribunal suprême déclara illégaux les partis politiques Batasuna, Herri Batasuna et Euskal Herritarrok, et prononça leur dissolution au motif qu’ils avaient enfreint la LOPP. Un arrêt du 16 janvier 2004 du Tribunal constitutionnel rejeta les recours d’amparo présentés par les formations citées (Herri Batasuna et Batasuna, précité).

  19. .  La procédure de dissolution des trois partis cités ci-dessus ne concernait pas le parti requérant.
  20. B.  L’annulation de certaines candidatures présentées par le parti requérant


  21. .  Pour un exposé détaillé de la procédure d’annulation des candidatures, la Cour renvoie aux paragraphes 17 à 37 de l’arrêt Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV) c. Espagne (nos 51762/07 et 51882/07, 7 décembre 2010).

  22. .  Le 2 avril 2007 furent convoquées pour le 27 mai 2007 des élections locales dans tout l’État espagnol, ainsi que des élections au Parlement de Navarre et aux Conseils généraux des Territoires historiques d’Alava, de Guipúzcoa et de Biscaye.

  23. .  Le 1er mai 2007, les journaux officiels de Navarre, de Biscaye, d’Alava et de Guipúzcoa publièrent les listes approuvées des candidats aux élections susmentionnées, y compris les listes de tous les candidats présentés par le parti requérant aux divers scrutins électoraux.

  24. .  L’avocat général et le procureur général de l’État présentèrent des recours contentieux électoraux contre l’approbation de plusieurs listes de candidats publiées dans les journaux en question et relatives à certaines candidatures présentées par le parti requérant. Par une décision motivée du 5 mai 2007, la chambre spéciale du Tribunal suprême, constituée conformément à l’article 61 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire (« la LOPJ ») accueillit les recours et annula 133 listes de candidats présentées par le parti requérant aux élections du 27 mai 2007. Les candidats des autres listes présentées par le parti requérant purent participer normalement aux élections.

  25. .  Le 9 mai 2007, le parti requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, qui rejeta ce recours par un arrêt du 10 mai 2007.

  26. .  Le parti politique requérant saisit la Cour à cet égard. Le 7 décembre 2010, la Cour rendit son arrêt (Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité).
  27. 24.  Lors des élections du 27 mai 2007, le parti requérant obtint 73 000 voix au Pays basque et 22 000 en Navarre, ce qui en fit la quatrième force politique en nombre de voix au Pays basque (6,77 %) et en Navarre (3,29 %).

    C.  La procédure de dissolution du parti requérant

    1.  Procédure devant le Tribunal suprême

    25.  Le 30 janvier 2008, l’avocat de l’Etat engagea, au nom du gouvernement espagnol, une action devant le Tribunal suprême tendant à la dissolution du parti politique requérant au motif qu’il avait enfreint la nouvelle LOPP car, selon l’avocat, « il avait poursuivi les activités des partis dissous Batasuna, Herri Batasuna et Euskal Herritarrok, ou avait succédé à ceux-ci » (Herri Batasuna et Batasuna, précité).


  28. .  Le 31 janvier 2008, le procureur général de l’Etat introduisit lui aussi une action devant le Tribunal suprême en vue de la dissolution du parti requérant sur le fondement des articles 10 § 2 c) et suivants de la LOPP. Il demandait que ledit parti fût déclaré illégal et radié du registre des partis politiques et il réclamait la cessation immédiate de ses activités, la liquidation de ses biens et, enfin, sa dissolution conformément à l’article 12 § 1 de la LOPP.

  29. .  Le 1er avril 2008, le parti requérant présenta ses observations.

  30. .  Par un arrêt du 22 septembre 2008 rendu à l’unanimité, le Tribunal suprême déclara le parti requérant illégal et prononça sa dissolution au motif qu’il avait « collaboré de façon grave et répétée avec Batasuna, et qu’il avait dès lors soutenu politiquement l’organisation terroriste ETA ». Il fonda sa décision sur l’article 9 § 2 a) et c) combiné avec le paragraphe 3 b), d), f), g) et h) de la LOPP en raison « du soutien politique total et du soutien financier partiel apportés par ANV à l’organisation illégale Batasuna ».
  31. 29.  Le Tribunal suprême reprit pour l’essentiel sa jurisprudence ainsi que la jurisprudence du Tribunal constitutionnel relative aux procédures de dissolution des partis politiques (voir, en particulier, les arrêts du Tribunal constitutionnel du 12 mars 2003, portant sur la constitutionnalité de la LOPP, rendus sur recours d’inconstitutionnalité formé par le gouvernement autonome du Pays basque, et du Tribunal suprême du 27 mars 2003, portant sur la dissolution de Batasuna et Herri Batasuna, dans l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna, précité, §§ 20 et suivants, et §§ 30 et suivants, respectivement) et se référa à l’ordre constitutionnel espagnol qui excluait tout modèle de démocratie militante (paragraphe 38 ci-dessous).


  32. .  Pour conclure à la dissolution du parti requérant, le Tribunal suprême se fonda sur des éléments de preuve démontrant l’existence d’une collaboration entre, d’une part, le parti requérant et, d’autre part, Batasuna et l’organisation terroriste ETA.

  33. .  Il cita en particulier les éléments suivants :
  34. -  la décision motivée du 5 mai 2007 du Tribunal suprême annulant 133 listes de candidats du parti requérant aux élections de 2007 (paragraphe 21 ci-dessus). Le Tribunal suprême avait considéré que Batasuna pouvait avoir inséré dans certaines listes présentées par le parti requérant un nombre de membres suffisant pour poursuivre son action politique par leur intermédiaire (Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité, §§ 26-28). Il avait également estimé qu’on pouvait soupçonner Batasuna, de manière « latente », d’avoir, « à la suite de sa dissolution, passé un accord avec ANV pour que celui-ci le remplaçât dans les conseils municipaux qui seraient constitués à l’issue des élections ». D’après le tribunal, la suspicion quant à l’existence d’un tel accord s’était confirmée au vu du comportement d’EAE-ANV et de Batasuna durant la campagne électorale aux élections du 27 mai 2007 et après la publication des résultats des élections ;

    -  la participation de Batasuna à la campagne électorale du parti requérant : i)  le 8 mai 2007 avait eu lieu à Bilbao le rassemblement d’ouverture de la campagne d’EAE-ANV en présence de trois membres de la direction (mesa) nationale de Batasuna ; ii)  le 12 mai 2007 avait eu lieu une manifestation convoquée par EAE-ANV avec la participation de trois membres de la direction nationale de Batasuna ; iii)  le 13 mai 2007 avait eu lieu à Pampelune une conférence de presse au cours de laquelle l’un des trois membres présents de la direction nationale de Batasuna avait appelé à voter pour EAE-ANV ; iv)  le 17 mai 2007 eut lieu à Llodio la présentation de candidatures d’EAE-ANV à laquelle avait participé un membre historique responsable d’Herri Batasuna, condamné pour ses liens avec KAS (Koordinadora Abertzale Sozialista, organisation satellite de l’ETA), qui avait déclaré se présenter à chaque occasion aux élections « sous des sigles différents, mais au fond toujours les mêmes, à savoir la gauche abertzale » ; v)  EAE-ANV avait distribué une affiche électorale avec le portrait de la mère d’un membre de l’ETA assassiné par les GAL en 1985 (Vera Fernández-Huidobro c. Espagne, no 74181/01, § 9, 6 janvier 2010) déjà utilisée par Herri Batasuna lors des élections générales de 1989 ; vi)  le 24 mai 2007 avait eu lieu à Pampelune une conférence de presse au cours de laquelle une vingtaine de membres de la direction nationale de Batasuna, dirigés par M.O., avait appelé à voter pour EAE-ANV ; vii)  quelques jours avant les élections du 27 mai 2007, les organisations Segi et Askatasuna avaient appelé à voter pour le parti requérant en dénonçant l’annulation d’une partie de ses candidatures ;

