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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CIRILLO v. ITALY - 36276/10 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 94 (29 January 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/94.html
Cite as: [2013] ECHR 94

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CIRILLO c. ITALIE

     

    (Requête no 36276/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    29 janvier 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Cirillo c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Danutė Jočienė, présidente,
              Guido Raimondi,
              Dragoljub Popović,
              András Sajó,
              Işıl Karakaş,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 décembre 2012,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36276/10) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Bruno Cirillo (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant a été représenté par Me N. Delle Vergini, avocat à Lucera. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.

  3. .  Le requérant allègue l’insuffisance des soins qui lui sont prodigués à la prison de Foggia pour traiter sa pathologie.

  4. .  Le 5 janvier 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1980 et est actuellement détenu à Foggia.

  7. .  Le requérant est atteint, depuis mars 2005, d’une paralysie subtotale du plexus brachial gauche, accompagnée d’une limitation fonctionnelle sévère, provoquée par une balle d’une arme à feu. En outre, il est atteint de troubles anxieux et dépressifs.

  8. .  Le 18 novembre 2005, il fut arrêté et incarcéré dans la prison de Reggio de Calabre dans le cadre d’une enquête pour homicide. Par un arrêt de la cour d’assises d’appel de Reggio de Calabre du 7 décembre 2007, le requérant fut condamné à une peine de vingt-et-un ans de réclusion.

  9. .  Les médecins de la prison de Reggio Calabre préconisèrent la nécessité d’effectuer des cycles de kinésithérapie et d’électrostimulation dans des centres spécialisés de rééducation.

  10. .  Le requérant effectua une première thérapie à l’unité de kinésithérapie de l’hôpital de Cittanova du 20 février au 19 avril 2006.

  11. .  Le 24 juillet 2007, le médecin de la prison de Messine, dans laquelle le requérant avait été transféré, signala au directeur de l’établissement que l’intéressé avait besoin d’une thérapie dans un centre spécialisé.

  12. .  Le 16 août 2007, le requérant fut examiné au « Centro Neurolesi » de Messine. Le médecin prescrivit au requérant des exercices de kinésithérapie pour la réhabilitation du membre supérieur gauche ainsi que des séances d’électrothérapie pour la stimulation des muscles.

  13. .  Il ressort du dossier médical de la prison de Messine que le requérant bénéficia de quelques séances de kinésithérapie pratiquées par les médecins de la prison, dont la fréquence et la durée n’ont pas été précisées.

  14. .  Le 14 décembre 2008, le requérant fut transféré à la prison de Foggia. Il y fit une grève de la faim du 6 au 22 octobre 2009 et du 2 au 9 juin 2010.

  15. .  En 2009, le requérant saisit le tribunal d’application des peines de Bari d’une demande tendant à obtenir la suspension de l’exécution de sa peine en raison de son état de santé. Il fit valoir que depuis son arrivée dans la prison de Foggia, il n’avait bénéficié que de quelques séances sporadiques de kinésithérapie et que, par conséquent, il constatait une perte progressive de la fonctionnalité de son bras gauche.
  16. Le 21 décembre 2009, le médecin de la prison émit un certificat selon lequel le requérant n’était pas en danger de vie et était en attente d’effectuer un cycle de kinésithérapie visant à éviter la paralysie du tendon du membre supérieur gauche.


  17. .  Par une ordonnance du 4 février 2010, le tribunal, sur la base du certificat du 21 décembre 2009, affirma que les pathologies dont le requérant souffrait pouvaient être soignées dans le cadre du régime de détention. Il soutint dès lors que l’état de santé du requérant était compatible avec la détention, à condition que l’administration de séances régulières de kinésithérapie soit réellement assurée, si besoin au moyen d’hospitalisations dans des centres extérieurs à la prison. Par conséquent, le tribunal rejeta la demande du requérant et invita l’administration pénitentiaire à évaluer l’opportunité de transférer le requérant dans un centre clinique ou dans un autre pénitencier afin de permettre un suivi thérapeutique constant et effectif.

  18. .  Le 23 mars 2010, le requérant se pourvut en cassation contre l’ordonnance du tribunal d’application des peines, affirmant que ce dernier aurait dû ordonner la suspension de l’exécution de la peine compte tenu de la gravité de son état de santé. La haute juridiction débouta le requérant de son pourvoi le 7 décembre 2010, confirmant la compatibilité entre la détention et l’état de santé du requérant et considérant que l’intéressé n’avait pas démontré de quelle manière la détention à domicile aurait permis un traitement plus efficace de sa maladie.

  19. .  Dans un certificat du 6 avril 2011, le directeur sanitaire de la prison de Foggia attesta que le requérant bénéficiait de cycles de réhabilitation périodiques, avec des délais d’attente parfois longs, compte tenu notamment du nombre de demandes pendantes et du surpeuplement existant dans le pénitencier.

