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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MX v. France - 21580/10 [2014] ECHR 1459 (01 July 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1459.html Cite as: [2014] ECHR 1459 |
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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 21580/10
M.X.
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 1er juillet 2014 en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 avril 2010,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
1. Le requérant, M. X., est un ressortissant algérien, né en 1976 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me B. Tourne, avocat à Paris.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Quant aux faits survenus en Algérie
3. Le requérant est un ressortissant algérien, dont l’identité n’a, selon le Gouvernement, jamais pu être formellement établie en raison des divers patronymes qu’il a utilisés.
4. Le requérant explique avoir rejoint les mouvements islamistes dès le début de la guerre civile dans son pays, en 1992, et avoir combattu les autorités algériennes. Le Gouvernement souligne qu’il ne donne aucune précision quant à la nature de son engagement, ni aucun élément permettant d’attester de poursuites à son encontre.
5. Activement recherché par les autorités judiciaires et les services secrets algériens pour avoir notamment dérobé des armes à l’armée, le requérant quitta l’Algérie en 1999, à la fin de la guerre civile. Il se réfugia en Espagne, puis en France.
2. Quant aux faits survenus en France
6. Interpellé et placé en garde à vue le 12 mai 2004, le requérant fut mis en examen deux jours plus tard. L’enquête préliminaire de police puis l’information judiciaire ouverte contre lui révélèrent son rôle important et sa participation active dans le réseau appelé, tant en France que dans d’autres pays, la « filière tchétchène ». Dans le cadre de cette affaire, il fut reproché au requérant d’avoir eu un lien direct et très étroit avec le dénommé M.B. Celui-ci, considéré comme le « chef » de la « filière tchétchène », avait été condamné à ce titre à une peine de dix ans d’emprisonnement ainsi qu’à une interdiction définitive du territoire français.
7. Le 14 juin 2006, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de sept ans d’emprisonnement ferme, assortie d’une période de sûreté des deux tiers, ainsi qu’à l’interdiction définitive du territoire français à titre de peine complémentaire, pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme (les faits reprochés ayant été commis en France, en Algérie, au Maroc, en Espagne, en Turquie, en Géorgie et en Syrie entre 1999 et 2004). Le requérant n’interjeta pas appel de cette décision.
8. Le 24 février 2010, dans le cadre de la mise à exécution de l’interdiction définitive du territoire français dont il était l’objet, le requérant fut extrait de la maison d’arrêt de la Santé pour être conduit au centre de rétention administrative de Vincennes pour un entretien préalable à son éloignement du territoire français avec les autorités consulaires algériennes, aux fins de délivrance d’un laissez-passer consulaire. Ce premier entretien s’avéra cependant infructueux, le requérant ayant gardé le silence. Un second entretien fut organisé, le 3 mars 2010, également en vain.
9. En raison de son silence et de son refus de communiquer des informations personnelles le concernant, le requérant fut placé en garde à vue pour s’être volontairement soustrait à une mesure d’éloignement du territoire français. Le 4 mars 2010, il fut jugé en comparution immédiate par la 23e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris et condamné à deux mois d’emprisonnement ferme pour les faits reprochés.
10. Le 19 avril 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 26 avril 2010, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne pas procéder au renvoi du requérant vers l’Algérie pour la durée de la procédure devant la Cour.
11. Le levée d’écrou du requérant eut lieu le 30 avril 2010.
12. Le requérant est actuellement assigné à résidence, par arrêté du ministre de l’Intérieur, dans le département des Hautes-Pyrénées.
13. Le 11 août 2011, le requérant introduisit une requête en relèvement de l’interdiction du territoire. Cette demande fut rejetée le 18 mai 2011 par le tribunal de grande instance de Paris.
B. Le droit interne pertinent
14. L’article 131-10 du code pénal dispose :
« Lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit.
L’interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion.
Lorsque l’interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d’exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin.
L’interdiction du territoire français prononcée en même temps qu’une peine d’emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l’objet, aux fins de préparation d’une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de sortir. »
15. L’article 702-1 du code de procédure pénale prévoit :
« Toute personne frappée d’une interdiction, déchéance ou incapacité ou d’une mesure de publication quelconque résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation à titre de peine complémentaire peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la dernière juridiction qui a statué, de la relever, en tout ou partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction, déchéance ou incapacité. Si la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, la juridiction compétente pour statuer sur la demande est la chambre de l’instruction dans le ressort de laquelle la cour d’assises a son siège.