    - les déclarations et réactions des dirigeants de Batasuna et d’autres groupes de « la mouvance » ETA et Batasuna à la suite de l’annulation des listes électorales du parti requérant. A cet égard, le Tribunal suprême souligna que, le lendemain, l’organisation terroriste Segi avait émis le communiqué suivant :

    « Écoutez bien ! Le 16, jour où vous ferez la répartition du gâteau, soyez sûrs que vous nous aurez en face de vous, et ne pensez pas que vous pourrez marcher en toute tranquillité dans les rues de notre peuple ; par conséquent, prenez garde à ce que vous faites. »


  35.   Le Tribunal suprême considéra que la confusion de Batasuna et des candidatures du parti requérant se reflétait dans la ligne de conduite politique et institutionnelle suivie par le parti requérant, et dans l’emploi de termes identiques à ceux utilisés par Batasuna et par Segi, qui avaient adopté un ton menaçant sur des affiches apposées à Bilbao sur lesquelles apparaissaient les noms et les photos de certains élus du Parti socialiste d’Euskadi et du Parti nationaliste basque. Selon les déclarations de divers fonctionnaires de police, l’organisation Segi avait considéré que les voix correspondant aux candidatures annulées lui revenaient et elle avait mené une campagne d’intimidation personnelle contre des élus, similaire à celle qui avait été menée après la dissolution de Batasuna en 2003, pour qu’ils n’acceptent pas leurs sièges. Le Tribunal suprême prit en considération à cet égard :
  36. -  l’appropriation par Batasuna et l’ETA des résultats des élections : entre autres, le 27 mai 2007, M.O. était apparu à une conférence de presse pour évaluer les résultats obtenus par EAE-ANV et manifester sa satisfaction pour la gauche abertzale ; le 30 mai 2007, il avait indiqué lors d’une interview sur une chaîne de télévision basque que EAE-ANV « agirait avec responsabilité au sein des institutions pour lesquelles il serait la clé du gouvernement (...) mais sans passer par la condition préalable de la condamnation de la violence ». La position de M.O. consistant à considérer les résultats obtenus par le parti requérant comme ses propres résultats avait aussi été assumée par l’ETA dans une publication de septembre 2007. Quant au parti requérant, il n’avait émis aucune objection ou réserve concernant une telle appropriation des résultats ;

    -  les problèmes relatifs à la constitution du conseil municipal d’Ondarroa : la candidate du parti requérant à la mairie d’Ondarroa avait annoncé le 10 juin 2007, en conférence de presse, que les conseillers non reconnus légalement se présenteraient afin de prendre possession de leurs sièges. Ces personnes brandissaient des pancartes avec l’inscription « Euskal Herria demokrazia zero », déjà utilisée par la direction nationale de Batasuna. Ils avaient empêché effectivement la constitution du conseil municipal à deux reprises, à deux dates différentes ;

    -  la pétition de Batasuna appelant à voter blanc dans les localités où le parti requérant ne pouvait pas présenter de candidature ;

    -  la participation de Batasuna à des manifestations auxquelles avait appelé EAE-ANV pour réclamer les votes obtenus par des candidatures annulées, le 23 juin (manifestation), le 25 juin (conférence de presse à Bilbao annonçant une grève générale et une manifestation pour le lendemain) et le 27 juillet 2007 (rassemblement contre la constitution d’une commission de gestion à la mairie d’Ondarroa, avec participation de membres de la direction nationale de Batasuna) ;

    -  la réaction du parti requérant à la suite de l’attentat contre la caserne de la garde civile à Durango : le parti avait refusé de signer le communiqué condamnant l’attentat qui avait été émis par les forces politiques du conseil municipal et il avait rédigé son propre texte sous le contrôle d’un membre de Batasuna ;

    -  l’intervention du représentant d’EAE-ANV à la suite de l’attentat contre deux gardes civils à Baracaldo, à l’issue de laquelle le maire lui avait demandé expressément de condamner l’attentat et d’exprimer sa solidarité avec les victimes, ce qu’il avait refusé de faire ;

    -  la déclaration dans laquelle le maire d’Hernani (EAE-ANV) avait, après l’attentat du terminal 4 de l’aéroport de Barajas à Madrid, demandé des applaudissements pour deux membres présumés de l’ETA auxquels cet attentat était attribué ;

    -  l’utilisation de symboles et de devises coïncidant avec ceux utilisés par Batasuna ;

    -  le fait que les mairies d’Hernani et d’Elorrio (EAE-ANV) avaient constitué une « commission d’information relative aux prisonniers » politiques et sociaux afin de réunir des informations sur les détenus desdites municipalités, d’analyser leur situation et le niveau de violation de leurs droits, de proposer des solutions ;

    -  le document saisi au domicile d’un membre de Batasuna à l’occasion de la commémoration du manifeste de San Andrés, signé le 30 novembre 2005 par Batasuna, Askatasuna, LAB, Segi et EAE-ANV - le premier étant un parti dissous en raison de son soutien à l’organisation terroriste ETA et Segi une « organisation déclarée terroriste » -, dans lequel était indiqué, entre autres, que Batasuna et EAE-ANV étaient, à ce jour, les deux organisations politiques de la gauche abertzale ;

    -  les hommages rendus par le parti requérant, tous les premiers dimanches de juillet, à des détenus membres de l’ETA ou à des militants d’ETA décédés ; par ailleurs, le 10 janvier 2005, le parti requérant avait exprimé son soutien aux responsables de Jarrai-Haika-Segi inculpés dans une procédure devant le juge d’instruction no 5 près l’Audiencia nacional ; en outre, le 19 janvier 2005, EAE-ANV s’était joint à un hommage rendu à un militant de l’ETA, A., remis en liberté ; le 8 février 2006, EAE-ANV avait exprimé son soutien à une manifestation appelée par Askatasuna à Saint-Sébastien à l’occasion du 25e anniversaire du décès d’un militant de l’ETA ;

    -  les activités du parti requérant complémentaires à celles de l’ETA et de Batasuna, telles que le soutien à certains événements organisés par ou avec l’intervention de membres de Batasuna, d’Askatasuna, de Segi, etc. ;

    -  la campagne contre le passage du train à grande vitesse par le Pays basque auquel s’opposaient fermement l’ETA, Batasuna et d’autres organisations proches, à laquelle le parti requérant s’était rallié et qui consistait notamment en des dénonciations, des déclarations, des attaques contre des machines ou des installations des entreprises du secteur, revendiquées par l’ETA en mai 2008, ainsi qu’en le refus par des municipalités dirigées par le parti requérant d’exproprier des terrains.


  37. .  Le Tribunal suprême considéra également que la collaboration financière entre le parti requérant et le parti dissous Batasuna était établie, sur la base, entre autres, des éléments de preuve suivants :
  38. -  le procès-verbal relatif à la situation financière du parti requérant daté du 13 juin 2007 et retrouvé lors d’une perquisition au siège du Partido comunista de las tierras vascas de Belartza de Usúrbil, ainsi que d’autres objets et documents tels que des tampons encreurs avec le logo d’EAE-ANV et des documents du premier parti avec le logo du second, des informations quant aux codes secrets d’accès et aux signatures pour l’utilisation des comptes en ligne du parti requérant, un classeur avec des carnets de chèques et des copies des contrats d’ouverture de comptes du parti requérant, diverses factures établies au nom de membres de Batasuna ou de sa direction nationale pour des frais de campagne et de location de salles et payées sur le compte du parti requérant ;

    -  les prêts obtenus quelques jours après le 7 septembre 2007 par le parti requérant pour faire face à des frais liés à la campagne électorale et dont le montant a ensuite été transféré au Partido comunista de las tierras vascas ;

    -  la tirelire trouvée dans un local du parti requérant à Portugalete, destinée à l’argent recueilli pour Segi, déclarée organisation terroriste par un arrêt du Tribunal suprême du 19 janvier 2007 ;

    -  les paiements effectués par le parti requérant à diverses sociétés telles que la société chargée d’imprimer le matériel de propagande de Batasuna, à des personnes en rapport avec Batasuna ou à une personne ayant un casier judiciaire en raison de son appartenance à l’ETA (responsable de la formation de commandos et de la structure logistique de l’ETA).

