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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> OTET v. ROMANIA - 14317/04 - Chamber Judgment [2014] ECHR 317 (25 March 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/317.html Cite as: [2014] ECHR 317 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE OŢET c. ROUMANIE
(Requête no 14317/04)
ARRÊT
STRASBOURG
25 mars 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Oţet c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Alvina Gyulumyan,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mars 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14317/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Emil Oţet (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 février 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me H. A. Matuschka, avocat à Reşiţa. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue une violation de son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention en raison, notamment, d’une méconnaissance du principe de l’égalité des armes.
4. Le 6 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1957 et réside à Reşiţa.
6. Par un réquisitoire du 29 mars 2002, le requérant fut renvoyé en jugement des chefs de fraude fiscale (article 13 de la loi no 87/1994 sur la lutte contre la fraude fiscale) et de faux intellectuel (article 289 du code pénal).
7. Par un jugement du 15 octobre 2002, le tribunal de première instance de Reşiţa (« le tribunal de première instance ») acquitta le requérant de ces deux chefs. Après avoir analysé les résultats d’une expertise comptable, les juges conclurent que les faits à la base des accusations retenues contre le requérant n’étaient pas établis. Le tribunal prit acte de ce qu’aucune demande de constitution de partie civile n’avait été formulée par le ministère des Finances.
8. Le parquet près le tribunal de première instance interjeta appel devant le tribunal départemental de Caraş-Severin (« le tribunal départemental »).
9. Le 9 avril 2003, le greffe du tribunal départemental reçut une demande de constitution de partie civile de la direction générale des finances publiques de Caraş-Severin qui entendait récupérer la somme de 561 668 508 lei roumains (ROL), à savoir l’équivalent de 15 000 euros (EUR). Cette somme représentait la TVA, l’impôt sur le revenu, ainsi que les « majorations afférentes » s’élevant à un montant de 333 518 611 ROL, soit l’équivalent de 8 900 EUR. Cette demande fut versée au dossier le 10 avril 2003.
10. Le requérant, assisté par l’avocat de son choix, fut présent à l’audience du 14 avril 2003 du tribunal départemental. Son avocat demanda au tribunal de rejeter l’appel du parquet pour les raisons détaillées dans ses conclusions écrites. En dernier lieu, le requérant déclara être innocent et demanda lui aussi au tribunal de rejeter l’appel du parquet.
11. Par un arrêt du même jour, le tribunal départemental fit droit à l’appel du parquet et condamna le requérant à deux ans de prison ferme pour fraude fiscale et faux intellectuel. Il écarta de son examen l’expertise comptable analysée par la juridiction de première instance et jugea qu’il y avait des preuves, à savoir des documents, attestant de l’activité infractionnelle du requérant. Par ailleurs, le tribunal constata que le ministère des Finances s’était constitué partie civile et il condamna le requérant à verser à ce dernier la somme de 228 149 893 ROL, soit l’équivalent de 6 075 EUR. La partie de sa décision relative au préjudice matériel était ainsi rédigée :
« (...) les dommages et intérêts civils représent[ent] le préjudice effectivement causé, avec les majorations afférentes calculées à partir de la date de la commission de l’infraction (le dernier acte délictuel) jusqu’au paiement intégral de la somme due. »
12. Le requérant forma un pourvoi en recours devant la cour d’appel de Timişoara (« la cour d’appel »). Il dénonça une absence de preuves confirmant la thèse de sa culpabilité et le fait, pour le tribunal départemental, d’avoir écarté de son analyse l’expertise comptable réalisée en l’espèce. S’agissant de l’action civile, il se plaignit d’une illégalité de sa condamnation à la réparation du préjudice matériel en l’absence, d’après lui, d’une demande de constitution de partie civile formée par le ministère des Finances dans le délai imposé par le code de procédure pénale (le CPP). Il ajouta que, par une décision no 80 du 20 mai 1999, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnelles les dispositions dudit code qui permettaient l’exercice d’office de l’action civile quand la partie lésée est une entité d’intérêt public (paragraphe 17 ci-dessous).
13. Le 12 septembre 2003, le requérant versa au dossier des conclusions écrites. Il soutint notamment que le tribunal départemental n’avait pas demandé aux parties de discuter (nu a pus în discuţia părţilor) de la question relative à la constitution de partie civile qui aurait été faite hors délai et qu’il ne lui avait pas donné la possibilité d’exprimer son opposition.
