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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SEVKET KURUM AND OTHERS v. TURKEY - 54113/08 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1320 (25 November 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1320.html Cite as: [2014] ECHR 1320 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ŞEVKET KÜRÜM ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 54113/08)
ARRÊT
STRASBOURG
25 novembre 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Şevket Kürüm et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54113/08) dirigée contre la République de Turquie et dont six ressortissants de cet État, Şevket Kürüm, Fadime Kürüm, Nurhan Kürüm, Burhan Kürüm, Gülhan Kürüm et Cemile Kürüm (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 octobre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me Z. Taşkɪran, avocat à Malatya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Les requérants allèguent en particulier une violation des articles 2 et 6 de la Convention.
4. Le 25 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1950, en 1948, en 1982, en 1977, en 1981 et en 1974 et résident à Malatya.
A. Le décès du proche des requérants
6. Le 15 avril 2002, un individu malade mental, M.H.Ö., tua avec un couteau le fils et frère des requérants, U.K., alors âgé de vingt-six ans, et blessa une autre personne, Ö.F.G., dans le centre de Malatya. Selon les dires des requérants, M.H.Ö. avait quitté l’hôpital psychiatrique d’Elazığ (Ruh ve Sinir Hastalıkları Hastanesi) neuf jours plus tôt.
B. L’action en dommages et intérêts
7. Le 16 septembre 2002, les requérants intentèrent une action en dommages et intérêts contre le ministère de la Santé en raison du décès de leur proche. Ils réclamaient la somme de 145 000 livres turques (TRL - environ 88 206 euros (EUR)) pour les dommages matériel et moral qu’ils disaient avoir subis.
8. Par un jugement du 31 janvier 2005, le tribunal administratif de Malatya accorda aux requérants la somme totale de 23 999,67 TRL (environ 13 660 EUR) pour les dommages moral et matériel, montant assorti du taux d’intérêt légal. Il rejeta le surplus de la demande au titre du dommage matériel pour absence de justificatifs, notamment ceux relatifs aux frais funéraires. Dans ses attendus, le tribunal constata :
« Il ressort de l’examen du dossier (...) qu’une action publique du chef d’homicide et de tentative d’homicide contre l’auteur incriminé avait été engagée devant la cour d’assises de Malatya (E : 2002/185) et que, à la demande de la cour d’assises, l’hôpital psychiatrique d’Elazığ a transmis à celle-ci le rapport médical du 16 juillet 2002 établi par le conseil de santé [de l’hôpital]. D’après ce rapport, le malade mental était atteint de « psychose chronique » (kronik psikoz) et, le jour de l’infraction, il était pénalement irresponsable de ses actes. Selon le dossier médical de l’intéressé, il avait été interné à l’hôpital psychiatrique le 1er mai 1991 pour réaction psychotique (psikotik reaksiyon) ; le 24 mai 1991, il était sorti de l’hôpital en raison d’une amélioration de son comportement social (sosyal salah) ; après cette date, il avait été interné à l’hôpital psychiatrique le 13 mars 1992 pour psychose atypique (atipik psikoz), le 14 mai 1992 pour réaction psychotique, le 18 novembre 1992 pour un léger retard mental de nature psychotique (hafif mental reterdasyon, zeminde psikoz), le 13 mars 1994 pour trouble schizophrénique (şizofrenik bozukluk), et, les 9 mars 1995, 10 juillet 1997, 14 novembre 2000, 10 juillet 2001, 30 novembre 2001, 7 mars 2002, 20 avril 2002 et 20 juillet 2002, il avait été interné pour psychose chronique puis il avait quitté l’hôpital psychiatrique en raison d’une amélioration de son comportement social. [Le dossier] médical de l’intéressé précisait qu’il était atteint de psychose chronique avec des [phases de] rémissions et de pulsions aiguës (remisyon ve akut alevlenmeler) ; lors des pulsions aiguës, l’intéressé était interné à l’hôpital pour y être soigné, lors des rémissions il quittait l’hôpital et prenait le traitement prescrit [par les médecins] lui-même et avec l’aide de sa famille. Il avait été interné à l’hôpital psychiatrique à quatorze reprises. À l’instar des autres malades atteints de psychose chronique, l’intéressé ne pouvait pas être interné à l’hôpital à vie pour y recevoir des soins et, de toute façon, compte tenu de la capacité en lits de l’hôpital, cela n’était pas possible (...) L’administration compétente a pour responsabilité de contrôler et d’interner de tels malades qui peuvent porter préjudice à la société [en plus] de leur prodiguer des soins. Les insuffisances techniques ne sont pas de nature à décharger l’administration de sa responsabilité. À cet égard, [les agissements d’]un malade, atteint d’une psychose chronique incurable, interné à l’hôpital à quatorze reprises depuis 1991 par l’administration pour traitement, contrôle et séjour, engage[nt] la responsabilité de celle-ci pour faute de service lorsqu[e ce malade] commet un homicide durant la période pendant laquelle il a été autorisé à quitter l’hôpital en raison d’une amélioration de son comportement social. »
9. Par un arrêt du 31 mai 2006, le Conseil d’État confirma le jugement du tribunal administratif de Malatya du 31 janvier 2005.