Lorsque la demande est relative à une déchéance, interdiction ou incapacité prononcée en application de l’article L. 626-6 du code de commerce, la juridiction ne peut accorder le relèvement que si l’intéressé a apporté une contribution suffisante au paiement du passif du débiteur. La juridiction peut accorder, dans les mêmes conditions, le relèvement des interdictions, déchéances et incapacités résultant des condamnations pour banqueroute prononcées en application des articles 126 à 149 de la loi no 67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes.
Sauf lorsqu’il s’agit d’une mesure résultant de plein droit d’une condamnation pénale, la demande ne peut être portée devant la juridiction compétente qu’à l’issue d’un délai de six mois après la décision initiale de condamnation. En cas de refus opposé à cette première demande, une autre demande ne peut être présentée que six mois après cette décision de refus. Il en est de même, éventuellement, des demandes ultérieures. En cas d’interdiction du territoire prononcée à titre de peine complémentaire à une peine d’emprisonnement, la première demande peut toutefois être portée devant la juridiction compétente avant l’expiration du délai de six mois en cas de remise en liberté. La demande doit être déposée au cours de l’exécution de la peine.
Les dispositions du deuxième alinéa (1o) de l’article 131-6 du code pénal permettant de limiter la suspension du permis de conduire à la conduite en dehors de l’activité professionnelle sont applicables lorsque la demande de relèvement d’interdiction ou d’incapacité est relative à la peine de suspension du permis de conduire.
Pour l’application du présent article, le tribunal correctionnel est composé d’un seul magistrat exerçant les pouvoirs du président. Il en est de même de la chambre des appels correctionnels ou de la chambre de l’instruction, qui est composée de son seul président, siégeant à juge unique. Ce magistrat peut toutefois, si la complexité du dossier le justifie, décider d’office ou à la demande du condamné ou du ministère public de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collégiale de la juridiction. Le magistrat ayant ordonné ce renvoi fait alors partie de la composition de cette juridiction. La décision de renvoi constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours. »
16. Les dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en vigueur à l’époque considérée (avant l’entrée en vigueur de la loi no 2011-672 du 16 juillet 2011) se lisaient comme suit :
Article L. 513-2
« L’étranger qui est obligé de quitter le territoire français ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné :
1o A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile lui a reconnu le statut de réfugié ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile ;
2o Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ;
3o Ou à destination d’un autre pays dans lequel il est légalement admissible.
Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. »
Article L. 513-3
« La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d’éloignement elle-même.
Lorsque la décision fixant le pays de renvoi vise à exécuter une mesure de reconduite à la frontière, le recours contentieux contre cette décision n’est suspensif d’exécution, dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 512-3, que s’il est présenté au président du tribunal administratif en même temps que le recours contre la mesure de reconduite à la frontière qu’elle vise à exécuter. »
C. Documents internationaux
17. L’article 1F de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 dispose :
« F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;
c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. »
18. Dans son Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés édité en janvier 1992 et réédité en décembre 2001, le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies précise notamment :
« 176. Une demande du statut de réfugié de la part d’une personne qui a (ou qui est présumée avoir) usé de la force ou perpétré des actes de violence, de quelque nature qu’ils soient et dans quelque situation que ce soit, doit en premier lieu – comme toute autre demande – être examinée du point de vue des clauses d’inclusion de la Convention de 1951 (voir, ci-dessus, les paragraphes 32 à 110).
177. Lorsqu’il est établi qu’un demandeur satisfait aux conditions des clauses d’inclusion, la question se pose de savoir si, compte tenu des actes impliquant l’emploi de la force ou de la violence dont il est l’auteur, il tombe ou non sous le coup d’une ou de plusieurs des clauses d’exclusion. Ces clauses, qui figurent aux alinéas a) à c) de la section F de l’article premier de la Convention de 1951, ont été examinées précédemment (voir, ci-dessus, les paragraphes 147 à 163). »
GRIEF
19. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de risques de mauvais traitements en cas de renvoi vers l’Algérie. À cet égard, il précise ne pas pouvoir bénéficier de l’amnistie prévue par la Charte algérienne pour la paix et la réconciliation nationale et craindre d’être poursuivi en Algérie pour « appartenance à un groupe terroriste à l’étranger ».