14. Par un arrêt du 18 septembre 2003, la cour d’appel rejeta le recours du requérant comme mal fondé et confirma sa culpabilité du chef des deux infractions précitées. Elle jugea que l’existence du préjudice matériel était prouvée par les résultats de l’expertise comptable et que les deux premiers paragraphes de l’article 17 du CPP avaient été déclarés inconstitutionnels après la commission des faits par le requérant.
15. Le requérant fut représenté pendant la procédure en recours par un avocat de son choix.
16. Le 6 janvier 2004, le requérant fut mis en demeure par le ministère des Finances de payer un montant total de 287 817 455 ROL, soit environ 7 100 EUR, correspondant au préjudice reconnu comme établi par l’arrêt du 14 avril 2003 du tribunal départemental de Caraş-Severin ainsi qu’aux majorations d’impôt afférentes. Le requérant affirme avoir dû liquider deux de ses sociétés et vendre plusieurs biens personnels afin de s’acquitter dudit montant.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :
Article 15
La constitution de partie civile
« 2. La déclaration de constitution de partie civile peut être faite soit pendant les poursuites, soit devant le tribunal, avant la lecture du réquisitoire (...) »
Article 17
L’exercice d’office de l’action civile
« 1. L’action civile s’exerce d’office quand la partie lésée est [l’]une [des] entités (...) prévues à l’article 145 du code pénal.
2. En ce sens, l’organe de poursuite ou le tribunal demande à l’entité ayant subi le préjudice de présenter son étendue et les circonstances à l’origine de celui-ci. L’entité est tenue de présenter la situation et les informations ainsi sollicitées.
3. Dans le cas prévu au premier alinéa, le tribunal est tenu de se prononcer d’office quant à la réparation du préjudice, même si l’entité en cause ne s’est pas constituée partie civile (...) »
Article 301
Les droits du procureur et des parties devant le tribunal
« 1. Pendant la procédure, le procureur et toute autre partie peuvent formuler des demandes, soulever des exceptions et formuler des conclusions (...) »
Article 302
La solution des questions incidentes
« 1. Le tribunal doit demander aux parties de formuler des arguments (să pună în discuţia părţilor) quant aux demandes et exceptions soulevées selon l’article 301 ou aux exceptions soulevées d’office et [il doit] se prononcer par [un] jugement avant dire droit motivé.
2. Le tribunal se prononce également par [un] jugement avant dire droit motivé sur toute autre mesure prise pendant la procédure. »
18. Par une décision no 586 de 1971, le Tribunal suprême jugea que la constitution de partie civile était possible même après la lecture du réquisitoire si l’inculpé ne s’y opposait pas.
19. Par une décision no 80/1999 du 20 mai 1999, publiée au Journal officiel no 333 du 14 juin 1999, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnels les deux premiers paragraphes de l’article 17 du CPP concernant l’exercice d’office de l’action civile dans le cadre d’un procès pénal, en raison d’une distinction injustifiée entre la protection de la propriété publique et celle de la propriété privée, contraire à l’article 41, deuxième alinéa, de la Constitution.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Le requérant se plaint d’avoir été condamné à la réparation d’un préjudice matériel alors que, d’après lui, l’action civile y relative n’avait pas été introduite dans les délais légaux. Il allègue une absence d’équité de la procédure dirigée à son encontre, contrairement aux garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
21. Le Gouvernement fait valoir que l’article 6 § 1 de la Convention n’est applicable ni sous son volet pénal ni sous son volet civil à la procédure en cause. Se fondant sur la jurisprudence Ferrazzini c. Italie ([GC], no 44759/98, CEDH 2001-VII), il en infère que les procédures fiscales relèvent des prérogatives des pouvoirs publics et échappent au champ d’application de l’article 6 de la Convention. S’agissant de la condamnation du requérant dans le cadre de l’action civile, il considère qu’elle relève également du droit public.
