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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROMAN ZURDO AND OTHERS v. SPAIN - 28399/09 51135/09 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 929 (08 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/929.html
Cite as: [2013] ECHR 929

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ROMAN ZURDO ET AUTRES c. ESPAGNE

     

    (Requêtes nos 28399/09 et 51135/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    8 octobre 2013

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Roman Zurdo et autres c. Espagne,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Corneliu Bîrsan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos, juges,
    et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  À l’origine de l’affaire se trouvent deux Requêtes (nos 28399/09 et 51135/09) dirigées contre le Royaume d’Espagne et dont trois ressortissants de cet État, MM. Pedro Manuel Román Zurdo (« ci-après le premier requérant »), Rafael González Carrasco (« ci-après le deuxième requérant ») et Manuel Calle Arcal (« ci-après le troisième requérant »), ont saisi la Cour les 7 mai 2009 (pour le premier requérant) et 3 août 2009 (pour les deuxième et troisième requérants) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérants ont été représentés par Me E. Osuna Martinez, avocat à Grenade. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. F. Irurzun Montoro et F. de A. Sanz Gandasegui, avocats de l’État.

  3. .  S’agissant de la première Requête, le grief tiré de l’article 6 § 1 a été communiqué le 11 octobre 2011 au Gouvernement en ce qui concerne le non-respect du principe d’immédiateté. À cette même date, le même grief a été communiqué pour ce qui est de la deuxième Requête, ainsi qu’un grief supplémentaire relatif au prétendu manque d’impartialité de deux magistrates. Le restant des Requêtes a été déclaré irrecevable.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Les premier et deuxième requérants résident à Marbella et le troisième réside à Madrid.
  6. 5.  Le Ministère public porta plainte à l’encontre de plusieurs conseillers municipaux de la ville de Marbella, dont les requérants, auteurs présumés de délits relatifs à l’aménagement du territoire. Les accusés auraient, en particulier, participé à l’octroi de permis de construire illégaux. Les accusations furent portées contre une dizaine d’individus. Certains partis politiques de l’opposition municipale se constituèrent en accusation populaire.

    6.  Par un jugement rendu le 21 juillet 2006 après la tenue d’une audience publique, le juge pénal no 2 de Malaga acquitta l’ensemble des accusés. Il constata d’emblée l’existence d’une « confusion normative » sur le sujet litigieux, reconnue par ailleurs par plusieurs juridictions internes. Le juge considéra que les requérants ignoraient l’illégalité desdits permis de construire. Dans la mesure où le délit de l’article 320 du code pénal, pour lequel ils étaient accusés, exigeait le dol direct de l’auteur, le juge pénal conclut que les éléments pour l’existence de ce délit n’étaient pas remplis, les faits pouvant, le cas échéant, être qualifiés d’infraction administrative sans pertinence pénale.

    7.  Le juge parvint à sa conclusion après l’administration de certaines preuves, dont l’examen des dossiers administratifs relatifs aux permis de construire, le procès-verbal de la réunion municipale où ces permis furent accordés, ainsi que les dépositions des accusés et de plusieurs témoins dont celle du secrétaire et du chef du service juridique de la mairie de Marbella.

    8.  Le Ministère public et l’accusation populaire firent appel. Le 30 novembre 2006 l’Audiencia Provincial de Malaga décida qu’il serait utile de tenir une audience.

    9.  Les deuxième et troisième requérants sollicitèrent la récusation de deux magistrates de l’Audiencia Provincial, au motif qu’ils avaient entamé une procédure de responsabilité civile à leur encontre pour mauvais exercice de leurs fonctions dans le cadre d’un précédent procès les impliquant. Cette procédure se trouvait encore pendante. Par une décision du 9 février 2007, la tenue de l’audience fut suspendue en attente de la décision sur la récusation.

    10.  Le 13 mars 2007 le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta la demande de récusation du deuxième requérant au motif qu’il y avait une erreur dans la disposition légale sur laquelle elle était fondée.

