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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIOBANU v. ROMANIA AND ITALY - 4509/08 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 648 (09 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/648.html
Cite as: [2013] ECHR 648

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CIOBANU c. ROUMANIE ET ITALIE

     

    (Requête no 4509/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Ciobanu c. Roumanie et Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Corneliu Bîrsan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 4509/08) dirigée contre la Roumanie et l’Italie, et dont un ressortissant roumain, M. Costel Ciobanu (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me E. Costa, avocate à Padoue (Italie). Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant se plaint en particulier des conditions de détention qu’il a dû subir dans plusieurs centres de détention de Roumanie, ainsi que du refus des tribunaux roumains de déduire de la peine de prison infligée la durée de l’assignation à domicile exécutée en Italie. Il invoque à cet égard les articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

  4. .  Le 8 juillet 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement roumain. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1967 et réside à Padoue (Italie).
  7. A.  La condamnation pénale et l’extradition du requérant vers la Roumanie

    6.  Par un arrêt définitif du 21 janvier 2005, la cour d’appel de Galaţi condamna le requérant par contumace à deux ans de prison ferme pour escroquerie et faux en écriture privée.


  8. .  A une date non précisée, en vue de l’exécution de la peine, les autorités roumaines demandèrent à l’État italien, sur le territoire duquel le requérant séjournait, son extradition. En vue de l’extradition, les autorités italiennes placèrent le requérant en détention provisoire du 18 mai au 1er juin 2006. Le 2 juin 2006, une assignation à domicile avec autorisation de sortie pour travailler (arresti domiciliari con facolta di allontanarsi dalla propria abitazione per recarsi al lavoro) remplaça la détention provisoire jusqu’au 3 décembre 2007.

  9. .  Par une décision définitive du 3 octobre 2007, la Cour de cassation italienne accueillit la demande d’extradition du requérant.

  10. .  Le 3 décembre 2007, le requérant fut remis aux autorités roumaines. Aucun papier d’identité ou effets personnels ne fut remis au requérant.

  11. .  Dans son formulaire de Requête, le requérant mentionne que la procédure concernant l’accusation portée à son encontre a été réinscrite sur le rôle des tribunaux. La Cour n’a pas été informée sur l’issue de cette procédure.
  12. B.  Les conditions de détention et l’assistance médicale

    1.  Les conditions de détention et l’assistance médicale telles que décrites par le requérant


  13. .  En l’absence de toute pièce d’identité, le requérant fut incarcéré initialement dans les locaux de l’Inspection générale de la police de Bucarest (Inspectoratul general de poliţie Bucureşti, ci-après « IGP »). Il fut placé dans une cellule avec cinq autres personnes, avec un lit sans draps. L’eau courante était disponible seulement deux fois par jour, pendant une vingtaine de minute à chaque fois. La cellule était pourvue d’une cuvette de toilettes, par laquelle des rats pénétraient. Le système de chauffage de la cellule ne marchait pas, alors que les températures au mois de décembre descendaient à moins 20 oC.

  14. .  Le 11 décembre 2007, après que son épouse ait transmis la carte d’identité du requérant, celui-ci fut transféré au dépôt de police de Galaţi (Inspectoratul judeţean de poliţie Galaţi) où il subit les mêmes conditions de détention.

  15. .  Il fut ensuite incarcéré dans la prison de Galaţi où il fut placé avec 24 autres détenus dans une cellule de 20 m² dotée de 12 lits sans draps. Il fut amené ainsi à partager son lit avec un codétenu ou à dormir à même le sol. Les repas servis n’étaient pas comestibles car périmés et froids. En raison de l’absence d’eau chaude et du fait que l’eau froide était contaminée, on diagnostiqua chez ses codétenus la dysenterie, la gale et d’autres maladies contagieuses. La cellule était aussi infestée de cafards.

  16. .  Les conditions de détention provoquèrent chez le requérant une hernie discale qui lui provoqua des douleurs affreuses pendant onze jours. Aucune mesure médicale ne fut prise pendant ce temps malgré ses cris de douleur. Le 11 mars 2008, après onze jours, ses codétenus appelèrent une infirmière qui injecta au requérant un médicament auquel il était allergique, de sorte qu’il fut transporté de toute urgence à l’hôpital. Il y subit une intervention chirurgicale. Après l’intervention, il y fut gardé encore cinq jours. Pendant ce temps, il fut menotté, enchaîné au lit et surveillé par deux agents. Il fut réincarcéré à la prison de Galaţi avec les prescriptions suivantes : dispense d’efforts physiques, physiothérapie, gymnastique médicale et traitement médicamenteux. Aucune de ces prescriptions ne fut respectée dans le centre pénitentiaire. Le requérant ne saisit pas les autorités d’une action en vertu de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures adoptées au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 ») afin de dénoncer l’absence alléguée d’assistance médicale.
  17. 2.  Les conditions de détention et l’assistance médicale telles que décrites par le Gouvernement


  18. .  Le requérant fut incarcéré initialement dans les locaux de l’IGP de Bucarest. Il fut placé, avec cinq autres personnes, dans une cellule qui mesurait 13, 95 m² (4, 5 m sur 3, 1 m) et 3, 1 m de hauteur et qui était dotée de six lits. La cellule était pourvue d’une fenêtre, d’une cuvette de toilettes, d’une douche et de deux étagères. Elle était dotée également d’éclairage artificiel. Les détenus étaient autorisés à se procurer des produits d’hygiène ainsi que des produits pour désinfecter la cellule. La nourriture était fournie par la prison de Bucarest-Rahova et les détenus étaient autorisés à recevoir tous les mois de l’extérieur 10 kg de nourriture, 6 kg de fruits et 20 l de boissons.

