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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HECHTERMANS v. BELGIUM - 56280/09 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1298 (18 November 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1298.html Cite as: [2014] ECHR 1298 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE HECHTERMANS c. BELGIQUE
(Requête no 56280/09)
ARRÊT
STRASBOURG
18 novembre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Hechtermans c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 56280/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Moïses Hechtermans (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M. Neve, avocat à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue que son droit à un procès équitable a été violé du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises l’ayant condamné à la réclusion à perpétuité.
4. Le 10 janvier 2013, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1982. Il est détenu à la prison de Lantin.
6. Soupçonné d’avoir volé et tué son colocataire, R.B., le requérant fit l’objet de poursuites pénales. L’acte d’accusation du 3 mars 2009 fait état des éléments suivants : R.B. fut retrouvé mort le 28 juin 2007 dans l’appartement qu’il occupait avec le requérant et dans lequel R.B. et le requérant s’adonnaient à un trafic de drogue. Deux amis de la victime affirmèrent que R.B. avait consommé de la cocaïne et s’était injecté de l’héroïne la veille de sa mort et qu’il avait l’air d’une « loque » lorsqu’ils étaient partis vers cinq heures du matin, laissant R.B. seul avec le requérant. Une caméra de surveillance installée juste à côté de l’immeuble permit de constater qu’après le départ de ces deux amis, plus personne n’entra dans l’appartement. Les experts médicaux conclurent qu’il n’était médicalement pas possible de dire si les manœuvres de strangulation constatées sur le corps de la victime auraient à elles seules pu entraîner le décès, ni dire si l’injection de cocaïne avait été réalisée avant ou après les manœuvres de strangulation. Lors des interrogatoires, le requérant déclara qu’il s’était endormi après le départ des deux amis et que, à son réveil le 28 juin 2007, son colocataire était mort. Paniqué, il dit avoir pris la fuite de peur d’être accusé.
7. Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons du 27 novembre 2008, il fut inculpé d’avoir :
« I. à Saint-Ghislain (Tertre), arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007 :
Frauduleusement soustrait à l’aide de violences ou de menaces différents objets et notamment un sac de type banane contenant de la drogue et une somme de 1 000 €, un GSM SAMSUNG, un GSM ERICSON, deux armes factices d’une valeur globale indéterminée qui ne lui appartenaient pas au préjudice de [R.B.],
Avec la circonstance que :
- le coupable a fait usage de substances inhibitives ou toxiques pour commettre l’infraction ou assurer sa fuite,
- un homicide volontaire avec intention de donner la mort a été commis sur la personne de [R.B.] soit pour faciliter le vol soit pour en assurer l’impunité.
II. à Saint-Ghislain (Tertre), arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007 :
Soit en exécutant l’infraction ou en coopérant directement à son exécution, soit en prêtant par un fait quelconque pour son exécution une aide telle que sans cette assistance l’infraction n’eût pu être commise,
Sans autorisation préalable du ministère compétent, importé, et n’étant ni pharmacien, tenant officine ouverte au public, ni médecin, ni médecin vétérinaire, autorisé à détenir un dépôt de médicaments, fabriqué, détenu, vendu ou offert en vente, délivré, acquis à titre onéreux ou à titre gratuit des substances soporifiques, stupéfiantes ou psychotropes susceptibles d’engendrer une dépendance, en l’espèce avoir :
a) détenu une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette détention n’ayant eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
b) vendu ou offert en vente une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis ;
c) acquis une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette acquisition n’ayant pas eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
avec la circonstance que l’infraction constitue un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association. »
8. Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Hainaut du 4 au 8 mai 2009.
9. Par un arrêt interlocutoire du 7 mai 2009, la cour d’assises rejeta la demande du requérant tendant à obtenir une motivation du verdict du jury en cas de condamnation. La cour d’assises estima que la procédure d’assises offrait toutes les garanties contre l’arbitraire et respectait les droits de la défense.
