BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> FIGUEIREDO GONÇALVES v. PORTUGAL - 57422/09 - Committee Judgment (French Text) [2014] ECHR 165 (18 February 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/165.html
Cite as: [2014] ECHR 165

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE FIGUEIREDO GONÇALVES c. PORTUGAL

     

    (Requête no 57422/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    18 février 2014

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Figueiredo Gonçalves c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en comité du conseil le 28 janvier 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 57422/09) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. José Carlos Figueiredo Gonçalves (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Graça de Carvalho, procureur général adjoint.

    3.  Le 4 novembre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1935 et réside à Porto.

    A.  La demande en injonction et l’action en dénonciation de nouvel œuvre

    5.  Le requérant est propriétaire de plusieurs boxes de parking de 3,5 m de hauteur à Porto.

    6.  À une date non précisée, les époux S. initièrent des travaux de construction d’un immeuble d’habitation de onze étages sur le terrain adjacent.

    7.  Le 15 janvier 1992, le requérant saisit le tribunal de Porto d’une demande en injonction en alléguant que l’édifice commençait à envahir l’espace aérien de sa propriété. Il réclama l’arrêt immédiat des travaux, jusqu’à la résolution du litige entre lui et ses voisins. Par une décision conservatoire du 28 janvier 1992, le juge fit droit à sa demande.

    8.  Le 31 janvier 1992, le requérant saisit le tribunal de Porto d’une action en dénonciation de nouvel œuvre contre les époux S. Il demanda au tribunal de constater l’illégalité des travaux et d’ordonner la destruction des balcons et la fermeture des fenêtres de la façade litigieuse de l’immeuble.

    9.  À une date non précisée, les époux S. sollicitèrent l’autorisation au tribunal pour poursuivre la construction. Par une décision du 27 mai 1992, le tribunal fit droit à leur demande, leur exigeant toutefois une garantie bancaire (fiança bancária) de 10 000 000 escudos portugais (soit environ 50 000 euros). Le requérant fit appel de cette décision devant la cour d’appel de Porto puis devant la Cour suprême, laquelle par un arrêt du 6 mars 1995 confirma la décision du tribunal de Porto.

    10.  Le 8 février 1993, le tribunal rendit une ordonnance sur les faits considérés comme établis et ceux restant à rétablir.

    11.  Le tribunal requit une expertise judiciaire. Le rapport fut remis le 3 janvier 1994 et les clarifications aux demandes des parties furent présentées en mai 1994.

    12.  L’audience fut ouverte le 25 mai 1995.

    13.  Par un jugement du 27 octobre 1995, le tribunal de Porto fit droit à la prétention du requérant. Il ordonna la destruction des balcons, lesquels dépassaient de 0,6 mètre l’espace aérien au-dessus de la propriété du requérant et la fermeture de toutes les fenêtres de la façade de l’immeuble avec vue sur la propriété du requérant.

    14.  Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Porto du 17 juin 1997 et par un arrêt de la Cour suprême du 26 février 1998.

    B.  L’action en exécution

    15.  Les époux S. ne s’étant pas conformé au jugement du tribunal de Porto, le 12 janvier 1998, le requérant demanda l’exécution forcée de celui-ci au tribunal de Porto.

    16.  Par une ordonnance du 18 mai 1998, le tribunal ordonna que les époux S. soient cités par voie d’affichage public.

    17.   Le 3 décembre 1998, le requérant demanda au tribunal l’autorisation de procéder lui-même aux travaux, aux frais des défendeurs.

    18.  Le 18 décembre 1998, suite au décès de l’époux S., le tribunal ordonna la suspension de l’instance et l’ouverture d’une procédure invitant les descendants du de cujus à intervenir en son nom.

    19.  Par une ordonnance du 15 mai 2002, le tribunal déclara l’extinction de l’instance par rapport à l’époux S. au motif que celui-ci avait été déclaré en situation de faillite personnelle avant son décès.

    20.  Par une ordonnance du 29 janvier 2003, le tribunal ordonna la poursuite de l’exécution à l’encontre de l’épouse S., fixant un délai de 135 jours pour la réalisation des travaux.