10. Par un arrêt du 26 mai 2008, le Conseil d’État rejeta le recours en rectification de l’arrêt présenté par le ministère de la Santé. Dans ses attendus, il observait que l’hôpital psychiatrique d’Elazığ n’avait pas informé les unités de sécurité de l’hôpital ou bien la direction de la sûreté de Malatya de façon à ce qu’elles puissent prendre des mesures préventives et il concluait que cela avait constitué une faute de service lourde dans l’exécution du service de la santé.
11. À une date non précisée, les requérants reçurent l’indemnité accordée par le tribunal administratif.
C. L’enquête administrative
12. Le 11 décembre 2002, la préfecture d’Elazığ nomma le médecin-chef de l’hôpital psychiatrique d’Elazığ, comme inspecteur pour entendre les médecins N.S., I.C.H. et O.Z.Ö. au sujet du traitement prescrit au patient M.H.Ö.
13. Le 12 décembre 2002, l’inspecteur entendit le docteur N.S qui déclara qu’il ne suivait pas M.H.Ö. Le même jour, il entendit le docteur I.C.H. qui confirma que M.H.Ö. était interné à l’hôpital lors de ses épisodes de pulsions aiguës pour y être soigné.
14. Toujours le 12 décembre 2002, l’inspecteur entendit le docteur O.Z.Ö. Ce dernier déclara notamment ce qui suit : M.H.Ö. avait été hospitalisé à quatorze reprises ; il était interné à l’hôpital lors de ses épisodes de pulsions aiguës pour y être soigné ; lors des phases de rémissions, il était remis à sa famille qui lui donnait le traitement prescrit ; il était soigné pour cette maladie selon les traitements médicaux en vigueur ; il avait été interné à l’hôpital le 7 mars 2002 pour des pulsions aiguës et y avait été maintenu jusqu’au 5 avril 2002, et, à cette dernière date, il avait quitté l’hôpital. Pour le médecin, l’hôpital ne pouvait pas être responsable pour le crime commis par M.H.Ö. neuf jours après sa sortie de l’hôpital.
15. En se référant notamment au contenu de la déposition du docteur O.Z.Ö., le rapport médical établi le 29 juillet 2003 par trois experts psychiatres, dont les docteurs O.Z.Ö. et I.C.H., conclut que l’hôpital psychiatrique d’Elazığ ne pouvait pas être tenu pour responsable du meurtre commis par le patient M.H.Ö.
D. Les actions pénales
1. L’action pénale engagée devant le tribunal correctionnel d’Elazığ
16. Il ressort du dossier que, le 22 février 2001 - soit antérieurement à l’homicide du proche des requérants -, le conseil de santé de l’hôpital psychiatrique d’Elazığ a établi un rapport médical, à la demande du tribunal correctionnel d’Elazığ, en raison de dommages (ɪzrar) causés par M.H.Ö. le 17 janvier 2001. Le rapport médical constatait que M.H.Ö. était atteint de psychose chronique et était pénalement irresponsable de ses actes le jour de l’infraction en cause.
