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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MD v. GREECE - 60622/11 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1216 (13 November 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1216.html Cite as: [2014] ECHR 1216 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MD c. GRÈCE
(Requête no 60622/11)
ARRÊT
STRASBOURG
13 novembre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire MD c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro-Lefèvre,
présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 60622/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant bangladais, M. Toiabali MD (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me Th. Tsiatsios, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Le requérant allègue des violations des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention relatives à sa détention en vue de son expulsion dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique.
4. Le 5 avril 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1978 et réside à Thessalonique.
A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant
6. Le requérant fut arrêté le 9 mai 2009 par des agents de police du commissariat de l’Attique du Nord-Est au motif qu’il était entré illégalement en Grèce et qu’il ne disposait pas de documents de voyage.
7. Le 12 mai 2009, le chef de la police des étrangers de l’Attique ordonna l’expulsion du requérant pour entrée irrégulière sur le territoire (article 76 § 1 b) de la loi no 3386/2005), mais non sa détention au motif que l’intéressé ne risquait pas de fuir et n’était pas dangereux pour l’ordre public. La décision précisait que le requérant devait quitter le territoire dans un délai de trente jours. Le 17 mai 2009, le requérant fut mis en liberté car l’exécution de la décision d’expulsion n’était pas réalisable en l’absence de documents de voyage établis à son nom.
8. Le 12 juillet 2009, le requérant, qui n’avait pas quitté le territoire, fut arrêté par des agents de police de la direction des étrangers de Thessalonique et mis en détention en vue de l’exécution de la décision d’expulsion du 12 mai 2009. Puis, par une décision du 21 juillet 2009, le chef de la police des étrangers de Thessalonique décida de suspendre la détention du requérant car celui-ci n’était pas en possession de documents de voyage et, par conséquent, ne pouvait pas être expulsé ; il accorda à l’intéressé un délai de trois mois pour quitter le territoire.
9. Le 4 janvier 2011, le requérant fut encore arrêté, lors d’un contrôle de police, et mis en détention en vue de l’exécution susmentionnée. La décision y relative, prise le même jour par la direction des étrangers de Thessalonique, soulignait que le requérant n’avait pas quitté le territoire dans le délai de trente jours qui lui avait été imparti par la décision du 12 mai 2009 et qu’il risquait de fuir. Elle ordonnait son maintien en détention jusqu’à son expulsion, et ce pour une période ne pouvant pas dépasser six mois.
10. Le 20 janvier 2011, le requérant formula des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif de Thessalonique. Il indiquait qu’il n’avait pas de passeport, que son expulsion était par conséquent impossible et qu’il avait une adresse connue à Thessalonique.
11. Dans ses observations complémentaires du 16 février 2011, le requérant invoqua l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi que l’article 15 §§ 1 et 4 de la Directive 2008/115 CE selon lequel la détention est maintenue seulement pour la période pendant laquelle la procédure d’expulsion est en cours et se déroule avec la diligence requise. Il dénonçait ses conditions de détention, se plaignant notamment d’un état de surpopulation, d’un manque d’exercice physique, d’une nourriture insuffisante, d’installations sanitaires défectueuses, ainsi que de devoir dormir par terre sur un matelas sale. Il se prévalait à cet égard de l’arrêt Tabesh c. Grèce (no 8256/07, 26 novembre 2009) qui concernait le même lieu de détention. Enfin, il soutenait que la procédure d’exécution de la mesure d’expulsion n’était pas effectuée avec la diligence requise car, à ses dires, les autorités grecques n’avaient pris aucun contact avec le consulat afin de faire établir ses documents de voyage.
12. Par une décision du 17 février 2011, le président du tribunal administratif rejeta les objections formulées par le requérant. Il relevait que celui-ci risquait de fuir s’il était remis en liberté, car il n’avait pas suffisamment prouvé qu’il avait une adresse stable à Thessalonique. Il soulignait de plus que le requérant avait violé l’obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire dans un délai de trente jours et qu’aucun élément du dossier ne permettait d’établir que l’expulsion était irréalisable ; sur ce dernier point, il indiquait également que cela ne pouvait pas non plus être déduit de la détention de l’intéressé pendant quarante jours car le délai maximal légal de détention n’avait pas encore été atteint.
