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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MONTALTO AND OTHERS v. ITALY - 39180/08 - Committee Judgment (French Text) [2014] ECHR 49 (14 January 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/49.html
Cite as: [2014] ECHR 49

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MONTALTO ET AUTRES c. ITALIE

     

    (Requêtes nos 39180/08, 39688/08, 52477/08, 52513/08, 52583/08, 52590/08, 52891/08, 52893/08, 59074/08, 59178/08, 60179/08, 61811/08, 2358/09, 4945/09, 5063/09, 5079/09 et 5106/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    14 janvier 2014

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Montalto et autres c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Seçkin Erel
    , greffier adjoint de section f.f.

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouvent dix-sept Requêtes (nos 39180/08, 39688/08, 52477/08, 52513/08, 52583/08, 52590/08, 52891/08, 52893/08, 59074/08, 59178/08, 60179/08, 61811/08, 2358/09, 4945/09, 5063/09, 5079/09 et 5106/09) dirigées contre la République italienne et dont plusieurs ressortissants de cet Etat (« les requérants » - voir le tableau récapitulatif ci-annexé) ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me S. Nespor, avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.

    3.  Le 26 novembre 2009, les Requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants étaient employés par la Province de Milan et exerçaient les fonctions d’assistants administratifs, de collaborateurs, d’assistants techniques et de responsables administratifs dans de différentes écoles (le « personnel ATA »). Ils avaient droit à un salaire de base, assorti d’indemnités accessoires.

    5.  Suite au transfert du personnel de la fonction publique territoriale vers la fonction publique de l’État, prévu par la loi no 124 du 3 mai 1999, les requérants furent employés, à partir du 31 décembre 1999, par le ministère de l’Éducation Nationale ( « le ministère »). Les employés déjà en poste dudit ministère, exerçant les mêmes fonctions que les requérants, avaient droit à un traitement de base progressif selon l’ancienneté de service.

    6.  Selon l’article 8 de la loi no 124 susmentionnée, l’ancienneté de service acquise par les requérants auprès des collectivités locales devait être reconnue à toutes fins juridiques et économiques. Toutefois, le ministère attribua aux requérants une ancienneté fictive, en transformant la rétribution de base perçue des collectivités locales à la date du 31 décembre 1999 en années d’ancienneté et, au mépris du contrat collectif national de l’École, il calcula leur traitement pécuniaire sans tenir compte de leur ancienneté de service réelle, acquise jusqu’à cette date. En outre, en transformant la rétribution de base en années d’ancienneté fictive, le ministère enleva des dernières fiches de paie des requérants tous les éléments indemnitaires dont leurs salaires étaient régulièrement assortis jusqu’au 31 décembre 1999.

    7.  Les requérants saisirent les tribunaux du travail de Milan afin d’obtenir la reconnaissance juridique et économique de l’ancienneté acquise auprès de leurs employeurs locaux d’origine et, en conséquence, le versement de la différence de rétribution née à partir du 1er janvier 2000. Ils firent valoir qu’ils percevaient un salaire qui ne correspondait pas à leur ancienneté et que ce salaire était ainsi inférieur à celui des fonctionnaires qui avaient toujours été employés par le ministère.

    8.  Par plusieurs arrêts, les tribunaux accueillirent les recours des requérants et condamnèrent le ministère à reconnaître l’ancienneté acquise par les requérants auprès des collectivités locales.

    9.  Le ministère interjeta appel de ces jugements.

    10.  Par plusieurs arrêts, les cours d’appel confirmèrent les jugements des tribunaux, au motif que le ministère n’avait pas respecté l’article 8 de la loi no 124. Cette solution était conforme à la jurisprudence établie par de nombreux arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’État.

    11.  Le 23 décembre 2005, le ministère se pourvu en cassation. Alors que ces procédures étaient pendantes, le Parlement adopta la loi de finances pour 2006 (« la loi no 266 »). L’article 1, alinéa 218, de ladite loi était intitulé « interprétation authentique (interpretazione autentica) de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 » ; il prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans les tableaux de paye de la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global des intéressés au moment de la mutation.

