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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CHRISTODOULOU AND OTHERS v. GREECE - 80452/12 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 580 (05 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/580.html
Cite as: [2014] ECHR 580

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CHRISTODOULOU ET AUTRES c. GRÈCE

     

    (Requête no 80452/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    5 juin 2014

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Christodoulou et autres c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
              Khanlar Hajiyev,
              Julia Laffranque,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse,
              Dmitry Dedov, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mai 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 80452/12) dirigée contre la République hellénique et dont quatre ressortissants de cet Etat, M. Ioannis Christodoulou, Mme Andromakhi Kritzioti, Mlle Stavroula-Anna Christodoulou et M. Raphaïl Christodoulou (« les requérants »), ont saisi la Cour le 18 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme M. Yermani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

    3.  Les requérants se plaignent en particulier d’une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention.

    4.  Le 19 décembre 2012, la présidente en exercice de la chambre a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement, invitant le Gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir au premier requérant les soins médicaux nécessaires ainsi que des conditions de détention et de transfert appropriées à son état de santé.

    5.  Le 22 février 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    6.  Les quatre requérants sont nés respectivement en 1959, 1975, 2007 et 2007. Le premier requérant se trouve en détention provisoire à la prison Diavata de Thessalonique. Les trois autres requérants résident à Thessalonique. Le premier requérant est le mari de la deuxième requérante et le père de la troisième requérante et du quatrième requérant. Accusé de plusieurs infractions liées à la criminalité économique, il fut placé en détention provisoire dans cette prison le 2 octobre 2012 en vertu d’un mandat émis par le juge d’instruction près le tribunal correctionnel de Thessalonique.

    7.  Le 4 février 2013, il fut remis en liberté suite à la décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique du 1er février 2013 (paragraphes 35-36 ci-dessous)

    A.  L’état de santé du premier requérant

    8.  Un certificat médical établi par la prison de Thessalonique le 19 octobre 2012 indique que le requérant souffre : depuis vingt ans d’un diabète de type II nécessitant un traitement par insuline ; d’une affection de la rétine due au diabète (la vision de l’œil droit ne permet guère plus que le comptage des doigts de la main et celle de l’œil gauche est de 3/10 ; de difficultés à marcher dues à une neuropathie multiple des membres inférieurs ; depuis 2004, d’une maladie coronarienne ayant nécessité la pose d’un stent ; d’une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), nécessitant depuis le 2 mars 2011 une hémodialyse tous les lundis, mardis, jeudis et samedis. Le requérant s’est vu reconnaître une invalidité à vie de 90 %.

    9.  Pendant sa détention, il fut hospitalisé pour un incident ischémique à la clinique cardiologique de l’hôpital Papanikolaou, où il fut soumis à une angioplastie le 5 octobre 2012. En outre, lors d’une hémodialyse, le 11 octobre 2012, il présenta une fibrillation du ventricule pour laquelle il fut transporté à l’hôpital de garde. Une nouvelle fibrillation rendit nécessaire son transfert à la clinique cardiologique.

    10.  Un autre certificat médical établi par la même prison à la même date précisait qu’il serait difficile de faire face à un arrêt cardiaque si celui-ci survenait alors que le malade n’était pas déjà hospitalisé.

    11.  Un certificat médical établi le 23 novembre 2012 par l’hôpital Ippokrateio de Thessalonique indiquait que le requérant souffrait d’un diabète sucré de type II présentant les complications suivantes : 1)  IRCT avec hémodialyse trois fois par semaine ; 2)  affection de la rétine due au diabète et limitant gravement sa capacité visuelle ; 3)  neuropathie multiple due au diabète ; 4)  maladie coronarienne ayant nécessité une angioplastie le 5 octobre 2012 ; 5)  fibrillation ventriculaire paroxystique. Le certificat précisait que les conditions régnant dans le lieu de détention du requérant présentaient les dangers suivants : a)  la cohabitation dans un lieu restreint avec d’autres détenus augmentait le risque d’infection et, pour une personne ayant une immunodéficience due à l’insuffisance rénale et au diabète, une telle infection pouvait être fatale ; b)  un incident ischémique ou une crise d’arythmie cardiaque, touchant fréquemment des personnes ayant les mêmes pathologies que le requérant, risquent d’être traités de manière inadéquate ou avec beaucoup de retard dans le cadre de la prison et de mettre ainsi en péril la vie de la personne.