Par ailleurs, le président du tribunal administratif ne répondit pas aux griefs du requérant quant à ses conditions de détention.
13. Le 23 février 2011, le requérant demanda à bénéficier du statut de réfugié politique, fait qui aurait dû en principe entraîner son élargissement.
14. Le 11 mars 2011, le requérant saisit le président du tribunal administratif de Thessalonique d’une demande de révocation de la décision du 17 février 2011 portant rejet de ses objections. Il soutenait que son expulsion était irréalisable car, selon lui, les autorités n’avaient entamé aucune démarche pour faire établir des documents de voyage à son nom et car l’examen de sa demande d’asile était encore pendant. Il réitérait ses allégations selon lesquelles il était détenu dans des conditions portant atteinte à la dignité humaine, précisant qu’il était placé avec plusieurs individus dans un petit espace ne disposant que d’une toilette pour dix personnes et d’aucun lit et qu’il n’y avait pas de possibilité de promenade et pas de nourriture suffisante.
15. Le 15 mars 2011, le président du tribunal administratif accueillit la demande du requérant et ordonna la levée de la détention. Se fondant sur l’article 13 du décret no 114/2010 et sur le fait que le requérant avait déposé une demande d’asile qui était en cours d’examen, il considéra que l’intéressé ne constituait plus un danger pour l’ordre et la sécurité publics.
16. Le requérant fut mis en liberté le même jour.
17. Le 24 mars 2011, le requérant se vit délivrer un récépissé de demandeur d’asile.
B. Les conditions de détention du requérant
1. La version du requérant
18. Le requérant indique qu’il a été détenu du 4 janvier au 15 mars 2011, soit soixante et onze jours, dans une cellule surpeuplée de la police des étrangers de Thessalonique occupée par vingt autres personnes.
19. Le requérant ajoute que l’éclairage, tant naturel qu’artificiel, était insuffisant, que les cellules étaient dépourvues de lits et qu’il n’y avait aucune possibilité de se livrer à une activité physique à l’extérieur ou de bénéficier d’une activité récréative à l’intérieur. Il déclare aussi que le matelas sur lequel il dormait était posé à même le sol en ciment et qu’il ne pouvait pas dormir en raison de la surpopulation, du manque d’aération et de l’odeur nauséabonde provenant des installations sanitaires. Il ajoute qu’à l’intérieur de la cellule se trouvaient deux toilettes et une douche.
20. Enfin, le requérant indique qu’il recevait la somme de 5,87 euros (EUR) par jour pour sa nourriture et que ce montant était insuffisant pour se procurer trois repas.
2. La version du Gouvernement
21. Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant.
Les locaux de la police des étrangers de Thessalonique, comprenant dix dortoirs, ont une capacité officielle de 90 détenus. La superficie de chaque dortoir s’élève à 58,85 m². Dans chaque dortoir se trouvent deux toilettes et une douche avec eau chaude, accessibles aux détenus 24 heures sur 24. Des fenêtres situées tout le long d’un des murs assurent une lumière naturelle suffisante dans chaque dortoir. Chaque cellule comporte des matelas en bon état, et chaque détenu reçoit une couverture. Les couvertures sont nettoyées régulièrement dans les installations de la prison de Thessalonique. Les dortoirs sont nettoyés par une entreprise privée cinq fois par semaine, désinfectés une fois par semaine et désinsectisés une fois tous les deux mois.
22. À la date de l’incarcération du requérant, le nombre total des détenus dans les locaux en question s’élevait à 110. À la même date, 11 détenus se trouvaient dans le dortoir no 6 où avait été placé l’intéressé ; ce nombre varia entre 9 et 14 au cours de la période de détention du requérant. Le dépassement du seuil du nombre des détenus ne durait que quelques heures car des remises en liberté avaient lieu en début d’après-midi pour éviter un état de surpopulation.
23. L’alimentation des détenus était excellente. Elle était fournie par une entreprise privée et comportait du fromage et de la salade. Les détenus avaient la possibilité d’acheter des produits à l’équipe mobile de la cantine de la sous-direction des transferts qui passait deux fois par jour dans les locaux de la police des étrangers.