    Dans le système juridique italien, les lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant corps avec les dispositions interprétées depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.

    12.  Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation, compte tenu de la loi no 266, fit droit aux pourvois du ministère.

    13.  En conséquence, les requérants ont été contraints à restituer au Gouvernement les sommes qu’ils avaient reçues en exécution des jugements de première instance (paragraphe 8 ci-dessus). Ils ont aussi perdu la reconnaissance de l’ancienneté acquise auprès des autorités locales d’origine. De surcroît, ils ont vu leurs salaires devenir inférieurs à ceux d’autres membres du personnel ATA qui avaient obtenu gain de cause par des décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée avant l’entrée en vigueur de la loi no 266.

    14.  Des informations pertinentes sur les faits relatifs à ces procédures sont contenues dans le tableau récapitulatif en annexe.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    15.  Jusqu’au 31 décembre 1999, une partie du personnel ATA et des enseignants technico-praticiens des établissements scolaires italiens dépendait du ministère et ce personnel était rémunéré sur la base d’un contrat collectif national de travail de l’Ecole. En revanche, une autre partie de l’effectif dépendait et était rémunérée sur la base d’un contrat collectif des régions autonomes locales, par les communes ou les provinces.

    16.  La loi no 124 du 3 mai 1999 prévoyait, dans son article 8, alinéa 2, que le personnel des collectivités locales en service dans les institutions scolaires publiques à la date de son entrée en vigueur serait transféré dans les corps du personnel ATA de la fonction publique. Il était reconnu à ce personnel, à toutes fins juridiques et financières, l’ancienneté acquise auprès de leurs anciens employeurs, à savoir les collectivités locales de provenance.

    17.  Le 20 juillet 2000, l’association représentant l’administration (ARAN) conclut un accord avec les organisations syndicales concernées afin de déroger au principe de la conservation de l’ancienneté, posé par la loi no 124. Cet accord fut ensuite entériné par un décret ministériel du 5 avril 2001.

    18.  Ultérieurement, par des notes des 27 février et 12 septembre 2003, déposées auprès des tribunaux de Milan, l’ARAN a fait valoir que l’accord en question ne pouvait être qualifié d’« accord collectif » et qu’elle entendait bien maintenir sa position et déroger au principe susmentionné de la conservation de l’ancienneté.

    19.  La loi no 266 de finances pour 2006, prévoyait en son article 1 que l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi no 124 devait être interprété de façon à ce que le personnel ATA à transférer dans l’effectif relevant de la fonction publique de l’Etat soit considéré comme dépendant du statut correspondant à la fonction publique. Dans le système juridique italien, pareilles lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme faisant partie intégrante des dispositions interprétées, depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.

    20.  L’article 2112 du code civil dispose que le contrat de travail continue avec le cessionnaire éventuel et que le travailleur conserve tous les droits qui en dérivent.

    A.  Jurisprudence de la Cour de cassation avant l’adoption de la loi no 266 de 2005

    21.  Avant l’intervention de la loi no 266 en question (paragraphe 19 ci-dessus), la jurisprudence civile déclarait nul l’accord passé entre l’ARAN et les organisations syndicales (paragraphe 16 ci-dessus), car il était en contradiction avec le principe du classement dans les corps ministériels sur la base de l’ancienneté acquise, au sens de l’article 8 de la loi no 124 (paragraphe 16 ci-dessus).

    22.  En 2005, la Cour de cassation avait d’ailleurs rejeté tous les pourvois formés par le ministère, confirmant le droit au classement dans les corps de fonctionnaires de l’Etat sur la base de l’ancienneté acquise par le personnel concerné avant le reclassement, c’est-à-dire avant le transfert (Cassation, chambre sociale, arrêts no 4722 du 4 mars 2005, nos 18652-18657 du 23 septembre 2005 et no 18829 du 27 septembre 2005).

    23.  Le Conseil d’Etat s’était également prononcé dans le même sens, notamment, dans ses arrêts no 4142/2003 du 6 juillet 2005 et no 5371 du 6 décembre 2006.