17. Selon les informations données par le Gouvernement, le tribunal correctionnel d’Elazığ a ordonné, par un jugement du 2 juin 2006, l’internement de M.H.Ö. à l’hôpital psychiatrique le plus proche pour une durée maximale de deux ans, avec une alternance, tous les six mois, entre des périodes de soins et des sorties de l’hôpital. Toujours selon les informations données par le Gouvernement, la Cour de cassation a confirmé ce jugement le 14 mai 2007.
2. L’action pénale engagée devant la cour d’assises de Malatya
18. À une date non précisée, une action publique du chef d’homicide et de tentative d’homicide sur la personne de U.K. fut engagée contre M.H.Ö. devant la cour d’assises de Malatya.
19. Le 12 juin 2002, le procureur de la République de Malatya ordonna l’examen de M.H.Ö. pour savoir s’il était pénalement responsable de ses actes commis, le 15 avril 2002, sur la personne de U.K.
20. Le rapport médical du 16 juillet 2002 établi par le conseil de santé de l’hôpital d’Elazığ indiqua que M.H.Ö. était atteint de psychose chronique et qu’il était pénalement irresponsable de ses actes le jour de l’infraction.
21. Devant la cour d’assises, M.H.Ö. déclara que le jour de l’incident les commerçants du centre-ville l’avaient énervé et qu’il avait pris un couteau sur un comptoir et s’en était pris aux personnes qui s’étaient trouvées sur son passage.
22. Selon les informations données par le Gouvernement, le 2 juin 2006, la cour d’assises a rendu un arrêt concluant à l’irresponsabilité pénale de M.H.Ö. s’agissant de l’homicide commis sur la personne de U.K. Toujours selon les informations données par le Gouvernement, la Cour de cassation a confirmé cet arrêt le 27 octobre 2007.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
23. Les paragraphes 1 et 7 de l’article 125 de la Constitution disposent :
« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel.
(...)
L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »
24. Ces dispositions consacrent une responsabilité objective de l’État, qui entre en jeu dès lors qu’il a été établi que, dans des circonstances données, l’État a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sécurité publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et ce sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir contrainte d’indemniser toute victime d’un préjudice résultant d’un acte commis par des personnes non identifiées.
B. Le code des obligations
25. Le code des obligations, en son article 43, prévoit la fixation du montant de l’indemnité en fonction des circonstances et de la gravité de la faute. Son article 44 porte sur la réduction du montant à accorder. Son article 45 a trait à l’octroi de dommages et intérêts en cas de décès : si le décès de la personne victime de l’acte illicite en cause a privé d’autres personnes du soutien de celle-ci, ces personnes doivent être indemnisées de la perte résultant de cet évènement.
C. La résolution no (75)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975
26. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la résolution no (75)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 14 mars 1975, relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, vise à faire « réduire les divergences qui existent entre les États membres dans la législation et la jurisprudence en ce domaine ». Cette résolution comporte, en annexe, un exposé des principes régissant la réparation des dommages ; les parties pertinentes en l’espèce de ladite annexe figurent dans l’arrêt Zavoloka c. Lettonie, (no 58447/00, § 21, 7 juillet 2009).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 5 DE LA CONVENTION
27. Les requérants allèguent que l’État défendeur a manqué à son obligation de protéger la vie de leur proche, U.K. Ils invoquent les articles 2 et 5 de la Convention.
Eu égard au grief présenté par les requérants, la Cour estime qu’il convient de l’examiner uniquement sous l’angle de l’article 2 de la Convention, ainsi libellé, dans sa partie pertinente en l’espèce :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »
A. Arguments des parties
28. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, en deux branches.
Premièrement, il affirme que M.H.Ö. avait été confié à ses parents et que ces derniers devaient administrer les médicaments prescrits à leur fils et étaient également responsables des sorties de celui-ci. Le Gouvernement déclare que les requérants n’ont pas engagé d’action en responsabilité contre les parents de M.H.Ö. pour négligence.
29. Les requérants ne se prononcent pas sur cet argument.
30. Deuxièmement, le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas soulevé, lors de la procédure pénale engagée devant le tribunal correctionnel d’Elazığ, ni formellement ni en substance leur grief tiré de l’article 2 de la Convention qu’ils soulèvent devant la Cour.