    11.  Par une décision du 14 mars 2007 l’Audiencia Provincial fixa la tenue de l’audience relative à la procédure pénale à l’encontre des requérants pour le 22 mars 2007. Lors de cette audience, au cours de laquelle les requérants ne furent pas entendus, le troisième requérant souleva une exception préliminaire au motif que sa demande de récusation se trouvait toujours pendante. L’Audiencia Provincial rejeta cette prétention et se prononça sur le fond du recours d’appel. Sans avoir administré de nouvelles preuves, l’Audiencia Provincial de Malaga rendit un arrêt le 25 avril 2007 condamnant les requérants à une peine de douze mois de prison et à l’interdiction d’exercer en tant que conseillers municipaux pendant huit ans, pour un délit contre l’aménagement du territoire dans sa modalité de corruption urbanistique. La peine fut réduite en raison de la durée excessive de la procédure. L’Audiencia expliqua que les permis de construire litigieux étaient contraires à plusieurs instruments législatifs, à savoir la loi générale du sol de 1992 (Ley sobre el Régimen del Suelo y Ordenación Urbana) et la loi andalouse du sol et de l’aménagement du territoire de 1997. Ils enfreignaient également de nombreux règlements dont celui sur la discipline urbanistique. Par ailleurs, l’Audiencia trouva également que le plan général sur l’aménagement du territoire de la ville de Marbella de 1986 était applicable.

    12.  Après avoir modifié partiellement les faits déclarés prouvés par le juge a quo, l’Audiencia rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et signala que l’annulation d’un jugement absolutoire n’impliquait pas une atteinte aux droits fondamentaux lorsque, comme en l’espèce, l’annulation était fondée sur une question de droit, à savoir une erreur présumée dans l’appréciation ou la qualification juridique du résultat des preuves administrées en première instance, ledit résultat demeurant inchangé. S’agissant plus particulièrement des arguments utilisés par le juge pénal no 2 de Malaga pour parvenir à sa conclusion, la cour d’appel considéra qu’il était nécessaire d’approfondir la question de la « confusion normative ». À cet égard, l’Audiencia considéra que celle-ci avait été provoquée par les propres membres de la municipalité, les requérants ne pouvant dès lors invoquer leur méconnaissance de l’illégalité des permis de construire. En effet, ils faisaient partie de la commission du gouvernement de la ville de Marbella et étaient donc censés connaître cette illégalité.

    13.  S’agissant des moyens de preuve administrés lors de l’audience publique devant le juge pénal, à savoir les documents et les dépositions des accusés et des témoins, l’Audiencia signala qu’il ne lui appartenait pas de se pencher sur leur crédibilité mais qu’il lui était impossible d’accepter que les conseillers municipaux ne fussent pas au courant de certaines informations relatives aux activités urbanistiques de la ville.

    14.  Parallèlement, par deux jugements du 14 juin et 9 juillet 2007, le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta les demandes de responsabilité civile interjetées par les deuxième et troisième requérants contre les deux magistrates visées comme étant manifestement mal fondées. En particulier, il releva que le comportement critiqué ne révélait aucun indice de négligence et que les requérants se limitaient à contester l’interprétation effectuée des questions juridiques soulevées, laquelle, en l’espèce, ne pouvait être qualifiée de déraisonnable ou arbitraire.

    15.  Invoquant les articles 24 §§ 1 et 2 (droit à un procès équitable, au juge impartial, à la présomption d’innocence) et 25 (principe de légalité pénale) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. D’une part, les requérants se plaignirent de l’absence d’administration de preuves devant l’Audiencia Provincial. D’autre part, ils estimèrent que leur condamnation portait atteinte au principe de la présomption d’innocence. Ils contestèrent en outre l’impartialité de deux magistrates de l’Audiencia. Finalement, les requérants se plaignirent que la juridiction d’appel n’avait pas suffisamment spécifié la réglementation urbanistique applicable au cas d’espèce, portant ainsi atteinte au principe de légalité pénale.

    16.  Pour ce qui est du premier requérant, par une décision du 27 octobre 2008, notifiée le 7 novembre 2008, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable. S’agissant premièrement du prétendu manque d’impartialité de certains des magistrats de l’Audiencia Provincial, la haute juridiction rejeta le grief au motif que le requérant l’avait soulevé tardivement.