    21.  Le 9 juillet 2003, le tribunal demanda à l’épouse S. si les travaux avaient été conclus.

    22.  Le 12 septembre 2003, le requérant sollicita au tribunal d’ordonner la réalisation des travaux par un tiers.

    23.  Un expert fut nommé dans le but de déterminer le prix des travaux. Il remit son rapport le 2 juillet 2004 mais demanda ensuite à être dessaisi du dossier.

    24.  Des nouveaux experts furent désignés. Ils présentèrent leur rapport le 9 février 2005. L’épouse S. sollicita quelques éclaircissements notamment sur le point de savoir s’il était nécessaire d’obtenir une nouvelle autorisation de la mairie avant de démarrer les travaux sur l’immeuble en cause. Le 31 mars 2005, les experts portèrent à la connaissance des parties une lettre provenant de la division de l’urbanisme de la Marie de Porto aux termes duquel les travaux nécessitaient une autorisation administrative préalable.

    25.  Le 4 juillet 2005, le requérant réitéra sa demande auprès du tribunal en vue de faire lui-même exécution du jugement du 27 octobre 1995. Par une ordonnance du 14 novembre 2005, le juge fit droit à cette demande, autorisant le requérant à diriger et coordonner les travaux, en ayant recours, pour couvrir les frais, à la garantie bancaire qui avait été déposée dans le cadre de la procédure par les défendeurs.

    26.  Le 22 février 2006, le requérant informa les propriétaires de l’immeuble que les travaux de démolition étaient sur le point d’être lancés.

    27.  Le 24 mars 2006, trois copropriétaires de l’immeuble, agissant en leur nom et en représentation des autres copropriétaires, introduisirent une opposition de tiers (embargos de terceiro) à l’exécution devant le tribunal de Porto. Ils alléguaient notamment qu’en tant que nouveaux propriétaires de l’immeuble, le jugement du 27 octobre 1995 ne leur était pas opposable.

    28.  Leur demande fut rejetée par une décision du tribunal de Porto, confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Porto du 29 novembre 2006 et par un arrêt de la Cour suprême du 15 mai 2007. Cette dernière juridiction souligna notamment que les tiers en question avaient acquis leur droit de propriété à une date ultérieure à celle de la décision définitive rendue dans la procédure en dénonciation de nouvel œuvre et qu’ils étaient dès lors liés par la décision en cause.

    29.  Le 18 avril 2006, l’entreprise engagée par le requérant essaya de procéder aux travaux mais n’y parvint pas en raison de l’opposition des personnes habitant l’immeuble en cause. La Police de la Sécurité Publique (ci-après « PSP ») fut appelée par le requérant, elle dressa un procès-verbal des évènements, prenant note des plaintes du requérant et des arguments de l’administrateur de l’immeuble.

    30.  Le lendemain, la police municipale fut appelée sur les lieux par l’administrateur de l’immeuble, lequel souhaita qu’elle vérifie la légitimité des travaux. La police dressa un procès-verbal.

    31.  Le 21 avril 2006, la PSP se déplaça à nouveau sur les lieux à la demande du requérant. Le même jour, le requérant adressa une Requête écrite à la PSP, en se plaignant de n’être pas en mesure de mettre en œuvre les travaux litigieux. Il réclama une protection policière pour assurer sa sécurité et celle des employés de l’entreprise engagée pour effectuer les travaux, lesquels étaient prévus le 24 avril 2006.

    32.  Par une ordonnance du 24 avril 2006, la police demanda au requérant de payer la somme de 237,76 euros pour pouvoir bénéficier de la présence d’agents sur les lieux les 26 et 27 avril 2006. Le requérant paya cette somme le même jour. Il ne fut néanmoins pas possible de nommer des agents à cette fin.

    33.  Le 15 mai 2006, le requérant demanda au tribunal de lui accorder le concours des forces de l’ordre. Le 12 juin 2007, le requérant réitéra sa demande.

    34.  Par une ordonnance du 16 juillet 2007, le tribunal ordonna à la police de surveiller l’exécution des travaux, enjoignant les propriétaires concernés de l’immeuble de collaborer avec la police à toutes fins nécessaires sous peine d’amende et de poursuites judiciaires pour refus d’obtempérer.

    35.  Les 3 et 8 octobre 2007, la police informa le tribunal que les habitants continuaient à empêcher les travaux.

    36.  Le 9 octobre 2007, l’entreprise chargée de l’installation de l’échafaudage résilia le contrat passé avec le requérant en raison des menaces et agressions dont avaient été victimes ses ouvriers pendant leur travail.