    B.  Les conditions de détention du premier requérant

    12.  Le premier requérant décrit comme suit les conditions de sa détention.

    Il partageait avec dix autres détenus une cellule de 25 à 30 m². L’aile de la prison où il se trouvait comprend dix-huit cellules de 25 m² environ. Il y a un seul gardien qui est souvent absent et les détenus doivent crier et frapper sur la porte de la cellule pour se faire entendre. Il existe une cantine dans la prison mais, faute de chaises, les détenus ne peuvent pas s’y asseoir. La prison dispose du chauffage central, mais il ne fonctionne que douze heures par jour et les cellules ne sont pas suffisamment chauffées. À la suite de l’application de l’article 39 du règlement intérieur par la Cour, les autorités de la prison ont installé un chauffage électrique dans la cellule qu’il occupe.

    13.  La nourriture n’était pas adaptée à son état de santé et est d’une valeur nutritive très basse. Les détenus reçoivent de la viande trois fois par semaine, mais pas de poisson. En raison de ses problèmes de santé, les fruits et les desserts lui étaient interdits. La direction de la prison a elle-même admis que le coût journalier de la nourriture pour chaque détenu ne dépassait pas deux euros.

    14.  Il ajoute que la prison se trouve dans un endroit qui est jugé dangereux pour l’habitation.

    15.  Les heures de promenade dans la cour sont de 9 heures à 12 heures et de 14 h 30 à 16 h 30. La cour n’est pas abritée et les parapluies et bonnets sont interdits, de sorte que, lorsqu’il pleut, les détenus ne peuvent pas sortir.

    16.  Les détenus assuraient eux-mêmes le nettoyage des cellules et lavaient eux-mêmes leurs vêtements et leurs draps dans des bassines en plastique et les faisaient sécher dans la cour. Toutefois, en raison de son état de santé, le requérant avait été autorisé à donner ses vêtements et ses draps à laver chez lui une fois par semaine. Aucune désinfection n’a eu lieu durant son séjour dans la prison, alors que le bâtiment était infesté de cafards.

    17.  Le 21 novembre 2012, la deuxième requérante obtint une audience auprès du procureur de permanence à la prison de Diavata. Elle l’informa de l’état de santé de son mari, de ses conditions de détention et de transfert, déplorables selon elle, de la pratique de fouilles au corps humiliantes pour lui, de la nécessité d’une alimentation adaptée à sa pathologie, et de sa proposition de préparer elle-même les repas de son époux et de les lui porter en prison. Elle l’invita aussi à humaniser la détention de son mari et à donner les instructions qu’il jugerait utiles afin de faire en sorte qu’une personne ayant atteint le stade terminal d’une maladie, ce qui serait le cas de son époux, ne soit pas détenue dans de telles conditions.

    18.  Le 14 décembre 2012, T.K., le député de Thessalonique, déposa auprès du président de l’Assemblée nationale et à l’attention du ministre de la Justice une demande tendant à l’intégration dans la législation de la suspension de la détention provisoire pour raisons de santé. Il y joignait une lettre dans laquelle le requérant se plaignait de ses conditions de détention.

    C.  Les conditions de transfert du premier requérant à l’hôpital

    19.  Au cours de sa détention, l’état du requérant nécessita à plusieurs reprises son transfert dans divers hôpitaux. L’intéressé était également transféré trois ou quatre fois par semaine à l’unité du rein artificiel de la bioclinique de Thessalonique.

    20.  Le transfert avait lieu dans une voiture cellulaire ou une voiture de police sans l’escorte d’un thérapeute. Le requérant était toujours menotté lors des transferts. Il n’avait pas la possibilité de s’allonger et de se reposer après l’hémodialyse, qui avait des effets secondaires tels que des troubles hypotensifs. À chaque retour de clinique, il était obligé de se dénuder dans une pièce non chauffée pour que le gardien procède à la fouille au corps.

