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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> STANCIULESCU v. ROMANIA - 5998/03 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 661 (09 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/661.html
Cite as: [2013] ECHR 661

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE STĂNCIULESCU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 5998/03)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Stănciulescu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

              Alvina Gyulumyan, présidente,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 5998/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Marin Stănciulescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Răzvan-Horațiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
  3. 3.  Le 21 juin 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  4. .  Le requérant est né en 1952 et réside à Pitești.

  5. .  Le 16 janvier 2001, le requérant demanda au conseil du barreau d’avocats d’Argeş (« le conseil départemental ») son inscription en tant qu’avocat, sans examen. Il fit valoir qu’il exerçait la profession de juriste depuis plus de dix ans et qu’en vertu de l’article 16 § 2 de la loi no 51/1995 sur l’organisation de la profession d’avocat, il avait droit à être inscrit à l’Ordre des avocats (« l’Ordre ») sans examen d’entrée.

  6. .  Le conseil départemental lui communiqua un avis négatif au motif que les réponses données au cours d’un entretien préalable démontraient que l’intéressé n’avait pas les connaissances nécessaires pour justifier son inscription.
  7. 7.  Le 20 juillet 2001, la commission permanente de l’Union des avocats (« la commission permanente »), se fondant sur l’avis du conseil départemental, rejeta la demande du requérant. Une contestation introduite par le requérant auprès du conseil de l’Union fut rejetée le 15 décembre 2001.


  8. .  Le requérant contesta les décisions devant la cour d’appel de Pitești. Selon lui le rejet de sa demande était arbitraire car la loi no 51/1995 lui conférait le droit à être inscrit au barreau sans examen.

  9. .  Par un arrêt du 1er avril 2002, la cour d’appel accueillit l’action, jugeant que le requérant remplissait toutes les conditions pour être admis à l’Ordre sans examen. L’union et le barreau formèrent un recours contre cet arrêt.

  10. .  Par un arrêt du 17 septembre 2002, la Cour suprême de justice accueillit les recours et rejeta la contestation du requérant comme manifestement mal fondée. Elle nota que les dispositions de l’article 16 § 2 de la loi no 51/1995 avaient un caractère permissif ouvrant à l’intéressé seulement une possibilité et non un droit. Compte tenu du fait que les autorités compétentes avaient constaté que la prestation du requérant lors de l’entretien préalable n’avait pas été satisfaisante, elle conclut que la contestation du requérant n’était pas fondée.
  11.  

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  12. .  Les dispositions pertinentes concernant l’exercice de la profession d’avocat, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, ainsi que la jurisprudence de la Cour suprême de justice à ce sujet sont décrites dans l’affaire Ştefan et Ştef c. Roumanie (nos 24428/03 et 26977/03, §§ 20-26, 27 janvier 2009). Il en ressort que la Cour suprême de justice avait constamment jugé que l’inscription à l’Ordre sans examen était, pour la personne qui remplissait les conditions de la loi, un droit et non pas une possibilité laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’Union.
  13. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  14. .  Le requérant dénonce une atteinte au principe de la sécurité juridique, car la Cour suprême de justice a prononcé, dans son cas, un arrêt qui va à l’encontre de sa jurisprudence constante. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  15. « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

    A.  Sur la recevabilité


  16. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  17. B.  Sur le fond


  18. .  Le requérant allègue que la Cour suprême de justice a prononcé, dans son cas, un arrêt qui va à l’encontre de sa jurisprudence constante, situation qui porte atteinte au principe de la sécurité juridique.

  19. .  Le Gouvernement admet que la jurisprudence de la Cour suprême a toujours été, à partir de l’année 2004, en faveur de l’admission sans examen des anciens conseillers juridiques dans la profession d’avocat. Toutefois, il affirme que l’arrêt litigieux ne pourrait être qualifié d’arbitraire et, par conséquent, qu’il ne saurait porter atteinte au droit de requérant à un procès équitable dès lors que la Cour suprême a analysé et répondu de manière détaillée à tous les arguments du requérant et qu’elle a suffisamment motivé cet arrêt.

  20. .  La Cour a déjà noté, dans une affaire similaire, que la Cour suprême de justice avait constamment interprété les dispositions de la loi no 51/1995 comme conférant aux juristes d’entreprise ayant exercé plus de dix ans le droit d’accéder à l’Ordre sans examen d’entrée (Ştefan et Ştef, précité, § 34).

  21. .  Or, en l’espèce, l’arrêt du 17 septembre 2002 ne saurait être qualifié de revirement jurisprudentiel fondé sur nouvelle interprétation de la loi, car la Cour suprême de justice n’a pas expliqué les raisons du changement de sa position, avant de revenir, ultérieurement, à sa jurisprudence constante. Dans ce contexte, l’arrêt du 17 septembre 2002 apparait singulier et arbitraire (ibidem, § 26).

  22. .  Cette incohérence jurisprudentielle, combinée avec l’absence d’un mécanisme apte à assurer la cohérence de pratique au sein de la plus haute juridiction interne, a eu pour effet de priver le requérant du droit à l’inscription à l’Ordre sans examen, alors que d’autres personnes dans une situation similaire se sont vues reconnaitre ce droit (Ştefan et Ştef, précité, §§ 35-36).
  23. 19.  Partant il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    II.  SUR LES AUTRES GRIEFS


  24. .  Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention et allègue que les juges statuant sur sa Requête n’ont pas été indépendants et impartiaux. Il se plaint également sous l’angle de l’article 1 du Protocole n1 à la Convention de ne pas pouvoir exercer la profession d’avocat en raison de la procédure litigieuse, situation qui implique une perte financière au sens de cet article.

  25. .  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont irrecevables et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
  26. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    22.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  27. .  Au titre du préjudice matériel, le requérant réclame une somme correspondant aux revenus mensuels moyens qu’il aurait pu tirer de l’exercice de la profession d’avocat et dont il a été privé depuis le refus de l’Union de l’inscrire à l’Ordre. Le montant de l’indemnité réclamée par le requérant s’élève à 120 000 euros (EUR). Il demande aussi le versement de 60 000 EUR au titre du préjudice moral en raison de la dégradation de son état de santé à la suite de la procédure litigieuse.

  28. .  Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations à ce titre.

  29. .  La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pu jouir des garanties de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eussent été les revenus du requérant s’il avait été inscrit à l’Ordre, mais elle n’estime pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi temporairement une perte de chance (voir, mutatis mutandis, Buzescu c. Roumanie, no 61302/00, § 107, 24 mai 2005). A quoi s’ajoute un préjudice moral. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue au requérant 2 400 EUR, tous chefs de préjudice confondus.
  30. B.  Frais et dépens


  31. .  Le requérant réclame, sans justificatifs à l’appui, une somme de 2 000 EUR pour frais et dépens.

  32. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard à l’absence de justificatifs pour les frais et dépens prétendument exposés, la Cour n’octroie au requérant aucune somme à ce titre.
  33. C.  Intérêts moratoires


  34. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  35. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la sécurité des rapports juridiques et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) tous chefs de préjudice confondus ;

    b) que la somme en question est à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement et qu’il convient d’ajouter à celle-ci tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

    c)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Marialena Tsirli                                                                   Alvina Gyulumyan
    Greffière adjointe                                                                     
    Présidente

     


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