Enfin, pour la distraction des personnes détenues, cinq téléviseurs étaient placés en face des dortoirs de manière à être visibles par les détenus.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
24. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers sur le territoire grec sont exposés dans l’arrêt C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, § 28, 19 décembre 2013).
25. Dans un rapport établi le 20 septembre 2006 en matière d’expulsion d’étrangers, le médiateur de la République recommandait aux autorités de police de mettre un terme à la pratique consistant à prendre successivement, pour une même personne, des décisions d’expulsion et de prolongation de sa détention tous les trois mois au cours de ladite détention. Il indiquait cependant qu’une arrestation et une nouvelle détention, aux fins de l’exécution d’une décision d’expulsion antérieure, étaient admises uniquement lorsqu’il était certain que le renvoi de l’étranger était possible. Dans l’attente d’une intervention du législateur pour régler cette question, le médiateur de la République suggérait que la détention ne dépassât pas quatre jours avec, en cas de force majeure, la possibilité d’une prolongation de deux jours.
26. Une décision du tribunal administratif de Thessalonique (no 886/2010, Veltugin Vladislav) a ainsi ordonné la levée de la détention d’un étranger pour les motifs suivants :
« En l’occurrence, la détention du défendeur a été ordonnée en vue de l’exécution de la décision d’expulsion administrative prise à son encontre le 7 juillet 2010 (...) Cette décision avait été motivée uniquement par le fait que l’intéressé n’avait pas quitté la Grèce après la levée de sa détention en raison de l’impossibilité de [procéder à son] expuls[ion] (...) Du reste, le seul fait que l’intéressé n’était pas parti dans le délai qui lui avait été imposé ne démontre pas un refus de collaborer. [Vu] ce qui précède, [et étant donné] qu’entre le 4 juillet 2010, date de la nouvelle arrestation du défendeur, et le 21 juillet 2010, date du dépôt et d’examen des objections dont il s’agit, [plus de six jours se sont écoulés et donc que] le délai [requis] pour procéder à une expulsion [a expiré], le président juge que la détention de l’intéressé est devenue illégale et [que,] pour cette raison, il faut ordonner la levée de celle-ci (...) »
27. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3907/2011 relative aux services d’asile - premier accueil, renvoi des personnes résidant illégalement sur le territoire et autorisation de séjour prévoient :
Article 30 - Détention
« 1. Les ressortissants des pays tiers qui font l’objet d’une procédure de renvoi (...) sont mis en détention aux fins de la préparation du renvoi et du déroulement de la procédure d’expulsion seulement s’il est impossible, dans le cas concret, d’appliquer d’autres mesures efficaces et suffisantes mais moins radicales (...) La mesure de la détention s’applique lorsque : a) il existe un risque de fuite ; b) le ressortissant du pays tiers évite ou empêche la préparation du renvoi ou la procédure d’expulsion ; c) il existe des motifs liés à la sécurité nationale.
La détention est imposée et maintenue pour la période absolument nécessaire au déroulement de la procédure d’expulsion, qui doit avoir lieu avec la diligence requise. Dans tous les cas, pour l’imposition et le maintien de la détention, la disponibilité des centres de détention appropriés et la possibilité d’assurer des conditions de vie dignes aux détenus sont prises en considération.
2. La décision de mise en détention contient des motifs réels et juridiques, est prise par écrit, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 76 de la loi no 3386/2005, et est rendue dans un délai de trois jours si aucune décision de renvoi n’a été prise. En sus de ses droits en vertu du code de procédure administrative, le ressortissant du pays tiers qui est en détention peut formuler des objections contre la décision de mise en détention ou de prolongation de celle-ci devant le président (...) du tribunal administratif du lieu où il est détenu. Pour le restant, les dispositions des paragraphes 4 et 5 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 (...) s’appliquent (...) Le ressortissant du pays tiers est immédiatement mis en liberté s’il est constaté que sa détention n’est pas légale.
3. Dans tous les cas, la question de savoir si les conditions qui ont justifié la détention persistent est examinée d’office, tous les trois mois, par l’organe qui a pris la décision de mise en détention. En cas de prolongation de la détention, les décisions y relatives sont transmises au président (...) du tribunal administratif (...), lequel examine la légalité de cette prolongation, rend immédiatement sa décision et formule brièvement celle-ci dans un procès-verbal dont il envoie copie immédiatement aux autorités de police compétentes.