    21.  À une demande de l’épouse du requérant visant à le faire transférer par ambulance à l’hôpital, la direction de la prison aurait répondu que « cela n’[était] pas prévu ».

    D.  Les démarches entreprises par le requérant et ses conditions de détention et de transfert à la suite de l’application de l’article 39 du règlement intérieur de la Cour

    22.  Dès la notification au requérant par la Cour de la lettre du 20 décembre 2012 par laquelle elle lui faisait savoir qu’elle accueillait sa demande au titre de l’article 39 de son règlement, celui-ci soumit au directeur de la prison, avec copie au procureur compétent, un certificat médical établi à sa demande le 21 décembre 2012 par le directeur de la clinique néphrologique de l’hôpital Ippokrateio de Thessalonique. Ce certificat réitérait la teneur du certificat du 23 novembre 2012 et préconisait de réserver au requérant un traitement particulier, notamment de garantir : 1)  un régime adapté au diabète, aux maladies cardiovasculaires et à l’athéromatose, sans aliments phosphoriques ; 2)  la possibilité de faire une marche légère de trente minutes par jour ; 3)  le respect strict des règles d’hygiène corporelle et de l’espace vital ; 4)  la possibilité de faire traiter par laser l’affection de la rétine ; 5)  un chauffage suffisant de la cellule et du véhicule utilisé pour les transferts ; 6)  la présence d’un médecin dans l’établissement où il était détenu aux fins d’une prise en charge rapide de tout incident lié à la maladie cardiovasculaire et de la prévention d’un arrêt cardiaque ou du décès.

    23.  Dans sa lettre, le requérant invitait les autorités de la prison à transmettre le certificat au procureur de tutelle de la prison, aux fins de la mise en œuvre des mesures ordonnées par la Cour au titre de l’article 39.

    24.  Le 31 décembre 2012, le requérant adressa au directeur de la prison une demande par laquelle il réclamait que son traitement pharmaceutique lui soit fourni dans son intégralité, soutenant que la prison ne lui avait pas procuré la plupart des treize médicaments qui lui auraient été prescrits. Il n’obtint pas de réponse.

    25.  Le 31 décembre 2012, il adressa une lettre au directeur de la prison, dans laquelle il reprochait à celui-ci d’avoir refusé de faire appel à une ambulance pour le transférer à l’hôpital malgré l’apparition d’une douleur aiguë à la poitrine. Cette lettre resta elle aussi sans réponse.

    26.  Le 15 janvier 2013, le requérant adressa une nouvelle lettre au directeur de la prison dans laquelle il demandait que sa femme soit présente à ses côtés lors de ses hospitalisations. Il demandait que cette lettre soit transmise au procureur ayant la tutelle de la prison, aux fins de la mise en œuvre des mesures ordonnées par la Cour au titre de l’article 39.

    27.  Le requérant soutient que, parmi toutes les mesures préconisées, les autorités ne procédèrent qu’à celles consistant en son transfert dans une cellule qu’il partage avec deux autres détenus et à l’installation d’un chauffage électrique dans la cellule. Il ajoute que, s’agissant des conditions de transfert, le seul changement effectif a consisté en la suppression des menottes.

    E.  Les décisions des autorités judiciaires relatives aux demandes de remise en liberté du requérant

    28.  Le 5 octobre 2012, le requérant avait introduit un recours, fondé sur l’article 285 § 1 du code de procédure pénale, contre la décision de son placement en détention du 2 octobre 2012. Il soutenait que son invalidité à 90 % et ses quatre hémodialyses hebdomadaires écartaient tout risque de fuite. Il demandait à bénéficier de l’article 110A du code pénal.

    29.  Le 22 octobre 2012, le procureur formula son avis sur cette demande. Le 31 octobre 2012, le requérant présenta des observations complémentaires, dans lesquelles il demandait à comparaître personnellement afin que la véracité de ses dires concernant son état de santé fût constatée. La chambre d’accusation délibéra le 16 novembre 2012, en l’absence tant du procureur que du requérant.