  20. .  A une date qui n’a pas été précisée, le requérant saisit à nouveau le tribunal d’application des peines d’une demande visant sa détention à domicile pour raisons de santé.

  21. .  Par une ordonnance du 1er décembre 2011, s’appuyant sur les rapports établis par les médecins de la prison de Foggia les 10 et 25 novembre 2011, attestant notamment que le requérant bénéficiait de séances de kinésithérapie à jours alternés depuis le 9 novembre 2011, le tribunal rejeta la demande du requérant. Il affirma que son état de santé ne justifiait pas l’octroi de la détention domiciliaire, car sa pathologie pouvait être soignée en milieu carcéral à condition d’assurer des cycles réguliers de kinésithérapie.
  22. Par ailleurs, le tribunal ordonna la transmission du dossier au département de l’administration pénitentiaire afin que celle-ci évalue l’opportunité de transférer le détenu dans un autre institut pénitentiaire où il pourrait recevoir des soins adaptés à son état de santé de manière continue et régulière.


  23. .  Il ressort du dossier qu’en 2010, le requérant fut soumis à des séances de kinésithérapie les 12, 13, 17, 18, 23 et 24 août et les 9, 10 et 13 septembre 2010. Au cours de l’année 2011, deux cycles de 10 séances à jours alternés furent dispensées les 20 et 24 janvier et les 1er, 2, 3, 7, 11, 21, 24 et 28 février 2011 ainsi que du 9 novembre au 1er décembre 2011.

  24.   Le 30 janvier 2012, l’avocat du requérant adressa une plainte au magistrat d’application des peines de Foggia alléguant l’arrêt des traitements thérapeutiques depuis le 1er décembre 2011 et lui demandant d’intervenir pour préserver la santé du requérant.
  25. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    22.  La suspension de l’exécution de la peine est prévue par l’article 147 § 1 no 2 du code pénal, aux termes duquel

    « L’exécution d’une peine peut être suspendue : (...)

    2) si une peine privative de liberté doit être exécutée à l’encontre d’une personne se trouvant en condition d’infirmité physique grave (...). »


  26.   Aux termes de l’article 678 du code de procédure pénale, la décision de suspendre l’exécution de la peine peut être adoptée même d’office par le tribunal d’application des peines.
  27. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


  28. .  Le requérant allègue l’insuffisance des soins adaptés à son état de santé. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
  29. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »


  30. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  31. A.  Sur la recevabilité


  32. .  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que dans son formulaire de requête, le requérant avait omis d’informer la Cour qu’il s’était pourvu en cassation contre l’ordonnance du tribunal d’application des peines du 4 février 2010. Dès lors, tout en informant la Cour des développements de la procédure interne, le Gouvernement est d’avis que l’intéressé ne s’est pas acquitté de son obligation de prouver qu’il a correctement épuisé les voies de recours qui s’offraient à lui.

  33. .  Le requérant s’oppose à l’exception du Gouvernement.

  34. .  La Cour observe que lors de l’introduction de la requête, le recours du requérant contre l’ordonnance du 4 février 2010 était pendant devant la Cour de cassation. Celle-ci se prononça le 7 décembre 2010. Cela étant, la Cour ne saurait conclure que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes et considère qu’il y a lieu de rejeter l’exception du Gouvernement.

  35. .  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  36. B.  Sur le fond


  37. .   Le requérant se plaint de ce que, malgré les recommandations des médecins selon lesquels il nécessiterait des séances quotidiennes de kinésithérapie, il ne peut accéder aux soins que de façon très sporadique et inefficace et connaît de ce fait une dégradation progressive de ses conditions physiques. Il fait noter que par les deux ordonnances concernant sa détention, le tribunal d’application des peines de Bari avait conclu à la compatibilité entre la détention et son état de santé à condition qu’il soit transféré dans un établissement permettant un suivi médical régulier. Or, malgré ses décisions judiciaires, il n’a jamais été transféré et la qualité des soins dispensés à la prison de Foggia ne s’est nullement améliorée.

  38. .  Le Gouvernement fait valoir que la suspension de l’exécution de la peine est une mesure applicable seulement en cas d’infirmité physique grave ne permettant pas le maintien du détenu en milieu carcéral. Faisant une application correcte de ce principe, les autorités nationales ont conclu avec raison que l’état de santé du requérant était pleinement compatible avec la détention à condition de bénéficier de traitements de kinésithérapie. A cet égard, le Gouvernement affirme que depuis son incarcération en 2008, le requérant a pu bénéficier de sept cycles de physio-kinésithérapie comportant chacun dix séances d’électrostimulation des muscles supérieurs ainsi que des traitements rééducatifs fonctionnels. En particulier, il a bénéficié de dix séances au cours des mois d’août et septembre 2010, à savoir les 12, 13, 17, 18, 23 et 24 août et les 9, 10 et 13 septembre, et de dix séances au cours des mois de janvier et février 2011, soit les 20 et 24 janvier et les 1er, 2, 3, 7, 11, 21, 24 et 28 février.
  39. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le requérant a omis d’indiquer les périodes pendant lesquelles il n’aurait pas bénéficié des thérapies. Il estime que l’État défendeur ne devrait pas être obligé de pallier cette carence d’information en faisant des recherches laborieuses et onéreuses.