    B.  Les arrêts de la Cour constitutionnelle

    24.  La Cour constitutionnelle italienne, dans son arrêt no 234 de 2007, a déclaré conforme à la Constitution la loi no 266 de finances pour 2006, se basant sur le fait que dans le système juridique italien, le législateur disposait du pouvoir d’édicter des lois interprétatives même incompatibles avec le texte de la loi interprétée et qu’en fait, l’article 8 alinéa 2 de la loi no 124 de 1999 représentait une dérogation au principe général en vigueur à l’époque pertinente. La Cour constitutionnelle a également estimé que la loi no 266 ne créait aucune différence de traitement entre les travailleurs qui avaient bénéficié d’un arrêt définitif favorable et ceux qui n’avaient pas encore obtenu un jugement définitif.

    25.  Le 3 juin 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation invita la Cour constitutionnelle à revoir sa position, compte tenu de l’article 6 § 1 de la Convention.

    26.  Par un arrêt du 26 novembre 2009 (no 311), la Cour constitutionnelle a rejeté le renvoi décidé par la Cour de cassation. Elle a considéré que l’interdiction de l’ingérence du législateur dans les affaires pendantes auxquelles l’Etat est partie n’était pas absolue ; selon elle, il ressortait de différentes exemples de jurisprudence que la Cour européenne des Droits de l’Homme n’avait pas voulu poser une interdiction absolue à cet égard (voir, par exemple, Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, 20 février 2003 ; National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII ; OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et avait considéré comme non contraires à l’article 6 de la Convention certaines interventions rétroactives des législateurs nationaux. La légalité de telles interventions avait notamment été reconnue lorsque se présentaient certaines circonstances historiques, comme dans le cas de la réunification allemande. Quant à la ratio legis de la nouvelle loi no 266, la Cour constitutionnelle a admis le besoin pressant d’harmoniser le système de rétribution du personnel ATA indépendamment de ses antécédents professionnelles. De surcroît, la Cour constitutionnelle a fait référence à la nécessité de remédier à la faille technique de la loi originaire no 124, laquelle qui prévoyait la possibilité de laisser cette matière à la discrétion des parties et du pouvoir réglementaire.

    C.  Jurisprudence de la Cour de cassation après l’adoption de la loi no 266 de 2005

    27.  Après l’entrée en vigueur de la loi no 266, la Cour de cassation a infirmé tous les arrêts favorables aux travailleurs et a accueilli les pourvois du ministère.

    D.  Arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 6 septembre 2011

    28.  Par un arrêt du 6 septembre 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« la CJUE ») s’est prononcée sur la question préjudicielle soulevée par le tribunal de Venise concernant le statut du personnel ATA. La CJUE a précisé la portée de la protection des droits des travailleurs repris par un nouvel employeur. En particulier, s’agissant du calcul de la rémunération des travailleurs ayant fait l’objet d’un transfert, elle a considéré qu’il était loisible à l’employeur cessionnaire d’appliquer - à compter de la date du transfert -, les conditions de travail prévues par la convention collective en vigueur chez lui, y compris celles relatives à la rémunération. Ceci étant, les modalités choisies pour une telle réintégration salariale des travailleurs transférés devaient en tout état de cause être conformes à l’objectif de la réglementation de l’Union en matière de protection des droits des travailleurs transférés, étant entendu que cette réglementation consiste, essentiellement, à empêcher que ces travailleurs soient placés, du seul fait du transfert, dans une position défavorable comparée à celle dont ils bénéficiaient auparavant.

    29.  La CJUE a souligné qu’en l’espèce, au lieu de reconnaître cette ancienneté en tant que telle et sans réserve, le ministère avait calculé pour chaque travailleur transféré une ancienneté « fictive », ce qui avait joué un rôle déterminant dans la fixation des conditions de la rémunération dorénavant applicables à ces derniers. Étant donné que les tâches exercées avant le transfert, dans les écoles publiques par le personnel ATA des collectivités territoriales étaient analogues, voire identiques, à celles exercées par le personnel ATA employé par le ministère, l’ancienneté acquise par un personnel auprès de l’employeur cédant jusqu’au transfert aurait pu être qualifiée d’équivalente à celle acquise par un membre du personnel ATA possédant le même profil et employé depuis toujours par le ministère.