4. Lorsqu’il est manifeste qu’il n’existe plus aucune perspective raisonnable d’expulsion pour des motifs juridiques ou autres ou lorsque les conditions du paragraphe 1 ne sont plus réunies, la détention est levée et le ressortissant du pays tiers est immédiatement mis en liberté.
5. La détention est maintenue pour la période pendant laquelle les conditions du paragraphe 1 sont réunies et est prolongée aussi longtemps que nécessaire pour assurer l’exécution de l’expulsion. Le délai maximal de la détention ne peut dépasser six mois.
6. Le délai mentionné au paragraphe 5 peut être prolongé pour une durée limitée ne pouvant dépasser douze mois dans le cas où, malgré les efforts raisonnables des autorités compétentes, l’expulsion risque de durer plus longtemps car : a) le ressortissant du pays tiers refuse de collaborer ; b) l’obtention des documents nécessaires requis du pays tiers est retardée. »
Article 31 - Conditions de détention
« 1. La détention a lieu, en principe, dans des établissements spéciaux. Dans tous les cas, les ressortissants des pays tiers sont détenus séparément des détenus de droit commun.
(...)
5. Les ressortissants des pays tiers qui sont détenus reçoivent systématiquement des informations relatives au règlement de l’établissement, ainsi qu’à leurs droits et obligations. Ces informations portent aussi sur leur droit de se mettre en contact avec les organisations et les organes indiqués au paragraphe 4. »
III. LES RAPPORTS DES ORGANISATIONS ET INSTITUTIONS INTERNATIONALES
A. Le rapport du 30 juin 2009 du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
28. En 2008, le CPT visita, entre autres, les locaux de la police des étrangers de Thessalonique et fit les constats exposés ci-après. Le jour de la visite, il y avait 108 détenus répartis dans neuf dortoirs, chacun de ces dortoirs ayant une superficie d’environ 60 m². Les dortoirs étaient équipés de toilettes et les détenus faisaient l’effort de les garder propres en utilisant des produits fournis par les autorités. L’existence de larges fenêtres assurait une lumière naturelle suffisante. La lumière artificielle était aussi adéquate.
Toutefois, le CPT nota l’absence de lits dans les dortoirs et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales mis par terre. De plus, il releva le manque d’espace offert aux détenus pour se promener et faire de l’exercice physique, et il souligna que chacun des détenus avait droit à 5,87 EUR par jour pour commander des repas qui étaient livrés depuis l’extérieur. Sur ce dernier point, le CPT fit état des griefs soulevés par les personnes détenues, ces dernières se plaignant de ne pas pouvoir acheter plus de deux sandwichs par jour avec cette somme. Aussi le CPT recommanda-t-il aux autorités nationales de faire en sorte que toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion se voient servir un plat cuisiné, de préférence chaud, au moins une fois par jour.
B. La déclaration publique du CPT
29. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :
« (...)
3. Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.
4. Le manque de réaction de la part des autorités grecques face à la nécessaire mise en œuvre des recommandations du CPT relatives aux étrangers en situation irrégulière a conduit le Comité à déclencher, en novembre 2008, la procédure en vue de l’adoption d’une déclaration publique. À l’issue de la visite périodique de septembre 2009, cette procédure a été étendue pour couvrir la situation dans le système pénitentiaire. En effet, les constatations faites au cours de cette visite ont révélé que les préoccupations exprimées par le CPT dans ses précédents rapports n’avaient pas été prises en compte et qu’en réalité, les conditions carcérales s’étaient détériorées encore davantage ; il convient tout particulièrement de mentionner la gravité de la surpopulation carcérale, la pénurie de personnel et les insuffisances en matière de soins de santé.
(...)
6. Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)
7. Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »
C. Le rapport annuel de 2010 de Amnesty International
30. Parmi les problèmes relevés par Amnesty International dans son rapport annuel de 2010 et concernant expressément les locaux de la police des étrangers de Thessalonique figuraient la surpopulation, le manque de lits et l’impossibilité de faire de l’exercice physique.