    30.  Par une décision du 21 novembre 2012, la chambre d’accusation rejeta le recours, sans faire aucune référence à la demande de comparution personnelle du requérant. Elle suivit la proposition du procureur en ce sens.

    31.  En premier lieu, la chambre d’accusation considéra que le maintien en détention du requérant ne portait pas atteinte au principe de la proportionnalité, compte tenu du caractère répétitif de l’infraction reprochée entre 2003 et 2009 et du montant des fausses factures établies par le requérant, dont le total aurait été de 21 500 000 euros. Elle indiqua que le requérant avait causé des dommages incalculables tant à des particuliers qu’à des services publics et qu’il avait été condamné de manière définitive par le passé pour des infractions similaires. En deuxième lieu, elle affirma que l’article 110A du code pénal, qui concernait les condamnés, ne pouvait pas s’appliquer par analogie aux prévenus, tel le requérant, au motif que les articles 282 et suivants du code de procédure pénale ne comportaient aucune lacune en ce qui concernait la maladie grave d’un détenu. Elle précisa que ces derniers articles permettaient la levée d’une détention provisoire pendant une certaine période et le remplacement de la détention par des mesures restrictives lorsqu’une maladie grave d’un détenu imposait son accueil dans un établissement hospitalier à l’extérieur de la prison.

    32.  La chambre d’accusation releva en outre que, d’après les certificats médicaux fournis par le requérant, ses problèmes de santé avaient été traités de manière adéquate pendant la détention et que celle-ci n’était pas la cause de l’aggravation de son état de santé dès lors que le requérant était diabétique depuis vingt ans et qu’il était atteint d’une maladie coronarienne diagnostiquée en 2004. Elle ajouta que, en cas de nécessité, il était possible de faire hospitaliser dans un établissement public - soit par décision de la commission centrale des transferts soit, en cas d’urgence, par simple décision du directeur de la prison - un détenu malade dont le traitement ne pouvait être dispensé efficacement au sein de la prison.

    33.  La chambre d’accusation souligna de surcroît que les motifs ayant imposé, depuis un laps de temps assez court (le 2 octobre 2012), la détention provisoire du requérant étaient toujours valides, car aucune des conditions de celle-ci n’aurait entre-temps été modifiée.

    34.  Le 18 décembre 2012, le requérant, se fondant sur l’article 286 § 2 du code de procédure pénale, saisit la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique d’un recours tendant à la levée sous condition de sa détention.

    35.  Le 1er février 2013, le requérant eut gain de cause. Sa remise en liberté fut ordonnée en ces termes :

    « Depuis 2010, le requérant affirme qu’il souffre d’une néphropathie au stade terminal et qu’il est soumis à hémodialyse. Il a fourni des rapports d’expertise et des certificats médicaux délivrés par des hôpitaux privés. Il dépose maintenant, avec le présent recours, un rapport établi par un hôpital public (...) qui confirme qu’il souffre de la pathologie susmentionnée. En conséquence, il est nécessaire, indépendamment du fait que le requérant est particulièrement dangereux et récidiviste, de remplacer la détention provisoire par des mesures restrictives, car il est possible que sa pathologie s’aggrave en prison et lui cause des dommages irréparables. »

    36.  Le requérant fut remis en liberté le 4 février 2013. Á cette même date, il entreprit des démarches auprès de juge d’instruction dans le cadre d’autres accusations dirigées contre lui.

    F.  Les condamnations du requérant et sa fuite

    37.  Le 4 mars 2013, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de huit ans pour fraude fiscale. Le juge déclara qu’un appel éventuel aurait un effet suspensif et n’imposa pas au requérant le versement d’une caution. Le 6 mars 2013, le requérant interjeta appel de ce jugement.

    38.  Le 10 avril 2013, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de huit ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 200 000 euros.