EN DROIT
20. Le requérant considère que la mise à exécution de son renvoi vers l’Algérie l’exposerait à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Thèses des parties
21. Le Gouvernement soulève plusieurs motifs d’irrecevabilité.
22. Il soutient à titre principal que le requérant ne peut se prévaloir de la qualité de victime. La mise à exécution de la mesure d’interdiction définitive du territoire est, en effet, subordonnée à la prise d’un arrêté fixant l’Algérie comme pays de destination, ce qui, en l’espèce, était impossible en l’absence de laissez-passer consulaire.
23. Rappelant les conditions de mise à exécution de la peine d’interdiction définitive du territoire, le Gouvernement explique que si, aux termes de l’article 131-10 du code pénal français, la peine d’interdiction du territoire est directement exécutoire, en ce qu’elle ne nécessite pas que l’administration prenne un arrêté de reconduite à la frontière pour assurer l’exécution de la décision de justice, l’administration doit tout de même adopter un arrêté fixant le pays de destination. Or, en application de l’article 513-2 du CESEDA, l’administration n’a pas l’obligation de renvoyer l’intéressé vers son pays d’origine, elle peut également choisir de le renvoyer vers le pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ou vers un autre pays dans lequel il serait légalement admissible. Le renvoi du requérant, en l’espèce, ne peut donc intervenir que si l’administration prend une décision fixant le pays de destination, décision qui, en pratique, est toujours prise quelques jours avant l’expulsion et que ce dernier peut contester devant le juge administratif. Aucune décision fixant le pays de renvoi n’ayant été prise à la date à laquelle la Cour a prononcé la mesure provisoire, et aucune décision de ce type n’étant, en l’état, susceptible d’être prise, le Gouvernement en conclut que le requérant ne peut se prétendre victime.
24. À titre subsidiaire, le Gouvernement affirme que le requérant a omis d’épuiser les voies de recours internes. Selon lui, l’introduction par le requérant d’une requête en relèvement de l’interdiction du territoire est inopérante dès lors qu’un tel recours ne permet aucunement de faire valoir les griefs au regard de l’article 3 de la Convention, en cas de renvoi en Algérie. En effet, en prononçant une peine d’interdiction du territoire, le juge judiciaire énonce une interdiction générale sans jamais avoir à préciser le pays vers lequel la personne condamnée doit être renvoyée ; c’est à l’administration qu’il appartient, dans le cadre de la mise à exécution de la peine d’interdiction du territoire, de prendre un arrêté fixant le pays de destination. Le recours devant le tribunal de grande instance porte donc uniquement sur le principe général d’une interdiction du territoire français, question distincte de celle du pays de renvoi. Ainsi, si le juge pénal, saisi dans le cadre d’un recours en relèvement de l’interdiction du territoire, peut être amené à se prononcer sur la compatibilité de la peine avec l’article 8 de la Convention, c’est le seul juge administratif qui est, dans le cadre d’un recours contre l’arrêté fixant le pays de destination, compétent pour connaître des risques de traitements inhumains et dégradants.
