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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DIL v. TURKEY - 2611/09 - Committee Judgment (French text) [2013] ECHR 869 (24 September 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/869.html
Cite as: [2013] ECHR 869

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DİL c. TURQUIE

     

    (Requête no 2611/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 septembre 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Dil c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Atilla Nalbant, greffier adjoint de section f.f.,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 2611/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ulaş Dil (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me M. Filorinalı, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
  3. 3.  Le 3 avril 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  4. .  Le requérant est né en 1977 et réside à Istanbul.

  5. .  Soupçonné d’appartenir à une organisation terroriste, le requérant fut arrêté le 3 mai 1999 et placé en détention provisoire le 7 mai 1999.

  6. .  Par un acte d’accusation du 20 juillet 1999, le procureur de la République près la cour de sureté de l’État d’Istanbul inculpa le requérant de tentative de renversement de l’ordre constitutionnel turc.

  7. .  Le procès commença devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Après la suppression des cours de sûreté de l’État en 2004, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de cette ville (« la cour d’assises spéciale »).

  8. .  Le 12 septembre 2008, la cour d’assises spéciale reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à réclusion criminelle à perpétuité.

  9. .  Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues devant elle, la cour de sûreté de l’État et la cour d’assises spéciale ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant.

  10. .  Le 7 avril 2010, le Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
  11. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION


  12. .  Le requérant se plaint de la durée de la détention provisoire subie par lui. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
  13. « 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »


  14. .  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations.

  15. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

  16. .  La Cour note que la détention provisoire du requérant a débuté le 7 mai 1999 et qu’elle s’est terminée le 12 septembre 2008 par le jugement du tribunal de première instance. La détention provisoire du requérant a donc duré environ neuf ans et quatre mois.

  17. .  La Cour rappelle qu’elle a conclu, dans maintes affaires portant sur des faits et griefs similaires à ceux de la présente espèce, à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Dereci c. Turquie, no 77845/01, §§ 34 41, 24 mai 2005, Taciroğlu c. Turquie, no 25324/02, §§ 18-24, 2 février 2006, et Cahit Demirel c. Turquie, no 18623/03, §§ 21-28, 7 juillet 2009). Le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument qui permettrait à la Cour de s’écarter en l’espèce de ses conclusions antérieures.

  18. .  Aussi conclut-elle à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention en ce qui concerne la durée de la détention subie par le requérant.
  19. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION


  20. .  Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale diligentée contre lui. Il se plaint ensuite de la présence d’un juge militaire au sein de la cour de sureté de l’État devant laquelle s’est déroulée une partie de sa procédure. Il se plaint enfin d’avoir été privé notamment d’un avocat pendant sa garde à vue. Il allègue aussi qu’il a été empêché de se défendre lors des audiences et qu’il n’a pas été emmené aux audiences. Il invoque l’article 6 de la Convention dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :
  21. « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

     

    3. Tout accusé a droit notamment à :

     

    (...)

     

    c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent (...)»

     


  22. .  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations.
  23. A.  Sur la recevabilité

    1.  Griefs tirés de l’impartialité de la cour de sûreté de l’Etat et de l’atteinte au droit de défense du requérant


  24. .  En ce qui concerne le grief du requérant relatif à la présence d’un juge militaire au sein de la cour de sûreté de l’État, la Cour note que le 18 juin 1999, la Constitution turque fut modifiée de manière à exclure les magistrats militaires de la composition des cours de sûreté de l’État. A la suite des modifications législatives apportées en ce sens le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l’État, les juges militaires siégeant au sein de ces juridictions furent remplacés par des juges civils. En l’espèce, le procès ayant commencé après l’acte d’accusation daté du 20 juillet 1999, un juge militaire ne pouvait plus siéger au sein de la cour de sûreté ayant connu l’affaire du requérant, comme le soutient ce dernier. Par ailleurs, le requérant n’apporte aucun élément pour appuyer son grief. Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

  25. .  S’agissant des griefs tirés de ce que le requérant aurait été empêché de se défendre et de participer aux audiences, la Cour note que le requérant se plaint de ces griefs en des termes généraux sans apporter aucune explication. L’examen du dossier, qui comporte seulement l’arrêt motivé de la cour d’assises et l’arrêt de la Cour de cassation, ne permet de relever aucun élément pour étayer ces allégations. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
  26. 2.  Griefs tirés de la durée de la procédure et de l’absence d’avocat lors de la garde à vue


  27. .  Quant au grief tiré de la durée de la procédure pénale, la Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle Requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

  28. .  La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé dans la présente affaire une exception portant sur ce nouveau recours. A lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de ce grief.

  29. .  La Cour constate que les griefs tirés de la durée de la procédure pénale et de l’absence d’un avocat lors de la garde à vue ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
  30. B.  Sur le fond

    1.  Durée de la Procédure


  31. .  La Cour note que la période à considérer a débuté le 3 mai 1999 par le placement en garde à vue du requérant et s’est terminée le 7 avril 2010 par l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré près de dix ans et onze mois pour deux instances.

  32. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, Ümmühan Kaplan c. Turquie, précité, § 48,).

  33. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  34. .  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 concernant la durée de la procédure.
  35. 2.  Absence d’avocat lors de la garde à vue


  36. .  La Cour note que le requérant était poursuivi pour des infractions relevant de la compétence de la cour de sûreté de l’État et que la législation en vigueur à l’époque des faits n’autorisait pas l’assistance d’un avocat lors de la garde à vue pour ce type d’infractions.

  37. .  A la lumière de sa jurisprudence bien établie en la matière, (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-63, 27 novembre 2008), la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention combiné avec l’article 6 § 1.
  38. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage moral


  39. .  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  40. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  41. .  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 200 EUR au titre du préjudice moral.

  42. .  La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas de violation de l’article 6 § 1 de la Convention, il faut placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition (Piersack c. Belgique (article 50), 26 octobre 1984, § 12, série A no 85). Elle estime que, lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un requérant a été prononcée malgré une violation de ses droits garantis par l’article 6 de la Convention, tel que celui en l’espèce, le meilleur moyen d’atteindre l’objectif de réparation recherché consisterait à rouvrir la procédure et à permettre le tenue d’un nouveau procès dans le respect des exigences de l’article 6 de la Convention (Pavlenko, c. Russie, no 42371/02, § 127, 1er avril 2010). Elle note à cet égard que l’article 311 du code de procédure pénale prévoit la possibilité d’une réouverture de la procédure pénale lorsque la Cour a constaté une violation de la Convention (Süzer c. Turquie, no 13885/05, § 89, 23 avril 2013).
  43. B.  Frais et dépens


  44. .  Le requérant demande également 5 400 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il présente un décompte d’honoraires à l’appui de cette demande.

  45. .  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

  46. .  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
  47. C.  Intérêts moratoires


  48. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  49. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 3 (durée de la détention provisoire) et 6 § 1 et 3 c) (durée de la procédure et absence d’avocat lors de la garde à vue) de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation des articles 5 § 3 et 6 § 1 et 3 c) de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

    i)  12 200 EUR (douze mille deux cents euros) , plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Atilla Nalbant                                                                  Dragoljub Popović
    Greffier adjoint f.f.                                                                   
    Président

     


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