22. Plus précisément, le Gouvernement soutient que l’obligation de payer la TVA et l’impôt sur le revenu n’est pas générale, les catégories de personnes assujetties à ces obligations étant précisées par le code fiscal. Quant aux majorations, il ajoute qu’elles ne représentent pas une « accusation pénale » puisque, au moment des faits, elles représentaient 0,05 % de la somme principale par mois. Il considère que la présente affaire se distingue ainsi de l’affaire Jussila c. Finlande ([GC], no 73053/01, CEDH 2006-XIV) étant donné que, dans la présente espèce, les autorités fiscales n’auraient pas calculé de majoration. À ce titre, il précise en effet que la législation en vigueur au moment des faits permettait d’appliquer une majoration supplémentaire de 10 % de la somme principale à laquelle le requérant n’aurait pas été soumis. Il ajoute que l’intéressé a bénéficié d’un échelonnement de sa dette dont il a pu s’acquitter sur une période allant du 15 avril 2004 au 13 mars 2009. Le Gouvernement conclut que la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
23. Le requérant soutient que l’article 6 § 1 de la Convention est applicable en l’espèce puisqu’il a été condamné à payer des dommages et intérêts avec les majorations afférentes jusqu’au paiement intégral de la somme due. Il indique que ces majorations ne sont ni des obligations fiscales ni des taxes prévues au budget de l’État et que, contrairement aux arguments du Gouvernement, elles ne relèvent pas du droit public.
24. La Cour rappelle avoir examiné la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal à des procédures similaires à celles engagées contre le requérant (Jussila, précité, §§ 29-38). Elle a ainsi déclaré ne pas être convaincue qu’il fallût affranchir les sanctions fiscales des garanties procédurales énoncées à l’article 6 de la Convention pour préserver l’efficacité du système fiscal ni que, d’ailleurs, pareille démarche pût se concilier avec l’esprit et le but de la Convention, tout en tenant compte de l’importance de l’impôt pour le bon fonctionnement de l’État (ibidem, § 36). La Cour a, par conséquent, appliqué les critères contenus dans l’affaire Ezeh et Connors c. Royaume-Uni ([GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X) :
« 82. (...) [I]l importe d’abord de savoir si le ou les textes définissant l’infraction incriminée appartiennent, d’après la technique juridique de l’État défendeur, au droit pénal, au droit disciplinaire ou aux deux à la fois. Il s’agit cependant là d’un simple point de départ. L’indication qu’il fournit n’a qu’une valeur formelle et relative ; il faut l’examiner à la lumière du dénominateur commun aux législations respectives des divers États contractants.
La nature même de l’infraction représente un élément d’appréciation d’un plus grand poids (...)
Là ne s’arrête pourtant pas le contrôle de la Cour. Il se révélerait en général illusoire s’il ne prenait pas également en considération le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (...) »
25. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note, en ce qui concerne le premier critère, que la majoration d’impôt infligée au requérant ne relevait pas du droit pénal roumain. Elle rappelle toutefois que pareille considération n’est pas décisive (Jussila, précité, § 37, et Anghel c. Roumanie, no 28183/03, § 50, 4 octobre 2007).
26. S’agissant du deuxième critère, qui touche à la nature de l’infraction, la Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer que les majorations d’impôt peuvent être considérées comme fondées sur des dispositions juridiques générales applicables à l’ensemble des contribuables (Jussila, précité, § 38, avec les références qui y sont faites). Partant, la Cour estime qu’il convient d’écarter l’argument du Gouvernement selon lequel la TVA et l’impôt sur le revenu ne s’appliquent qu’à un groupe déterminé de personnes ayant un statut particulier : en effet, le requérant était assujetti à cet impôt en tant que contribuable et son choix de soumettre son activité professionnelle au régime de la TVA ne modifiait pas sa situation à cet égard.
27. Par ailleurs, la Cour relève que, malgré les arguments du Gouvernement allant en sens contraire, il ressort de l’arrêt du 14 avril 2003 du tribunal départemental de Caraş-Severin que le requérant a bien été condamné à payer des majorations d’impôt (paragraphes 11 et 22 ci-dessus). Elle note, qui plus est, que ces majorations ne tendaient pas à la réparation pécuniaire d’un préjudice mais visaient pour l’essentiel à la répression aux fins d’empêcher la réitération des agissements incriminés (paragraphe 11 ci-dessus). Le fait que le requérant aurait pu, comme le soutient le Gouvernement (paragraphe 22 ci-dessus), se voir infliger des majorations plus importantes ne saurait amener à une autre conclusion. On peut dès lors en conclure que les majorations infligées étaient fondées sur une norme poursuivant un but à la fois préventif et répressif. Cette considération suffit à elle seule à conférer à l’infraction poursuivie un caractère pénal.
28. S’agissant enfin du troisième critère, la Cour estime que la somme que le requérant a dû acquitter ne peut être qualifiée de modique.