    34.  Sur la base de ces éléments de preuve, le Tribunal suprême estima que les activités du parti politique requérant répondaient à « une parfaite coordination entre EAE-ANV, Batasuna et Segi ». Selon le tribunal, les comportements reprochés au parti requérant répondaient aux critères définis à l’article 9 § 2 c) de la LOPP combiné avec le paragraphe 3 b) de cet article dès lors que ce parti avait soumis les élus « à un climat d’intimidation afin de les empêcher de s’exprimer librement et de participer librement aux conseils municipaux auxquels ils avaient été élus démocratiquement ». Le Tribunal suprême indiqua que le parti requérant était « un parti politique ayant fini par collaborer de façon grave et répétée avec Batasuna, soutenant par conséquent politiquement l’organisation terroriste ETA, ce qui correspondait au critère de dissolution prévu à l’article 9 § 2 c) de la LOPP combiné avec le paragraphe 3 f) de cet article.


  39. .  S’agissant de la collaboration existant au niveau financier entre le parti requérant et Batasuna, le Tribunal suprême considéra que celle-ci entrait dans les critères visés à l’article 9 § 2 c) de la LOPP combiné avec le paragraphe 3 f) et g) de cet article, dans la mesure où les faits démontraient le soutien politique total et le soutien financier partiel apportés par le parti requérant à l’organisation illégale Batasuna.
  40. 36.  Le Tribunal suprême nota par ailleurs que l’article 9 § 2 a) de la LOPP se référait au comportement d’un parti politique qui justifiait ou excusait les atteintes contre la vie ou l’intégrité physique des personnes et renvoya aux trois attentats perpétrés entre les élections de mars 2007 et la présentation des demandes de dissolution du parti requérant par l’avocat de l’Etat et le procureur général de l’Etat, attentats qui avaient fait de nombreuses victimes et n’avaient pas été condamnés par le parti requérant. Il observa que le parti requérant avait également participé à des activités tendant à récompenser ou rendre hommage à des actions terroristes, comportement visé à l’article 9 § 3 h) de la LOPP, et il mentionna enfin l’utilisation par des membres du parti requérant de symboles, d’affiches, de slogans ou autres qui démontraient la confusion dudit parti avec l’organisation terroriste ETA.

    2.  Recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel


  41. .  Le parti politique requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo contre l’arrêt du Tribunal suprême. Il estimait que son droit à la liberté d’association en relation avec son droit à la liberté d’expression et de pensée avait été violé du fait de sa dissolution. Il se référait amplement à cet égard à la jurisprudence de la Cour.

  42. .  Par un arrêt du 29 janvier 2009 rendu à l’unanimité, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours. Après un examen détaillé des causes de dissolution appréciées par le Tribunal suprême et d’une réponse individualisée à chacun des motifs soulevés par le parti requérant dans son recours d’amparo, le Tribunal constitutionnel rappela ce qui suit :
  43. « (...) notre ordre constitutionnel n’admet pas un modèle de « démocratie militante » (...), c’est-à-dire un modèle dans lequel s’imposent non seulement le respect mais aussi l’adhésion positive à l’ordre établi et, en tout premier lieu, à la Constitution. (...) La [LOPP] n’admet nullement ce modèle de démocratie. Dès l’exposé des motifs, elle pose le principe d’une distinction entre les idées et les fins proclamées par un parti politique, d’une part, et ses activités, d’autre part, et souligne que « les seules fins explicitement bannies sont celles qui donnent lieu à un délit pénal », de sorte que « tout projet ou objectif est considéré comme compatible avec la Constitution sauf s’il est soutenu par une activité portant atteinte aux principes démocratiques ou aux droits fondamentaux des citoyens ». En conséquence, pour ce qui est de l’aspect qui nous intéresse plus particulièrement ici, la loi considère justement comme une cause de déclaration d’illégalité tout « comportement », c’est-à-dire tout agissement des partis politiques qui, par leur activité et non pas par le biais des finalités figurant dans leurs programmes, portent atteinte aux exigences de l’article 6 de la Constitution, que la loi mise en cause ne fait que préciser. »


  44. .  Le Tribunal constitutionnel rappela qu’il avait conclu dans son arrêt du 10 mai 2007 relatif à l’annulation de certaines candidatures du parti requérant (Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité) que « le fait qu’une bonne partie des candidatures présentées par le parti requérant relev[ait] d’une manœuvre frauduleuse a été confirmé » bien que « la trame frauduleuse ne coïncid[ât] pas avec la direction formelle du parti, [de sorte que] sa dissolution aurait pu être disproportionnée ». Il avait ajouté toutefois que l’identification d’un nombre significatif de candidatures frauduleuses pouvait servir à démontrer dans le futur la continuité idéologique de Batasuna à travers EAE-ANV, mais uniquement si d’autres circonstances susceptibles de démontrer cette continuité de manière suffisante et raisonnable étaient réunies. D’après l’arrêt a quo, ces circonstances étaient maintenant réunies et accréditées. Le Tribunal constitutionnel releva que le Tribunal suprême avait pris en compte les éléments suivants pour conclure à « la volonté d’EAE-ANV de se présenter publiquement devant ses électeurs comme un parti étant en accord complet et collaborant pleinement avec le parti dissous Batasuna » : la présence constante de membres de Batasuna dans la campagne électorale d’EAE-ANV et dans des actes publics de présentation des candidatures d’EAE-ANV ; l’appel de Batasuna à voter pour EAE-ANV par le biais de manifestations, conférences de presse et affiches ; les réactions de certains dirigeants de Batasuna et d’autres groupes de la mouvance de l’ETA à la suite de l’annulation des candidatures électorales d’EAE-ANV ; enfin, la célébration des résultats des élections, « revendiquant pour EAE-ANV, par Batasuna et même par l’ETA, des voix que, selon eux, le parti requérant aurait obtenues si une partie de ses listes de candidats n’avait pas été annulée, en particulier dans la « campagne visant au boycott de la constitution des conseils municipaux dans les villages où EAE-ANV n’avait pas pu présenter » de candidatures, à laquelle « ont participé activement des représentants d’EAE-ANV ainsi que des membres de Batasuna » et dans le cadre de laquelle ils ont exercé de graves pressions sur les candidats élus.
  45. 40.  A ces faits s’ajoutait, selon l’arrêt du Tribunal suprême, l’existence d’une relation financière entre EAE-ANV et Batasuna/ETA, qui démontrait que les membres de ce dernier avaient intégré le parti requérant, et qui établissait le soutien politique total et le soutien financier partiel apportés par EAE-ANV à l’organisation illégale Batasuna. Le Tribunal constitutionnel souligna en outre la position d’EAE-ANV, constatée par le Tribunal suprême dans l’arrêt a quo, « face à certains attentats terroristes en particulier et en relation avec l’activité de l’ETA en général ». Il rappela à cet égard avoir jugé que, si le refus de condamner expressément le terrorisme ne pouvait être considéré en soi comme étant un indice suffisant pour accréditer une volonté frauduleuse de dissolution judiciaire d’un parti politique, l’existence d’une condamnation explicite du terrorisme était un contre-indice capable de remettre en cause la réalité d’une telle volonté (Aukera Guztiak c. Espagne, no 36623/05 (déc.), § 22, 9 février 2010).

    Le Tribunal suprême estima de façon motivée et dénuée d’arbitraire que le parti requérant n’avait pas condamné le terrorisme « explicitement et sans réserve » ce qui « aurait constitué un contre-indice suffisant pour renverser d’autres éléments de preuve qui raisonnablement fond[aient] la conviction judiciaire de ce qu’un parti agi[ssait] comme un simple instrument de la violence terroriste ».