31. Les requérants ne se prononcent pas sur ce point.
32. De plus, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’absence de qualité de « victime » de certains des requérants. D’une part, il soutient que seuls Şevket Kürüm et Fadime Kürüm étaient parties à la procédure pénale engagée devant le tribunal correctionnel d’Elazığ, précisant que cette procédure pénale mettait en cause la responsabilité de l’hôpital psychiatrique ainsi que celle du corps médical concerné. D’autre part, il explique que, concernant la procédure pénale engagée devant la cour d’assises de Malatya, seuls Şevket Kürüm, Fadime Kürüm et Burhan Kürüm étaient parties à la procédure.
33. Les requérants ne se prononcent pas sur ce point.
34. De surcroît, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-respect du délai de six mois. Il explique que l’action pénale intentée contre les médecins de l’hôpital psychiatrique devant le tribunal correctionnel d’Elazığ s’est terminée par un arrêt rendu le 14 mai 2007 par la Cour de cassation alors que les requérants ont introduit leur requête devant la Cour le 27 octobre 2008. Il soutient que l’action en dommages et intérêts engagée contre l’État, devant le tribunal administratif, par les requérants en raison de la mort de leur fils et frère n’était pas pertinente pour leur grief tiré de l’article 2 de la Convention.
35. Les requérants ne se prononcent pas sur cet argument.
36. À titre subsidiaire, quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement indique que M.H.Ö., au vu de son dossier médical, était atteint de « psychose chronique » et qu’il a suivi un traitement à l’hôpital psychiatrique d’Elazığ entre le 1er mai 1991 et le 2 juillet 2002. Il expose ce qui suit : le malade connaissait deux genres de phases, certaines de pulsions aiguës et d’autres de rémissions ; au cours des phases de pulsions aiguës, il était interné à l’hôpital et recevait un traitement établi - d’après le Gouvernement - conformément à la pratique et aux usages médicaux en la matière ; au cours des phase de rémissions, il quittait l’hôpital pour être confié à sa famille et celle-ci lui administrait le traitement prescrit par le médecin, et ce - d’après le Gouvernement - toujours conformément à la pratique et aux usages médicaux en la matière.
37. Le Gouvernement déclare que le tribunal administratif de Malatya a accepté partiellement la demande de dommages et intérêts présentée par les requérants, conformément - à ses dires - à l’article 125 de la Constitution. Il ajoute que cet article consacre une responsabilité objective, c’est-à-dire une responsabilité sans faute, et il estime que le tribunal n’a pas accordé de dommages et intérêts en raison d’une faute de l’administration mais en raison de la responsabilité objective de l’État.
38. En se référant à l’affaire Antoni Perez Ortin c. Espagne ((déc.), no 33229/02, 9 septembre 2003), le Gouvernement affirme qu’en l’espèce M.H.Ö. avait un casier judiciaire vierge, qu’il ne constituait pas une menace pour autrui et qu’il n’avait pas non plus commis d’acte de violence auparavant. Pour le Gouvernement, il n’y a pas eu de manquement des autorités quant à la protection de la vie de U.K. et il n’y a donc pas eu violation de l’article 2 de la Convention.
39. En outre, le Gouvernement rappelle qu’une action pénale du chef de homicide et tentative de homicide a été engagée contre M.H.Ö. en raison du décès du proche des requérants, et il indique qu’une action pénale a également été engagée contre les médecins de l’hôpital psychiatrique en cause, pour négligence, devant le tribunal correctionnel d’Elazığ en raison de l’autorisation de sortie de l’hôpital accordée à M.H.Ö. Il indique que, au cours de cette dernière procédure, les médecins de l’hôpital ont été entendus et qu’un rapport d’expert a été demandé afin de déterminer la responsabilité du corps médical traitant. Il précise que, d’après ce rapport, le corps médical avait administré au malade un traitement conforme à la pratique et aux usages médicaux. Il ajoute par ailleurs que le tribunal administratif de Malatya a aussi examiné les dossiers concernant les différentes procédures engagées devant les juridictions nationales. Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 2 de la Convention sur le terrain des obligations positives de l’État défendeur.