    37.  Le 9 novembre 2007, le tribunal invita les parties à une audience de conciliation le 29 novembre suivant. À leur demande, le juge ordonna la suspension de l’instance. N’étant pas parvenues à un accord, les parties demandèrent la poursuite de la procédure le 8 janvier 2008.

    38.  Le 25 janvier 2008, l’épouse S. sollicita l’extinction de l’instance au motif que les travaux en cause ne pouvaient être entrepris sans une autorisation préalable de la mairie de Porto. Pour appuyer sa demande, elle présenta un avis de la direction municipale de l’urbanisme datant du 26 avril 2006. Par ordonnance du 11 février 2008, le tribunal rejeta la demande d’extinction de l’instance.

    39.  Suite au dessaisissement de l’avocat du requérant, l’instance fut suspendue le 11 avril 2008. Un nouvel avocat fut mandaté et la procédure repris le 5 juin 2008.

    40.  Le 20 novembre 2008, l’épouse S. informa le tribunal de Porto qu’elle avait été déclarée en situation de faillite personnelle par un jugement du tribunal de Vila Nova de Gaia du 31 janvier 2008. Les parties furent invitées à se prononcer à cet égard. Par un jugement du 12 mars 2009, le tribunal déclara l’extinction de l’instance conformément à l’article 88 § 1 du code sur la faillite et la récupération des entreprises (Código da Insolvência e da Recuperação de Empresas).

    41.  Le requérant fit appel de ce jugement le 30 mars 2009. Le tribunal admit le recours avec effet suspensif et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Porto le 14 septembre 2009.

    42.  Par un arrêt du 8 février 2010, la cour d’appel fit partiellement droit au recours considérant qu’en l’occurrence seule l’interruption de l’instance pouvait être ordonnée. Les parties se pourvurent en cassation devant la Cour Suprême, laquelle prononça un arrêt, le 16 novembre 2010, ordonnant la poursuite de la procédure. La Cour suprême releva que les parties de l’immeuble avaient été vendues, l’obligation d’exécuter le jugement de 1995 leur ayant par voie de conséquence été transférée. Elle observa ensuite que ces travaux n’affectaient pas la masse en faillite et qu’il n’y avait donc pas lieu de déclarer l’extinction de la procédure d’exécution. L’épouse S. présenta un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel mais son recours ne fut pas admis, par une décision du 1er mars 2011.

    43.  Les 28 février et 4 mars 2011, le requérant sollicita à nouveau la présence de la police sur les lieux.

    44.  Le 15 avril 2011, le requérant informa le tribunal qu’il avait l’intention de poursuivre l’exécution du jugement, sollicitant le concours des forces de l’ordre. Les 27 avril et 18 mai 2011, le tribunal demanda au requérant de présenter le plan et la durée prévue des travaux ainsi que le nom de l’entreprise chargée des travaux.

    45.  Par une ordonnance du 1er juin 2011, le tribunal ordonna la poursuite de l’exécution par le requérant, selon les termes accordés. Il ordonna également à la PSP d’apporter sa collaboration.

    46.  Le 13 juillet 2011, le requérant informa la police que les travaux allaient commencer le 18 juillet 2011.

    47.  Le 20 juillet 2011, la police porta à la connaissance du tribunal que les travaux avaient été interrompus sur ordre d’un inspecteur de la mairie de Porto au motif qu’ils n’avaient pas été autorisés par la municipalité. L’espace supérieur de la propriété du requérant fut alors mis sous scellé.

    48.  Le 27 juillet 2001, la mairie de Porto joignit au procès-verbal de la procédure des documents concernant les travaux.

    49.  Le 12 septembre 2011, le tribunal ordonna au requérant de suspendre les travaux jusqu’à nouvel ordre. Par une ordonnance du 18 octobre 2011, il lui indiqua qu’il lui incombait d’obtenir une autorisation de démolition de la mairie de Porto pour pouvoir poursuivre les travaux. Le requérant fit appel de cette décision devant la cour d’appel de Porto.

    50.  Aux dernières informations reçues des parties, lesquelles remontent au 18 décembre 2012, la procédure d’exécution est toujours pendante.

