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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CAPONETTO v. ITALY - 61273/10 - Committee Judgment (French text) [2014] ECHR 481 (13 May 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/481.html Cite as: [2014] ECHR 481 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CAPONETTO c. ITALIE
(Requête no 61273/10)
ARRÊT
STRASBOURG
13 mai 2014
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Caponetto c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
András Sajó, président,
Helen Keller,
Egidijus Kūris, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 avril 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61273/10) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Rosa Caponetto (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 août 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me M. Nunziante, avocat à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora et son coagent, Mme P. Accardo.
3. Le 23 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1944 et réside à Casoria.
5. A l’origine, la requérante était employée par le Province de Naples et exerçait des fonctions relevant du personnel des écoles (assistants administratifs, collaborateurs, assistants techniques et responsables administratifs dans les écoles : le « personnel ATA »). Elle avait droit à un salaire de base complété par des indemnités accessoires.
6. Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’Etat, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, la requérante fut employée, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Education nationale. Les employés dudit ministère exerçant les mêmes fonctions que les requérants avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.
7. Selon l’article 8 de la loi no 124 du 3 mai 1999, l’ancienneté de service obtenue par la requérante auprès de l’autorité locale d’origine était reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère, sans tenir aucun compte de l’ancienneté acquise par les travailleurs au service des collectivités locales jusqu’au 31 décembre 1999 et donc sans calculer le traitement financier sur la base de cette ancienneté, comme l’imposait la convention collective nationale de l’Ecole, attribua à la requérante une ancienneté fictive en transformant la rétribution perçue auprès des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.
8. A une date non précisée, la requérante saisit le tribunal de Naples afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de son employeur local d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Elle fit valoir qu’elle percevait un salaire qui ne correspondait pas à son ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.
9. Par un arrêt du 20 juillet 2005, le tribunal du travail de Naples accueillit le recours de la requérante et condamna le ministère à reconnaître l’ancienneté acquise par la requérante auprès de l’autorité locale.
10. Le ministère interjeta appel de ce jugement.
11. Alors que la procédure était pendante, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 »). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.
12. Par un arrêt du 6 février 2010, la cour d’appel de Naples, compte tenu de la nouvelle loi, accueillit le recours du ministère et rejeta le recours de la requérante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Le droit et la pratique internes pertinent se trouvent décrits dans les arrêts Agrati et autres c. Italie, (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011) et De Rosa c. Italie,( nos 52888/08, 58528/08, 59194/08, 60462/08, 60473/08, 60628/08, 61116/08, 61131/08, 61139/08, 61143/08, 610/09, 4995/09, 5068/09 et 5141/09, 11 décembre 2012)
EN DROIT
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
14. La requérante se plaint de l’intervention législative en cours de procédure qui, selon elle, a porté atteinte à son droit à un procès équitable. Elle indique que la jurisprudence avait déjà reconnu que les anciens fonctionnaires territoriaux avaient droit à la reconnaissance de leurs anciennetés acquises auprès des autorités locales de provenance. Sans intervention législative, elle pouvait donc obtenir satisfaction. La requérante estime que seul l’intérêt financier de l’administration, qui ne suffisait pas à caractériser un motif impérieux d’intérêt général, a motivé l’intervention législative en question.
Elle dénonce une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
15. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer la requête recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a. La requérante
16. La requérante fait valoir que la jurisprudence avait déjà reconnu que les anciens fonctionnaires territoriaux avaient droit à la reconnaissance, à toutes fins juridiques et économiques, de l’ancienneté acquise auprès de l’autorité locale. Sans intervention législative, elle pouvait donc avoir une espérance légitime, pratiquement une certitude, d’obtenir satisfaction.