    39.  Le requérant soutient que l’obligation qui lui a été faite de verser une telle caution l’a contraint à prendre la fuite et à se cacher pour éviter d’être appréhendé. Il précise qu’il n’est pas en mesure de payer la somme demandée, sa famille étant, à ses dires, nourrie par l’assistance sociale.

    40.  Le 10 avril 2013 toujours, la cour d’appel de Thessalonique, dans une formation de juge unique, condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de six ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 5 000 euros.

    41.  Le 20 mai 2013, la cour d’appel de Thessalonique, statuant dans une formation de juge unique, condamna à nouveau le requérant à une peine d’emprisonnement de six ans pour d’autres faits de fraude fiscale. Elle déclara que, si le requérant interjetait appel, l’exécution de la peine serait suspendue sous réserve du versement d’une caution de 5 000 euros.

    42.  Le requérant interjeta appel contre ce dernier jugement devant la cour d’appel de Thessalonique, composée de trois membres, aux fins d’obtenir la réduction du montant de la caution. L’audience, fixée initialement au 22 juillet 2013, fut reportée au 24 juillet 2013, afin que le requérant « soit présent pour que la cour constate l’état réel de sa maladie ». À une date non précisée, la cour d’appel rejeta l’appel du requérant.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    43.  Les articles pertinents de la Constitution sont ainsi libellés :

    Article 2 § 1

    « Le respect et la protection de la valeur de la personne humaine constituent l’obligation primordiale de l’Etat. »

    Article 7 § 2

    « La torture, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé et toute pression psychologique, ainsi que toute atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis conformément aux dispositions de la loi. »

    44.  L’article 110A du code pénal dispose :

    « 1.  La mise en liberté sous condition est accordée indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106 si le condamné souffre du syndrome d’immunodéficience acquise, s’il souffre d’une insuffisance rénale chronique imposant une hémodialyse à intervalles réguliers, s’il est tétraplégique, s’il est atteint de tuberculose, s’il a une cirrhose du foie entraînant une invalidité d’un taux supérieur à 67 %, ou si, ayant dépassé l’âge de 80 ans, il souffre de démence sénile, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale.

    2.  La vérification des conditions du paragraphe 1 est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune du ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de l’Aide sociale et de la Sécurité sociale.

    3.  La mise en liberté sous condition (...) est inscrite au casier judiciaire du condamné et est accordée une seule fois. »

    45.  Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent ce qui suit :

    Article 282 - Détention provisoire et conditions restrictives

    « 1.  Pendant la durée de l’instruction et s’il existe des indices sérieux en faveur de la culpabilité de l’accusé pour un crime ou un délit punissable d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois, il est possible d’ordonner des mesures restrictives, si cela est jugé absolument nécessaire pour atteindre les buts mentionnés à l’article 296.

    2.  Les mesures restrictives consistent en le versement d’une garantie, l’obligation de l’accusé de se présenter périodiquement devant le juge d’instruction ou devant une autre autorité, l’interdiction de se rendre ou d’habiter à un endroit particulier ou à l’étranger, l’interdiction de côtoyer ou de rencontrer certaines personnes.

    3.  La détention provisoire peut être ordonnée à la place des mesures restrictives (...) seulement lorsque l’accusé est poursuivi pour un crime et qu’il n’a pas de résidence connue dans le pays ou qu’il a pris des dispositions pour organiser sa fuite (...) ou lorsqu’il y a des motifs sérieux de penser que, s’il est libéré, il est probable, au regard de condamnations antérieures définitives pour des infractions similaires, qu’il commette de nouvelles infractions.

    (...) La seule gravité de l’acte aux yeux de la loi ne suffit pas pour imposer la détention provisoire (...) »

    Article 285 - Recours de la personne en détention provisoire

    « 1.  Contre le mandat de mise en détention provisoire (...), l’accusé peut recourir devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel. Le recours s’effectue dans un délai de cinq jours (...)

    (...)