  19. .  Le requérant fut ensuite incarcéré du 10 décembre, à 16 h, au 11 décembre 2007, à 12 h, dans le dépôt de la police de Galaţi. Il y fut placé, avec cinq autres personnes, dans une cellule qui mesurait 12, 6 m² (4, 2 m sur 3 m) et 3 m de hauteur et qui était dotée de six lits. La cellule était pourvue d’un groupe sanitaire (toilettes et douche) d’une superficie totale de 0, 77 m². Le dépôt de police avait la même source de chauffage et d’eau courante que le siège de la police départementale.

  20. .  Du 11 décembre 2007 au 30 décembre 2008, le requérant fut incarcéré à la prison de Galaţi et placé dans des cellules mesurant 24, 5 m² et ayant une hauteur de 3 m, sises dans un bâtiment mis en service en 1994. Elles étaient dotées de douze lits, d’une fenêtre, d’une table, de quatre chaises et étaient également pourvues d’éclairage artificiel. Le chauffage était assuré par des radiateurs en fer. Les cellules disposaient également d’une salle d’eaux de 4, 98 m² pourvue de toilettes, d’une douche et d’un lavabo. Le requérant avait accès aux douches à raison de deux fois par semaine, pendant une heure.

  21. .  L’hygiène dans les cellules était de la responsabilité des détenus auxquels des produits de nettoyage étaient distribués. Les ordures ménagères étaient enlevées quotidiennement de chaque cellule. Les cellules n’étaient pas infestées de cafards.

  22. .  La qualité de l’eau et de la nourriture était vérifiée systématiquement et aucune irrégularité n’avait été décelée. L’eau courante était fournie dans les intervalles : 5 h 30 - 8 h, 13 h 30 - 16 h et 18 h 30 - 21 h 30.

  23. .  Lors de son incarcération dans la prison de Galaţi, le 11 décembre 2007, le requérant subit un examen médical. Une discopathie lombaire fut diagnostiquée à cette occasion. Le 10 mars 2008, le requérant eut de fortes douleurs lombaires et se vit administrer un traitement médicamenteux. Du 14 au 21 mars 2008, il fut admis aux urgences où il subit une intervention chirurgicale au niveau des vertèbres. Un traitement lui fut prescrit. Toutefois, le 22 avril 2008, le requérant, acceptant en pleine connaissance de cause les risques qu’impliquait l’effort physique postopératoire, demanda à être autorisé à travailler en tant que chauffeur.
  24. C.  La contestation de l’exécution de la peine de prison


  25. .  Le 18 mai 2007, le requérant saisit les tribunaux roumains d’une demande de libération conditionnelle. Il faisait valoir que si l’on tenait compte de la détention subie en Italie en vue de son extradition, il avait déjà exécuté la fraction de la peine nécessaire afin de bénéficier de la libération conditionnelle en vertu des dispositions du code pénal roumain. Après l’extradition du requérant vers la Roumanie, son action fut requalifiée en contestation de l’exécution de la peine.

  26. .  Le requérant produisit au dossier un certificat délivré par la cour d’appel de Venise le 8 février 2008, attestant de la durée de sa détention en Italie et du fait que l’assignation à domicile, malgré le fait qu’elle était assortie d’une autorisation de sortie pour travailler, était assimilée, selon les dispositions du code de procédure pénale (« CPP ») italien, à la détention provisoire et devait être déduite d’une peine de prison.

  27. .  Par un jugement du 22 février 2008, le tribunal de première instance de Galaţi fit droit à la demande du requérant et déduisit la période de détention, subie en Italie du 18 mai 2006 au 2 décembre 2007, de sa peine de prison. S’agissant de l’assignation à domicile, le tribunal releva que cette période devait être déduite de la peine de prison, bien que la législation roumaine ne prévoie pas cette mesure privative de liberté, et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, le tribunal nota que l’article 18 § 1 de la loi no 302/2004 relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale (« loi no 302/2004 »), prévoyait que la détention subie à l’étranger résultant de l’exécution d’une demande formée par les autorités roumaines était prise en compte dans le cadre de la procédure pénale roumaine et déduite de la condamnation infligée par les autorités roumaines. Or, cette loi ne faisait aucune distinction en fonction de la modalité de l’exécution de la détention. En deuxième lieu, l’assignation à domicile, malgré le fait qu’elle était assortie d’une autorisation de sortie pour travailler, était assimilée, selon les dispositions du CPP italien, à la détention provisoire. En troisième lieu, le refus de déduire cette période de la peine prononcée par un tribunal roumain constituerait un traitement discriminatoire puisqu’une personne qui se serait vu accorder le bénéfice de l’exécution de la peine en Italie profiterait des dispositions de la loi pénale italienne, exécutant seulement la différence de la peine, alors qu’une personne extradée en vue de l’exécution d’une peine de prison en Roumanie se verrait refuser ce bénéfice. Ensuite, le tribunal souligna que, dans un contexte européen, la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (« décision-cadre relative au mandat européen »), prévoyait dans son article 26, l’obligation de déduire de la durée totale de privation de liberté à purger, toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté, sans faire de distinction en fonction de la modalité de l’exécution de la détention. Enfin, le tribunal estima que la Haute Cour de cassation et de justice avait à tort assimilé, dans un arrêt no 4990 du 4 septembre 2006 (paragraphe 30 ci-dessous), ce type de détention aux mesures de sûreté restrictives mais non privatives de liberté prévues par la législation pénale roumaine, à savoir l’interdiction de ne pas quitter une localité et l’interdiction de ne pas quitter le pays.