    17.  En ce qui concerne le grief tiré du principe de légalité pénale, le Tribunal signala qu’il faisait référence à l’absence, dans l’arrêt de condamnation, de la législation urbanistique applicable en l’espèce. À cet égard, il considéra que les mentions des différentes normes applicables étaient suffisamment claires et détaillées et remplissaient les exigences de prévisibilité.

    18.  Le Tribunal constitutionnel examina ensuite les allégations relatives à la présomption d’innocence et conclut à l’existence d’un ensemble d’éléments indiciaires suffisants pour parvenir à la décision de condamnation, laquelle ne pouvait pas être qualifiée d’arbitraire ou déraisonnable.

    19.  Finalement, la haute juridiction se pencha sur la question du respect du principe d’immédiateté et rappela que l’exigence d’administrer des preuves en appel dépendait des circonstances de chaque affaire et de la nature des questions devant être examinées. Ainsi, elle n’était pas nécessaire lorsque la question relevait exclusivement d’une divergence quant à la qualification juridique des faits déclarés prouvés par la première instance et qui n’avaient pas été modifiés par la juridiction d’appel. Dans ces cas, la question pouvait être résolue sur la base du dossier. Le Tribunal constitutionnel releva qu’il était question en l’espèce d’un changement dans l’inférence que l’Audiencia Provincial avait effectué des mêmes faits déclarés prouvés par le juge pénal, sur la base d’une déduction conforme à des règles de logique et d’expérience. Le contact direct avec les différentes parties n’aurait rien apporté en termes de garanties constitutionnelles supplémentaires. En outre, la haute juridiction signala qu’à la différence des affirmations du requérant, sa condamnation ne s’était pas fondée sur les déclarations des témoins mais sur la pondération juridique entre la législation urbanistique applicable et l’appréciation des preuves documentaires présentes dans le dossier. Au demeurant, elle considéra que la modification des faits était mineure et n’avait pas impliqué un changement substantiel du sens du récit déclaré prouvé en première instance.

    20.  Par une décision notifiée le 11 février 2009, le Tribunal constitutionnel déclara le recours des deuxième et troisième requérants irrecevable au motif qu’ils n’en avaient pas suffisamment justifié la pertinence constitutionnelle.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    A.  Constitution

    Article 24

    « 1.  Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre. »

    (...)

    B.  Code pénal

    Article 320

    « 1.  L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, informe favorablement [sur] des projets de construction ou [sur] la concession de permis contraires au règles d’urbanisme en vigueur sera puni avec la peine établie à l’article 404 de ce code ainsi qu’à [une peine de] six mois à deux ans de prison ou une amende de douze à vingt-quatre mois ».

    Article 404

    « L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, rend une décision administrative arbitraire sera puni avec une peine d’interdiction spéciale d’exercer des fonctions publiques pour une durée de sept à dix ans ».

    EN DROIT

    I.  JONCTION DES RequêteS


  7. .  Compte tenu de la connexité des Requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour juge approprié de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul et même arrêt.
  8. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE PRINCIPE D’IMMÉDIATETÉ


  9. .  Les requérants se plaignent premièrement du non-respect du principe d’immédiateté dans la procédure devant l’Audiencia Provincial et invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose dans sa partie pertinente :
  10. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

    A.  Sur la recevabilité


  11. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  12. B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    a)  Le Gouvernement

     


  13. .  Le Gouvernement insiste dans ses observations sur le fait que dans les affaires de l’espèce une audience publique eut lieu devant l’Audiencia Provincial, à laquelle ont assisté les représentants des requérants, lesquels ont eu l’occasion de soulever les arguments qu’ils ont estimés nécessaires pour la défense de leurs clients. L’exigence du principe du contradictoire a ainsi été respectée.

  14. .  Eu égard à la nature des questions devant être traitées, l’Audiencia considéra à juste titre que la reproduction de certaines preuves déjà soulevées devant le juge a quo ou l’administration de nouveaux moyens n’était pas nécessaire.

