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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MURAT AKTAS v. TURKEY - 47359/09 - Committee Judgment (French text) [2013] ECHR 868 (24 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/868.html
Cite as: [2013] ECHR 868

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MURAT AKTAŞ c. TURQUIE

     

    (Requête no 47359/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    24 septembre 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Murat Aktaş c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Atilla Nalbant, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 47359/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Murat Aktaş (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 août 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant était représenté par son avocat jusqu’au 11 juin 2013. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

  3. .  Le 12 avril 2010, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1974 et détenu à la prison de Tekirdağ.

  6. .  Le 23 novembre 2004, le requérant fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’être membre de l’organisation illégale TKEP-L (Parti des travailleurs communistes de Turquie/Léniniste) et d’avoir participé à des activités au nom de cette organisation.

  7.   Le 26 novembre 2004, le requérant fut placé en détention provisoire.

  8. .  Le 30 novembre 2004, il fut inculpé de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel et son procès commença devant la 10e cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises »).

  9. .  Au terme des audiences tenues devant elle, la cour d’assises ordonna le maintien en détention du requérant, en se fondant sur la nature de l’infraction reprochée, l’état des preuves, le contenu du dossier, le laps de temps passé en détention provisoire et la peine encourue.

  10. .  Le 7 juillet 2009, le représentant du requérant forma opposition contre la décision de maintien en détention rendue à l’issue de l’audience du 30 juin 2009.

  11. .  Le 17 juillet 2009, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta cette opposition compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée et de l’état des preuves.

  12. .  Au terme de la dix-neuvième audience tenue le 5 janvier 2011, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire compte tenu de l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

  13. .  Selon les éléments du dossier, la procédure est encore pendante devant la cour d’assises et le requérant est toujours en détention provisoire.
  14. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS


  15. .  Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie noo 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011.
  16. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  17. .  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et de la méconnaissance de son droit à la présomption d’innocence. Il invoque les articles 5 § 3 et 6 § 2 de la Convention.

  18. .  La Cour estime opportun d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
  19. « 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  20. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  21. .  La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000-IV).

  22. .  En l’espèce, la période à considérer a débuté le 23 novembre 2004 avec l’arrestation du requérant et d’après les renseignements fournis, elle n’aurait pas encore pris fin. Le requérant est donc toujours détenu sans qu’une décision soit rendue par la juridiction de première instance. Au jour de l’adoption de l’arrêt, elle a donc déjà duré plus de huit ans et sept mois.

  23. .  La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné des cas similaires et a conclu à maintes reprises à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34-41, 24 mai 2005, et Taciroğlu c. Turquie, n25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006). Le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument qui permettrait de se départir en l’espèce de ses conclusions.

  24. .  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
  25. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION


  26. .  Invoquant les articles 5 § 4, 6 § 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de l’absence d’un recours effectif au moyen duquel il aurait pu contester son maintien en détention provisoire.

  27. .  La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :
  28. « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »


  29. .  Le requérant reproche à la cour d’assises d’avoir examiné son recours sans tenir d’audience ; ni lui son avocat n’ont été entendu à cette occasion. Selon lui, le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté.

  30. .  La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige en principe la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000-XI).

  31. .  Toutefois, la Cour a déjà admis que si le détenu avait pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution lors de l’examen de l’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne porte atteinte au respect du principe de l’égalité des armes (voir Altınok, précité, § 54, 29 novembre 2011 et les affaires citées en référence, notamment Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 150, 27 mai 2010). A cet égard, elle a également pris en considération le fait qu’à la date d’examen de l’opposition, la comparution de l’intéressé devant les juges de première instance remontait seulement à quelques jours (Altınok, précité, § 55).

  32. .  La Cour note qu’il en est de même dans la présente affaire.

  33. .  En l’espèce, l’opposition formée par le requérant contre la décision du maintien en détention a été rejetée par la cour d’assises le 17 juillet 2009 à l’issue d’un examen sur dossier. Or, lorsque la cour d’assises a examiné ce recours en opposition, la dernière comparution du requérant devant un juge remontait à moins de trois semaines, à savoir à l’audience du 30 juin 2009 (paragraphes 9-10 ci-dessus). Aussi, dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que la tenue d’une audience ne s’imposait pas lors de l’examen de l’opposition le 17 juillet 2009. Il convient de préciser que cette circonstance n’a pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes dans la mesure où aucune des parties n’a participé à la procédure d’opposition (Altınok, précité, § 55).
  34. 28.  Dès lors, il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  35. .  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :
  36. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »


  37. .  La Cour constate que la période à considérer a débuté le 23 novembre 2004 avec l’arrestation du requérant et qu’elle na pas encore pris fin. La procédure en question a donc déjà duré plus de huit ans et sept mois au jour de l’adoption de l’arrêt.

  38. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée dune procédure sapprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de laffaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

  39. .  La Cour a traité à maintes reprises daffaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi, précité).

  40. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « droit d’être jugé dans un délai raisonnable ».

  41. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  42. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    35.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  43. .  Le requérant réclame 58 000 livres turques ((TRY), environ 26 000 euros (EUR)) au titre du préjudice matériel et 50 000 TRY (environ 22 000 EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  44. .  Le Gouvernement conteste ces montants.

  45. .  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 400 EUR au titre du préjudice moral.
  46. B.  Frais et dépens


  47. .  Le requérant demande également 44 700 TRY (environ 20 000 EUR) pour les frais et dépens. A titre de justificatifs, il fournit les quittances d’honoraires ainsi que les quittances relatives aux frais postaux.

  48. .  Le Gouvernement conteste ce montant.

  49. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  50. C.  Intérêts moratoires


  51. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  52. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 § 3 et l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i)  8 400 EUR (huit mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

            Atilla Nalbant                                                             Dragoljub Popović
        Greffier adjoint f.f.                                                                
    Président

     


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