  28. .  Le parquet se pourvut en cassation contre ce jugement.

  29. .  Par un arrêt du 16 avril 2008, le tribunal départemental de Galaţi accueillit le recours du parquet et déduisit de la peine de prison infligée au requérant seulement la période de détention provisoire du 18 mai au 1er juin 2006. Pour décider ainsi, le tribunal estima que l’assignation à domicile ne constituait pas une mesure privative de liberté et nota que les articles 88 et 89 du code pénal roumain permettaient uniquement la déduction de la durée des mesures privatives de liberté régies par la législation roumaine, à savoir la garde à vue et la détention provisoire dans un centre de détention (paragraphe 28 ci-dessous).
  30. D.  Action en suspension de l’exécution de la peine de prison


  31. .  En 2008, à une date non précisée, le requérant demanda la suspension de l’exécution de la peine de prison en invoquant un mauvais état de santé. Toutefois, le 8 mai 2008, le requérant renonça à sa demande. La procédure fut clôturée pour ce motif par une décision du tribunal de première instance de Galaţi du même jour.
  32. E.  Mise en liberté


  33. .  Le requérant fut remis en liberté conditionnelle le 30 décembre 2008.
  34. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    A.  Le code pénal roumain


  35. .  Les dispositions pertinentes étaient ainsi libellées à l’époque des faits :
  36. Article 88 § 1
    La déduction de la garde à vue et de la détention provisoire

    « La durée de la garde à vue et de la détention provisoire sont déduites de la peine de prison prononcée (...) »

    Article 89
    La déduction de la privation de liberté exécutée à l’étranger

    « (...) la durée de la peine ainsi que celle de la garde à vue et de la détention provisoire exécutées à l’étranger sont déduites de la peine de prison prononcée par les tribunaux roumains pour le même délit. »

    B.  La loi no 302/2004 relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale


  37. .  Les dispositions pertinentes de cette loi étaient ainsi libellées à l’époque des faits :
  38. Article 18 § 1

    « La durée de la détention (arestului) subie à l’étranger résultant de l’exécution d’une demande formée par les autorités roumaines sur le fondement de la présente loi est prise en compte dans le cadre de la procédure pénale roumaine et déduite de la peine appliquée par les tribunaux roumains. »

    C.  La jurisprudence de la Haute Cour de cassation et de justice


  39. .  Dans son arrêt no 4990 du 4 septembre 2006, la Haute Cour jugea que la mesure imposée par les autorités italiennes, consistant en l’obligation de l’intéressé d’établir sa résidence dans une certaine localité, assortie de l’interdiction de quitter sa résidence dans le créneau horaire
    22 h 30 -7 h 00, correspondait aux mesures de sûreté d’interdiction de quitter la localité ou le pays, prévues par le CPP roumain. Or, ces mesures constituent des limitations à la liberté de circulation et ne s’analysent donc pas en privation de liberté. En conséquence, seules les mesures prévues par l’article 88 du code pénal, à savoir la garde à vue et la détention provisoire peuvent être déduites d’une peine de prison. Par ailleurs, la Haute Cour considéra que l’interdiction de quitter sa résidence pendant un certain créneau horaire ne saurait être assimilée à la détention puisque l’intéressé demeure dans son milieu familial, alors que la détention provisoire tend à la rupture des relations sociales afin de prévenir des activités susceptibles d’entraver le bon déroulement d’une enquête.