  15. .  En effet, de l’avis du Gouvernement l’Audiencia a résolu une question strictement juridique, à savoir quels étaient les éléments objectifs nécessaires pour conclure à l’existence de dol dans les délits de corruption urbanistique et contre l’aménagement du territoire.
  16. b)  Les requérants


  17. .  Les requérants considèrent pour leur part que l’Audiencia Provincial ne s’est pas limitée à effectuer une nouvelle qualification juridique des faits, mais qu’elle a procédé à une nouvelle appréciation des questions de fait considérées prouvées devant la première instance, ainsi que des preuves y ayant été administrées. En particulier, elle a apprécié différemment que le juge pénal no 2 de Malaga, les dépositions des témoins, élément clé qui permit de conclure à ce que les requérants n’avaient pas connaissance de l’illégalité des permis de construire. Dans la mesure où il s’agissait de déterminer si les requérants étaient au courant de cette illégalité, une audience aurait été nécessaire, au cours de laquelle tant les requérants que des témoins auraient pu être entendus.

  18. .  Les requérants contestent l’affirmation de l’arrêt de l’Audiencia, qui soutient que sa conclusion de culpabilité ne découle pas d’un changement dans la crédibilité octroyée aux témoins, mais qu’elle est le résultat d’une erreur dans la qualification juridique de l’ensemble des moyens de preuve administrés devant le juge pénal. En effet, les requérants notent qu’une analyse approfondie de cet arrêt permet de constater que l’Audiencia a réapprécié les preuves allant jusqu’à la modification des faits déclarés prouvés. Les requérants critiquent dans ce sens que l’Audiencia est allée même jusqu’à apprécier les déclarations des accusés pendant l’instruction.

  19. .  En conclusion, dans la mesure où il s’agissait de décider sur un élément subjectif, à savoir l’existence de dol, et que les conclusions de la première instance étaient fondées entre autres sur les dépositions des témoins, l’Audiencia aurait dû respecter le principe d’immédiateté.
  20. 2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux


  21. .  En ce qui concerne les principes généraux pertinents en l’espèce, la Cour renvoie aux paragraphes 36 à 38 de l’arrêt Lacadena Calero c. Espagne (no 23002/07, 22 novembre 2011).
  22. b)  Application de ces principes en l’espèce


  23. .  La Cour souligne d’emblée que la présente affaire repose sur la même problématique que celle exposée dans l’arrêt Valbuena Redondo c. Espagne (no 21460/08, 13 Décembre 2011).

  24. .  En l’espèce, il n’est pas contesté que les requérants, qui furent acquittés en première instance, ont été condamnés par l’Audiencia Provincial de Malaga sans avoir été entendus en personne. À cet égard, s’agissant de l’argument du Gouvernement relatif au fait qu’en l’espèce une audience eut lieu, la Cour se doit de constater que les requérants n’ont pas été entendus au cours de cette audience. De même, les témoins, dont la déposition fut un des éléments pris en compte par le juge pénal pour parvenir à la condamnation des requérants, n’ont pas non plus été entendus par l’Audiencia Provincial.

  25. .  Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention, il échoit d’examiner le rôle de l’Audiencia et la nature des questions dont elle avait à connaître. Dans les autres affaires examinées par la Cour portant sur la même problématique (voir, pour tous, l’arrêt Valbuena Redondo c. Espagne susmentionné), la Cour statua qu’une audience s’avérait nécessaire lorsque la juridiction d’appel « effectue une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les reconsidère », se situant ainsi au-delà des considérations strictement de droit. Dans de tels cas, une audience s’imposait avant de parvenir à un jugement sur la culpabilité du requérant (voir l’arrêt Igual Coll précité, § 36).

  26. .  En somme, il incombera essentiellement de décider, à la lumière des circonstances particulières de chaque cas d’espèce, si la juridiction chargée de se prononcer sur l’appel a procédé à une nouvelle appréciation des éléments de fait (voir également Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 55, 29 avril 2008).
  27. 35.  En l’espèce, le juge pénal no 2 de Malaga a statué sur la base de plusieurs preuves, dont l’examen des dossiers administratifs relatifs aux permis de construire ainsi que les dépositions des accusés et de plusieurs témoins dont celle du secrétaire et du chef du service juridique de la mairie de Marbella.