    C.  Autres démarches entreprises par le requérant

    51.  Le requérant adressa diverses Requêtes à différentes autorités portugaises, notamment, le Président de la république, le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice, le procureur-général de la république et le conseil supérieur du ministère public.

    52.  Deux plaintes pénales furent également déposées par le requérant contre le syndic de la copropriété, leur issue n’est toutefois pas précisée.

    II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

    53.  Au moment des faits, les dispositions du code de procédure civile (version approuvée par le décret-loi no 329-A/95 du 12 décembre 1995, dans la rédaction introduite par le décret-loi no 180/96 du 25 septembre 1996) concernant la procédure d’exécution se lisaient ainsi :

    Article 933

    Signification de la personne saisie

    « 1.  Si une personne ne se conforme pas à une obligation de faire dans un délai déterminé, le créancier peut exiger que la prestation soit faite par autrui, si le fait est fongible, et réclamer l’indemnisation moratoire à laquelle il a droit (...).

    2. Le débiteur est cité pour qu’il formule, dans un délai de 20 jours, toute opposition éventuelle, la raison de celle-ci pouvant être, même si l’exécution est fondée sur un jugement, la réalisation à un moment ultérieur de l’exécution, étayée par tout moyen.

    (...) »

    Article 935

    Évaluation du coût de la prestation et réalisation du montant constaté

    « 1.  Si le demandeur (exequente) a choisi que la prestation de faire soit effectuée par autrui, il devra demander la désignation d’un expert afin qu’il évalue le coût de la prestation.

    (...) »

    Article 936

    Prestation par le demandeur (exequente)

    « 1.  Avant même la fin de l’évaluation ou de l’exécution conformément à l’article précédent, le demandeur peut faire ou demander de faire, sous sa direction et sa supervision, les ouvrages et travaux nécessaires en vue de la prestation de fait, devant rendre des comptes au tribunal chargé de l’exécution. (...)

    (...). »

    54.  L’article 88 du code sur la faillite et la récupération des entreprises (Código da Insolvência e da Recuperação de Empresas).

     « 1.  La déclaration de faillite implique la suspension de toutes démarches d’exécution ou mesures requises par les créanciers de la faillite qui affecte les biens de la masse en faillite et empêche l’instauration ou la poursuite de toute action en exécution introduite par les créanciers. Toutefois, si d’autres personnes ont été saisies, l’exécution continue à leur égard (...)

    55.  Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté le 9 septembre 2003 une recommandation Rec (2003) 17 en matière d’exécution des décisions de justice. Il rappelle que la prééminence du droit est un principe qui ne peut être respecté que si les citoyens ont réellement la possibilité, en pratique, de faire valoir leurs droits et de contester des actes illégaux. Il prône une plus grande efficacité et une plus grande équité dans l’exécution des décisions de justice en matière civile afin d’établir un juste équilibre entre les droits et les intérêts des parties aux procédures d’exécution. A défaut, « d’autres formes de « justice privée » peuvent surgir et avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    56.  Invoquant les articles 1 et 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la non-exécution, depuis dix-huit ans, du jugement ordonnant à ses voisins de démolir la partie de l’immeuble qui empiète sur sa propriété. Il dénonce le manque de protection dont il a bénéficié alors qu’il tentait de mettre en œuvre les travaux, il y voit une atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité sous l’angle de l’article 5 de la Convention.

    57.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I), la Cour estime que le grief du requérant doit être examiné sous l’angle plus général du droit d’accès à un tribunal (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 61, CEDH 1999-V) garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, lequel se lit ainsi dans sa partie pertinente :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    58.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    59.  Le requérant se plaint de l’impossibilité depuis maintenant
    dix-huit ans d’obtenir l’exécution du jugement du tribunal de Porto du 27 octobre 1995 en raison du manque d’assistance des autorités dans ses tentatives de mise en œuvre des travaux litigieux.