40. Les requérants ne se prononcent pas sur ces arguments.
B. Appréciation de la Cour
41. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les exceptions du Gouvernement tirées du non-épuisement des voies de recours internes et du non-respect du délai de six mois dans la mesure où le grief des requérants tiré de l’article 2 de la Convention (paragraphe 27 ci-dessus) est, en tout état de cause, irrecevable pour incompatible ratione personae pour les motifs indiqués ci-dessous (voir, parmi beaucoup d’autres, Taştop et autres c. Turquie (déc.), no 23258/09, § 37, 14 février 2012, Fatma Bartan et autres c. Turquie (déc.), no 2737/06, § 55, 29 janvier 2013, et Nebahat Tüzer et Muhammed Sait Tüzer c. Turquie (déc.), no 22519/06, § 48, 17 décembre 2013).
42. La Cour rappelle que, conformément à l’objet et au but sous-jacents à la Convention, tels qu’ils se dégagent de l’article 1 de celle-ci, chaque État contractant doit assurer dans son ordre juridique interne la jouissance des droits et libertés garantis. Il est fondamental pour le mécanisme de protection établi par la Convention que les systèmes nationaux eux-mêmes permettent de redresser les violations commises, la Cour exerçant son contrôle dans le respect du principe de subsidiarité (Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, § 103, CEDH 2001-V, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 174, CEDH 2009, et Ciorap c. Moldova (no 2), no 7481/06, § 22, 20 juillet 2010).
43. La Cour rappelle de plus qu’une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, Z et autres, précité, § 109, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006-V). En outre, la qualité de victime d’un requérant peut dépendre du montant de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (voir, par exemple, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 115, 116 et 118, CEDH 2010, et O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)).
44. Il appartient dès lors à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 85, CEDH 2006-V, et Scordino [GC], précité, §§ 214-215).
45. En l’espèce, la Cour constate que par un jugement du 31 janvier 2005 le tribunal administratif de Malatya a reconnu la responsabilité de l’administration - à savoir l’hôpital psychiatrique d’Elazığ - en raison de l’homicide du proche des requérants commis par M.H.Ö. Le tribunal administratif a par ailleurs accordé aux requérants des dommages et intérêts pour leurs préjudices matériel et moral, et son jugement a été confirmé par le Conseil d’État.
46. En conséquence, la Cour estime que, avant de statuer sur le fond du grief des requérants tiré de l’article 2 de la Convention, elle doit d’abord se prononcer sur la question de savoir si les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée dans sa partie pertinente en l’espèce :
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles (...) »
47. La Cour doit donc en premier lieu rechercher si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, la violation de la Convention. Elle rappelle à cet égard que, dans le cadre de la procédure en dommages et intérêts engagée contre le ministère de la Santé, le tribunal administratif de Malatya a établi que la responsabilité de l’hôpital psychiatrique d’Elazığ avait été engagée en raison d’une faute de service parce qu’il avait autorisé la sortie de l’hôpital de M.H.Ö. et que, au cours de la période correspondant à cette sortie, ce dernier avait porté atteinte à la vie du proche des requérants (paragraphe 8 ci-dessus). Elle note que le Conseil d’État a confirmé ce jugement dans un arrêt du 26 mai 2008 (paragraphe 10 ci-dessus), qu’il a en particulier souligné qu’il y avait en l’occurrence une faute de service lourde dans l’exécution du service de la santé et que, pour cela, il a constaté que l’hôpital psychiatrique concerné n’avait pas informé les unités de sécurité de l’hôpital ou la direction de la sûreté de Malatya de manière à leur permettre de prendre les mesures préventives nécessaires (paragraphe 12 ci-dessous). Partant, la Cour estime que les tribunaux nationaux - appelés à se prononcer sur la responsabilité de l’hôpital psychiatrique concerné en raison de l’homicide du proche des requérants par M.H.Ö. qui avait été autorisé à quitter l’hôpital - ont reconnu explicitement et sans équivoque la responsabilité de cet hôpital à raison d’une faute de service lourde dans l’exécution du service de la santé.
