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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RICCI v. ITALY - 30210/06 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 926 (08 October 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/926.html Cite as: [2013] ECHR 926 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE RICCI c. ITALIE
(Requête no 30210/06)
ARRÊT
STRASBOURG
8 octobre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ricci c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Danutė Jočienė,
présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
« Quiconque, de manière frauduleuse, intercepte des communications [au sein d’] un système informatique ou télématique (...) est puni par la réclusion [pour une durée] allant de six mois à quatre ans.
(...) la même peine s’applique à quiconque révèle, par le biais de tout moyen d’information [à destination du] public, tout ou partie du contenu de communications [telles que décrites] au paragraphe 1.
(...).
[La poursuite est engagée] d’office et la peine de réclusion va de un à cinq ans si le fait est commis :
1) au détriment d’un système informatique ou télématique utilisé par l’Etat ou par un autre organisme public ou par une entreprise fournissant des services publics ou de nécessité publique ;
(...). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
Il invoque l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
1. L’exception du Gouvernement tirée de la tardiveté de la Requête
2. Autres motifs d’irrecevabilité
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
b) Le Gouvernement
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
b) Sur la justification de l’ingérence : la prévision par la loi et la poursuite d’un but légitime
c) Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique
i. Principes généraux
« 113. Si les Etats contractants ont la faculté, voire le devoir, en vertu de leurs obligations positives au titre de l’article 8 de la Convention, de réglementer l’exercice de la liberté d’expression de manière à assurer une protection adéquate par la loi de la réputation des individus, ils doivent éviter ce faisant d’adopter des mesures propres à dissuader les médias de remplir leur rôle d’alerte du public en cas d’abus apparents ou supposés de la puissance publique. Les journalistes d’investigation risquent d’être réticents à s’exprimer sur des questions présentant un intérêt général (...) s’ils courent le danger d’être condamnés, lorsque la législation prévoit de telles sanctions pour les attaques injustifiées contre la réputation d’autrui, à des peines de prison ou d’interdiction d’exercice de la profession.
114. L’effet dissuasif que la crainte de pareilles sanctions emporte pour l’exercice par ces journalistes de leur liberté d’expression est manifeste (...). Nocif pour la société dans son ensemble, il fait lui aussi partie des éléments à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité - et donc de la justification - des sanctions infligées (...).
115. Si la fixation des peines est en principe l’apanage des juridictions nationales, la Cour considère qu’une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence (...). »
ii. Application de ces principes au cas d’espèce
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
B. Frais et dépens
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable ;
2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant ;
4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Danutė Jočienė
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge I. Karakaş.
D.J.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ
Je ne puis souscrire au raisonnement et à la conclusion adoptés par la majorité dans la présente affaire.
Le droit de critique et de satire doit certes être reconnu et protégé sur le terrain de l’article 10 mais le cas d’espèce, comme la Cour de cassation italienne l’a justement souligné, concernait la divulgation d’informations confidentielles non diffamatoires. Il s’agissait donc d’une affaire où devait être ménagé un juste équilibre entre la liberté d’expression et le droit à la confidentialité des communications.
La diffusion d’informations de nature confidentielle est un domaine où la Cour et la Commission ont déjà eu l’occasion de se prononcer (voir Z. c. Suisse, no 10343/83, décision de la Commission du 6 octobre 1983, Décisions et rapports 35, p. 229 ; Weber c. Suisse, no 11034/84, 22 mai 1990, série A no 177 ; Observer et Guardian c. Royaume-Uni, no 13585/88, 26 novembre 1991, série A no 216 ; Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, série A no 252 ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, 21 janvier 1999, Editions Plon c. France, no 58148/00, 18 mai 2004, Tourancheau et July c. France, no 53886/00, 24 novembre 2005, et Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, 10 décembre 2007).
La liberté de la presse s’avère d’autant plus importante dans des circonstances où les activités et décisions étatiques, en raison de leur nature confidentielle ou secrète, échappent au contrôle démocratique ou judiciaire. Or la condamnation d’un journaliste pour divulgation d’informations considérées comme confidentielles ou secrètes peut dissuader les professionnels des médias d’informer le public sur des questions d’intérêt général. En pareil cas, la presse pourrait ne plus être à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie (voir Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 17488/90, 27 mars 1996, § 39, Recueil 1996 II).
Pour déterminer si la mesure litigieuse était néanmoins nécessaire en l’espèce, plusieurs aspects distincts sont à examiner : les intérêts en présence ; le contrôle exercé par les juridictions internes ; le comportement du requérant ainsi que la proportionnalité de la sanction prononcée (Stoll, précité, § 112).
En l’espèce, tout d’abord, les juridictions internes ont ménagé un juste équilibre entre la liberté d’expression du requérant et le droit à la confidentialité des informations que, sur la base de l’article 617 quater du code pénal, il avait été accusé d’avoir divulguées.
La cour d’appel de Milan a observé qu’en principe, l’exercice du droit de critique et de satire pouvait justifier la divulgation d’une communication prohibée.
Elle a établi que, les informations divulguées ayant été recueillies en violation du droit d’autrui au secret, leur utilisation ne pouvait être admise et justifiée qu’en la présence d’un « intérêt public primordial » à leur diffusion. Le point essentiel est de savoir si les informations confidentielles en question revêtaient pareil intérêt.
Les juridictions internes ont exclu que les matériaux vidéo et audio concernant la querelle entre les deux invités du programme de la RAI eussent un tel intérêt public primordial.
Selon le juge interne, la querelle était elle-même « insignifiante » et sans importance pour la société.
La cour d’appel n’a pas exclu l’application en l’espèce du droit de satire mais elle a jugé que l’un de ses éléments essentiels, à savoir un intérêt public primordial, faisait défaut.
À cet égard, la cour d’appel a dit à titre d’exemple que « si l’interception et la diffusion des télécommunications de la RAI avaient révélé que la chaîne publique RAI avait manipulé un débat politique en faveur d’un parti au détriment d’un autre, cette information aurait manifestement été importante pour la société et sa révélation n’aurait pas été punissable » (arrêt de la cour d’appel du 23 janvier 2004, p. 21).
L’application en l’espèce des critères de l’arrêt précité Stoll c. Suisse (§ 112) me conduirait tout d’abord à admettre que les intérêts en jeu ont été mis en balance et que les juridictions internes ont opéré un contrôle effectif. Quant au troisième critère, à savoir le comportement du requérant, comme la majorité le reconnaît, il n’a pas agi dans le respect de l’éthique journalistique.
Bien sûr, la nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence (voir, à titre de comparaison, les affaires où la condamnation au pénal du requérant pour avoir exprimé des idées avait emporté violation de l’article 10, par exemple Surek c.Turquie no 4 [GC], no 24762/94, 8 juillet 1999, et Onal c. Turquie, nos 41445/04 et 41453/04, 2 octobre 2012). Or, dans la présente affaire, à la lumière de tous les éléments pertinents, et surtout vu les intérêts en jeu, la sanction imposée au requérant était une mesure proportionnée au but légitime visé.
Donc, à mes yeux, il n’y a pas eu de violation de l’article 10 de la Convention.