Amnesty International rapportait ainsi que trois demandeurs d’asile turcs, détenus entre septembre 2009 et janvier 2010, n’avaient pratiqué aucune activité physique et avaient dormi sur des matelas posés à même le sol dans leurs cellules et que 25 à 30 personnes étaient détenues dans la même cellule malgré l’exiguïté de l’espace.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
31. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
32. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes, faute pour le requérant d’avoir introduit une action en dommages-intérêts contre l’État fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné avec les dispositions pertinentes du code pénitentiaire.
33. Le requérant soutient que l’action indiquée par le Gouvernement ne peut être considérée comme effective en raison de la longueur de la procédure y afférente. Il indique de plus que les autorités ne l’ont pas informé de l’existence de cette action. En revanche, il fait observer qu’il a exercé une voie de recours prévue par le droit interne en la matière, à savoir la formulation d’objections devant le président du tribunal administratif, et il indique que c’est par ce biais qu’il s’est plaint de manière expresse de ses conditions de détention.
34. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été mis en liberté le 15 mars 2011. En saisissant la Cour le 15 septembre 2011, l’intéressé ne visait de toute évidence pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’il estime avoir subi (A.F. c. Grèce, no 53709/11, § 54, 13 juin 2013).
35. En outre, la Cour rappelle que dans son arrêt A.F. c. Grèce précité elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables ».
36. En l’occurrence, la Cour note que le requérant, ressortissant étranger, était en voie d’expulsion administrative et détenu dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique. À ce titre, la Cour rappelle avoir déjà constaté qu’au sein des centres de rétention ou des commissariats de police le droit interne applicable consistait pour l’essentiel en le décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public et en le décret no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police. Elle rappelle aussi avoir souligné que les dispositions pertinentes de ces textes créaient des obligations d’ordre général pour l’administration sans pour autant garantir au bénéfice des étrangers des droits subjectifs et invocables en justice (ibidem, précité, §§ 59-60).
37. Aussi, à la lumière des considérations qui précèdent, la Cour n’est-elle pas convaincue qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les commissariats de police, tels les locaux de la police des étrangers de Thessalonique, aurait une chance raisonnable de succès et offrirait au moment des faits un redressement approprié (ibidem, précité, § 61).
38. Nonobstant le fait que le requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, la Cour estime qu’en l’état actuel de la jurisprudence nationale son grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes.
39. Enfin, la Cour note que dans le cadre de ses observations complémentaires du 16 février 2011 devant le président du tribunal administratif de Thessalonique, le requérant s’est explicitement plaint de ses conditions de détention (paragraphe 11 ci-dessus). Même si ce recours en tant que tel n’offrait au requérant qu’une chance indirecte de redresser la violation alléguée, puisqu’en cas d’acceptation, il aurait été libéré, la Cour note que le requérant a alerté la juridiction compétente sur les conditions de sa détention. La Cour estime donc que les autorités nationales compétentes ont été informées de sa situation et qu’elles ont eu la possibilité de se pencher sur les conditions de sa détention et d’y remédier, le cas échéant (Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 27, 21 juin 2011). Par conséquent, la Cour rejette l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.
40. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
41. Le Gouvernement reproche au requérant, dans la présentation de son grief, d’employer des formulations générales et de ne pas citer d’éléments concrets pour décrire les conditions de détention qu’il dit avoir subies dans le dortoir et pour la période en cause. Le Gouvernement estime que la référence à des rapports rédigés d’après lui longtemps avant les faits, tel le rapport du médiateur de la République, et à des arrêts de la Cour ayant trait selon lui à d’autres circonstances ne permet pas d’individualiser le cas de l’intéressé et ne suffit pas à démontrer la véracité de ses allégations. Il présente sa version concernant les conditions de détention dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique (paragraphes 21-23 ci-dessus).
42. Le requérant réitère sa version des conditions de détention.
43. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 90-94, CEDH 2000-XI ; Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 67-68, CEDH 2001-III ; Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI ; Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008 ; Tabesh, précité, §§ 34-37 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 59-62, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, §§ 54-56, 7 juin 2011 ; A.F. c. Grèce, précité, §§ 68-70 ; de los Santos et de la Cruz c. Grèce, nos 2134/12 et 2161/12, § 43, 26 juin 2014).
44. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été détenu du 4 janvier au 15 mars 2011, soit soixante et onze jours, dans des conditions de grande promiscuité, sans aucune possibilité de se promener et avec peu de ressources pour s’alimenter (voir Tabesh, précité, et le paragraphe 28 du présent arrêt).
45. Dès lors, aux yeux de la Cour, rien ne permet d’aboutir à une conclusion différente, dans la présente cause, de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées. Ces éléments suffisent donc à la Cour pour conclure que la détention du requérant dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique s’analyse en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention et qu’il y a donc eu en l’espèce violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
46. Le requérant se plaint de l’illégalité de sa mise en détention en vue de son expulsion : il reproche aux autorités de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires pour faire établir les documents de voyage requis à son nom, documents en l’absence desquels son expulsion n’était pas réalisable. Il allègue une violation de l’article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :
« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
A. Sur la recevabilité
47. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant aurait pu introduire un recours devant le ministre de l’Ordre public, sur le fondement de l’article 77 de la loi no 3386/2005, contre la décision du 12 mai 2009 ordonnant son expulsion et, en cas de rejet de celui-ci, un recours en annulation devant le tribunal administratif. Il déclare aussi que, en même temps que le recours en annulation, l’intéressé aurait pu introduire une demande de sursis à exécution de la mesure d’expulsion et une demande d’ordre provisoire de sursis. Il précise que le sursis à exécution de la décision d’expulsion aurait entraîné la levée de la détention, car la jurisprudence interne admettrait dans pareil cas l’existence d’un défaut de base légale de la décision de placement en détention.
48. Le requérant soutient qu’une action en annulation de la décision d’expulsion et une demande de sursis à exécution de celle-ci n’étaient pas possibles en l’espèce, car aucune nouvelle décision d’expulsion n’avait été prise. Il ajoute que la seule décision d’expulsion prise à son encontre datait du 12 mai 2009, et il estime que cette décision avait cessé de produire ses effets car la période maximale de détention s’était écoulée sans qu’il eût été procédé à son expulsion. Du reste, il indique qu’il ressort de la jurisprudence des juridictions internes qu’un ordre provisoire de sursis n’entraînerait pas automatiquement la mise en liberté de l’étranger concerné.
49. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, entre autres, Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 février 2009, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009).
50. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a fait usage des voies de recours que constituent la formulation d’objections et la demande de révocation de la décision portant rejet de ses objections, en application des paragraphes 3 et 6 de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Elle observe que ces recours permettent à l’étranger concerné de contester la légalité de sa détention et au président du tribunal administratif de mettre en liberté l’intéressé s’il estime que celui-ci n’est pas dangereux pour l’ordre public ou n’est pas susceptible de fuir ou encore pour tout autre motif ayant trait à la légalité admis par les tribunaux administratifs dans leur jurisprudence relative à la mise en œuvre de l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005.
51. Dans ces conditions, la Cour estime que le Gouvernement ne saurait prétendre que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il convient donc de rejeter l’exception dont il s’agit.
52. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
53. Le Gouvernement indique que le requérant n’avait pas respecté l’obligation de quitter le territoire contenue dans la décision d’expulsion du 21 juillet 2009 et qu’il avait été considéré comme risquant de fuir, car il ne s’était pas conformé à deux reprises - les 12 mai et 21 juillet 2009 - à l’obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire de son plein gré. Il estime par conséquent que les décisions des autorités ayant ordonné sa détention étaient raisonnables et justifiées. Il ajoute que ces éléments avaient été relevés par le président du tribunal administratif dans sa décision portant rejet des objections du requérant. De plus, le Gouvernement expose que la remise en liberté du requérant le 21 juillet 2009, en raison de l’impossibilité de procéder à son expulsion immédiate, n’empêchait pas sa nouvelle mise en détention, survenue le 4 janvier 2011, en vue de l’exécution de la décision d’expulsion du 12 mai 2009. Il précise que cette dernière décision était encore exécutoire et produisait ses effets. Il considère qu’admettre le contraire reviendrait à tolérer sur le territoire la présence illégale d’étrangers qui ne sont pas en possession de documents de voyage, et qui de surcroît - selon lui - ne se soucieraient pas d’en faire établir, et à renoncer à les faire expulser malgré l’existence de décisions allant dans ce sens.