  46.   Dans ce contexte, le Tribunal constitutionnel se référait aux paragraphes suivants de son arrêt rendu le 16 janvier 2004 dans l’affaire Batasuna (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 46) :
  47. « Le refus d’un parti politique de condamner des attentats terroristes peut s’analyser, dans certains cas, en un « soutien politique [...] tacite au terrorisme », ou en une légitimation d’« actions terroristes à finalités politiques », dans la mesure où il peut excuser le terrorisme ou en minimiser la signification. Les phrases entre guillemets sont des expressions de l’article 9 § 3 a) LOPP dans lequel [...] s’insère sans difficulté le refus examiné. L’absence de condamnation des actions terroristes constitue aussi une manifestation tacite ou implicite d’une certaine position face à la terreur. [...] Dans un contexte de terrorisme régnant depuis plus de trente ans, dont les responsables ont toujours légitimé la terreur en invoquant l’équivalence de nature entre les forces opposées et en la présentant comme la seule solution possible à un prétendu conflit historique, le refus d’un parti de condamner un attentat terroriste, qui reflète indéniablement la volonté de ce parti de se démarquer de la réaction d’opprobre que les actes de ce genre suscitent chez les autres partis, est d’autant plus significatif qu’il s’inscrit dans le positionnement d’un parti qui a cherché à faire passer le phénomène terroriste pour une réaction inévitable face à l’agression passée et injuste de l’État frappé par la terreur.

    Tout comme dans le cas décidé par l’arrêt du 16 janvier 2004, il a aussi été maintenant prouvé dans la procédure a quo que le refus de condamner [des actes terroristes], combiné à des actes et à des comportements graves et réitérés, permet de conclure à un accommodement avec la terreur allant à l’encontre de la coexistence organisée dans le cadre d’un État démocratique. »


  48. .  Le Tribunal constitutionnel considéra comme établie l’existence de « la relation entre, d’une part, le parti requérant et, d’autre part, l’organisation terroriste ETA et le parti déclaré illégal Batasuna ». Il estima que l’arrêt attaqué était le résultat d’un processus judiciaire dans le cadre duquel des éléments de preuve suffisants sur les activités et les comportements du parti requérant avaient été proposés et examinés, dans le respect des droits de la défense de l’intéressé. Il estima que le tribunal a quo avait explicité les différents éléments de preuve figurant au dossier et le poids de chacun d’entre eux et qu’il avait procédé à leur appréciation par rapport aux faits déclarés établis. Considérant que la décision du Tribunal suprême en faveur de la dissolution du parti requérant n’était ni arbitraire ni erronée, mais qu’elle revêtait un caractère raisonnable et prenait en considération tous les intérêts et les droits en conflit, le Tribunal constitutionnel conclut que la dissolution du parti politique requérant n’avait pas emporté violation de droits fondamentaux matériels, en particulier du droit d’association politique (articles 22 et 6 de la Constitution), du droit à la liberté de conscience (article 16 § 1 de la Constitution) et du droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution). Il rejeta donc le recours d’amparo.
  49. D.  Autres procédures


  50. .  Par un jugement du 18 février 2010 confirmé par un arrêt du Tribunal supérieur de justice du Pays basque du 6 avril 2011, le juge du contentieux administratif de Saint-Sébastien estima que la constitution d’une « commission d’information relative aux prisonniers » ne pouvait pas être considérée comme un motif valable de dissolution d’un parti politique.
  51. II.  LE DROIT INTERNE ET LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS


  52. .  La Cour renvoie à la partie relative au droit interne et au droit international de l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna, précité. Elle se limitera à reproduire ici l’article 9 de la loi organique 6/2002 du 27 juin 2002 sur les partis politiques (LOPP), qui se lit comme suit :
  53. « 1.  Les partis politiques exercent librement leurs activités. Dans l’exercice de leurs activités, ils doivent respecter les valeurs constitutionnelles exprimées dans les principes démocratiques et les droits de l’homme. Ils remplissent les fonctions qui leur sont constitutionnellement attribuées de façon démocratique et dans le plein respect du pluralisme.

    2.  Un parti politique est déclaré illégal lorsque, par ses activités, il porte atteinte aux principes démocratiques, notamment lorsqu’il vise à travers elles à altérer ou à détruire le régime de libertés, à faire obstacle au système démocratique ou à y mettre fin, en se livrant de façon réitérée et grave à l’un quelconque des comportements décrits ci-après :

    a)  violer systématiquement les libertés et les droits fondamentaux en encourageant, en justifiant ou en excusant les atteintes contre la vie ou l’intégrité des personnes, ou l’exclusion ou la persécution de celles-ci en raison de leur idéologie, de leur religion, de leurs croyances, de leur nationalité, de leur race, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle ;

    b)  fomenter, favoriser ou légitimer la violence comme méthode permettant la réalisation d’objectifs politiques ou la suppression des conditions requises pour l’exercice de la démocratie, du pluralisme et des libertés politiques ;

    c)  accompagner et appuyer politiquement l’action d’organisations terroristes en vue de la réalisation de leurs objectifs visant à perturber l’ordre constitutionnel ou à troubler gravement la paix publique, soumettre les pouvoirs publics, certaines personnes ou certains groupes de la société ou la population en général à un climat de terreur, ou contribuer à accroître les effets de la violence terroriste et de la peur et de l’intimidation qui en découlent.

    3.  Les circonstances décrites au paragraphe précédent sont réputées réunies lorsqu’il y a répétition ou accumulation, par un parti politique, de l’un ou de plusieurs des comportements suivants :

    a)  apporter un soutien politique exprès ou tacite au terrorisme en légitimant le recours à des actions terroristes à finalités politiques hors des voies pacifiques et démocratiques, ou en les excusant et en minimisant leur signification et la violation des droits fondamentaux qui en découlent ;

    b)  accompagner l’action violente par des programmes et des actions favorisant une culture d’affrontement et de confrontation civile liée à l’activité des terroristes ou de ceux qui ont recours à l’intimidation ; faire renoncer, neutraliser ou isoler socialement ceux qui s’opposent à cette action violente, en leur imposant dans leur vie quotidienne un climat de contrainte, de peur, d’exclusion ou de privation des libertés et, en particulier, de la liberté d’exprimer leurs opinions et de participer de façon libre et démocratique aux affaires publiques ;

    c)  intégrer de façon régulière dans ses organes de direction ou dans ses listes électorales des personnes condamnées pour des infractions de terrorisme et n’ayant pas rejeté publiquement les finalités et les moyens terroristes, ou compter parmi ses membres un grand nombre de personnes militant également dans des organisations ou des entités liées à un groupe terroriste ou violent, sauf s’il a pris contre eux des mesures disciplinaires en vue de leur exclusion ;

    d)  utiliser comme instruments de son activité, conjointement avec les siens ou à la place de ceux-ci, des symboles, messages ou éléments qui représentent ou symbolisent le terrorisme ou la violence et les comportements associés au terrorisme ;

    e)  abandonner aux terroristes ou à ceux qui collaborent avec eux les droits et prérogatives que l’ordre juridique et, en particulier, le droit électoral accordent aux partis politiques ;

    f)  collaborer de manière habituelle avec des entités ou des groupes qui agissent de façon systématique en accord avec une organisation terroriste ou violente ou qui protègent ou soutiennent le terrorisme ou des terroristes ;

    g)  soutenir, à partir des institutions de gouvernement, les entités mentionnées au paragraphe précédent par des mesures administratives, économiques ou de tout autre ordre ;

    h)  promouvoir ou couvrir des activités qui ont pour objet de récompenser, rendre hommage ou distinguer des actions terroristes ou violentes ou ceux qui les commettent ou y collaborent ou y participer ;

    i)  couvrir des actions de désordre, d’intimidation ou de coercition sociale liées au terrorisme ou à la violence.