48. En conséquence, la Cour conclut que les juridictions nationales ont ainsi reconnu, en substance, la méconnaissance d’un droit protégé par l’article 2 de la Convention.
49. La Cour doit en second lieu rechercher si les autorités nationales ont accordé aux requérants une réparation adéquate et suffisante pour la violation de l’article 2 de la Convention. Pour ce faire, la Cour note que le tribunal administratif de Malatya a accordé aux requérants la somme de 23 999,67 TRL (environ 13 660 EUR) pour les dommages matériel et moral subis en raison du décès de leur proche. Elle observe que cette somme a été versée, à une date non précisée, aux requérants. À cet égard, elle relève que les requérants n’invoquent pas de grief relatif à une éventuelle insuffisance de l’indemnité accordée et qu’ils n’invoquent pas non plus de grief tiré d’un paiement partiel ou incomplet de cette indemnité. Partant, elle estime que cette somme ainsi allouée aux intéressés constitue un redressement approprié et suffisant.
50. À la lumière des éléments versés au dossier, la Cour estime que la somme accordée aux requérants au titre des préjudices matériel et moral leur a fourni une réparation adéquate au sens de sa jurisprudence.
51. Eu égard aux constats qui précèdent, la Cour estime que les conclusions auxquelles sont parvenues les juridictions nationales - à savoir la reconnaissance d’une violation de l’article 2 de la Convention et le versement de dommages et intérêts en raison du décès du proche des requérants - ont pleinement satisfait à la condition d’un redressement telle qu’établie dans sa jurisprudence. Les requérants ne peuvent donc plus se prétendre « victimes », au sens de l’article 34 de la Convention, d’une violation de l’article 2 de la Convention.
52. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
53. Les requérants soutiennent que la durée de la procédure administrative en l’espèce n’était pas compatible avec leur droit à un procès dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
54. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
55. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants pouvaient se plaindre de la durée de la procédure en introduisant une action en indemnisation, devant le tribunal administratif, contre le ministère de la Justice pour faute de service. Il présente un arrêt du Conseil d’État qui, à raison de la durée de la procédure en cause, a cassé un jugement du tribunal administratif d’Edirne qui avait rejeté une demande d’indemnisation.
56. Les requérants ne se prononcent pas sur cette exception.
57. La Cour rappelle avoir déjà conclu à l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis à un requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, § 37, 16 juillet 2009, et Ümmühan Kaplan c. Turquie, no 24240/07, § 58, 20 mars 2012). Elle rappelle aussi avoir déjà, dans des circonstances similaires à celles de l’espèce, rejeté pareille exception (Aydan c. Turquie, no 16281/10, § 122, 12 mars 2013). Revenant à la présente affaire, elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence.
58. Certes, la Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan précitée. Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, 26 mars 2013, elle a déclaré irrecevable toute nouvelle requête introduite par des requérants qui n’auraient pas épuisé les voies de recours internes et, en l’occurrence, exercé le nouveau recours susmentionné. Pour ce faire, elle a notamment considéré que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.
59. La Cour rappelle également que, toujours dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a notamment précisé qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que, en l’espèce, le Gouvernement n’a pas soulevé une exception portant sur ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente requête (Rifat Demir c. Turquie (déc.), no 24267/07, §§ 34 et 35, 4 juin 2013).
60. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
61. Le Gouvernement indique que la procédure a commencé le 17 septembre 2002 et s’est terminée le 26 mai 2008, précisant qu’elle a duré cinq ans et huit mois. Il affirme que l’issue de la procédure administrative était étroitement liée à la procédure pénale engagée contre M.H.Ö. devant la cour d’assises de Malatya et à celle engagée contre le personnel médical de l’hôpital devant le tribunal correctionnel d’Elazığ. Il ajoute que l’action administrative avait également une dimension technique car il fallait déterminer le montant de l’indemnité à octroyer. Il considère qu’aucune période d’inactivité ne peut être reprochée aux juridictions nationales et que la durée de la procédure n’a pas été excessive.