54. Le requérant affirme que sa détention était illégale, étant donné que son expulsion ne pouvait pas avoir lieu faute pour lui de posséder des documents de voyage. Il indique que l’impossibilité pour les autorités de l’expulser avait été constatée tant par la direction des étrangers de l’Attique, le 17 mai 2009, que par la direction des étrangers de Thessalonique, le 21 juillet 2009. À cet égard, il invoque l’article 30 de la loi no 3907/2011 aux termes duquel la détention est imposée et maintenue pour la période absolument nécessaire au déroulement de la procédure d’expulsion, qui doit avoir lieu avec la diligence requise. Le requérant soutient aussi qu’il n’a jamais refusé de collaborer avec les autorités aux fins de faire avancer la procédure pour rentrer dans son pays.
55. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008 ; Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009 ; Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996-V ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III ; Barjamaj c. Grèce, no 36657/11, §§ 36-38, 2 mai 2013; Khuroshvili c. Grèce, no 58165/10, §§ 107-108, 12 décembre 2013).
56. En l’occurrence, la Cour note que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Par conséquent, elle estime que la situation du requérant tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’elle trouvait un fondement en droit interne. Elle rappelle sur ce point que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f) précité, tant qu’un individu est détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion, il n’est pas exigé de motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention pour, par exemple, empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1996-V). Au vu de ce qui précède, la Cour considère en l’espèce que la détention du requérant servait le but de l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et de garantir la possibilité de procéder à son expulsion.
57. Par ailleurs, en ce qui concerne la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le cadre de l’article 5 § 1 f) de la Convention, seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (ibidem, § 113, et Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II). En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu du 4 janvier au 15 mars 2011 et qu’il a introduit une demande d’asile le 23 février 2011, soit cinq jours après que le président du tribunal administratif eut rejeté ses objections et alors qu’il se trouvait sur le territoire grec depuis le 9 mai 2009. Elle constate également que l’intéressé a été libéré par une nouvelle décision du président du tribunal administratif le 15 mars 2011, soit bien avant la fin du délai de six mois fixé par la décision du 4 janvier 2011 et alors que l’examen de sa demande d’asile était encore pendant. Par conséquent, elle considère que la durée de la détention ne saurait prêter à critique en l’espèce.
58. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) de la Convention (C.D. et autres, précité, § 74).
59. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
60. Le requérant reproche aux autorités internes de ne pas avoir suffisamment examiné ses doléances concernant la légalité de sa détention, notamment s’agissant de ses conditions de détention et de son maintien en détention. Il allègue une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
61. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
62. Se prévalant de l’arrêt Tabesh (précité, § 62), le requérant reprend les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans cette affaire et indique ce qui suit : le droit interne pertinent ne permet pas un contrôle direct de la légalité de la détention d’un étranger décidée en vue de son éloignement du territoire ; selon la loi no 3386/2005, un étranger ne peut être détenu qu’en vue de son éloignement du territoire et la décision de placement en détention n’est pas séparée de celle ordonnant l’expulsion, mais incluse dans celle-ci ; à cela s’ajoute la formulation du paragraphe 4 de l’article 76 de la même loi qui semble suggérer que, même si les objections d’un étranger contre sa détention ont une issue favorable devant le tribunal, celui-ci doit impartir à l’intéressé un délai de trente jours pour qu’il quitte le territoire ; de surcroît, l’introduction d’un recours en annulation et d’un recours en suspension contre la décision d’expulsion devant les juridictions administratives n’entraîne pas la levée de la mesure de détention.
63. Le Gouvernement indique que la question de la légalité de la détention du requérant a été portée à deux reprises devant le tribunal administratif au travers des objections que l’intéressé a présentées. Il précise que ledit tribunal a considéré que l’impossibilité de procéder à l’expulsion n’avait pas été démontrée et que le requérant n’avait pas établi qu’il avait un domicile fixe en Grèce, et il ajoute que cette juridiction a aussi rejeté tacitement les allégations de l’intéressé sur ses conditions de détention. Selon le Gouvernement, ces allégations ont été rejetées sans motivation particulière parce que le requérant n’avait pas apporté les éléments de preuve nécessaires pour les étayer.
64. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001-II ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 70, 22 juillet 2010 ; Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).
65. La Cour note d’emblée que, en application de l’article 76 §§ 4 et 5 de la loi no 3386/2005 tel qu’amendé par l’article 55 § 2 de la loi no 3900/2010, le juge administratif qui est saisi des objections formulées par un détenu en voie d’expulsion n’est plus limité à examiner seulement si celui-ci est dangereux pour l’ordre public ou risque de fuir : il peut désormais « s’opposer à la détention » et examiner ainsi toute question soulevée du fait de la détention. Il ressort également de différentes décisions produites par le Gouvernement que le juge administratif est amené à prendre en considération les allégations concrètes et étayées du détenu concerné relatives à son état de santé ou son âge ainsi que celles relatives à la surpopulation, le respect des conditions justifiant la mise en détention, ainsi que la possibilité d’hébergement dans un lieu permettant aux autorités de retrouver l’intéressé, et que ledit juge ordonne, le cas échéant, la mise en liberté du détenu en question ou son transfert dans un centre de rétention offrant de meilleures conditions de détention.
66. En l’espèce, la Cour observe que, dans sa décision du 17 février 2011 portant rejet des objections du requérant, le président du tribunal administratif a relevé que l’intéressé risquait de fuir s’il était remis en liberté, au motif qu’il n’avait pas suffisamment prouvé qu’il avait une adresse stable à Thessalonique. De même, elle note que ledit juge a aussi souligné que le requérant avait violé l’obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire dans un délai de trente jours et qu’aucun élément du dossier ne permettait d’établir que l’expulsion était irréalisable.
67. Toutefois, la Cour relève que, dans ses observations du 16 février 2011 devant ce juge, le requérant dénonçait ses conditions de détention, se plaignant notamment d’un état de surpopulation, d’un manque d’exercice physique, d’une nourriture insuffisante, d’installations sanitaires défectueuses, ainsi que de devoir dormir par terre sur un matelas sale. Elle note que l’intéressé se prévalait à cet égard de l’arrêt Tabesh (précité), qui concernait le même lieu de détention, et qu’il soutenait que la procédure d’exécution de la mesure d’expulsion n’était pas effectuée avec la diligence requise car les autorités grecques n’avaient selon lui pris aucun contact avec le consulat afin de faire établir ses documents de voyage.
68. La Cour considère que l’amendement de l’article 76 de la loi no 3386/2005 et l’existence d’une jurisprudence récente des tribunaux internes qui, dans certains cas, examinent en profondeur la légalité de la détention d’étrangers en voie d’expulsion et ordonnent, le cas échéant, leur mise en liberté, vont dans le sens du renforcement des garanties dont devaient bénéficier les détenus étrangers en voie d’expulsion. Toutefois, elle constate qu’en l’espèce le requérant n’a pas bénéficié d’un examen de la légalité de sa détention d’une ampleur propre à refléter les possibilités offertes par la version amendée du paragraphe 5 de l’article 76 précité tel que mis en œuvre dans la jurisprudence citée par le Gouvernement. Cela est d’autant plus vrai s’agissant des griefs relatifs aux conditions de détention, domaine dans lequel la Cour a constaté une violation non seulement dans la présente espèce, mais également à plusieurs reprises dans d’autres affaires : aux yeux de la Cour, de tels griefs, récurrents dans les objections formulées par les étrangers devant les tribunaux administratifs, méritent certainement une réponse de la part de ceux-ci.
69. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
70. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
71. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.
72. Le Gouvernement estime que les prétentions du requérant sont vagues et non justifiées. Il indique que le montant réclamé est excessif car il correspondrait, en l’état actuel de l’économie du pays, à l’équivalent de huit à dix années de salaire pour un ouvrier non qualifié. Il est d’avis que le constat éventuel d’une violation constituerait une réparation suffisante du préjudice subi par le requérant.
73. La Cour considère les circonstances qui l’ont conduite à conclure en l’espèce à la violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention sont de nature à avoir causé un inconfort et une souffrance certaine chez le requérant. Il y a donc lieu de lui octroyer 8 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
74. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Søren Nielsen Isabelle Berro-Lefèvre
Greffier Présidente