    4.  La chambre d’accusation peut lever la détention provisoire ou la remplacer par des mesures restrictives (...) »

    Article 286 - Levée ou remplacement de la détention provisoire
    et des mesures restrictives

    « 1.  Si, pendant l’instruction, il s’avère qu’il n’existe plus de raisons justifiant la détention provisoire ou les mesures restrictives, le juge d’instruction peut, soit d’office soit sur proposition du procureur, lever ces mesures ou inviter la chambre d’accusation à les lever. Contre cette décision, l’accusé peut saisir la chambre d’accusation de la cour d’appel.

    2.  Toute personne qui est placée en détention provisoire ou à laquelle des mesures restrictives ont été imposées peut saisir le juge d’instruction afin de faire lever ces mesures ou de faire remplacer la détention provisoire par des mesures restrictives. (...) L’intéressé peut saisir la chambre d’accusation d’un recours contre la décision du juge d’instruction dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision. »

    Article 309 - Compétence de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel après la fin de l’instruction

    « 1.  La chambre d’accusation peut, dans un délai de deux mois ou, si le paragraphe suivant s’applique, dans un délai de trois mois à compter de l’avis du procureur : a)  décider de ne pas maintenir l’accusation ; b)  mettre fin de manière définitive aux poursuites pénales ; c)  suspendre les poursuites pénales mais seulement pour les crimes d’homicide volontaire, de vol avec violences, d’exaction, de vol (...) et d’incendie volontaire ; d)  ordonner un complément d’instruction et e)  renvoyer l’accusé en jugement devant le tribunal compétent.

    2.  La chambre d’accusation délibère en dehors de la présence du procureur et des parties. Dans des cas exceptionnels, si elle l’estime nécessaire, elle peut ordonner la comparution de toutes les parties et, dans ce cas, aussi celle du procureur. Si, après la fin de l’instruction et le dépôt des documents auprès du procureur, une des parties dépose auprès de la chambre des documents ou d’autres éléments de preuve, la chambre, si elle considère que ceux-ci peuvent influencer de manière décisive l’élucidation de l’affaire, doit convoquer les autres parties ou leurs représentants, pour que ceux-ci en soient informés et soumettent leurs observations dans un délai fixé par elle. »

    Article 572 - Qui exerce la tutelle et comment

    « 1.  Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

    2.  En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel se rend à la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. »

    46.  Les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

    Article 6
    Protection légale des détenus

    « 1.  En cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre, les détenus ont le droit de se référer par écrit et à une fréquence raisonnable au conseil de la prison lorsque les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. En cas de manquement de l’administration à prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines dans un délai de quinze jours ou d’un mois respectivement à compter de la notification d’une décision de rejet ou de l’introduction de leur demande. Si ce tribunal accueille la requête quant au fond, il ordonne les mesures susceptibles d’effacer les conséquences de l’action ou de l’ordre illégaux. (...)

    (...)

    3.  La direction de l’établissement pénitentiaire a l’obligation de transmettre au plus tard dans un délai de trois jours tout rapport ou toute lettre adressée par un détenu à une autorité publique ou à une organisation internationale, sans prendre connaissance de leur contenu. À cette fin, un registre spécial est tenu à jour. »

    Article 15
    Personnes détenues provisoirement

    « 2.  Les conditions de détention des prévenus se rapprochent le plus possible des conditions de la vie en liberté. Elles n’entraînent pas d’autres restrictions de la liberté que celles nécessaires au bon déroulement de l’instruction (...)

    Article 20
    Bâtiments

    « (...)

    2.  Les bâtiments et l’aménagement des espaces de détention respectent les obligations d’hygiène, assurent des conditions de vie appropriées pour les détenus et remplissent les conditions nécessaires au fonctionnement normal et sécurisé des établissements pénitentiaires. Plus particulièrement, la construction et l’aménagement de ceux-ci assurent à un degré satisfaisant, grâce à des fenêtres, la lumière naturelle et l’aération, et assurent également le chauffage, une circulation aisée dans des espaces appropriés (...)

    3.  La capacité des établissements pénitentiaires ne doit pas dépasser trois cents détenus. (...) »

    Article 21
    Espaces de vie des détenus

    « 1.  Chaque établissement pénitentiaire (...) est divisé en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs d’une capacité maximale de six personnes de préférence.