    60.  Le Gouvernement soutient que les autorités ne peuvent être tenues comme responsables du retard dans l’exécution du jugement du tribunal de Porto. Il estime que l’affaire est particulièrement complexe autant du point de vue substantiel que procédural. D’une part, il s’agit d’un conflit entre particuliers, les habitants de l’immeuble s’étant à plusieurs reprises opposés à l’exécution du jugement. D’autre part, le tribunal a été contraint de suspendre plusieurs fois la procédure en raison du décès de l’un des défendeurs et de la faillite personnelle de celui-ci puis de son épouse. Le Gouvernement affirme que le requérant est aussi responsable de la dernière suspension de la procédure car il n’a pas promptement agi afin d’obtenir l’autorisation de la mairie avant de procéder aux travaux.

    61.  Le Gouvernement considère que l’exécution du jugement méritait d’agir avec une certaine prudence, compte tenu de son impact social et humain et des préjudices pour les habitants de l’immeuble concernés.

    62.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ; il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect (Philis c. Grèce (no 1), 27 août 1991, § 59, série A no 209). Ce droit serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil 1997-II). Ce droit ne peut cependant obliger un État à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu’il soit et quelles que soient les circonstances ; il lui appartient en revanche de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent. Les États ont toutefois l’obligation positive de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). La Cour a uniquement pour tâche d’examiner si les mesures adoptées par les autorités nationales ont été adéquates et suffisantes (Ruianu c. Roumanie, n34647/97, § 66, 17 juin 2003), car lorsque celles-ci sont tenues d’agir en exécution d’une décision judiciaire et omettent de le faire, cette inertie engage la responsabilité de l’État sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (Scollo c. Italie, 28 septembre 1995, § 44, série A no 315-C).

    63.  La Cour rappelle également qu’un retard dans l’exécution d’un jugement peut se justifier dans des circonstances particulières, mais il ne peut avoir pour conséquence une atteinte à la substance même du droit protégé par l’article 6 § 1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 35, CEDH 2002-III ; Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 74, CEDH 1999-V).

    64.  S’agissant d’un litige entre particuliers, le requérant doit agir avec une certaine diligence et veiller à l’exécution des décisions de justice dans les affaires civiles (SC Magna Holding SRL c. Roumanie, no 10055/03, § 33, 13 juillet 2006). Dès lors, il incombait au requérant de se servir des moyens mis à sa disposition par la législation nationale et de faire appel, le cas échéant, à la force publique pour l’assister dans l’exécution (Ciprova c. la République tchèque (déc.), no 33273/03, 22 mars 2005). En sa qualité de dépositaire de la force publique, l’État est appelé à avoir un comportement diligent et à assister le créancier dans l’exécution (Fociac c. Roumanie, no 2577/02, § 70, 3 février 2005).

    65.  En l’espèce, il s’agissait de l’exécution d’un jugement datant du 27 juin 1995, confirmé par un arrêt de la cour d’appel du 17 juin 1997 et par un arrêt de la Cour suprême du 26 février 1998, enjoignant une obligation de faire à des particuliers. La procédure d’exécution a été introduite le 12 janvier 1998 et est toujours pendante. Elle dure ainsi depuis presque seize années.

    66.  La Cour observe que la procédure d’exécution portait sur une obligation de faire qui nécessitait l’intervention personnelle des débiteurs. Elle constate que ceux-ci ne se sont pas volontairement conformés au jugement, c’est pourquoi le requérant a demandé au tribunal de l’autoriser à exécuter le jugement, en procédant lui-même aux travaux de démolition, par l’intermédiaire d’une entreprise (voir ci-dessus paragraphe 17). La Cour note que le tribunal a fait droit à cette prétention par une ordonnance du 14 novembre 2005 (voir ci-dessus paragraphe 25).

    67.  La Cour relève que le requérant s’est plaint plusieurs fois aux forces de l’ordre et au tribunal des difficultés rencontrées en raison des menaces des habitants de l’immeuble contre lui-même et les ouvriers chargés des travaux.

    68.  La Cour observe en outre que le requérant a demandé au tribunal de lui accorder le concours des forces de l’ordre le 15 mai 2006. Or, ce n’est que le 16 juillet 2007, suite à une nouvelle demande, formulée le 12 juin 2007 (voir ci-dessus § 33), que le tribunal de Porto a ordonné à la police de porter assistance au requérant, faisant aussi appel à la coopération des habitants de l’immeuble.

    69 La Cour note que des procès-verbaux ont été établis par les forces de l’ordre, notamment les 18 et 19 avril 2006 (voir ci-dessus paragraphes 29 et 30). Néanmoins, aucune procédure n’a été engagée par les autorités judiciaires contre les récalcitrants alors que les menaces et les actes contre les ouvriers constituaient peut-être des délits.