62. Les requérants ne se prononcent pas sur cet argument.
63. La Cour constate que la période à considérer a commencé le 16 septembre 2002 et s’est terminée le 26 mai 2008 par l’arrêt du Conseil d’État rejetant le recours en rectification susmentionné. Cela étant, elle note que les parties ne l’ont pas informée de la date à laquelle cet arrêt a été exécuté, à savoir la date à laquelle l’indemnité accordée a été versée aux requérants (Bouilly c. France (no 1), no 38952/97, § 17, 7 décembre 1999). À cet égard, la Cour rappelle que dans des affaires de durée de procédure civile l’exécution est la seconde phase de la procédure au fond et que le droit revendiqué ne trouve sa réalisation effective qu’au moment de l’exécution (voir, entre autres, Di Pede c. Italie, 26 septembre 1996, § 24, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Kalender c. Turquie, no 4314/02, § 63, 15 décembre 2009). La Cour rappelle qu’en l’espèce elle ne dispose pas de cette information. Cela étant, elle relève que la période à considérer a donc duré plus de cinq ans et huit mois pour deux degrés de juridiction et trois instances.
64. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, et Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 19, CEDH 2000-IV).
65. En l’espèce, la Cour observe que la présente affaire ne revêtait pas de complexité particulière et que les requérants n’ont pas contribué à l’allongement de la procédure. Pour ce qui est du comportement des autorités, à supposer que le jugement du tribunal administratif de Malatya ait été exécuté promptement, elle relève que la procédure engagée devant les juridictions administratives a duré plus de cinq ans et huit mois, dont un an, onze mois et vingt-six jours pour le seul recours en rectification devant le Conseil d’État (Rodoplu c. Turquie, no 41665/02, § 31, 23 janvier 2007, et Doğru Avşar c. Turquie, no 14310/05, § 8, 12 janvier 2010). Or, la Cour estime que, s’agissant d’une procédure relative à une indemnisation à la suite du décès d’une personne, l’enjeu du litige exigeait une célérité particulière des juridictions internes (Leray et autres c. France, no 44617/98, § 22, 20 décembre 2001).
66. À cet égard, après avoir examiné tous les faits de l’espèce à la lumière des éléments et des informations qui lui ont été soumis par les parties, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente espèce. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».
67. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
69. L’avocat des requérants n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme à ce titre (voir, entre autres, Paçacı et autres c. Turquie, no 3064/07, § 87, 8 novembre 2011, ainsi que les références qui y sont citées).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la durée de la procédure administrative, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure administrative.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Guido Raimondi
Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge P. Lemmens.
G.R.A.
S.H.N.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS
1. Je suis d’accord avec mes collègues sur tous les points du dispositif. À mon regret toutefois, je ne puis souscrire au paragraphe 63 de l’arrêt, qui concerne la durée de la procédure qu’il y a lieu de prendre en compte pour examiner si la cause a été entendue « dans un délai raisonnable ».
2. Je souscris à la première phrase du paragraphe 63, qui fixe le début de la période à considérer au 16 septembre 2002 et la fin au 26 mai 2008. Je souscris également à la dernière phrase, dans la mesure où la Cour y relève que la durée de la procédure entre ces deux dates est de plus de cinq ans et huit mois. À mon avis, l’arrêt aurait dû se limiter à évaluer la durée ainsi déterminée et, sur la base des éléments décrits au paragraphe 65, conclure au dépassement du délai raisonnable.
3. Le paragraphe 63 laisse toutefois entendre que la période à prendre en compte est en réalité plus longue. En effet, la majorité y note que les parties n’ont pas informé la Cour de la date à laquelle l’arrêt du Conseil d’État du 26 mai 2008 a été exécuté (il serait peut-être plus précis de parler de l’exécution du jugement du tribunal administratif de Malatya du 31 janvier 2005, devenu définitif après l’arrêt du Conseil d’État du 31 mai 2006 et conservant ce caractère après l’arrêt du Conseil d’État du 26 mai 2008). En outre, la majorité estime que la période à considérer a duré « au minimum » cinq ans et huit mois.
À mon avis, la période entre l’arrêt qui met un terme à la procédure et l’exécution de la décision condamnant une partie à payer un montant déterminé ne fait plus partie de la procédure pour laquelle les parties ont droit à une décision dans un délai raisonnable.