    2.  Les cellules individuelles ont un volume d’au moins 35 m3 et sont équipées chacune d’un lit, d’une table, d’une chaise et d’une armoire. Le placement d’un deuxième détenu dans la cellule est permis exceptionnellement et pour une durée limitée mais aussi de manière permanente si la capacité de la cellule est d’au moins 40 m3. Le séjour d’un détenu dans une cellule individuelle est un droit qui doit être respecté lorsque les besoins du détenu l’imposent et que les conditions régnant dans le bâtiment le permettent.

    (...)

    4.  Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 m² pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires, de tables et de chaises en nombre suffisant.

    5.  Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations sanitaires (lavabos, toilettes) et de chauffage. Chaque installation sanitaire doit servir au plus à trois détenus. L’existence d’une salle d’eau dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas obligatoire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau chaude et froide, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.

    6.  Chaque établissement pénitentiaire doit disposer, outre les espaces administratifs, d’espaces et d’installations suffisants pour des examens médicaux, d’un dispensaire, d’un atelier, d’une bibliothèque, d’une salle de prière, d’une salle de conférences ainsi que d’espaces suffisants de plein air pour la promenade et l’exercice physique des détenus (...) »

    Article 25
    Hygiène et propreté

    « 1.  La direction assure les bonnes conditions d’hygiène et de propreté dans l’établissement pénitentiaire, veille au bon fonctionnement de toutes les installations et accorde les moyens pour l’hygiène personnelle et la propreté des détenus. »

    Article 27
    Soins médicaux

    « 1.  La direction assure aux détenus des soins médicaux et pharmaceutiques d’un niveau analogue à celui dont bénéficie le reste de la population.

    2.  Chaque détenu est examiné par le médecin de l’établissement pénitentiaire au moment de son admission puis tous les six mois. Il peut à tout moment demander à être examiné par le médecin de l’établissement pénitentiaire ou par un médecin de son choix. En cas de pathologie chronique, il a le droit de demander à être suivi par son médecin traitant, en présence du médecin de l’établissement. Les honoraires du médecin de son choix sont à la charge du détenu.

    (...) »

    Article 30
    Admission des détenus malades
    dans des établissements pénitentiaires avec dispensaire ou dans des hôpitaux

    1.  Les détenus qui tombent malades lors de leur détention ainsi que ceux qui présentent des problèmes de santé psychique aigus sont admis au dispensaire de l’établissement (...)

    2.  Les détenus malades dont l’hospitalisation n’est pas possible au sein des dispensaires des établissements pénitentiaires (...) sont transférés à l’hôpital public du département dans lequel l’établissement pénitentiaire est situé (...) »

    Article 32
    Alimentation

    « L’Etat a pour obligation de veiller à une alimentation appropriée des détenus. (...)

    2.  La qualité et la préparation générale du repas (...) sont supervisées quotidiennement par le directeur. (...)

    3.  Le médecin de l’établissement pénitentiaire fixe, par écrit, le régime spécial ou l’alimentation complémentaire requis par des détenus ou par des groupes de détenus comme les malades, les femmes enceintes et les détenus très âgés.

    4.  Un soin particulier est apporté, dans la mesure du possible, à la préparation des régimes spéciaux imposés par certaines convictions religieuses.

    5.  Il est permis au détenu de se procurer avec ses deniers personnels des aliments ou des produits pour satisfaire ses propres besoins par l’intermédiaire des services de l’établissement pénitentiaire. La préparation de repas au sein de l’établissement par le détenu lui-même est autorisée uniquement pour des raisons de santé sur décision du directeur à la suite d’un avis conforme du médecin de l’établissement, compte tenu des conditions réelles régnant dans l’établissement.

    6.  La livraison de produits alimentaires aux détenus lors des parloirs est prohibée, sauf si le règlement intérieur de l’établissement l’autorise. »

    Article 74
    Transfert pour raisons de santé

    Dans le cas de l’alinéa b) de l’article 72, le transfert du détenu vers un établissement pénitentiaire avec dispensaire ou vers un hôpital, en application de l’article 30 du présent code, est ordonné par la commission centrale des transferts, sur une proposition des autorités de la prison qui doit être accompagnée d’un rapport motivé du médecin de l’établissement (...)