    30.  La CJUE a conclu que lorsqu’un transfert au sens de la directive 77/187, (concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements) conduit à l’application immédiate, aux travailleurs transférés, de la convention collective en vigueur auprès du cessionnaire et lorsque les conditions de rémunération prévues par cette convention sont notamment liées à l’ancienneté, le droit de l’Union s’oppose à ce que les travailleurs transférés subissent, par rapport à leur situation immédiatement antérieure au transfert, une régression salariale substantielle en raison du fait que leur ancienneté acquise auprès du cédant - équivalente à celle acquise par des travailleurs au service du cessionnaire - n’est pas prise en compte lors de la détermination de leur position salariale de départ auprès de ce dernier. Selon la CJUE, il appartenait aux juridictions nationales d’examiner s’il y a eu, lors du transfert en cause, une telle régression salariale.

    31.  La CJUE a rappelé, en outre, qu’il n’y avait plus besoin de se prononcer sur la compatibilité de la loi de finances no 266 (paragraphes 11 et 19 ci-dessus) avec les principes généraux du droit, tels que le principe de protection juridictionnelle effective et le principe de sécurité juridique, car la Cour Européenne des Droits de l’Homme avait répondu entre-temps à cette question dans son arrêt Agrati et autres c. Italie (nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, 7 juin 2011).

    32.  À la suite de cet arrêt, le juge de la procédure interne a quo a ordonné l’accomplissement d’une expertise afin d’évaluer les positions salariales des requérants.

    En outre, par deux arrêts des 12 octobre (no 20980/121) et 14 octobre 2011 (no 21282), la Cour de cassation, à la suite l’arrêt de la CJUE, a renvoyé aux cours d’appels la procédure afin qu’elles évaluent si, dans les cas d’espèce, les requérants avaient effectivement subis une régression salariale.

    EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES RequêteS

    33.  Compte tenu de la similitude des Requêtes quant aux faits et au problème de fond qu’elles posent, la Cour estime nécessaire de les joindre et décide de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    34.  Les requérants se plaignent de l’intervention législative en cours de procédure qui, selon eux, a porté atteinte à leur droit à un procès équitable. Ils indiquent que la jurisprudence avait déjà reconnu que les anciens fonctionnaires territoriaux avaient droit à la reconnaissance de leurs anciennetés acquises auprès des autorités locales de provenance. Sans intervention législative, ils pouvaient donc avoir une espérance légitime, pratiquement une certitude, d’obtenir satisfaction. Les requérants estiment que seul l’intérêt financier de l’administration, qui ne suffisait pas à caractériser un motif impérieux d’intérêt général, a motivé l’intervention législative en question.

    Ils dénoncent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    35.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer les Requêtes recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a.  Le Gouvernement

    36.  Le Gouvernement s’oppose à la thèse des requérants. Il affirme qu’à la suite de leur transfert, les requérants auraient continué à exercer les mêmes fonctions avec le même salaire, et que toute l’ancienneté acquise avait été reconnue aux fins de leur retraite. La seule différence, selon le Gouvernement, était que l’ancienneté acquise pendant le service accompli dans la fonction publique territoriale ne pouvait pas entraîner une augmentation salariale par rapport au traitement économique dont les intéressés jouissaient avant leur transfert.

    37.  En outre, le Gouvernement rappelle que cette interprétation de la loi no 124 de 1999 avait été entérinée par l’un des accords passées entre l’administration (ARAN) et les syndicats des employés puis confirmé dans le décret ministériel du 5 avril 2001.

    38.  D’après le Gouvernement, étant donné que des contentieux s’étaient multipliés sur l’ensemble du territoire, le législateur était intervenu par le biais d’une loi interprétative afin de combler le vide juridique qui s’était créé, en tenant compte de la difficulté de régler cette matière par la voie d’accords collectifs ou par les soins du pouvoir réglementaire : le but était d’éviter des augmentations injustifiées des salaires et une disparité de traitement entre différentes catégories d’employés. Selon le Gouvernement, on ne saurait parler de reformatio in peius de la position de requérants.