  40. .  Par sa décision no 22 du 12 octobre 2009, la Haute Cour trancha un recours dans l’intérêt de la loi formé par le procureur général au sujet de l’interprétation de l’article 18 de la loi no 302/2004. Le recours concluait à l’existence d’une jurisprudence divergente des tribunaux roumains quant à l’imputation sur une peine de prison de la période d’assignation à domicile exécutée à l’étranger. Si certains tribunaux avaient jugé que seules la garde à vue et la détention provisoire pouvaient être imputées sur une peine de prison, d’autres tribunaux avaient estimé, sur le fondement de l’article 5 de la Convention et de l’article 26 de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, que la durée correspondant à une assignation à domicile devait également être déduite d’une peine de prison.
  41. La Haute Cour jugea qu’il fallait, en application de l’article 18 de la loi no 302/2004, déduire l’assignation à domicile exécutée à l’étranger, d’une peine de prison prononcée par les tribunaux roumains. Elle releva qu’en droit italien l’assignation à domicile constituait une privation de liberté et qu’elle était assimilée à la détention provisoire (article 284 du CPP italien). Par ailleurs, la Haute Cour se référa à la jurisprudence abondante de la Cour qui qualifie l’assignation à domicile de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En outre, elle constata que l’assignation à domicile n’était certes pas prévue par le droit roumain, mais que le projet de nouveau CPP roumain prévoyait l’introduction d’une telle mesure en tant que mesure privative de liberté. De plus, le projet de nouveau code pénal prévoyait la déduction de toute mesure privative de liberté, y compris donc l’assignation à domicile, d’une peine de prison prononcée par les tribunaux roumains (articles 218-222 du projet de nouveau CPP roumain et article 72 § 1 du projet de nouveau code pénal roumain).

    D.  La décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres

    32.  La décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 13 juin 2002 (JO L 190 du 18 juillet 2002, p. 1) prévoit ce qui suit dans ses articles 12 et 26 :

    Article 12
    Maintien de la personne en détention

    « Lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l’État membre d’exécution. La mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de la personne recherchée. »

    Article 26
    Déduction de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution

    « 1. L’État membre d’émission déduit de la durée totale de privation de liberté qui serait à subir dans l’État membre d’émission toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté.

    2. À cette fin, toutes les informations relatives à la durée de la détention de la personne recherchée au titre de l’exécution du mandat d’arrêt européen sont transmises par l’autorité judiciaire d’exécution ou par l’autorité centrale désignée en application de l’article 7 à l’autorité judiciaire d’émission au moment de la remise. »


  42. .  La Roumanie a transposé en droit interne la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen par la loi no 302/2004 sur la coopération judiciaire internationale en matière pénale (paragraphe 29
    ci-dessus).
  43. E.  Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)


  44. .  Le rapport du 2 avril 2004 du CPT dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents dépôts de police et établissements pénitentiaires roumains qu’il a visités du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003, dont l’IGP et le dépôt de la police de Galaţi. À l’égard de l’IGP, le CPT nota que certaines cellules n’offraient aux détenus qu’un espace vital restreint (par exemple, trois personnes dans 10 m² ou quatre dans 14 m²) et qu’elles auraient été très surchargées si elles avaient été occupées au maximum de leur capacité officielle ; il releva, en outre, que les groupes sanitaires dans les cellules étaient insuffisamment cloisonnés. Au dépôt de police de Galaţi, le CPT releva que les cellules ne bénéficiaient que de très peu ou pas du tout de lumière du jour, que l’éclairage artificiel était médiocre et que l’aération était manifestement insuffisante ; il releva que le taux d’occupation des cellules était parfois extrêmement élevé. À titre d’exemple, le CPT nota que des cellules qui mesuraient entre 5 et 6 m² étaient utilisées pour accueillir 3, 4 voire 5 personnes et que des cellules de 10 à 13 m² accueillaient jusqu’à 10 personnes, de nombreux détenus étant obligés de partager un lit ; les cellules étaient équipées de WC qui n’étaient pas cloisonnés. Le CPT attira l’attention des autorités roumaines sur le fait que la réglementation en vigueur au niveau national, qui n’imposait qu’un minimum de 6 m3 d’espace de vie par détenu (soit environ 2 m² d’espace de vie pour chacun), était insuffisante.

  45. .  Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT se félicita de ce que, peu après sa visite, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommandait aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie.

  46. .  Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 2011, à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, le CPT conclut que le taux de surpeuplement de ces établissements reste un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les 42 établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 ; le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements.
  47. F.  Autres rapports concernant les conditions de détention


  48. .  Rédigé à la suite d’une visite effectuée le 12 décembre 2005, le rapport de l’Association pour la défense de droits de l’homme - comité Helsinki (APADOR-CH) du même jour, se réfère, entre autres, au problème de surpopulation carcérale à la prison de Galaţi, qui abritait à l’époque 1 268 personnes pour un total de 2 705 m², l’espace de vie moyen d’un détenu étant de 2, 13 m², c’est-à-dire la moitié de l’espace recommandé par le CPT. Le rapport relève en outre la mauvaise qualité de l’eau potable qui était infestée de vers et le fait qu’elle était fournie dans les installations sanitaires seulement quelques heures par jour. Dans sa réponse du 28 février 2006, au rapport susmentionné, l’Administration nationale des prisons (« ANP ») s’est référée au surpeuplement des cellules de détention et à l’insuffisance des espaces de rangement destinés aux détenus. En outre, en réponse aux allégations visant la qualité de l’eau, l’ANP indiqua que l’alimentation en eau de la prison se faisait grâce à un puits et qu’il n’y avait pas de possibilité technique de réaliser le forage d’un deuxième puits. Le branchement au réseau d’eau potable de la ville ne pouvait se faire avant de trouver les ressources financières.