25. Le Gouvernement fait également valoir que le requérant aurait dû déposer une demande d’asile afin de faire valoir les risques qu’il prétend encourir en cas de renvoi en Algérie. Le Gouvernement refuse à cet égard d’accepter l’argument du requérant selon lequel celui-ci était dispensé de la nécessité de déposer une demande d’asile devant l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) en raison de l’usage automatique de la clause d’exclusion à son encontre. En effet, toute demande d’asile est instruite au cas par cas, l’office se devant d’examiner les éléments propres à la situation de chaque demandeur. Il n’existe aucune automaticité dans la mesure où la clause d’exclusion peut être écartée s’il apparaît que l’intéressé a agi sous la contrainte ou s’il s’est désolidarisé des méthodes utilisées par son groupe. Le Gouvernement soutient ensuite que le risque d’être exposé à un traitement prohibé par l’article 3 aurait été systématiquement examiné dans la procédure d’asile même si les actes reprochés au requérant relevaient de l’une des catégories visées par la clause d’exclusion de l’article 1F de la Convention de Genève. En effet, bien qu’il n’existe aucune obligation juridique pesant sur l’OFPRA et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) de procéder à l’examen des craintes de persécutions avant de se prononcer sur l’applicabilité à l’encontre d’un demandeur d’asile de la clause d’exclusion de la Convention de Genève, il est de règle générale que les instances de l’asile mettent en œuvre systématiquement cette pratique communément nommée « inclusion / exclusion ». Cela signifie que l’OFPRA et la CNDA se prononcent en premier lieu sur les craintes soumises à son examen et s’ils estiment les risques avérés (inclusion), ils recherchent si la clause d’exclusion s’applique (exclusion). Cette pratique va dans le sens tant des critères figurant aux paragraphes 176 et 177 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés du Haut-Commissariat pour les Réfugiés réédité en décembre 2011 que des considérations figurant au paragraphe 87 de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 9 novembre 2010 no C-57/09 et C-101/09 Allemagne c. B. et Allemagne c. D. répondant à une question préjudicielle. Le Gouvernement précise, en outre, qu’il est important pour les instances de l’asile de se prononcer en premier lieu sur le caractère avéré ou non des craintes pour pouvoir, si la clause d’exclusion de la Convention de Genève s’applique, rechercher si le requérant ne peut, en tout état de cause, bénéficier de la protection subsidiaire (CESEDA, art. L. 712-1). Enfin, le Gouvernement n’est pas convaincu par les allégations du requérant, selon lequel le dépôt d’une demande d’asile aurait pu aboutir à une divulgation d’informations aux autorités algériennes. Il rappelle, en effet, que l’OFPRA est doté d’importantes garanties d’indépendance et de confidentialité concernant les informations dont il est le dépositaire.
26. Le Gouvernement soutient, par ailleurs, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le dépôt d’une demande d’asile devant l’OFPRA et la CNDA constitue une voie de recours effective. En effet, dans le cas où l’OFPRA exclut un demandeur d’asile du bénéfice de la protection tout en reconnaissant la réalité des risques au regard de l’article 3 de la Convention, l’administration tire toutes les conséquences de cette appréciation en ne mettant pas à exécution la mesure de renvoi. Dans l’arrêt Boutagni c. France, le requérant, ressortissant marocain condamné en France pour des actes terroristes, avait déposé une demande d’asile devant l’OFPRA, lequel l’avait exclu du bénéfice de la protection en raison de ses activités terroristes tout en reconnaissant la réalité des risques en cas de renvoi vers le Maroc. Les risques de traitements inhumains et dégradants ayant été établis, l’intéressé ne pouvait plus être renvoyé vers le Maroc conformément à l’article L. 513-2 du CESEDA. La Cour avait conclu à la non-violation de l’article 3, considérant que « l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le requérant ne sera pas reconduit vers le Maroc suffit à la Cour pour conclure que ce dernier n’encourt plus de risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention ». Le Gouvernement souligne également que, dans le cadre d’un recours contre la décision d’éloignement devant le juge administratif, la reconnaissance des risques au regard de l’article 3 par l’OFPRA ou la CNDA est un élément essentiel nécessairement pris en compte par le juge administratif. Eu égard à ces éléments, le Gouvernement conclut à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes à défaut pour le requérant d’avoir déposé une demande d’asile.