  28. .  Après la tenue d’une audience publique, au cours de laquelle les requérants ont été présents, le juge conclut, outre à la confusion normative existante dans la matière, à ce que les requérants ignoraient l’illégalité des permis de construire.

  29. .  De son côté, l’Audiencia Provincial de Malaga avait la possibilité, en tant qu’instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 25 avril 2007. Elle pouvait décider soit de confirmer l’acquittement des requérants soit de les déclarer coupables, après s’être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l’innocence des intéressés.

  30. .  L’Audiencia infirma le jugement entrepris. Sans entendre personnellement les requérants, elle effectua une nouvelle appréciation des moyens de preuve qui, à son avis, étaient essentiels pour parvenir à la conclusion sur la culpabilité des requérants, à savoir, les dépositions des accusés et des témoins, pour conclure à ce qu’ils devaient forcément être au courant de l’illégalité des permis. Par ailleurs, l’Audiencia se référa à la question de la « confusion normative » et conclut que les requérants, conseillers municipaux, avaient contribué à ladite confusion. Afin de parvenir à sa conclusion, l’Audiencia modifia tant les faits déclarés prouvés par le jugement contesté que la partie en droit de ce dernier.

  31. .  Dans la mesure où l’Audiencia s’est prononcée sur des circonstances subjectives des requérants, à savoir qu’ils avaient connaissance de l’illégalité des permis de construire litigieux, sans une appréciation directe de leur témoignages, elle s’est écartée du jugement d’instance après s’être prononcée sur des éléments de fait et de droit qui l’ont conduit à déterminer la culpabilité des accusés. En effet, il ne s’agit pas, de l’avis de la Cour, d’une modification dans la qualification juridique du résultat des preuves administrées en première instance, mais d’une nouvelle appréciation de l’élément subjectif du délit de corruption urbanistique qui se traduit en une altération des faits déclarés prouvés en première instance. Cette altération s’est effectuée sans que les requérants aient eu l’occasion d’être entendus personnellement afin de contester, moyennant un examen contradictoire, la nouvelle appréciation effectuée par l’Audiencia Provincial.

  32. .  Les arguments ci-dessus permettent à la Cour d’observer que l’Audiencia Provincial a fondé sa conclusion sur une nouvelle appréciation des éléments de preuve administrés au cours de l’audience publique devant le juge pénal no 2 de Malaga et sur lesquels les parties avaient pu présenter leurs allégations. L’Audiencia a procédé à cette nouvelle appréciation sans avoir eu un contact direct avec elles. Ainsi, la juridiction d’appel a réinterprété les faits déclarés prouvés et en a effectué une nouvelle qualification juridique, sans respecter les exigences du principe d’immédiateté (voir a contrario, Bazo González c. Espagne, no 30643/04, § 36, 16 décembre 2008).

  33. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’en l’espèce l’étendue de l’examen effectué par l’Audiencia Provincial rendait nécessaire l’audition des requérants. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
  34. III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE MANQUE D’IMPARTIALITÉ DE L’AUDIENCIA PROVINCIAL


  35. .  Par ailleurs, sous l’angle de la même disposition, les deuxième et troisième requérants se plaignent du manque d’impartialité de deux magistrates de l’Audiencia Provincial ayant participé à la formation qui a prononcé l’arrêt de condamnation.
  36. A.  Sur la recevabilité

    1.  Thèses des parties

    a)  Le Gouvernement


  37. .  Pour le Gouvernement, les prétentions du deuxième requérant peuvent être rejetées pour non-épuisement. En effet, il aurait attendu le recours d’amparo pour contester l’irrecevabilité de sa demande de récusation. De plus, contrairement au troisième requérant, il ne souleva pas ce grief lors de l’audience publique devant l’Audiencia Provincial.

  38. .  En ce qui concerne le troisième requérant, le Gouvernement note qu’il se limite à soulever le manque d’impartialité mais ne précise pas les raisons pour lesquelles les magistrates en question encourent ce reproche. Du point de vue du Gouvernement, il appartient au requérant de fonder sa demande sur des motifs concrets, charge dont le requérant de l’espèce ne s’est pas acquitté.