    4.  Pour apprécier et évaluer les activités auxquelles se réfère le présent article et la continuité ou la répétition de celles-ci dans le cadre du parcours d’un parti politique, même si celui-ci a changé de nom, il sera tenu compte des décisions, documents et communiqués du parti, de ses organes et de ses groupes parlementaires et municipaux, du déroulement de ses actes publics et de la manière dont il appelle les citoyens à se mobiliser, des manifestations, des interventions et engagements publics de ses dirigeants et des membres de ses groupes parlementaires et municipaux, des propositions formulées au sein des institutions ou en dehors de celles-ci ainsi que de la répétition significative, par ses membres ou ses candidats, de certains comportements ;

    Il sera également tenu compte des sanctions administratives frappant le parti politique ou ses membres et des condamnations pénales de ses dirigeants, candidats, cadres élus ou membres pour des infractions énumérées aux Titres XXI à XXIV du code pénal et qui n’ont pas donné lieu à des mesures disciplinaires conduisant à l’exclusion des intéressés. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION


  54. .  Le parti requérant allègue que sa dissolution a emporté violation de son droit à la liberté d’expression et de son droit à la liberté d’association. Il se plaint du caractère non accessible et non prévisible de la LOPP et du caractère vague des termes de cette loi qui porteraient atteinte au principe de la sécurité juridique. Il dénonce en outre son caractère de loi ad hoc qui aurait pour but la dissolution de l’organisation politique basque Batasuna et d’autres organisations telles que EAE-ANV, présumées être dans la continuité de Batasuna, alors même que la possibilité de dissoudre une association illicite était déjà prévue par le code pénal. Il conteste l’application rétroactive de ladite loi et l’absence de but légitime de sa dissolution et soutient que cette mesure avait pour objectif d’éliminer le courant indépendantiste basque de la vie politique et démocratique. Il estime que la mesure prise contre lui n’était pas nécessaire dans une société démocratique et qu’elle a porté atteinte au principe de proportionnalité. Le parti requérant invoque l’article 11 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :
  55. « 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association (...)

    2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  56. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  57. B.  Sur le fond

    1.  Sur l’existence de l’ingérence


  58. .  Le Gouvernement reconnaît que la dissolution du parti politique requérant s’analyse en une ingérence dans l’exercice par celui-ci de son droit à la liberté d’association. C’est également l’avis de la Cour.
  59. 2.  Sur la justification de l’ingérence


  60. .  Pareille ingérence enfreint l’article 11, sauf si elle était « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
  61. a)  « Prévue par la loi »


  62. .  En ce qui concerne la prévisibilité de la loi, le Gouvernement affirme que la dissolution du parti requérant est fondée, ainsi que l’a précisé le Tribunal suprême, sur une loi existante, accessible et prévisible, à savoir la LOPP dans son article 9 §§ 2 a), c) et 3 b), d), f) et g), que la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner (Herri Batasuna et Batasuna, précité, Herritaren Zerrenda c. Espagne, no 43518/04, 30 juin 2009, Aukera Guztiak, décision précitée, et Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité).

  63. .  Le parti requérant ne formule pas d’observations à cet égard et renvoie aux arguments de sa Requête, dans laquelle il soutenait que la LOPP ne remplissait pas les conditions de prévisibilité et de stabilité qui seraient exigées par la jurisprudence de la Cour et qu’elle avait été appliquée de façon rétroactive. Elle serait ainsi contraire au principe de sécurité juridique.

  64. .  La Cour considère que les arguments exposés aux paragraphes 56 à 60 de l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna susmentionné quant la prévisibilité de la LOPP sont applicables à la présente affaire. Par conséquent, elle estime que l’ingérence en question était « prévue par la loi » et qu’il convient dès lors d’examiner les reproches formulés par le parti requérant contre la mesure incriminée sous l’angle de la nécessité de l’ingérence litigieuse.
  65. b)  « But légitime »


  66. .  Le parti requérant alléguait dans sa Requête que sa dissolution visait à éliminer le courant politique indépendantiste basque de la vie politique et démocratique.

  67. .  Pour sa part, se référant entre autres au paragraphe 81 de l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna, précité, le Gouvernement soutient que la dissolution était un moyen d’empêcher raisonnablement la réalisation d’un projet politique, selon lui incompatible avec les normes de la Convention, avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays.

  68. .  La Cour considère que le parti requérant n’a pas démontré que sa dissolution était motivée par d’autres raisons que celles fournies par les juridictions internes. Elle estime que la dissolution poursuivait plusieurs des buts légitimes énumérés à l’article 11 de la Convention, notamment le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui.
  69. c)  Nécessité dans une société démocratique et proportionnalité de la mesure

    i.  Thèses des parties


  70. .  Le parti requérant indique que le Tribunal constitutionnel avait reconnu dans son arrêt du 10 mai 2007 qu’il n’avait pas pris la succession du parti dissous et que le procureur général de l’État et l’avocat de l’État s’étaient d’abord bornés à demander l’annulation de certaines de ses listes de candidats aux élections locales de 2007 (Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité). Il se réfère aux motifs pour lesquels le Tribunal suprême, dans son arrêt rendu le 22 septembre 2008, a prononcé sa dissolution et, notamment, à celui concernant la constitution, par la municipalité d’Hernani, d’une « commission d’information relative aux prisonniers » à laquelle se serait opposé l’avocat de l’État. Il souligne que, par un jugement du 18 février 2010 confirmé par un arrêt de la Chambre du Tribunal supérieur de justice du Pays basque du 6 avril 2011, le juge du contentieux administratif de Saint-Sébastien a estimé que la constitution d’une telle commission ne pouvait pas être considérée comme un motif valable de dissolution d’un parti politique.

  71. .  Le parti requérant se réfère par ailleurs au texte de ses statuts (paragraphe 11 ci-dessus) et, en particulier, au rejet de la violence qu’ils énonceraient. Il indique dans sa Requête avoir préservé son indépendance (paragraphe 13 ci-dessus) mais aussi sa proximité idéologique avec les messages de Batasuna, ce qui l’aurait amené à recueillir les voix - lors des élections de 2007 et de 2008 - d’une partie de la population qui aurait perdu, avec la dissolution de certains partis politiques, son référent électoral dans la gauche abertzale.
  72. 57.  S’agissant des faits qui ont été considérés comme des motifs de dissolution dans l’arrêt en question, le parti requérant formule dans sa Requête les observations suivantes :

    -  la participation de membres de Batasuna à titre individuel à des manifestations organisées par le parti requérant et la présence de trois membres de la direction nationale de Batasuna à l’ouverture de la campagne d’EAE-ANV le 8 mai 2007 à Bilbao ne peuvent être considérées comme des actes susceptibles d’être reprochés aux membres ou aux dirigeants d’EAE-ANV, tout comme l’appel à voter pour le parti requérant ou à voter pour Batasuna par un bulletin nul ou les déclarations contre l’annulation des listes de candidats du parti requérant faites par des membres de Batasuna à titre individuel ou en tant que membres de la gauche abertzale ;

    -  la « parfaite coordination » (paragraphe 34 ci-dessus) entre Segi, Batasuna et le parti requérant, qui se serait traduite par l’appel de Segi à voter pour le parti requérant, par la diffusion d’affiches menaçantes et la dénonciation de l’annulation d’une partie des candidatures d’EAE-ANV, n’a pas été établie ;

    -  il n’y a pas eu d’appropriation par Batasuna et l’ETA des résultats obtenus par EAE-ANV lors des élections, M.O. ne faisant pas référence, dans la conférence de presse du 27 mai 2007, à Batasuna mais à la gauche abertzale. Il s’agirait en tout état de cause d’une manifestation de sa liberté d’expression, ce qui serait le cas aussi lorsqu’il avait déclaré sur une chaîne de télévision basque que ANV « agirait avec responsabilité au sein des institutions pour lesquelles il serait la clé du gouvernement ». Les commentaires faits par l’ETA sur les résultats obtenus par le parti requérant dans une publication de septembre 2007 constitueraient également l’expression des opinions d’un tiers ;

    -  il n’y a pas eu de problèmes pour la constitution des conseils municipaux par des membres d’EAE-ANV excepté à Ondarroa et l’existence d’actes d’intimidation envers des élus n’a pas été établie ;

    -  les manifestations, rassemblements, conférences de presse et grèves organisés par EAE-ANV ont eu lieu de façon non violente et n’ont pas donné lieu à des poursuites pénales de la part des autorités contre ce parti ;

    -  l’utilisation de symboles et de devises analogues à ceux utilisés par Batasuna se limite à deux cas concrets qui ne suffiraient pas à prouver l’apologie de la violence par le parti requérant.