    39.  À cet égard, le Gouvernement rappelle les grandes lignes de la jurisprudence de la Cour en matière d’interventions législatives et se réfère, notamment, à l’arrêt Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce du 9 décembre 1994 (série A no 301-B) ainsi qu’aux arrêts, précités, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France ([GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, CEDH 1999-VII), Forrer-Niedenthal c. Allemagne et OGIS-Institut Stanislas et autres c. France.

    40.  Dans les présentes affaires, les requérants, qui ne disposaient pas d’un arrêt définitif et exécutoire, ont essayé de profiter d’une aubaine et d’un vide juridique ainsi que de l’insuffisance des accords collectifs et de l’incapacité du pouvoir à régler cette matière. L’intervention du législateur était donc parfaitement prévisible et répondait à une évidente et impérieuse justification d’intérêt général (OGIS-Institut Stanislas et autres, précité). Selon le Gouvernement, cette situation s’apparente à celle du législateur dans l’affaire « Building Societies » c. Royaume-Uni, précitée. Il estime qu’en plus, dans les cas d’espèce, l’intervention du législateur a permis de prévenir la création de situations discriminatoires au sein du personnel ATA. Il en conclut qu’il existait bien un impérieux motif d’intérêt public au sens de la jurisprudence de la Cour.

    41.  Enfin, le Gouvernement rappelle que la Cour constitutionnelle a jugé que l’intervention du législateur n’était contraire ni à la Constitution italienne ni à la Convention.

    b.  Les requérants

    42.  À titre liminaire, les requérants contestent l’affirmation du Gouvernement selon laquelle, dans le secteur des activités locales, l’ancienneté n’aurait eu aucune répercussion sur le plan financier. À cet égard, ils rappellent que l’article 5 du contrat collectif du 31 mars 1999 des collectivités locales prévoit que l’expérience acquise par le personnel, nonobstant l’ancienneté de service, est décisive aux fins de la progression économique à l’intérieur des secteurs de classement de la fonction publique. Par conséquent, le traitement à payer par les collectivités locales est déterminé aussi bien par l’ancienneté que par d’autres éléments indemnitaires accessoires, alors que, dans le contrat collectif national pour les salariés de l’École, le traitement financier à l’intérieur de chaque secteur dépend exclusivement de l’ancienneté.

    43.  Les requérants font valoir que suite à leur transfert, ils ont reçu un traitement salarial globalement inférieur à celui perçu auparavant, car ils ont perdu tous les éléments indemnitaires accessoire dont leur traitement était assorti. De surcroît, contrairement à ce que le Gouvernement affirme, les requérants soutiennent qu’ils n’ont jamais pu s’opposer à leur transfert au service de l’État, comme l’a d’ailleurs reconnu la Cour de cassation dans son arrêt du 7 mars 2007.

    44.  Les requérants réaffirment qu’ils ont été exclus de toute augmentation contractuelle ainsi que des avantages prévus seulement dans les contrats des collectivités locales, tels que les indemnités de qualification, de repas, de roulement, de risque de disponibilité, etc.

    45.  Ils rappellent que la Cour de cassation avait souligné officiellement, par une jurisprudence claire et consolidée, que « la loi est sans équivoque pour attacher au transfert l’effet de reconnaissance de l’ancienneté ». À cet égard, ils rappellent que le rôle d’une juridiction suprême est précisément de régler ces contradictions (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, précité, § 59).

    46.  Selon les requérants, il n’y avait aucun motif impérieux d’intérêt général susceptible de justifier l’ingérence dans la gestion du contentieux judiciaire en cause en l’espèce. Ils affirment qu’il y a ainsi eu violation de l’article 6 § 1, l’État italien ayant méconnu le principe de l’égalité des armes en promulguant une loi rétroactive pour influer sur l’issue des procédures judiciaires engagées à son encontre par le personnel ATA (Vezon c. France, no 66018/01, §§ 31-35, 18 avril 2006). Du même coup, l’État aurait également empiété sur l’autonomie de la fonction juridictionnelle réservée à la Cour de cassation en s’ingérant dans l’administration de la justice (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, précité, §§ 58-59).