Se référant à l’affaire Agrati et autres c. Italie (précité), elle demande à la Cour de conclure à la violation de l’article 6 de la Convention.
b. Le Gouvernement
17. Le Gouvernement s’oppose à la thèse de la requérante. Il affirme qu’à la suite de son transfert, la requérante aurait continué à exercer les mêmes fonctions avec le même salaire, et que toute l’ancienneté acquise avait été reconnue aux fins de sa retraite. La seule différence, selon le Gouvernement, était que l’ancienneté acquise pendant le service accompli dans la fonction publique territoriale ne pouvait pas entraîner une augmentation salariale par rapport au traitement économique dont l’intéressée jouissait avant son transfert.
18. En outre, le Gouvernement rappelle que cette interprétation de la loi no 124 de 1999 avait été entérinée par l’un des accords passées entre l’administration (ARAN) et les syndicats des employés puis confirmé dans le décret ministériel du 5 avril 2001.
19. D’après le Gouvernement, étant donné que des contentieux s’étaient multipliés sur l’ensemble du territoire, le législateur était intervenu par le biais d’une loi interprétative afin de combler le vide juridique qui s’était créé, en tenant compte de la difficulté de régler cette matière par la voie d’accords collectifs ou par les soins du pouvoir réglementaire : le but était d’éviter des augmentations injustifiées des salaires et une disparité de traitement entre différentes catégories d’employés. Selon le Gouvernement, qui se réfère à cet égard à plusieurs arrêts de la Cour en matière d’interventions législatives, on ne saurait parler de reformatio in peius de la position de la requérante.
20. Dans la présente affaire, la requérante, qui ne disposait pas d’un arrêt définitif et exécutoire, a essayé de profiter d’une aubaine et d’un vide juridique ainsi que de l’insuffisance des accords collectifs et de l’incapacité du pouvoir à régler cette matière. L’intervention du législateur était donc parfaitement prévisible et répondait à une évidente et impérieuse justification d’intérêt général (OGIS-Institut Stanislas et autres, précité). Selon le Gouvernement, cette situation s’apparente à celle du législateur dans l’affaire « Building Societies » c. Royaume-Uni, précitée. Il estime qu’en plus, dans les cas d’espèce, l’intervention du législateur a permis de prévenir la création de situations discriminatoires au sein du personnel ATA. Il en conclut qu’il existait bien un impérieux motif d’intérêt public au sens de la jurisprudence de la Cour.
21. Le Gouvernement rappelle que la Cour constitutionnelle a jugé que l’intervention du législateur n’était contraire ni à la Constitution italienne ni à la Convention et que la Cour de cassation, à la suite l’arrêt de la CJUE, a renvoyé la procédure devant les cours d’appels afin que celles-ci évaluent si, dans les cas d’espèce, les requérants avaient effectivement subi une régression salariale.
2. Appréciation de la Cour
22. La Cour rappelle avoir conclu, dans des affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011, De Rosa c. Italie, nos. 52888/08, 58528/08, 59194/08, 60462/08, 60473/08, 60628/08, 61116/08, 61131/08, 61139/08, 61143/08, 610/09, 4995/09, 5068/09 et 5141/09, 11 décembre 2012). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis en l’espèce, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce l’intervention législative litigieuse, qui visait à régler définitivement et de manière rétroactive, le fond du litige opposant la requérante à l’Etat devant les juridictions internes, n’était pas justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général.
23. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
24. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
25. La requérante réclame une indemnité forfaitaire de 10 000 EUR.
26. Le Gouvernement fait valoir que la requérante n’indique pas quel préjudice elle aurait subi suite à l’application de la loi litigieuse.
27. La Cour note que la requérante demande une réparation de son dommage matériel mais ne présente aucun élément permettant de le calculer. Par conséquent, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer une somme à ce titre.
28. Quant au dommage moral, la Cour estime que le constat de violation auquel elle est parvenue constitue en soi une satisfaction équitable pour le préjudice moral subi par la requérante.
B. Frais et dépens
29. La requérante demande 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
30. Le Gouvernement s’y oppose.
31. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour les frais et dépens engagés dans la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
32. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 1000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 mai 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos András Sajó
Greffier adjoint Président