    58.  Le parti requérant considère que la dissolution d’un parti politique doit se fonder sur l’examen des activités exercées par le parti lui-même et par ses organes, ses membres et ses candidats, et non sur les comportements adoptés ou les documents et affiches émis par des tierces personnes ou des partis politiques autres que le parti politique en cause, tels que des membres de Batasuna, de Segi ou d’Askatasuna. En tout état de cause, les actions ou les manifestations publiques menées durant la campagne électorale ou en rapport avec celle-ci auraient été protégées par le droit à la liberté d’expression dans le cadre de l’activité politique électorale, et n’auraient pas constitué une menace pour le système démocratique ni pour les libertés publiques des citoyens.


  73. .  S’agissant de la collaboration financière considérée comme établie entre le parti dissous et lui-même, le parti requérant précise que les documents le concernant et les factures retrouvées au siège du Partido comunista de las tierras vascas (lui aussi déclaré illégal et dissous par un arrêt du Tribunal suprême du 22 septembre 2008) à Usurbil ainsi que l’utilisation par le premier parti du siège du second traduiraient l’existence d’une simple collaboration entre deux partis à l’idéologie voisine. S’agissant des affirmations selon lesquelles EAE-ANV soutiendrait financièrement Batasuna, le parti requérant affirme que les fonds, d’un montant insignifiant, ont contribué à la tenue des conférences de presse - non interdites - par des membres de Batasuna, conférences qui, malgré la dissolution du parti, ont eu lieu pendant le cessez-le-feu accordé par l’ETA entre mars 2006 et juin 2007. Pour le parti requérant, la relation financière présumée n’a aucunement servi à soutenir l’activité d’organisations terroristes.

  74. .  S’agissant de son comportement face aux attentats terroristes et aux activités de l’ETA, le parti requérant indique que Jarrai-Haika et Segi n’ont été considérées comme des organisations terroristes qu’en 2007 ; que l’hommage à A. auquel EAE-ANV s’était joint n’était pas un hommage à un militant de l’ETA, A. ayant été acquittée du délit de collaboration avec une organisation terroriste ; que la manifestation du 8 février 2006 célébrait le 25e anniversaire du décès d’un militant de l’ETA à la suite des mauvais traitements que lui auraient infligés des policiers pendant sa détention en 1981, comme cela aurait été établi par un arrêt du Tribunal suprême du 25 septembre 1989 ; que la décision des conseillers municipaux d’EAE-ANV de Durango et de Baracaldo de ne pas condamner des attentats était protégée par le droit au respect de la liberté d’expression et que les conseillers d’EAE-ANV de ces deux municipalités avaient désapprouvé la commission des assassinats dans des textes alternatifs et que la « commission d’information relative aux prisonniers » d’Elorrio n’était pas destinée aux détenus ou condamnés pour des délits de terrorisme. Le parti requérant se réfère également à la jurisprudence de la Cour et argüe que, selon celle-ci, les incitations ou invitations prônant ou soutenant la violence et le terrorisme doivent être expresses, ce qui ne serait pas le cas dans la présente affaire.

  75. .  Le parti requérant confirme enfin qu’il condamne expressément la violence dans ses statuts. Il estime que l’analyse de ses comportements tels qu’ils ont été décrits ne peut justifier une mesure aussi sévère que la dissolution. Selon lui, la marge d’appréciation laissée par la LOPP aux autorités publiques, notamment aux juridictions internes, est incompatible avec l’article 11 de la Convention.

  76. .  Le 23 mai 2011, le parti requérant a présenté devant la Cour un document faisant état de la décision adoptée par l’ETA le 10 janvier 2011 de déclarer le « cessez-le-feu unilatéral, permanent, général et vérifiable par la communauté internationale ». Il estimait que « les institutions et les membres du Conseil de l’Europe [devaient] être informés de cette décision qui suscite un grand espoir au sein de la population du Pays basque ». S’agissant du contentieux des partis politiques et des élections au Pays basque, il soulignait que la LOPP continuait cependant d’exister et de s’appliquer. Dans ses observations du 14 février 2012, le parti requérant ajoutait que, le 20 octobre 2011, l’ETA avait annoncé « la fin définitive de son action armée » et il estimait que sa Requête devait être examinée à la lumière de ce nouveau contexte.

  77. .  Le Gouvernement estime pour sa part que la mesure incriminée répondait au besoin impérieux de préserver la démocratie dans la société espagnole. Il énumère plusieurs éléments justifiant l’adoption d’une mesure aussi grave, à savoir l’intégration sur les listes du parti requérant de certains candidats de Batasuna pour contrer les effets de la dissolution de celui-ci, les actes d’intimidation envers des élus dans des localités où des candidatures du parti requérant avaient été déclarées illégales, rendant impossible la constitution de certains conseils municipaux, les actes de soutien explicite ou tacite au terrorisme et le refus réitéré de condamner les attentats commis après les élections locales de 2007, ce qui s’analyse, aux yeux du Gouvernement, comme un soutien tacite au terrorisme et serait suffisant en soi pour justifier la dissolution (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 88). Pour le Gouvernement, ces éléments montrent que les actes et les discours imputables au parti politique requérant forment un tout donnant une image nette du modèle de société conçu et prôné par celui-ci, qui serait en contradiction avec le concept de « société démocratique » (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 91).

  78. .  Par ailleurs, le Gouvernement estime que les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu. Il rappelle que les autorités espagnoles ont choisi en premier lieu de demander l’annulation des candidatures du parti requérant pour lesquelles les liens de connexion avec les partis politiques dissous auraient été les plus évidents, sans réclamer la dissolution. Après les élections de 2007, les dirigeants du parti requérant auraient entamé des actions manifestant clairement ses liens avec les partis dissous. Le Gouvernement estime que pareille ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’association du parti requérant était proportionnée au but poursuivi dans la mesure où elle aurait répondu à des comportements incompatibles avec la conception de la société démocratique et susceptibles de nuire gravement à son développement, spécialement au Pays basque.

  79. .  Le Gouvernement précise que le parti requérant a maintenu son soutien formel et organique au parti Herri Batasuna entre décembre 1978 et le 23 juin 2003, date qui est postérieure à la dissolution de Batasuna et de Herri Batasuna. Pendant les trois années qui ont suivi, le parti requérant n’aurait eu aucune activité politique publique. Ce n’est qu’après l’échec d’autres tentatives de continuer l’activité de Batasuna par le biais de formations telles que Herritarren Zerrenda (Herritaren Zerrenda, précité), Aukera Guztiak (Aukera Guztia, décision précitée) ou qu’après l’obtention de résultats insatisfaisants (Partido comunista de las tierras vascas) que le parti requérant aurait entamé sa « renaissance » publique en 2007.