  39. .  Finalement, le Gouvernement reproche aux requérants de ne pas préciser si le prétendu manque d’impartialité doit être examinée sous une approche objective ou subjective.
  40. b)  Les requérants


  41. .  Pour sa part, le deuxième requérant conteste le non-épuisement et soutient que le recours d’amparo était la seule voie qui s’ouvrait à lui.

  42. .  Quant au troisième requérant, il considère que le fait d’avoir entamé une procédure à l’encontre des magistrates dans le cadre d’un précédent procès justifie à lui seul l’existence de craintes raisonnables de manque d’impartialité. Les magistrates auraient dû se dessaisir de l’affaire.

  43. .  S’agissant de l’approche à prendre en compte pour l’examen du grief, les requérants exposent que celui-ci repose sur les principes de l’impartialité objective.
  44. 2.  Appréciation de la Cour


  45. .  Tout d’abord, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de l’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le deuxième requérant. En effet, elle note que ce grief se heurte à un autre motif d’irrecevabilité et propose donc d’examiner ensemble les prétentions des deux requérants à ce sujet.

  46. .  La Cour considère qu’il convient d’examiner ce grief selon une appréciation objective, à savoir, il faudra se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des magistrates visées par les requérants, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de celles-ci. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions des intéressés peuvent passer pour objectivement justifiées.

  47. .  Or la Cour constate que les requérants n’étayent pas leurs allégations et se limitent à considérer que l’introduction d’une demande de responsabilité civile à l’encontre des magistrates, dérivée d’un litige préalable, était suffisante pour remettre en cause l’impartialité de ces dernières. Néanmoins, ils ne précisent pas dans quelle mesure ce fait porterait atteinte à leur droit à bénéficier d’un procès équitable. A cet égard, la Cour rappelle qu’il appartient aux requérants d’étayer leurs prétentions.

  48. .  En l’espèce, la Cour constate que tant la présente procédure que le litige antérieur ayant donné lieu à la réclamation de responsabilité civile par les requérants portaient sur une problématique similaire, à savoir des accusations contre les requérants pour des irrégularités présumées dans le cadre de leurs activités urbanistiques. Cependant, outre le fait que les deux procédures n’étaient pas concomitantes, aucun élément dans le dossier ne permet de déceler un indice de partialité chez les magistrates visées, qui se sont prononcées en l’espèce sur la base de faits nouveaux et après l’examen d’éléments de preuve propres à la procédure en cause. La Cour considère en outre que la décision d’une des parties d’entamer des actions légales à l’encontre d’un magistrat devant rendre une décision n’implique pas nécessairement l’obligation de ce dernier de s’abstenir de l’affaire en question. Dans le cas contraire, la composition de chaque tribunal resterait soumise à la volonté des parties.

  49. .  Au demeurant, la Cour note que le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta les demandes de responsabilité civile interjetées à leur encontre par les deuxième et troisième requérants comme étant manifestement mal fondées.

  50. .  A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les craintes des requérants quant au manque d’impartialité ne peuvent pas être considérées comme objectivement justifiées. Dès lors, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 § 3 de la Convention.
  51. IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  52. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  53. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  54. .  Les requérants demandent premièrement l’annulation de l’arrêt de l’Audiencia Provincial de Malaga qui conclut à leur condamnation. Cependant, conscients que la législation espagnole ne prévoit pas une telle possibilité suite à un arrêt de violation de la Cour européenne, ils réclament 10 000 euros (EUR) chacun au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

  55. .  Par ailleurs, ils renoncent à toute réclamation au titre du préjudice matériel.

  56. .  Le Gouvernement sollicite le rejet de la demande.

  57. .  La Cour estime que les requérants ont certes subi un préjudice moral. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’octroyer à chacun des requérants la somme de 8 000 EUR au titre du préjudice moral..
  58. B.  Frais et dépens


  59. .  Les requérants n’ont pas fait de demande au titre des frais et dépens.
  60. C.  Intérêts moratoires


  61. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  62. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les Requêtes ;

     

    2.  Déclare les Requêtes recevables en ce qui concerne le principe d’immédiateté et irrecevables pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

     

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

      Marialena Tsirli                                                                   Josep Casadevall
    Greffière adjointe                                                                       Président

     


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