  49. .  Rédigé à la suite d’une visite récente effectuée le 22 novembre 2012, le rapport de l’APADOR-CH du même jour, se réfère, entre autres, au problème de surpopulation carcérale à la prison de Galaţi, qui abritait à l’époque 1 028 personnes pour un total de 2 184 m², l’espace de vie moyen d’un détenu étant de 2, 12 m². A la date de la visite, le forage d’un deuxième puits venait de s’achever, ce qui avait amélioré l’alimentation en eau courante de la prison. L’eau chaude était disponible deux fois par semaine pendant une heure.
  50. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  51. .  Le requérant dénonce les conditions de détention subies dans les centres de détention roumains qu’il qualifie de torture. Il soutient par ailleurs que ces conditions ont provoqué chez lui une hernie discale qui a nécessité une intervention chirurgicale. En outre, sa récupération postopératoire a été rendue quasi-impossible en prison. Il invoque les articles 2 et 3 de la Convention. La Cour estime que le grief du requérant doit être examiné sous l’angle du seul article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  52. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité


  53. Dans la mesure où le grief du requérant se rapporte à l’insuffisance alléguée de son traitement médical, la Cour constate, comme elle l’a fait dans les affaires Petrea c. Roumanie (no 4792/03, § 35, 29 avril 2008) et Coman c. Roumanie (no 34619/04, § 45, 26 octobre 2010), que le requérant a omis d’introduire un recours fondé sur les dispositions de la loi no 275/2006 (paragraphe 14 in fine ci-dessus). Dès lors, il convient de rejeter cette branche du grief pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

  54. .  S’agissant des conditions matérielles de détention, la Cour relève que cette branche du grief ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  55. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties


  56. .  Le requérant, renvoyant aux différents instruments juridiques internationaux, aux rapports du CPT, à un rapport établi en 2008 par l’organisation non-gouvernementale Amnesty International et à la jurisprudence de la Cour, estime qu’il a subi des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention. Il dénonce en premier lieu la surpopulation carcérale qui l’a amené à partager parfois son lit avec un codétenu. Il critique aussi l’insuffisance de la nourriture et du chauffage et les conditions déplorables d’hygiène.

  57. .  Se référant à la description des conditions de détention qu’il a fournie et à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention. Il souligne en particulier que la durée de la détention du requérant dans les locaux de l’IGP de Bucarest et dans le dépôt de la police de Galaţi a été très courte (huit jours) et que dès lors le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention n’a pas été atteint. S’appuyant sur un rapport établi le 28 octobre 2011 par la direction départementale de police de Galaţi, le Gouvernement souligne que le dépôt de cette institution a fait l’objet des visites de deux organisations non-gouvernementales roumaines, en 2010 et en 2011, et que celles-ci n’ont décelé aucune méconnaissance des droits des détenus (rapports non produits au dossier).
  58. 2.  L’appréciation de la Cour


  59. .  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI, Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 131, 22 octobre 2009).

  60. .  S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, § 50, 8 novembre 2005). En outre, dans certains cas, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).

  61. .  Faisant application des principes susmentionnés au cas d’espèce, la Cour se penchera sur le facteur qui est en l’occurrence central, à savoir l’espace personnel accordé au requérant dans les différents centres de détention dans lesquels il a été incarcéré. À cet égard, elle observe que le requérant a souffert d’une situation de surpopulation carcérale grave. En effet, même en se tenant aux renseignements fournis par le Gouvernement, chacune des personnes détenues dans chaque cellule où le requérant a été incarcéré disposait d’un espace individuel de seulement 2 m2, ce qui est en dessous de la norme recommandée aux autorités roumaines dans le rapport du CPT, à savoir 4 m² (paragraphes 15-17 et 35 ci-dessus).

  62. .  La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant dans les centres dans lesquels le requérant a été incarcéré (voir, pour l’IGP de Bucarest et le dépôt de police de Galaţi - Artimenc c. Roumanie, no 12535/04, § 35, 30 juin 2009, et pour la prison de Galaţi : Dimakos c. Roumanie, no 10675/03, §§ 46-47, 6 juillet 2010 ; Porumb c. Roumanie, no 19832/04, §§ 73-75, 7 décembre 2010, et Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 80-85, 21 décembre 2010).

  63. .  La Cour note ensuite que, outre le problème du surpeuplement carcéral, les allégations du requérant quant aux conditions d’hygiène déplorables, notamment l’accès à l’eau courante et la présence de différents parasites, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le CPT et par l’APADOR-CH dans les différents rapports établis à la suite de leurs visites dans les établissements pénitentiaires en Roumanie et en particulier dans la prison de Galaţi (paragraphes 34-38 ci-dessus).

  64. .  La Cour estime qu’en l’occurrence les conditions de détention que le requérant a dû supporter pendant plus d’un an, en particulier la surpopulation régnant dans sa cellule et les conditions d’hygiène déplorables, n’ont pas manqué de le soumettre à une preuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

  65. .  Dès lors, il y a eu violation de larticle 3 de la Convention.
  66. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

    51.  Le requérant dénonce le refus des tribunaux de déduire la durée de l’assignation à domicile exécutée en Italie du 2 juin 2006 au 2 décembre 2007 de sa peine de prison en Roumanie. Il invoque les articles 5 et 6 de la Convention.