Cela ne veut pas dire que cette période n’a rien à voir avec l’article 6 § 1 de la Convention. Au contraire, le droit à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 protège également la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires. Par conséquent, l’exécution d’une décision judiciaire ne peut être retardée de manière excessive. Un retard déraisonnable prive la partie gagnante du bénéfice de la décision rendue en sa faveur. Il constitue une violation du droit à un tribunal (voir, par exemple, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 66 et 74, CEDH 1999-V, Bourdov c. Russie, no 59498/00, §§ 34-35 et 37, CEDH 2002-III, Prodan c. Moldova, no 49806/99, §§ 52-53 et 55, CEDH 2004-III (extraits), Mikhaïlenki et autres c. Ukraine, nos 35091/02, 35196/02, 35201/02, 35204/02, 35945/02, 35949/02, 35953/02, 36800/02, 38296/02 et 42814/02, §§ 51-52 et 54, CEDH 2004-XII, SARL Amat-G et Mébaghichvili c. Géorgie, no 2507/03, §§ 48-49, CEDH 2005-VIII ; voir également Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, §§ 40 et 45, Recueil des arrêts et décisions 1997-II). Même si un requérant invoque, dans un tel contexte, le droit à une décision dans un délai raisonnable, la Cour estime que l’affaire doit être abordée sous l’angle plus général du droit à un tribunal (Immobiliare Saffi, précité, § 61).
4. Certes, il y a des cas où l’exécution tardive d’une décision judiciaire peut donner lieu à une violation du droit à une décision dans un délai raisonnable. Tel est le cas lorsque, après la clôture de la période consacrée à l’examen sur le fond, une nouvelle procédure est ouverte, à savoir une procédure d’exécution du jugement ou de l’arrêt définitif.[1] En pareil cas, le droit revendiqué ne trouve sa réalisation effective qu’au moment de l’exécution, et l’exécution peut être considérée comme la seconde phase du « procès » (voir, par exemple, Di Pede c. Italie, 26 septembre 1996, §§ 22 et 24, Recueil 1996-IV, Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, §§ 18 et 20, Recueil 1996-IV, Bouilly c. France (no 1), no 38952/97, §§ 17 et 22, 7 décembre 1999, Dewicka c. Pologne, no 38670/97, § 42, 4 avril 2000, Kalender c. Turquie, no 4314/02, §§ 63 et 65, 15 décembre 2009, et I.D. c. Roumanie, no 3271/04, § 39, 23 mars 2010 ; voir également, au sujet d’une procédure en exécution d’un acte notarié, Estima Jorge c. Portugal, 21 avril 1998, §§ 37-38, Recueil 1998-II).
En l’espèce, il n’y a pas eu de procédure d’exécution. Il s’ensuit, à mon avis, qu’il n’y a pas lieu d’étendre la période à prendre en considération au-delà de la procédure qui s’est achevée par l’arrêt du Conseil d’État du 26 mai 2008. En suggérant le contraire, il me semble que la majorité déroge à une jurisprudence pourtant bien établie.
[1]. En réalité, il en est ainsi seulement lorsque la procédure d’exécution ne vise pas uniquement à faire exécuter une créance établie, mais qu’elle comporte en outre des éléments importants de détermination de la créance elle-même. En effet, comme la Cour l’a fait remarquer dans des affaires concernant la procédure en droit portugais, ce n’est que dans de telles circonstances que la « contestation » sur le droit invoqué aura été tranchée par l’intervention de la décision définitive prise à l’issue de la procédure d’exécution, et qu’il faudra donc considérer ladite procédure comme la seconde phase de celle qui a débuté avec la saisine du tribunal du fond (voir Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, § 33, série A no 286-A, et implicitement Nunes Violante c. Portugal, no 33953/96, § 23, 8 juin 1999 ; voir déjà dans le même sens Guincho c. Portugal, 10 juillet 1984, § 29, série A no 81, et Martins Moreira c. Portugal, 26 octobre 1988, § 44, série A no 143). Cette importante nuance semble toutefois avoir été perdue de vue dans les arrêts ultérieurs.