  40.   Le Gouvernement affirme ensuite que le requérant a refusé de se soumettre à certains traitements préconisés par l’administration. Ce manque de collaboration avec les autorités compétentes devrait amener la Cour à rejeter les doléances de l’intéressé.

  41. .  Le Gouvernement fait observer que l’état de santé du requérant a été contrôlé régulièrement tant par le personnel sanitaire de la prison que par les médecins des structures extérieures auprès desquelles il a été suivi tout au long de sa détention. En effet, l’intéressé a été soumis à un nombre exceptionnel d’examens et de consultations médicales spécialisées. Enfin, il serait assisté d’une personne dans l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne en prison. Le Gouvernement en conclut que la détention du requérant n’a pas été contraire à l’article 3 de la Convention.
  42. 1.  Principes généraux


  43. .  La Cour rappelle que pour qu’une peine ou un traitement puissent être qualifiés d’« inhumains » ou « dégradants », la souffrance ou l’humiliation infligées à la victime doivent aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, CEDH 2006-IX).

  44.   Lorsqu’il s’agit en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne le soumettent pas à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Rivière c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006).

  45.   Les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre le détenu en liberté ou de le transférer dans un hôpital civil, même s’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne peut exclure que, dans des conditions particulièrement graves, on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que soient prises des mesures de nature humanitaire (Matencio c. France, n58749/00, § 76, 15 janvier 2004, et Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).

  46. .  La Cour note que le manque de soins médicaux appropriés peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII ; Gennadiy Naumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière. L’efficacité du traitement dispensé présuppose ainsi que les autorités pénitentiaires offrent au détenu les soins médicaux prescrits par des médecins compétents (voir Soysal c. Turquie, no 50091/99, § 50, 3 mai 2007 ; Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. En particulier, ces deux facteurs ne sont pas évalués par la Cour en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006; Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005 ; Iorgov c. Bulgarie, n40653/98, § 85, 11 mars 2004 ; Sediri c. France (déc.), no 4310/05, 10 avril 2007). En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas, en soi, un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examinera à chaque fois si la détérioration de l’état de santé de l’intéressé était imputable à des lacunes dans les soins médicaux dispensés (voir Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).
  47. 2.  Application au cas d’espèce


  48. .  Les doléances du requérant portent sur la qualité des soins qui lui sont dispensés à la prison de Foggia pour le traitement de sa pathologie.
  49. La Cour observe que le requérant a demandé à plusieurs reprises que sa peine soit suspendue pour raisons médicales. Cependant, ni les médecins, ni les juges qui se sont occupés du cas du requérant n’ont conclu que l’état de santé de celui-ci est incompatible avec la détention ordinaire, affirmant au contraire que les soins nécessaires peuvent être administrés en milieu carcéral (a contrario, Scoppola c. Italie (no 4), no 65050/09, § 52, 17 juillet 2012). Dans ces conditions, la Cour ne peut pas conclure que le maintien en détention du requérant est incompatible en soi avec l’article 3 de la Convention.


  50.   En revanche, il est incontesté que le requérant souffre d’une pathologie invalidante qui nécessite un suivi médical intensif et régulier. Ainsi, la Cour se doit de rechercher si, en l’espèce, les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elles et, en particulier, si elles ont satisfait, en général, à leur obligation de protéger l’intégrité physique du requérant par l’administration de soins médicaux appropriés.

  51.   Le requérant est atteint d’une paralysie subtotale du bras gauche accompagnée d’une limitation fonctionnelle sévère. En outre, il souffre de troubles anxieux et dépressifs. Les éléments du dossier démontrent que l’ensemble des médecins ayant examiné le requérant n’a cessé d’affirmer que la soumission à des cycles réguliers de kinésithérapie est nécessaire pour soulager les souffrances du requérant et pour empêcher la paralysie totale du tendon du bras. Les juges d’application des peines ont par ailleurs invité à deux reprises l’Administration pénitentiaire à tout mettre en œuvre pour garantir à M. Cirillo des séances continues de kinésithérapie (paragraphes 15 et 19 ci-dessus).
  52. 41.  Le Gouvernement, qui ne conteste pas la gravité de l’état de santé du requérant et la nécessité de recevoir des soins réguliers, maintient que celui-ci a bénéficié depuis le début de sa détention d’un suivi adéquat et suffisant. Il en veut pour preuve devant la Cour le calendrier des séances de kinésithérapie administrées au cours des années 2010 et 2011. Par ailleurs, le Gouvernement estime qu’il appartiendrait au requérant d’indiquer les périodes pendant lesquelles il n’aurait pas eu accès aux soins et considère que l’État n’est pas tenu de se défendre de doléances formulées de manière imprécise.