29. Par conséquent, il convient d’écarter l’exception soulevée par le Gouvernement.
30. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
31. Le requérant soutient que les tribunaux internes ont méconnu les principes du procès équitable, et notamment le principe d’égalité des armes. Il réitère que les dispositions légales autorisant l’exercice d’office de l’action civile au bénéfice de l’État ont été déclarées inconstitutionnelles. De plus, il indique que, alors que l’action civile a été exercée en appel juste avant la dernière audience du tribunal départemental de Caraş-Severin avant le prononcé de sa décision, ledit tribunal ne l’en a pas informé et ne lui a pas donné l’occasion de s’y opposer. Il souligne que la cour d’appel de Timişoara a ignoré, lors de l’examen de son pourvoi en recours, ses arguments tirés de son impossibilité à manifester son opposition. Il conclut que son droit à un procès équitable a été violé.
32. Le Gouvernement soutient que la pratique interne autorisait les tribunaux à connaître des actions civiles formées après la lecture du réquisitoire, à condition que l’inculpé ne s’y oppose pas. Il indique que, en l’espèce, le requérant, représenté par un avocat de son choix, aurait dû faire preuve de diligence et consulter les documents versés au dossier : en effet, l’intéressé ne se serait pas opposé à la constitution de partie civile lors de l’audience du 14 avril 2003 devant le tribunal départemental de Caraş-Severin. Le Gouvernement ajoute que le requérant a eu la possibilité de soulever ses arguments en recours. Il conclut que l’article 6 de la Convention n’a pas été méconnu en l’espèce.
33. La Cour rappelle que les garanties relatives à un procès équitable impliquent en principe le droit, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter (voir, parmi beaucoup d’autres, Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002-V, et Wyssenbach c. Suisse, no 50478/06, § 35, 22 octobre 2013). De plus, elle rappelle avoir jugé que l’effet réel des observations importait peu et que les parties à un litige devaient avoir la possibilité d’indiquer si elles estimaient qu’un document appelait des commentaires de leur part. Elle considère qu’il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionnement de la justice : celle-ci se fonde, entre autres, sur l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier (Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 24, Recueil 1997-I, et Schaller-Bossert c. Suisse, no 41718/05, § 43, 28 octobre 2010).
34. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour souligne de prime abord que l’issue de la procédure doit s’analyser en une décision sur le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale » dirigée contre le requérant.
35. La Cour note que, lors de la procédure en première instance, le tribunal de première instance de Reşiţa a pris acte de ce qu’aucune demande de constitution de partie civile n’avait été faite par le ministère des Finances (paragraphe 7 ci-dessus). La demande de constitution de partie civile du ministère des Finances a été formée pour la première fois en appel, devant le tribunal départemental de Caraş-Severin, en dehors des délais prescrits par la loi interne (paragraphe 17 ci-dessus). Le tribunal départemental de Caraş-Severin a donc été amené, pour la première fois au cours de la procédure, à examiner au fond la question de la condamnation du requérant au paiement des majorations d’impôt.
36. De plus, la Cour relève que les parties s’accordent à dire qu’une pratique des tribunaux internes autorisait la constitution de partie civile hors délai, à condition que l’inculpé ne s’y opposât pas (paragraphes 18, 31 et 32 ci-dessus). Elle note toutefois que leurs positions divergent sur la question de savoir si le requérant a pu, de manière raisonnable, prendre connaissance de l’éventualité d’une condamnation à payer des majorations d’impôt et s’exprimer sur la constitution de partie civile effectuée hors délai par le ministère des Finances. À cet égard, elle constate que le requérant soutient que la demande de constitution de partie civile n’avait jamais été soumise aux débats des parties, alors que le Gouvernement considère que cette demande avait été versée au dossier mais que l’avocat du requérant ne l’avait pas remarquée.
37. À partir des documents versés au dossier, la Cour relève que le tribunal départemental de Caraş-Severin n’avait pas informé le requérant de la demande de constitution de partie civile dudit ministère et de l’éventualité d’une condamnation à payer des majorations d’impôt, et que l’intéressé n’avait pas été entendu sur ce point et n’avait pas expressément consenti à une telle demande (voir, mutatis mutandis, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, §§ 58-59, CEDH 2000-VIII, et Găitănaru c. Roumanie, no 26082/05, §§ 32-33, 26 juin 2012). Elle note par ailleurs que le Gouvernement ne soutient pas le contraire, mais qu’il considère que le requérant avait implicitement consenti à la constitution de partie civile du ministère des Finances en ne s’y étant pas opposé de façon explicite (paragraphe 32 ci-dessus).