10. Le jury fut appelé à répondre à six questions soumises par le président de la cour d’assises. La déclaration du jury fut libellée comme suit :
« Première question principale de culpabilité :
Moïses HECHTERMANS, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Saint-Ghislain, section de Tertre, arrondissement judiciaire de Mons, le 28 juin 2007, frauduleusement soustrait différents objets, dont, notamment, un sac de type « banane » contenant de la drogue et une somme de 1000 EUR (mille euros), un GSM de marque SAMSUNG, un GSM de marque SONY ERICSON, deux armes factices, objets d’une valeur globale indéterminée qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [R.B.] ?
Réponse : OUI
Deuxième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Le vol, repris à la 1ère question, a-t-il été commis à l’aide de violences ou de menaces ?
Réponse : OUI
Troisième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Le coupable du vol avec violences ou menaces, objet des 1ère et 2e questions, a-t-il fait usage de substances inhibitives ou toxiques pour commettre l’infraction ou assurer sa fuite ?
Réponse : OUI
Quatrième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante :
Les violences ou les menaces, objets de la deuxième question, ont-elles consisté en un homicide commis volontairement et avec intention de donner la mort sur la personne de [R.B.], soit pour faciliter le vol, objet de la première question, soit pour en assurer l’impunité ?
Réponse : OUI
Quatrième question BIS, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante, SUBSIDIAIRE à la quatrième question, posée à la demande de la défense de l’accusé comme pouvant résulter des débats :
Les violences ou les menaces, objet de la deuxième question, exercées sans intention de causer la mort de [R.B.], l’ont-elles pourtant causée ?
Réponse : -
Cinquième question principale de culpabilité :
Moïses HECHTERMANS, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Saint-Ghislain, section de Tertre, arrondissement judiciaire de Mons, à diverses reprises, à des dates indéterminées comprises entre le 31 décembre 2006 et le 29 juin 2007,
Soit pour avoir exécuté l’infraction ou coopéré directement à son exécution,
Soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour l’exécution une aide telle que sans son assistance le crime ou le délit n’aurait pu être commis,
Sans autorisation préalable du ministère compétent, importé, et, n’étant ni pharmacien tenant officine ouverte au public, ni médecin, ni médecin vétérinaire, autorisé à détenir un dépôt de médicaments, fabriqué, détenu, vendu ou offert en vente, délivré, acquis à titre onéreux ou à titre gratuit des substances soporifiques, stupéfiantes ou psychotropes susceptibles d’engendrer une dépendance dont la liste est établie par le Roi,
en l’espèce :
a) détenu une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette détention n’ayant eu lieu en vertu d’une prescription médicale ;
b) vendu ou offert en vente une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis ;
c) acquis une quantité indéterminée d’héroïne, de cocaïne et de cannabis, cette acquisition n’ayant pas eu lieu en vertu d’une prescription médicale ?
Réponse : OUI
Sixième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante :
L’infraction, objet de la 5ème question, constitue-t-elle un acte de participation à l’activité principale ou accessoire d’une association ?
Réponse : OUI ».
11. Par un arrêt du 8 mai 2009, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion à perpétuité.
12. Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 8 mai 2009 et invoqua, en particulier, l’absence de motivation du verdict du jury qui ne lui aurait pas permis de comprendre pourquoi le jury ne l’avait pas acquitté alors qu’il niait avoir commis les infractions retenues à son encontre.