  80. .  Le Gouvernement se réfère au document du 23 mai 2011, cité par le parti requérant, faisant état de la nouvelle situation au Pays basque et indique que la Cour doit se prononcer sur la compatibilité des décisions rendues par les juridictions espagnoles avec la Convention au moment où elles ont été adoptées. Parmi les circonstances à l’origine de cette « nouvelle situation » annoncée par le parti requérant, le Gouvernement observe que des personnes de « la mouvance » du parti dissous Batasuna ont constitué un nouveau parti politique, Sortu, dont l’examen de la légalité était pendant

  81. devant le Tribunal constitutionnel. Ce nouveau parti politique aurait adopté des nouveaux statuts proclamant son éloignement des méthodes violentes pour la réalisation de ses objectifs politiques. Il aurait manifesté sa volonté de se différencier de ses modèles d’organisation précédents et aurait ainsi reconnu implicitement que ces tentatives avaient un lien avec le parti dissous et le terrorisme. Le Gouvernement estime que ce qui précède aurait dû conduire le parti requérant à demander que l’affaire fût rayée du rôle. Il fait référence au paragraphe suivant des statuts du parti Sortu :

    « Le nouveau projet politique et organisationnel de la gauche abertzale implique la rupture avec les modèles d’organisation et les manières de fonctionner que cet espace social et politique a utilisés dans le passé et, par conséquent, avec les liens de dépendance auxquels les modèles cités donnaient lieu. Il s’agit donc d’empêcher son instrumentalisation par des organisations qui pratiquent la violence ou par des partis politiques déclarés illégaux et dissous en raison de leur connivence avec [la violence]. »

    ii.  Appréciation de la Cour

    67.  Pour un exposé détaillé des principes généraux applicables en l’espèce, la Cour renvoie aux paragraphes 74 à 84 de l’arrêt Herri Batasuna et Batasuna (précité).


  82.   La Cour rappelle qu’elle n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas que la Cour doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c. Roumanie, no 46626/99, § 49, CEDH 2005-I).

  83. .  Se tournant vers les faits de la présente espèce, la Cour observe en premier lieu que les statuts du parti requérant, qui était inscrit au registre des partis politiques du ministère de l’Intérieur, le définissaient comme un parti politique patriotique dont les objectifs étaient « l’obtention de l’autonomie pour le Pays basque et la constitution, par une action résolue, d’une société équilibrée, démocratique, la plus juste possible et non violente ». Toujours selon les statuts, « EAE-ANV (...) s’efforcera, par tout moyen légal possible, de parvenir à toute finalité susceptible de bénéficier au peuple basque, à Euskadi et ses gens, à sa personnalité propre et à son développement » (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour observe également que, lors de son dixième congrès tenu en 2002, le parti requérant a ratifié sa décision de ne pas faire partie des structures de Batasuna et d’agir dans l’espace politique de la gauche abertzale de façon autonome et indépendante du parti dissous. En bref, pour parvenir à des objectifs qui sont ceux de l’idéologie abertzale, le parti requérant promeut donc, d’après ses statuts, une action tendant à la constitution par tout moyen possible d’une société démocratique et non violente.

  84. .  La Cour estime que c’est dans les statuts d’un parti politique que sont exposés l’idéologie et les objectifs du parti ainsi que les instruments et les méthodes d’action permettant de réaliser ses buts. Toutefois, dans la mesure où le parti politique requérant a été déclaré illégal et dissout en raison de sa confusion avec Batasuna et l’organisation terroriste ETA, la Cour se penchera en particulier sur les activités concrètes et des liens éventuels du parti politique requérant avec le parti dissous Batasuna. A cet égard, elle relève que, par une décision du 28 avril 2007, le juge central d’instruction no 5 a estimé que « ANV n’a[vait] pas été soumis à la discipline de l’ETA après 2001 et ne lui [était] pas soumis, malgré certaines coïncidences ponctuelles (...) qui [n’étaient] pas suffisantes pour permettre de soutenir sérieusement le contraire » et que EAE-ANV n’était pas à l’époque « un instrument de l’ETA-Batasuna, mais un parti politique légal, avec ses structures et ses activités accréditées et en fonctionnement », constituant une « formation politique de la gauche abertzale » différente de la gauche abertzale « telle qu’elle a été interprétée et « définie » par l’ETA et Batasuna ». Cette absence de liens avec l’ETA-Batasuna a toutefois été démentie par une décision ultérieure du même juge en date du 8 février 2008 (paragraphes 13 et 14 ci-dessus).

  85. .  La Cour relève ensuite que, pour prononcer la dissolution litigieuse, le Tribunal suprême a décrit des comportements qui, d’une part, lui ont permis de conclure qu’il existait une collaboration politique entre le parti requérant et ETA/Batasuna et qui, d’autre part, ont favorisé un climat de confrontation civile. Figuraient en premier lieu les comportements traduisant implicitement un soutien aux activités terroristes de l’ETA et, en particulier, l’intégration par Batasuna dans certaines listes de candidats présentées par le parti requérant d’un nombre de ses membres suffisant pour continuer son action politique par leur intermédiaire, question qui a été examinée par la Cour dans son arrêt Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV) (précité, §§ 26-28). La Cour relève par ailleurs que, lors de l’ouverture de la campagne d’EAE-ANV à Bilbao, le 8 mai 2007, ainsi que lors d’une manifestation organisée par le parti requérant, trois membres de la direction nationale de Batasuna étaient présents, et que des membres de Batasuna ont appelé à voter pour EAE-ANV et ont participé de façon active, tout comme des membres de Segi, à sa campagne électorale. Elle note également que Batasuna et l’ETA se sont approprié les résultats des élections sans qu’EAE-ANV n’ait émis aucune objection ou réserve. En outre, elle observe que la confusion entre Batasuna et les candidatures du parti requérant se reflétait dans la ligne de conduite politique et institutionnelle suivie par ce dernier et dans l’emploi de termes menaçants identiques à ceux employés par Batasuna et par Segi sur des affiches apposées à Bilbao sur lesquelles apparaissaient les noms et les photos de certains élus du Parti socialiste d’Euskadi et du Parti nationaliste basque. Il s’agit là de comportements observés après l’annulation de certaines candidatures d’EAE-ANV aux élections au Conseil général de Guipúzcoa, d’Alava et de Biscaye, aux élections municipales au Pays basque et aux élections au Parlement de Navarre du 27 mai 2007 ou pendant la campagne électorale précédant ces élections.

  86.   S’agissant des comportements qui ont favorisé un climat de confrontation civile, la Cour retient en particulier : la campagne d’intimidation menée par Segi contre certains élus pour qu’ils n’acceptent pas leurs sièges ; les problèmes causés lors de la constitution du conseil municipal d’Ondarroa où les conseillers non reconnus légalement s’étaient présentés en vue de prendre possession de leurs sièges en brandissant des pancartes avec un slogan déjà utilisé par la direction nationale de Batasuna, « Euskal Herria demokrazia zero » ; la participation de membres de Batasuna à des manifestations contre la constitution d’une commission de gestion à la mairie d’Ondarroa, organisées par EAE-ANV pour réclamer les votes obtenus par des candidatures annulées ; l’utilisation des symboles et des devises coïncidant avec ceux utilisés par Batasuna ; les hommages rendus par EAE-ANV à des détenus membres de l’ETA ou à des militants de l’ETA décédés ; et, en général, les activités d’EAE-ANV complémentaires de celles de l’ETA et de Batasuna, telles que le soutien apporté à certaines actions organisées par ou avec l’intervention de membres de Batasuna, d’Askatasuna ou de Segi.

  87. .  La Cour tient également compte de l’existence d’une relation financière entre le parti requérant et Batasuna/ETA qui démontrait que les membres de ce dernier avaient intégré le parti requérant, et qui établissait l’existence du soutien politique total et du soutien financier partiel apportés par EAE-ANV à l’organisation illégale Batasuna (paragraphe 40 ci-dessus). Elle estime que les arguments du parti requérant - soutenant que les fonds en cause ont contribué à la tenue de conférences de presse par des membres de Batasuna qui, malgré la dissolution du parti, ont eu lieu pendant le cessez-le-feu accordé par l’ETA entre mars 2006 et juin 2007, et que la relation financière présumée n’avait aucunement servi à soutenir l’activité d’organisations terroristes - ne suffisent pas à établir l’absence de liens existant à cet égard entre ce dernier et le parti dissous ni même à justifier de tels liens.