38. La Cour estime que ce dernier argument du Gouvernement tiré d’un consentement implicite du requérant ne saurait être retenu puisque la renonciation à l’exercice d’un droit garanti par la Convention doit se trouver établie de manière non équivoque (voir, parmi d’autres exemples, Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, p. 16, § 36, série A no 8, Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 35, série A no 58, et Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 28, série A no 89). Elle souligne que le tribunal départemental de Caraş-Severin a été le premier à examiner au fond la question de la constitution de partie civile et que sa décision a considérablement modifié la situation du requérant (voir, mutatis mutandis, Gacon c. France, no 1092/04, § 34, 22 mai 2008, et Ben Naceur c. France, no 63879/00, §§ 35-39, 3 octobre 2006), et que, de plus, la procédure présentait un enjeu important pour le requérant (Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996-I, J.J. c. Pays-Bas, 27 mars 1998, § 43, Recueil 1998-II, et Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, 31 mars 1998, § 105 in fine, Recueil 1998-II).
39. Par ailleurs, la Cour note que la cour d’appel de Timişoara, agissant en tant que juridiction de dernier recours, n’a pas examiné les arguments du requérant tirés, en particulier, de l’impossibilité d’exprimer son opposition à la constitution de partie civile effectuée hors délai par le ministère des Finances (paragraphes 13 et 14 ci-dessus). À cet égard, elle rappelle que l’article 6 de la Convention implique notamment, à la charge du « tribunal », l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 80, CEDH 2004-I, et Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 33, 15 février 2007). Or, s’il est vrai que l’obligation de motiver leurs décisions imposée aux tribunaux par l’article 6 § 1 de la Convention ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Perez, précité, § 81, Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288, et Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A), force est de constater qu’en l’espèce la cour d’appel de Timişoara, par un arrêt définitif et irrévocable, a failli examiner les arguments du requérant tirés de son impossibilité à manifester son opposition à une demande de constitution de partie civile faite hors délai, alors que ces arguments auraient pu être décisifs pour l’issue de la procédure.
40. En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
41. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
42. Le requérant réclame 23 845 euros (EUR) au titre du préjudice materiel qu’il dit avoir subi. Cette somme représente le montant qu’il a effectivement payé, échelonné sur cinq ans, à la suite de sa condamnation, ainsi que son ajustement en raison de l’inflation. Il sollicite également 50 000 EUR au titre du préjudice moral que sa famille et lui-même auraient subi.
43. Le Gouvernement réplique que le requérant n’est pas en droit d’obtenir la réparation du préjudice matériel allégué dès lors que, selon lui, l’intéressé avait été condamné en sa qualité d’administrateur de sa société et que cette dernière avait payé la somme susmentionnée. Quant au préjudice moral, en se référant aux affaires Mircea c. Roumanie (no 41250/02, 29 mars 2007), Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie (nos 77193/01 et 77196/01, 24 mai 2007) et Adrian Constantin c. Roumanie (no 21175/03, 12 avril 2011), il soutient que la réouverture de la procédure en droit interne serait la solution la plus adéquate en l’espèce.
44. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du non-respect des principes du procès équitable. La Cour observe ensuite que, lorsque comme en l’espèce, elle constate la violation des droits d’un requérant, l’article 4081 du code de procédure pénale roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne (Mircea, précité, § 98 et Hogea c. Roumanie, no 31912/04, § 60, 29 octobre 2013). Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que le redressement le plus approprié pour le requérant serait de rejuger ou de rouvrir, à sa demande, la procédure en temps utile et dans le respect des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (mutatis mutandis, S.C. IMH Suceava S.R.L. c. Roumanie, no 24935/04, § 56, 29 octobre 2013). Il n’échet dès lors pas d’accorder au requérant d’indemnité au titre du dommage matériel.
45. Toutefois, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
46. Le requérant a également demandé le remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour, sans en indiquer le montant au motif qu’il n’était pas encore connu. Il a mentionné qu’il entendait préciser ce montant et envoyer les justificatifs y relatifs à une date ultérieure. Il a toutefois omis de le faire.
47. Le Gouvernement considère que le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement de frais et dépens.
48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce, étant donné que le requérant n’a pas chiffré et ventilé sa demande, aucune somme ne lui sera allouée à ce titre.
C. Intérêts moratoires
49. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 mars 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président