    À ce propos, les requérants rappellent que la loi interprétative no 266 est intervenue presque six ans après la décision de transférer le personnel, alors que le transfert lui-même se trouvait déjà complètement réalisé depuis plus de cinq ans, et que la Cour de cassation avait déjà éliminé toute incertitude éventuelle d’interprétation à ce sujet. De plus, la norme interprétative avait été dissimulée dans une loi de finances.

    2.  Appréciation de la Cour

    47.  La Cour réaffirme que si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer les droits découlant de lois en vigueur, en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis précité, § 49 ; Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres, précité, § 57). La Cour rappelle, en outre, que l’exigence de l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse (voir notamment les arrêts Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 33, série A no 274, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, précité, § 46).

    48.  En l’espèce, la Cour note que l’article 1 de la loi no 266 de 2005 comportait une interprétation authentique de l’article 8 de la loi no 124 de 1999 et prévoyait que le personnel ATA devait être intégré dans la nouvelle administration sur la base du traitement salarial global applicable au moment de la mutation. Elle remarque également que pareilles lois, dites d’interprétation authentique, ont un effet rétroactif, en ce sens que l’interprétation qu’elles fournissent est considérée comme intégrée avec les dispositions interprétées depuis l’entrée en vigueur de celles-ci.

    49.  Dans les circonstances de l’espèce, l’article 1 de ladite loi n o 266, qui n’excluait de son champ d’application que les décisions de justice passées en force de chose jugée, fixait définitivement les termes du débat soumis aux juridictions interne et ce, de manière rétroactive.

    50.  Dès lors que les actions introduites par l’intégralité des présents requérants devant les juridictions internes étaient pendantes au moment de la promulgation de la loi litigieuse (Agrati et autres c. Italie, précité, §§ 65-66 et 84-85), celle-ci a donc réglé le fond des litiges y afférents et a ainsi rendu vaine toute continuation des procédures.

    51.  Quant à l’impérieux motif d’intérêt général, évoqué par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 26 novembre 2009 puis repris par le Gouvernement, il résulterait de la nécessité de remédier à une faille technique de la loi originaire no 124 et de prévenir la création de situations discriminatoires entre les employés relevant de l’État et ceux des collectivités locales.

    Or, s’agissant de la décision de la Cour constitutionnelle, la Cour rappelle que celle-ci ne saurait suffire à établir la conformité de la loi no 266 incriminée avec les dispositions de la Convention (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres, précité, § 59).

    52.  La Cour note, en outre, qu’en l’espèce, c’est après un délai de cinq ans que le législateur a estimé devoir adopter une disposition d’interprétation, et ce, au mépris de l’interprétation jusqu’alors constante de la Cour de cassation. Elle n’est donc pas convaincue par l’argument du Gouvernement selon lequel il y avait un « vide juridique » à combler.

    53.  La Cour estime, en effet, que le but invoqué par le Gouvernement, à savoir la nécessité de combler un « vide juridique » et d’éliminer les disparités de traitement entre les employés, visait en réalité à préserver le seul intérêt financier de l’Etat en diminuant le nombre de procédures pendantes devant les juridictions.

    54.  Aucun des arguments présentés par le Gouvernement ne convainc donc la Cour de la légitimité et de la proportionnalité de l’ingérence. Compte tenu de ce qui précède, l’intervention législative litigieuse, qui visait à régler définitivement et de manière rétroactive, le fond des litiges opposant les requérants à l’Etat devant les juridictions internes, n’était pas justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général.

    55.  Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    56.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    57.  Les requérants n’ont présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai qui leur avait été imparti. Ils se sont limité à mentionner le montant estimé des préjudices matériels subis dans leur Requête, mais n’en ont pas fait mention ultérieurement dans leur observations, bien que dans la lettre qui leur avait été adressée le 20 avril 2010, leur attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans le délai imparti pour la présentation des observations écrites sur le fond conjointement ou dans un document séparé.

    58.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les Requêtes ;

    2.  Déclare les Requêtes recevables ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

         Seçkin Erel                                                                    Dragoljub Popović
    Greffier adjoint f.f.                                                                   
    Président

     


    No

    Requête No

    Introduite le

    Requérant

     

    Notes

    1.   

