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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BELEK AND OZKURT v. TURKEY - 1544/07 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 696 (16 July 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/696.html Cite as: [2013] ECHR 696 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BELEK ET ÖZKURT c. TURQUIE
(Requête no 1544/07)
ARRÊT
STRASBOURG
16 juillet 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Belek et Özkurt c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
3. Les requérants se plaignent en particulier d’une violation des articles 6 et 10 de la Convention.
4. Le 6 novembre 2009, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La première condamnation des requérants
6. Le 1er mars 2004, le quotidien Günlük Evrensel publia en sixième page un article intitulé « Démenti du Kongra-Gel » (« Kongra-Gel’den Yalanlama »). L’article comportait des déclarations de M. Aydar, président du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). M. Aydar y démentait, notamment, des allégations publiées sur un site Internet, selon lesquelles un certain nombre de militants auraient quitté l’organisation en question et se seraient réfugiés aux Etats-Unis.
7. Par un acte d’accusation du 9 mars 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat inculpa les requérants de publication par voie de presse de tracts et de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infractions prévues respectivement aux articles 6 §§ 2 et 4 et 7 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »), et à l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680 sur la presse (« la loi no 5680 »).
8. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent l’article 10 de la Convention.
9. Le 14 octobre 2004, la cour d’assises condamna le premier requérant et le deuxième requérant respectivement au paiement d’une amende de 1 332 675 000 et de 666 337 000 anciennes livres turques (TRL) [soit respectivement environ 709 et 355 euros suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente], en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (« temyiz yolu açık olmak üzere »).
11. Le 8 février 2006, la Cour de cassation, se fondant sur l’article 305 § 2 de l’ancien code de procédure pénale, déclara le pourvoi des requérants irrecevable au motif que l’amende infligée n’excédait pas 2 milliards de TRL et que le jugement n’était dès lors pas susceptible de pourvoi en cassation. Les requérants soutiennent devant la Cour que le jugement en question ne leur a pas été notifié et qu’ils n’en ont eu connaissance que par le biais d’un avis de recouvrement de l’amende du 21 juillet 2006. Ils ajoutent que, le 1er décembre 2006, ils ont obtenu une copie de l’arrêt par leurs propres moyens auprès du greffe de la cour d’assises.
B. La deuxième condamnation des requérants
12. Entre-temps, le 22 avril 2004, le quotidien Günlük Evrensel avait publié à la page 14 une déclaration intitulée « A notre peuple » (« Halkımıza »). Il s’agissait d’une déclaration émanant de détenus d’une prison de type F qui indiquaient avoir entamé une grève de la faim en vue de protester contre les conditions de détention et contre l’obligation du port de l’uniforme dans les prisons de ce type.
14. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent l’article 10 de la Convention.
15. Le 2 juin 2005, la cour d’assises condamna les requérants respectivement au paiement d’une amende de 1 320 et de 660 livres turques (TRY)[1] (soit respectivement environ 793 et 400 euros suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (« temyiz yolu açık olmak üzere »).
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18. Pour le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, voir l’arrêt Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010).
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ
Invoquant l’article 10 de la Convention, ils soutiennent que les condamnations qui ont été prononcées contre eux du chef de publication de déclarations émanant d’organisations terroristes ont enfreint leur droit à la liberté d’expression.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
27. Les requérants soutiennent que les condamnations qui ont été prononcées contre eux pour cause de publication de déclarations émanant d’organisations terroristes ont enfreint leur droit à la liberté d’expression garanti à l’article 10 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime (...) »
29. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, au sens de l’article 10 § 2 de la Convention (Yağmurdereli c. Turquie, no 29590/96, § 40, 4 juin 2002). Le différend en cause porte donc sur la question de savoir si l’ingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ».
30. Rappelant avoir déjà conclu, dans des affaires soulevant des questions semblables à celles de l’espèce, à la violation de l’article 10 de la Convention (Gözel et Özer, précité), la Cour examinera la présente affaire à la lumière de la jurisprudence précitée.
31. A cet égard, elle note que le premier écrit litigieux était une déclaration de M. Aydar, président du Kongra-Gel, qui démentait des allégations publiées sur un site Internet. Quant au second écrit, il s’agissait d’une déclaration émanant de détenus d’une prison de type F dans laquelle ceux-ci exposaient les raisons pour lesquelles ils avaient entamé une grève de la faim.
34. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
37. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
- 10 000 euros (EUR) pour le préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi du fait des amendes qu’ils ont acquittées,
- 50 000 EUR pour préjudice moral,
- 10 000 EUR pour frais et dépens. A l’appui de cette demande, ils ont communiqué à la Cour une liste détaillée des travaux et prestations fournis par leur avocat dans la procédure devant la Cour.
39. Le Gouvernement conteste ces sommes.
40. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour relève que l’amende infligée aux requérants est la conséquence directe de la violation constatée sur le terrain de l’article 10 de la Convention. Il y a donc lieu d’ordonner le remboursement intégral de la somme qu’ils ont acquittée à ce titre. Partant, la Cour alloue à MM. Belek et Özkurt 1 502 EUR et 755 EUR, respectivement, pour dommage matériel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 de la Convention et portant sur une insuffisance de la motivation des décisions judiciaires prononcées à l’égard des requérants, ainsi que de l’article 10 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le bien-fondé du grief tiré de l’article 6 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 502 EUR (mille cinq cent deux euros) à M. Belek et 755 EUR (sept cent cinquante-cinq euros) à M. Özkurt, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour dommage matériel ;
ii. 3 000 EUR (trois mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
iii) 500 EUR (cinq cents euros) à MM. Belek et Özkurt conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Guido
Raimondi
Greffier Président