  67. .  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les Gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqués les parties. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). A la lumière de ces principes, la Cour estime que le présent grief se prête à être analysé sous l’angle de l’article 5 § 1 de la Convention (voir Grava c. Italie, no 43522/98, § 38, 10 juillet 2003 ; Pezone c. Italie, no 42098/98, §§ 36-38, 18 décembre 2003), qui est ainsi libellé :
  68. Article 5 § 1

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  69. . Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
  70. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties


  71. .  Le requérant estime que le tribunal départemental de Galaţi a jugé à tort que la période correspondant à l’assignation à domicile ne doit pas être imputée sur une peine de prison. Il met en exergue que l’assignation à domicile constitue une détention au sens de l’article 18 de la loi no 302/2004, eu égard à sa qualification dans le droit de l’État italien sur le territoire duquel cette mesure a été exécutée. Il renvoie à cet égard aux dispositions de l’article 283 § 4 du CPP italien et soumet une décision de la Cour de cassation italienne du 3 juin 1999 dans laquelle celle-ci juge que, malgré leurs effets semblables dans la pratique, il ne faut pas confondre, d’une part, l’assignation à domicile avec autorisation de sortie pour travailler (arresti domiciliari con facolta di allontanarsi dalla propria abitazione per recarsi al lavoro), prévue par l’article 284 § 3 du CPP italien et qui constitue une privation de liberté équivalente à la détention provisoire, avec, d’autre part, l’interdiction de quitter la ville de domicile assortie de l’interdiction de quitter son domicile pendant certaines heures (obbligo di dimora con prescrizione di non allontanarsi dalla abitazione in alcune ore del giorno), prévue par l’article 283 § 4 du CPP italien et qui constitue une mesure restreignant la liberté de circulation d’une personne. À cet égard, le requérant souligne que l’arrêt du 4 septembre 2006 de la Haute Cour de cassation et de justice auquel se réfère le tribunal de première instance de Galaţi du 22 février 2008 pour finalement l’écarter, concerne l’interdiction de quitter la commune de domicile et non une assignation à domicile (paragraphe 23 ci-dessus).
  72. Le requérant insiste également sur le fait que l’article 26 de la
    décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, prévoit aussi l’obligation de déduire
    de la durée totale de privation de liberté qui serait à subir, toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté, sans faire de distinction en fonction de la modalité de l’exécution de la détention (paragraphe 32 ci-dessus). Il ajoute enfin que la Cour de cassation italienne refuse, car contraire aux droits de l’homme, l’extradition d’une personne qui a été placée en détention provisoire (y compris l’assignation à domicile) pour une durée dépassant la peine de prison qu’il est censé purger dans l’État vers lequel elle est extradée (décision no 46451 de la Cour de cassation du 17 septembre 2004, non produite au dossier).


  73. .  Le Gouvernement, renvoyant à l’arrêt Guzzardi c. Italie (6 novembre 1980, série A no 39) estime que la surveillance spéciale avec assignation à résidence dans une commune donnée ne tombe pas en tant que telle sous le coup de l’article 5 de la Convention. Il souligne à cet égard que le requérant a gardé les liens avec sa famille ainsi que son emploi, sa vie normale n’étant pas affectée. Dès lors, c’est à raison que les tribunaux roumains ont refusé d’imputer sur la peine infligée au requérant la période d’assignation à domicile, mesure qui d’ailleurs n’est pas prévue en droit roumain. Il estime également que la situation dans la présente affaire est similaire à celle de la décision Trijonis c. Lithuanie ((déc.), no 2333/02, 17 mars 2005) dans laquelle la Cour a conclu qu’une assignation à domicile assortie d’une autorisation de sortie pour travailler et d’une obligation de rester au domicile entre 19 h et 7 h au cours de la semaine ainsi que toute la journée, les fins de semaines, n’équivalait pas à une privation de liberté, mais à une restriction de la liberté de circulation. Le Gouvernement ajoute enfin que l’arrêt prononcé le 12 octobre 2009 par la Haute Cour de cassation et de justice dans un recours dans l’intérêt de la loi était postérieur à la finalisation de la procédure engagée par le requérant qui a pris fin avec l’arrêt du tribunal départemental de Galaţi du 16 avril 2008, l’obligation des tribunaux d’en tenir compte ne jouant pas en l’espèce. À cet égard, il souligne qu’une divergence de jurisprudence dans l’interprétation de la loi pourrait poser un problème au regard de l’article 6 de la Convention, mais non sur le terrain de l’article 5 de la Convention.
  74. 2.  Appréciation de la Cour


  75. .  La Cour observe que, par un arrêt définitif du 21 janvier 2005, la cour d’appel de Galaţi a condamné par contumace le requérant à deux ans de prison ferme. En vue de l’exécution de cette peine, les autorités roumaines ont demandé l’extradition du requérant à l’État italien sur le territoire duquel il résidait. Le requérant fut appréhendé et placé initialement en détention provisoire pour 15 jours. La détention provisoire fut remplacée par une assignation à domicile avec autorisation de sortir pour travailler qui dura jusqu’à son extradition vers la Roumanie, soit un an et six mois. Dans ces conditions, si la durée de l’assignation au domicile avait été déduite de la peine de prison, il restait à exécuter au requérant, sauf bénéfice de la liberté conditionnelle, 5 mois et 15 jours. Or, le requérant a été incarcéré en Roumanie du 3 décembre 2007 au 30 décembre 2008, soit environ treize mois. Il reste donc à déterminer si le surplus de 7 mois et 15 jours d’emprisonnement a violé l’article 5 de la Convention.