    39180/08

    14/07/2008

    Eleonora MONTALTO

     

    Procédure introduite le 11 juin 2002. Jugement déposé le 31 janvier 2003. Arrêt de la cour d’appel du 9 février 2004. Arrêt de la Cour de cassation du 22 février 2008.

     

    2.   

    39688/08

    29/07/2008

    Paola Carmela GIORDANO

     

     

    Procédure introduite le 20 mai 2002. Jugement déposé le 30 octobre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 11 décembre 2003. Arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2008.

     

    3.   

    52477/08

    20/10/2008

    Luisa CASTUCCI

     

    Procédure introduite le 18 novembre 2002. Jugement déposé le 9 mars 2004. Arrêt de la cour d’appel du 14 septembre 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

    .

    4.   

    52513/08

    21/10/2008

    Battista Giovanni ORLANDI

     

    Procédure introduite le 3 juin 2002. Jugement déposé le 27 septembre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

     

    5.   

    52583/08

    21/10/2008

    Rita Maria APICELLA

     

    Procédure introduite le 21 mai 2002. Jugement déposé le 27 septembre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

     

    6.   

    52590/08

    21/10/2008

    Paola MAZZOCCA

     

    Procédure introduite le 31 mai 2002. Jugement déposé le 27 septembre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

     

    7.   

    52891/08

    21/10/2008

    Maria Grazia BOSATRA

     

    Procédure introduite le 31 mai 2002. Jugement déposé le 27 septembre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

     

    8.   

    52893/08

    21/10/2008

    Marzia CRESPI

     

    Procédure introduite le 31 mai 2002. Jugement déposé le 27 septembre 2002. Arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

    9.   

    59074/08

    21/11/2008

    Maria SALEMI

     

    Procédure introduite le 1ermars 2002. Jugement déposé le 29 mai 2003. Arrêt de la cour d’appel du 28 août 2004. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

    10.               

    59178/08

    26/11/2008

    Giuseppe REATI

     

    Procédure introduite le 19 septembre 2002. Jugement déposé le 22 janvier 2004. Arrêt de la cour d’appel du 30 septembre 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008.

    11.               

    60179/08

    03/12/2008

    Antonio VALENTE

     

    Procédure introduite le 3 juin 2003. Jugement déposé le 16 février 2004. Arrêt de la cour d’appel du 16 décembre 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 17 juillet 2008.

    12.               

    61811/08

    09/12/2008

    Aurora PIRARO

    18/04/1943

    Corsico

     

    Procédure introduite le 16 décembre 2002.. Jugement déposé 11 juillet 2003. Arrêt de la cour d’appel du 28 décembre 2004.. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008

    13.               

    2358/09

    09/12/2008

    1)Antonina VARVERI

    2)Francesca Romina NICOLOSI

    3)Giuseppe NICOLOSI

     

    Procédure introduite le 3 juin 2003. Jugement déposé le 16 février 2004. Arrêt de la cour d’appel du 14 avril 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 14 juillet 2008

    14.               

    4945/09

    17/12/2008

    Vincenza MARITATO

     

    Procédure introduite le 3 juillet 2003. Jugement déposé le 29 mai 2003. Arrêt de la cour d’appel du 28 août 2004. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008

     

    15.               

    5063/09

    13/01/2009

    Filomena LIOTTO

     

    Procédure introduite le 3 juin 2003. Jugement déposé le 16 février 2004. Arrêt de la cour d’appel du 14 avril 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 14 juillet 2008

    16.               

    5079/09

    13/01/2009

    Anna LONGO

     

    Procédure introduite le 3 juin 2003 devant le tribunal du travail de Milan. Jugement déposé le 16 février 2004. Arrêt de la cour d’appel du 14 avril 2005 2005. Arrêt de la Cour de cassation du 14 juillet 2008

    17.               

    5106/09

    17/12/2008

    Giancarlo TADINI

     

    Procédure introduite le 10 mai 2002 devant le tribunal du travail de Milan. Jugement déposé le 10 janvier 2003. Arrêt de la cour d’appel du 24 mai 2004. Arrêt de la Cour de cassation du 18 juillet 2008

     


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