    70.  La Cour constate pour finir que la procédure est actuellement pendante en raison de la nécessité d’obtenir une autorisation de la mairie de Porto avant de procéder aux travaux.

    71.  La Cour admet que l’objet de la procédure d’exécution méritait d’agir avec précaution compte tenu qu’il s’agissait d’une intervention non seulement sur l’esthétique de l’immeuble mais surtout sur le confort des appartements du fait de la fermeture des fenêtres.

    72.  La Cour rappelle qu’elle a admis que des motivations d’ordre social dans le domaine du logement ou d’accompagnement social pouvaient justifier que l’État diffère le concours de la force publique (Cofinfo c. France (déc.), no 23516/08, 2 octobre 2010). Il s’agissait d’affaires dans lesquelles les intéressés étaient en situation de précarité et ne disposaient pas de solution de relogement. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

    73.  La Cour estime cependant que l’inaction des autorités a laissé s’installer un climat d’insécurité empêchant le requérant de mettre en œuvre le jugement litigieux. Ce type de situation témoigne de l’inefficacité du système d’exécution et renvoie au risque de dérive - rappelé dans la Recommandation du Comité des Ministres en matière d’exécution des décisions de justice - d’aboutir à une forme de « justice privée » qui peut avoir des conséquences négatives sur la confiance et la crédibilité du public dans le système juridique (Matheus c. France, no 62740/00, § 71, 31 mars 2005).

    74.  Quant au point de savoir si une autorisation de la mairie était nécessaire pour procéder aux travaux, la Cour note que cette question avait déjà expressément été soulevée par la partie défenderesse et par les experts en mars 2005 (voir ci-dessus paragraphe 24). Or, ce n’est que six ans plus tard, par une ordonnance du 18 octobre 2011, que le juge répond à ce moyen en indiquant au requérant qu’une autorisation préalable de la mairie est nécessaire. La Cour en déduit que l’attitude manifestement dilatoire du tribunal à cet égard a porté préjudice au requérant.

    75.  Compte tenu des observations qui précèdent, la Cour estime qu’en l’espèce les autorités nationales n’ont pas assisté le requérant de manière effective dans ses démarches pour obtenir l’exécution du jugement du tribunal de Porto du 27 octobre 1995. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    76.  Le requérant dénonce une atteinte à son droit au respect des biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

    77.  Eu égard à sa conclusion figurant au paragraphe 75 ci-dessus, la Cour conclut que ce grief doit être déclaré recevable, mais qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le fond (voir, mutatis mutandis, entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Eglise catholique de La Canée c. Grèce, 16 décembre 1997, § 50, Recueil 1997-VIII, Ruianu, précité, § 75).

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA  CONVENTION

    78.  Le requérant estime avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire.

    79.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation de l’article 14 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    80.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    81.  Le requérant réclame une somme au titre du dommage matériel subi sans la quantifier toutefois. Il réclame néamoins 57 946,67 euros (EUR) pour les frais encourus pour tenter de mettre en œuvre les travaux litigieux. Il réclame également 450 000 EUR pour le dommage moral subi du fait de la non-exécution du jugement.

    82.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, les jugeant surévaluées.

    83.  En l’espèce, la Cour a constaté une violation de l’article 6 de la Convention du fait de l’inexécution d’une décision de justice par laquelle les tribunaux avaient condamné des tiers à démolir les parties illégales d’un immeuble.

    84.  Dès lors, la Cour estime que le requérant a subi un préjudice matériel du chef de la non-exécution de la décision de justice en cause et un préjudice moral consistant en un profond sentiment d’injustice dû au fait que, depuis presque seize ans, en dépit d’une décision de justice définitive et exécutoire, il n’a pas bénéficié d’une protection effective de ses droits.

    85.  Compte tenu de ces considérations, la Cour accorde au requérant, en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, 12 000 EUR tous chefs de préjudice confondus.

    B.  Frais et dépens

    86.  Le requérant demande également 132 651,37 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes devant la Cour.

    87.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

    88.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel et moral ;

    ii)  2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 février 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                Dragoljub Popović
            Greffier                                                                               Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/165.html