  76. .  La Cour relève d’emblée que la présente Requête ne concerne pas la question du transfèrement d’un pays où l’intéressé a subi une condamnation pénale vers un autre pays en vue de l’exécution de la peine, et donc les circonstances de la conversion de sa peine (Veermäe c. Finlande (déc.), no 38704/03, 15 mars 2005 ; Csoszanszki c. Suède (déc.), no 22318/02, 27 juin 2006 ; Ciok c. Pologne (déc.), no 498/10, 23 octobre 2012, et Willcox et Hurford c. Royaume-Uni (déc.), nos 43759/10 et 43771/12, 8 janvier 2013). Elle n’est pas amenée non plus à étudier in abstracto la question plus générale de l’imputation sur une peine de prison infligée à un condamné dans un certain État de la durée de la détention que celui-ci avait subie dans un État différent. À cet égard, la Cour rappelle qu’en tout état de cause, la Convention n’oblige pas les Parties contractantes à imposer ses règles aux États ou territoires tiers (Drozd et Janousek c. France et Espagne, 26 juin 1992, § 110, série A no 240).

  77. .  Dans le cas d’espèce, le requérant se plaint que les tribunaux roumains ne lui ont pas appliqué une réduction de peine à laquelle il estime qu’il avait droit en vertu du droit roumain. À cet égard, la Cour note que le droit roumain (article 18 de la loi no 302/2004) prévoit que la durée de « la détention » subie à l’étranger dans le cadre d’une demande d’extradition formée par les autorités roumaines est déduite de la peine de prison prononcée par les tribunaux roumains. Toutefois, en l’espèce le tribunal départemental de Galaţi a refusé dans son arrêt du 16 avril 2008 de faire l’application de cette disposition légale, estimant que l’assignation à domicile subie par le requérant en Italie était une mesure provisoire qui n’était pas prévue par le droit roumain et qui n’avait pas privé le requérant de sa liberté (paragraphe 25 ci-dessus).

  78. .  La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 renvoient pour l’essentiel à la législation nationale et consacrent l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, il en est autrement s’agissant d’affaires dans lesquelles, au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne emporte violation de la Convention. En pareil cas, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne a bien été respecté (voir, parmi d’autres, Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, §§ 44-45, 4 août 1999).

  79. .  Toutefois, la « régularité » de la détention au regard du droit interne est un élément essentiel et non décisif. La Cour doit en outre être convaincue que la détention pendant la période en jeu est conforme au but de l’article 5 § 1, à savoir protéger l’individu de toute privation de liberté arbitraire. La Cour doit donc s’assurer qu’un droit interne se conforme
    lui-même à la Convention, y compris aux principes énoncés ou impliqués par elle (voir, parmi d’autres,
    Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 45, série A no 33).

  80. .  Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen - en s’entourant au besoin de conseils éclairés - de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).

  81. .  L’argument du Gouvernement selon lequel l’assignation à domicile assortie d’une autorisation de sortie pour travailler n’équivaut pas à une privation de liberté, mais à une restriction de la liberté de circulation, appelle certaines considérations.
  82. En premier lieu, la question de savoir dans un cas donné s’il y a eu privation de liberté est fonction des faits particuliers de l’espèce. À cet égard, la Cour rappelle que dans le cadre du système de la Convention, elle est appelée à jouer un rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 154, CEDH 2009). En principe, là où des procédures internes ont été menées, la Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales, auxquelles il appartient de les établir sur la base des preuves recueillies par elles. Si la Cour n’est pas liée par les constatations de ces dernières mais demeure libre de se livrer à sa propre évaluation à la lumière de l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle ne s’écartera normalement des constatations de fait des juges nationaux que si elle est en possession de données convaincantes à cet effet (Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 180, CEDH 2011 (extraits)). Eu égard toutefois au fait qu’en vertu des articles 19 et 32 de la Convention il lui appartient d’interpréter et d’appliquer celle-ci en dernier ressort, la Cour, si elle doit certes prendre en compte les constatations de fait des juridictions internes, n’est pas limitée par leurs conclusions juridiques quant au point de savoir si le requérant a ou non été privé de sa liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention (Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 61, CEDH 2012).