    42.  Tout d’abord, concernant cette dernière affirmation du Gouvernement, la Cour, sensible à la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l’État, telles les personnes détenues, estime utile de rappeler ici que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme). Lorsque le gouvernement défendeur est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant, le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstienne de fournir les informations en sa possession peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (voir, entre autres, Ahmet Özkan et autres c. Turquie, n21689/93, § 426, 6 avril 2004 ; Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, § 90, 12 avril 2011).

    43.  Quoi qu’il en soit, se bornant en l’espèce à l’examen des éléments présents dans le dossier et au-delà de toute autre considération, la Cour observe que le requérant a été soumis à dix séances de kinésithérapie en 2010 et à vingt séances en 2011 (voir paragraphes 20 et 31 ci-dessus). Or, la Cour n’est pas du même avis que le Gouvernement et considère que ces informations incontestées prouvent, contrairement aux affirmations du Gouvernement, que le requérant n’a pu accéder que de manière sporadique aux soins dont il aurait besoin de façon assidue et constante.


  53.   S’il est vrai que le dossier médical du requérant démontre que celui-ci a été examiné à maintes reprises par les médecins, comme le fait valoir le Gouvernement, la Cour rappelle qu’il n’est guère suffisant que le détenu soit examiné et un diagnostic établi. En vue de la sauvegarde du prisonnier, il est primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient également mis en œuvre (Poghossian c. Géorgie, no 9870/07, § 59, 24 février 2009 ; Raffray Taddei c. France, no 36435/07, § 59, 21 décembre 2010).

  54.   La Cour observe ensuite que l’affirmation du requérant concernant l’insuffisance des soins médicaux appropriés semble être confirmée également par le certificat de la direction sanitaire de la prison de Foggia du 6 avril 2011, reconnaissant la difficulté pour le requérant d’avoir accès aux soins en raison du grand nombre de demandes et du surpeuplement régnant dans l’établissement (voir paragraphe 17 ci-dessus).
  55. La Cour ne sous-estime pas les difficultés de garantir aux personnes détenues des soins spécialisés intensifs et réguliers, notamment dans une situation de surpeuplement carcéral. Cependant, elle estime que les dysfonctionnements structurels du système pénitentiaire ne dispensent pas l’État de ses obligations face aux détenus malades.


  56.   Aux yeux de la Cour, la pathologie présentée par le requérant et l’inadéquation de la prison de Foggia auraient dû pour le moins conduire les autorités à transférer ce dernier dans un établissement garantissant des soins adaptés afin d’exclure tout risque de traitements inhumains, conformément aux recommandations émises par les juges d’application des peines.

  57.   Enfin, concernant l’argument selon lequel le requérant aurait empêché les démarches des autorités par son manque de collaboration, la Cour note que le Gouvernement s’est borné à faire référence de manière vague à certains refus que l’intéressé aurait opposés aux traitements, sans préciser la portée desdits refus ni produire de documents à l’appui de son affirmation. D’ailleurs, rien dans le dossier ne prouve que le comportement du requérant ait entravé l’action des autorités compétentes et ait été la cause du dysfonctionnement dans son suivi médical.

  58.   Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour estime qu’en l’espèce, les autorités ont failli à leur obligation d’assurer au requérant le traitement médical adapté à sa pathologie. Elle considère que l’épreuve que le requérant a subie de ce fait a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et a constitué un « traitement inhumain ou dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention. A cet égard, la Cour ne perd pas de vue que le requérant est atteint également de troubles psychologiques.
  59. La Cour admet qu’en l’espèce, rien n’indique qu’il y ait eu véritablement intention d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 (mutatis mutandis, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001-III).


  60. .  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
  61. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    50.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  62. .  Le requérant réclame un dédommagement pour les préjudices matériel et moral qu’il aurait subis, sans pourtant chiffrer ses prétentions.

  63. .  Le Gouvernement s’y oppose.

  64. .  La Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, d’ailleurs non chiffré, et rejette la demande du requérant à ce titre. En revanche, elle considère que le requérant a subi un tort moral certain et, statuant en équité, décide qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR.
  65. B.  Frais et dépens


  66. .  Le requérant demande également 5 000 EUR pour l’ensemble des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

  67. .  Le Gouvernement s’y oppose.

  68. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.
  69. C.  Intérêts moratoires


  70. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  71. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)   3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                   Danutė Jočienė
            Greffier                                                                              Présidente


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