27. À titre très subsidiaire, quant au fond, le Gouvernement est d’avis que l’arrêt Daoudi c. France ne saurait être considéré comme une décision de principe qui ferait obstacle à ce que toute personne condamnée en France pour des faits de terrorisme fasse l’objet d’une mesure de renvoi dans son pays d’origine. Le Gouvernement estime, en effet, que si la Cour est parvenue à la conclusion que la décision de renvoi vers l’Algérie emporterait violation de l’article 3 de la Convention si elle était mise à exécution, ce n’était pas en raison de l’existence d’une condamnation pour faits de terrorisme mais bien parce qu’en l’espèce, il était avéré que cette condamnation était connue des autorités algériennes. Or, selon le Gouvernement, les circonstances de la présente affaire sont très différentes de celles qui prévalaient dans l’affaire Daoudi c. France, aucun élément ne laissant penser que les autorités algériennes ont eu connaissance de la condamnation du requérant pour des faits de terrorisme. Le Gouvernement attire l’attention sur le fait que le requérant n’a pas été en mesure de fournir devant la Cour le moindre article de presse citant son nom ou faisant référence à sa situation. Le Gouvernement précise, en outre, que, dans le cas d’espèce, il n’a jamais fourni d’information aux autorités algériennes sur la nature de l’infraction commise. Ainsi, si deux auditions ont été organisées au consulat, l’objectif était exclusivement limité à l’établissement d’un laissez-passer et, en tout état de cause, le requérant a gardé le silence lors de ces auditions. Le Gouvernement souligne, par ailleurs, que la décision par laquelle la Cour a prononcé une mesure de suspension au titre de l’article 39 de son règlement n’a pas fait l’objet d’un intérêt médiatique particulier, la procédure devant la Cour lui garantissant un complet anonymat.
28. Répondant à l’un des arguments du requérant, le Gouvernement fait, enfin, valoir que l’assignation à résidence n’est que la conséquence de l’interdiction du territoire prononcée par l’autorité judiciaire en attendant que le pays de renvoi soit déterminé par décision administrative. Le Gouvernement rappelle également qu’en l’espèce aucun acte judicaire ou administratif ne prescrit le retour du requérant vers l’Algérie.
29. Sur la recevabilité de la requête, le requérant fait valoir, concernant la qualité de victime, que l’argument du Gouvernement selon lequel il pourrait être amené à être renvoyé vers un autre pays que l’Algérie est purement hypothétique, le Gouvernement ne précisant pas vers quel pays il pourrait être envisagé de le renvoyer. Le requérant fait valoir qu’il aurait été aisé d’indiquer un pays de renvoi et est d’avis que le Gouvernement prétexte l’absence de décision en ce sens pour déclarer irrecevable sa requête. Seule l’application de l’article 39 du règlement de la Cour a empêché son renvoi en Algérie dès sa levée d’écrou. Selon le requérant, un tel renvoi interviendrait si la Cour venait à lever l’application de l’article 39 du règlement, ce qui explique d’ailleurs son assignation à résidence.
30. Concernant l’épuisement des voies de recours, le requérant rappelle qu’en cas de condamnation pour des activités terroristes, les demandes d’asiles déposées auprès de l’OFPRA sont systématiquement rejetées et qu’une demande en ce sens déposée par le requérant serait dépourvue de chances de succès.
31. Quant au fond, le requérant réfute l’argument du Gouvernement selon lequel les autorités algériennes ne seraient aucunement informées de sa condamnation en France pour des faits de terrorisme. Il estime que c’est là ignorer les moyens mis en œuvre par l’Algérie pour lutter contre les réseaux terroristes. Il est également d’avis qu’il ne fait guère de doute que les services de lutte contre le terrorisme de l’Algérie et de la France communiquent entre eux.
B. Appréciation de la Cour
32. La Cour n’estime pas nécessaire de trancher la question concernant le défaut éventuel de la qualité de victime soulevée par le Gouvernement, le grief étant, en tout état de cause, irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.
33. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter une action devant la Cour l’obligation d’utiliser auparavant les recours qui sont normalement disponibles dans le système juridique de leur pays et suffisants pour leur permettre d’obtenir le redressement des violations qu’elles allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite, mais il n’impose pas d’user de recours qui sont inadéquats ou ineffectifs (voir notamment Sultani c. France, no 45223/05, § 49, CEDH 2007‑IV, et Y.P. et L.P. c. France, no 32476/06, § 50, 2 septembre 2010). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention ‑ et avec lequel elle présente d’étroites affinités ‑ que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée, que les dispositions de la Convention fassent ou non partie intégrante du système interne. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV).
34. La Cour a également affirmé que lorsqu’un requérant cherche à éviter d’être renvoyé par un État contractant, il est normalement appelé à épuiser un recours qui a un effet suspensif (Bahaddar c. Pays‑Bas, 19 février 1998, §§ 47-48, Recueil 1998-I). Un contrôle juridictionnel, lorsqu’il existe et lorsqu’il fait obstacle au renvoi, doit être considéré comme un recours effectif qu’en principe les requérants doivent épuiser avant d’introduire une requête devant la Cour ou de solliciter des mesures provisoires en vertu de l’article 39 du règlement de celle-ci en vue de retarder une expulsion (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 90, 17 juillet 2008).
35. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a été condamné, en première instance, à une peine d’interdiction du territoire, qu’il n’a pas contesté en appel, et qu’il s’est borné à introduire un recours en relèvement de l’interdiction du territoire français devant la juridiction pénale qui l’avait condamné. Selon le Gouvernement, un tel recours n’était pas pertinent, faute de permettre un examen des griefs au regard de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Algérie. Il s’agit donc pour la Cour de déterminer si la voie de droit choisie par le requérant était apparemment effective et suffisante.
36. La Cour observe, avec le Gouvernement, qu’une peine d’interdiction du territoire correspond à une interdiction générale de se trouver ou de se maintenir en France. Si elle entraîne la reconduite à la frontière de l’intéressé, le cas échéant à l’expiration de sa peine d’emprisonnement, elle ne prévoit pas le pays dans laquelle ce dernier doit être renvoyé, cette prérogative appartenant à l’administration qui, dans le cadre de la mise à exécution de l’interdiction du territoire, prend un arrêté fixant le pays de destination. Présentée auprès de la juridiction pénale qui a prononcé la peine, la requête en relèvement permet donc uniquement au condamné d’obtenir le réexamen de la pertinence de l’interdiction du territoire au regard de son passé pénal et de sa situation personnelle. La juridiction saisie se borne ainsi à dire s’il y a lieu ou non de maintenir cette interdiction, ce qui peut éventuellement l’amener à apprécier si la gravité de la sanction est ou non proportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé. En revanche, elle ne se prononce pas sur le point de savoir si l’intéressé doit être renvoyé dans tel ou tel pays et n’examine donc pas les risques de traitements contraires à l’article 3 encourus par celui-ci en cas de reconduite dans son pays d’origine. En l’espèce, le tribunal de grande instance de Paris s’est ainsi borné à dire qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la requête en relèvement d’interdiction du territoire français, sans faire état d’aucune motivation au regard de l’article 3 de la Convention. La Cour ne peut qu’en conclure que la voie de droit choisie par le requérant n’était ni effective, ni suffisante.
37. La Cour considère, en revanche, qu’en l’espèce, une demande d’admission au bénéfice de l’asile auprès de l’OFPRA aurait permis au requérant de faire examiner la question de la réalité des risques qu’il allègue encourir dans son pays, tout en demeurant provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur sa demande, et ce même si le requérant avait, du fait de ses activités terroristes, été exclu du bénéfice de la protection des dispositions relatives au statut de réfugié en application de l’article 1Fc) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (voir paragraphe 17). Il ressort, en effet, de la pratique administrative française, inspirée notamment par le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, qu’avant de rechercher si les actes reprochés à un étranger relèvent des catégories visées par la clause d’exclusion de la Convention de Genève, les instances de l’asile se prononcent systématiquement sur les risques encourus par ce dernier en cas de renvoi. Si les risques allégués par le requérant en cas de renvoi vers l’Algérie avaient été examinés dans le cadre d’une demande d’asile, demeure cependant la question de savoir si une éventuelle reconnaissance de ces risques aurait eu pour conséquence de faire effectivement obstacle au renvoi. À cet égard, la Cour se réfère à la lettre de l’article L. 513-2 du CESEDA qui prohibe l’éloignement d’un étranger à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention. Elle prend également acte de l’engagement du Gouvernement selon lequel, dans le cas où une instance de l’asile a exclu le demandeur d’asile du bénéfice de la protection tout en reconnaissant la réalité des risques au regard de l’article 3, l’administration tire toutes les conséquences de cette appréciation en ne mettant pas à exécution la mesure de renvoi vers le pays concerné.
38. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le requérant, en omettant d’introduire une demande d’admission au bénéfice de l’asile auprès de l’OFPRA, s’est abstenu de faire usage d’une voie de recours effective.
39. Partant, dans les circonstances de l’espèce, il convient de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et de la rejeter en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
40. Dans ces circonstances, la mesure indiquée en application de l’article 39 du règlement de la Cour prend fin.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia
Westerdiek Mark
Villiger
Greffière Président