  83. .  À cet égard, la Cour observe qu’en droit italien, une personne assignée à domicile est réputée être en détention provisoire, même si elle est autorisée à sortir pour travailler (paragraphe 22 ci-dessus et Mancini c. Italie, no 44955/98, § 17, CEDH 2001-IX ). Pour sa part, le tribunal de première instance de Galaţi, dans son jugement amplement motivé du 22 février 2008, a également conclu que le requérant avait été privé de liberté pendant son assignation à domicile (paragraphe 23 ci-dessus). En revanche, en instance d’appel, le tribunal départemental de Galaţi a estimé que l’assignation à domicile subie par le requérant en Italie était une mesure provisoire qui n’était pas prévue par le droit roumain et qui n’avait pas privé le requérant de sa liberté. Il revenait donc au tribunal départemental de Galaţi de motiver de manière suffisante sa décision de se départir du jugement du tribunal de première instance de Galaţi. Or, force est de constater que la conclusion du tribunal départemental n’est pas suffisamment motivée à cet égard (paragraphe 25 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour considère que le requérant pouvait alléguer de manière défendable qu’il avait subi une détention en Italie qui devait être déduite de la peine qu’il était censé purger en Roumanie.

  84. .  La Cour considère en outre que l’article 18 de la loi no 302/2004 n’est pas suffisamment clair pour que la catégorie des mesures auxquelles cette disposition est applicable soit prévisible (voir, mutatis mutandis, Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 120, 23 février 2012).
  85. Ce manque de clarté de la loi n’a pas été pallié par une jurisprudence constante des tribunaux roumains dans son interprétation. Tout au contraire, c’est par le biais d’un recours dans l’intérêt de loi que la Haute Cour de cassation et de justice, par un arrêt du 12 octobre 2009, s’est prononcée sur l’interprétation de cette dispossition mettant fin ainsi à l’existence d’une jurisprudence divergente des tribunaux roumains quant à l’imputation sur une peine de prison de la période d’assignation à domicile exécutée à l’étranger (paragraphe 31 ci-dessus).

    À l’évidence, une telle divergence de jurisprudence n’était pas de nature à permettre à quelqu’un de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d’un acte déterminé. Dans ces conditions, la Cour conclut que la législation roumaine pertinente ne satisfaisait pas au critère de « prévisibilité » d’une « loi » aux fins de l’article 5 § 1 de la Convention (mutatis mutandis, Baranowski précité, § 55, et Toniolo c. Saint-Marin et Italie, no 44853/10, §§ 48-51, 26 juin 2012).


  86. .  Compte tenu de ce qui précède et de ce que seule une interprétation étroite cadre avec le but et l’objet de l’article 5 § 1 de la Convention (Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 78, CEDH 2010), la Cour estime que le requérant a purgé une peine d’une durée supérieure à celle qu’il aurait dû subir selon le système juridique national et compte tenu des bénéfices auxquels il avait droit. Son surplus d’emprisonnement ne saurait partant s’analyser en une détention régulière aux sens de l’article 5 § 1 de la Convention, faute de base légale ayant les qualités requises pour satisfaire au principe général de sécurité juridique.

  87. .  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
  88. III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  89. .  Le requérant se plaint enfin de son emprisonnement pour escroquerie qu’il estime contraire à l’article 1 du Protocole no 4 à la Convention. Invoquant l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention, le requérant se plaint également contre l’Italie de son renvoi en Roumanie par les autorités italiennes, sans papiers d’identité et sans ses effets personnels.

  90. .  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
  91. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  92. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  93. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    70.  Le requérant réclame le remboursement de ses dépenses courantes et celles de sa famille effectuées pendant sa détention provisoire et les frais de voyage de celle-ci jusqu’au lieu de sa détention en Roumanie s’élevant à 19 000 euros (EUR) ainsi que les sommes qu’il doit rembourser à son fils qui a réglé, alors qu’il était arrêté, les mensualités de son crédit immobilier, s’élevant à 10 000 EUR. Il réclame aussi 17 985,85 EUR représentant les salaires qu’il aurait touchés en 2008 s’il n’avait pas été extradé, ainsi que 7 000 EUR par an, après 2008, représentant la diminution de son salaire et les frais supplémentaires de déplacement engendrés par son nouvel emploi. Il évalue en outre le dommage matériel lié à ses problèmes de santé à 20 000 EUR. Il réclame de surcroît 250 EUR par jour de détention « injuste », soit un total de 99 250 EUR pour 397 jours de détention. Le requérant demande enfin la somme de 100 000 EUR pour préjudice moral.


  94. .  Pour le Gouvernement, aucune somme ne doit être accordée au titre du préjudice matériel, le requérant n’ayant pas prouvé le lien de causalité avec le constat de violations et n’ayant pas produit de justificatifs pour la plupart des sommes réclamées. Quant au préjudice moral, le Gouvernement considère que le constat de violation constituerait une réparation suffisante et qu’en tout état de cause, la somme réclamée est excessive.

  95. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué. Par contre, elle juge que le requérant a subi un tort moral certain et considère qu’il y a lieu de lui octroyer 12 000 EUR au titre du préjudice moral.
  96. B.  Frais et dépens


  97. .  Le requérant demande également 13 000 EUR au titre d’honoraires d’avocats versés par son épouse à différents avocats, au cours de sa détention en Roumanie. Aucun justificatif n’est produit devant la Cour.

  98. .  Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas formulé de demande au titre de frais et dépens.

  99. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
  100. C.  Intérêts moratoires


  101. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  102. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable à l’égard de la Roumanie, quant aux griefs tirés de l’article 3 (conditions matérielles de détention) et de l’article 5 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation par la Roumanie de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation par la Roumanie de l’article 5 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur roumain doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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