13. Par un arrêt du 23 septembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle considéra que le requérant avait été à même de comprendre la raison concrète pour laquelle il avait été déclaré coupable par le jury étant donné que le requérant n’avait pas précisé les moyens ou arguments auxquels le jury devait répondre de manière motivée et que la cour d’assises avait fait droit à sa demande de pouvoir poser une question subsidiaire au jury concernant la qualification d’une des circonstances aggravantes. Par ailleurs, la Cour de cassation fit valoir que le requérant ne saurait se plaindre d’avoir été laissé dans l’ignorance des motifs pour lesquels il avait été jugé coupable d’un vol dont la matérialité n’était pas contestée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
14. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
15. Le requérant allègue que du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises, son procès n’a pas été équitable et a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
16. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
17. La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
18. Le requérant fait valoir que, du fait de l’absence de toute motivation sur la culpabilité, il n’a pas été à même de comprendre les raisons pour lesquelles la cour d’assises l’a condamné, entraînant une violation de son droit à un procès équitable. Le requérant rappelle qu’il a toujours contesté tant la qualification de vol que la circonstance aggravante d’homicide volontaire et qu’il avait plaidé l’acquittement. Se référant à l’arrêt de la Chambre dans l’affaire Taxquet (Taxquet c. Belgique, no 926/05, 13 janvier 2009), il avait demandé à la cour d’assises du Hainaut de motiver le verdict de culpabilité mais celle-ci avait refusé sa demande par un arrêt interlocutoire du 7 mai 2009. La cour d’assises avait également refusé de poser toutes les questions subsidiaires proposées par le requérant, à l’exception d’une question supplémentaire qui fut soumise aux jurés. Enfin, le requérant conteste fermement le fait qu’il pouvait comprendre les raisons pour lesquelles il fut condamné à travers la motivation sur la peine.
19. Le Gouvernement fait valoir que la cour d’assises du Hainaut fit référence à la personnalité antisociale du requérant, récidiviste en matière d’agressions et de vols. De plus, l’acte d’accusation avait été lu devant la cour d’assises et le requérant avait pu y répondre par un acte de défense, ce qu’il n’avait pas fait. Il avait en tout cas eu la possibilité de solliciter et avait même obtenu qu’une question subsidiaire soit posée au jury. Enfin, le Gouvernement se réfère au raisonnement de la Cour de cassation (paragraphe 13, ci-dessus) pour conclure que le requérant avait raisonnablement pu comprendre les raisons pour lesquelles il fut déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes applicables
20. La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. En particulier, dans l’arrêt Agnelet c. France (no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ce qui suit :
« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).
57. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).
58. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de - ou ne peuvent pas - motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.
59. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).
60. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).
61. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).
62. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »
b) Application au cas d’espèce
21. Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité pour les crimes de vol aggravé par un meurtre et de trafic de stupéfiants. L’enjeu pour le requérant - qui a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés - était donc considérable. Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances des crimes reprochés au requérant.
22. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait les crimes dont le requérant était accusé et il reprenait les résultats de l’enquête policière et judiciaire. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).
23. Quant aux sept questions soumises au jury, la Cour relève que deux d’entre elles avaient trait aux faits principaux reprochés au requérant (questions no 1 et 5). Quatre questions portaient sur les circonstances aggravantes soulevées par l’accusation (questions no 2, 3, 4 et 6), et une question subsidiaire fut posée à la demande de la défense concernant la qualification de coups et blessures ayant entraîné la mort au lieu de la qualification d’homicide volontaire (question no 4 bis). La Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons il avait été reconnu coupable de vol avec la circonstance qu’il avait tué la victime alors qu’il avait toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Il n’était pas non plus en mesure de déterminer pourquoi les jurés l’avaient reconnu coupable d’avoir injecté de la drogue à la victime.
24. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99).
25. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.
26. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
27. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
28. Il réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
29. Le Gouvernement considère que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, une somme moindre doit être allouée au requérant. Il s’en remet pour cela à la sagesse de la Cour.
30. La Cour estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt (paragraphe 26 ci-dessus) ne suffit pas à remédier. La Cour rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009 et références citées). À cet égard, la Cour relève que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (Taxquet, précité, §§ 38-42). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée (Taxquet, précité, § 107). Eu égard à cette possibilité et statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant un montant de 2 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, dans le même sens, Fraumens c. France, no 30010/10, § 56, 10 janvier 2013; Castellino, précité, § 52).
B. Frais et dépens
31. Le requérant demande également 3 138,15 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
32. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
33. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme réclamée et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
34. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 3 138,15 EUR (trois mille cent trente-huit euros et quinze centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Guido Raimondi
Greffier Président