  88. .  Comme l’ont relevé les juridictions internes, certains des comportements du parti requérant s’apparentent effectivement à un soutien politique total à Batasuna/ETA. A cet égard, la Cour ne peut souscrire à la thèse du parti requérant selon laquelle les comportements retenus par le Tribunal suprême ne correspondaient pas aux critères prévus par la LOPP et susceptibles de motiver la dissolution d’un parti politique. Elle considère en effet que les actes en question doivent s’analyser dans leur ensemble comme s’inscrivant dans une stratégie adoptée par le parti requérant pour mener à bien un projet politique qui est par essence contraire aux principes démocratiques consacrés par la Constitution espagnole (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 87) et qu’ils correspondaient au critère de dissolution défini à l’article 9 § 2 c) de la LOPP combiné avec le paragraphe 3 du même article en ce que le parti requérant avait soumis les élus « à un climat d’intimidation afin de les empêcher de s’exprimer librement et de participer librement aux conseils municipaux auxquels ils avaient été élus démocratiquement ». Par ailleurs, dans l’examen de la présente affaire dans son ensemble, on ne saurait considérer, comme le prétend le parti requérant, que la dissolution d’un parti politique doit être fondée seulement sur l’examen de ses activités et de celles de ses organes, ses membres et ses candidats, et non sur les comportements adoptés ou les documents et affiches émis par des tierces personnes ou des partis politiques autres que le parti politique en cause, tels que des membres de Batasuna, de Segi ou d’Askatasuna, qui relèveraient de la protection accordée à la liberté d’expression dans le cadre de l’activité politique électorale (paragraphe 58 ci-dessus), car les méthodes employées par ces derniers n’ont pas respecté les limites fixées par la jurisprudence de la Convention, à savoir la légalité des moyens utilisés pour exercer ce droit et leur compatibilité avec les principes démocratiques fondamentaux (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 87). La Cour relève également que, selon le Tribunal suprême, le parti requérant était un parti politique ayant collaboré de façon répétée avec Batasuna, complétant et soutenant politiquement, par conséquent, l’organisation terroriste ETA, et qu’il avait apporté un « soutien financier partiel (...) à l’organisation illégale Batasuna », et que ces agissements correspondaient au motif de dissolution visé à l’article 9 § 2 c) de la LOPP combiné avec le paragraphe 3 f) et g) du même article (paragraphes 34 et 35 ci-dessus). En outre, toujours selon le Tribunal suprême, l’article 9 § 2 a) de la LOPP se référait au comportement d’un parti politique qui justifiait ou excusait les atteintes à la vie ou l’intégrité physique des personnes et ne les condamnait pas, et qui participait à des activités tendant à l’apologie d’actions terroristes, comportement visé par l’article 9 § 3 h) de la LOPP, et qui utilisait des symboles, affiches, slogans ou autres traduisant la confusion dudit parti avec l’organisation terroriste ETA (paragraphe 36 ci-dessus).

  89. .  La Cour approuve également les motifs retenus par le Tribunal constitutionnel (paragraphes 39 et suivants ci-dessus) pour conclure à la dissolution du parti requérant. Le Tribunal constitutionnel a rappelé son arrêt du 10 mai 2007 relatif à l’annulation de certaines candidatures du parti requérant (Eusko Abertzale Ekintza - Acción Nacionalista Vasca (EAE-ANV), précité) dans lequel il avait estimé que la dissolution d’EAE-ANV était disproportionnée, « la trame frauduleuse ne coïncid[ant] pas avec la direction formelle du parti ». Il avait toutefois noté que l’identification d’un nombre significatif de candidatures frauduleuses pouvait servir à démontrer dans le futur la continuité idéologique de Batasuna à travers EAE-ANV, mais seulement si d’autres circonstances susceptibles de démontrer cette continuité de manière suffisante et raisonnable étaient réunies. Ces circonstances une fois réunies et vérifiées servaient à conclure, selon le Tribunal constitutionnel, à « la volonté d’EAE-ANV de se présenter publiquement devant ses électeurs comme un parti étant en accord complet et collaborant pleinement avec le parti dissous Batasuna ».

  90.   S’agissant de la position d’EAE-ANV face à certains attentats terroristes en particulier et en relation avec l’activité de l’ETA en général, la Cour relève que le Tribunal suprême ne s’est pas borné à faire état de l’absence de condamnation par le parti requérant des attentats commis par l’ETA. Elle note que le parti requérant s’est référé en particulier à la réaction des conseillers municipaux d’EAE-ANV de Durango et de Baracaldo consistant à ne pas condamner les attentats, même si ces conseillers ont exprimé, dans d’autres textes, leur désapprobation. La Cour prend acte de la jurisprudence constitutionnelle selon laquelle, si le refus de condamner expressément le terrorisme ne peut être considéré en soi comme étant un indice suffisant pour accréditer une volonté frauduleuse de dissolution judiciaire d’un parti politique, l’existence d’une condamnation explicite du terrorisme est un contre-indice capable de remettre en cause la réalité d’une telle volonté (Aukera Guztiak, précité). Elle observe qu’en l’espèce le parti requérant n’a pas exprimé pareille condamnation explicite. En tout état de cause, elle souligne que le fait que la dissolution a aussi été fondée sur l’absence de condamnation n’est pas contraire à la Convention, le comportement des hommes politiques englobant d’ordinaire non seulement leurs actions ou discours, mais également, dans certaines circonstances, leurs omissions ou silences, qui peuvent équivaloir à des prises de position et être aussi parlants que toute action de soutien déclaré (voir, mutatis mutandis, Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 123 et 130, CEDH 2006-IV).

  91. .  La Cour observe enfin que, pour le Tribunal constitutionnel, l’arrêt rendu par le Tribunal suprême était le résultat d’un processus judiciaire dans le cadre duquel des éléments suffisants de preuve sur les activités et les comportements du parti requérant avaient été proposés et examinés dans le respect des droits de la défense de l’intéressé, et les éléments de preuve et le poids de chacun d’entre eux explicités et appréciés par rapport aux faits établis.

  92. .  La Cour, estimant que les juridictions internes sont parvenues en l’espèce à des conclusions raisonnables après un examen approfondi des éléments dont elles disposaient, ne voit aucune raison de s’écarter du raisonnement suivi par le Tribunal suprême pour conclure à l’existence d’un lien entre le parti requérant et Batasuna/ETA.

  93. .  La Cour, renvoyant au paragraphe 90 de son arrêt Herri Batasuna et Batasuna, précité, relatif à la condamnation de l’apologie du terrorisme au plan international, considère que les actes et les discours imputables au parti requérant ainsi que l’apport de son soutien financier partiel à Batasuna/ETA forment un ensemble qui donne une image nette du modèle de société conçu et prôné par lui, qui est en contradiction avec le concept de « société démocratique » (voir, a contrario, l’affaire Partidul Comunistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, précitée). Partant, la sanction infligée au parti requérant par le Tribunal suprême et confirmée par le Tribunal constitutionnel peut raisonnablement être considérée, même dans le cadre de la marge d’appréciation réduite dont disposent les Etats, comme répondant à un « besoin social impérieux » (Herri Batasuna et Batasuna, précité, § 91).

  94. .  Il reste à rechercher si l’ingérence litigieuse était proportionnée au but légitime poursuivi.

  95. .  A cet égard, la Cour rappelle qu’elle vient de constater que l’ingérence en cause répondait à un « besoin social impérieux ». Les projets politiques du parti requérant étant en contradiction avec le concept de « société démocratique » et représentant un grand danger pour la démocratie espagnole, la sanction infligée à l’intéressé est proportionnée au but légitime poursuivi au sens de l’article 11 § 2 (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, §§ 133 et 134, CEDH 2003-II). Il en résulte que la dissolution peut être considérée comme ayant été « nécessaire dans une société démocratique », notamment pour le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 11 § 2.

  96. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à la non-violation de l’article 11 de la Convention.
  97. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION


  98. .  Le parti requérant invoque également l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
  99. « 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

    2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »


  100. .  La Cour estime que les questions soulevées sous l’angle de cet article portent sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 11 de la Convention. Par conséquent, elle ne juge pas nécessaire de les examiner séparément.
  101. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 10 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Marialena Tsirli                                                                   Josep Casadevall
    Greffière adjointe                                                                       Président


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