    4.  Si le détenu doit être transféré pour un problème sérieux de santé en application des dispositions du présent article, le directeur de l’établissement prévient immédiatement les proches de l’intéressé (...) »

    Article 77
    Exécution du transfert

    « 1.  Le transfert doit se dérouler sans porter atteinte à la dignité du détenu et sans lui causer de désagréments supplémentaires. Le détenu n’est menotté que si cela paraît absolument nécessaire au regard de l’appréciation faite par les agents responsables du transfert. En cas de transfert de personnes âgées, de femmes enceintes, de malades et d’adolescents, cette mesure doit être, dans la mesure du possible, évitée.

    (...)

    3.  Les formalités relatives à la dépose et à la récupération de la personne transférée, les moyens du transfert, les mesures de sécurité prises lors du transfert (...) et tout autre détail y relatif sont réglés par les articles 114 à 154 du décret présidentiel no 141/1991 ainsi que par décision commune du ministre de la Justice et du ministre de l’Ordre public. »

    47.  L’article 7 de l’arrêté ministériel no 58819 du 7 avril 2003 se lit ainsi :

    Tutelle exercée par le procureur

    « 1.  Dans le cadre de ses compétences de tutelle, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des sections de l’établissement pénitentiaire, et émet des recommandations concernant l’exécution des peines.

    2.  Le procureur superviseur ou son adjoint exercent des compétences de nature juridictionnelle, disciplinaire et de contrôle. En particulier, le procureur superviseur : 1)  veille à l’application des dispositions en vigueur relatives au traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales qui concernent l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté ; (...) 9)  entend, à leur demande, les détenus, leurs proches ou leurs avocats ; 10)  examine les questions de protection juridictionnelle des détenus et indique aux intéressés les démarches à entreprendre, et transmet aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) ; 16)  veille à la réalisation de contrôles sanitaires de l’établissement pénitentiaire les dix premiers jours de chaque trimestre et de contrôles inopinés lorsqu’il l’estime nécessaire, et est présent lors de ces contrôles. »

    48.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2462/1997 portant ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées :

    Article 7

    « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. (...) »

    Article 10

    « 1.  Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

    2.  a)  Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées ;

    b)  Les jeunes prévenus sont séparés des adultes et il est décidé de leur cas aussi rapidement que possible.

    3.  Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    49.  Le premier requérant dénonce ses conditions de détention au sein de la prison et à l’hôpital ainsi que les conditions de ses transferts pluri- hebdomadaires de la prison à l’hôpital. Il se plaint d’une violation des articles 2 et 3 de la Convention, ainsi libellés en leurs passages pertinents en l’espèce :

    Article 2

    « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »

    Article 3

    « Nul ne peut être soumis (...) à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    50.  La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou d’un paragraphe que les parties n’avaient pas invoqué. Elle rappelle en outre qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, § 60, 16 février 2010, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001). À la lumière de ces principes, la Cour estime nécessaire, dans les circonstances de la présente affaire, d’examiner l’ensemble des griefs du premier requérant sous l’angle de l’article 3.

    51.  Le Gouvernement invite d’abord la Cour à rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes.

    52.  En premier lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a fait usage d’aucune des possibilités offertes par les articles 6 du code pénitentiaire et 572 du code de procédure pénale pour se plaindre de l’alimentation, des conditions de détention à l’hôpital et des fouilles corporelles au retour de chaque hospitalisation. Il considère que les doléances du requérant étaient liées à son état de santé et qu’elles ne concernaient pas la situation des détenus dans leur ensemble. Il affirme que l’article 7 de l’arrêté ministériel no 58819 du 7 avril 2003 permettait à l’intéressé de s’adresser au procureur et de se renseigner sur les voies de recours et les démarches à entreprendre pour présenter ses doléances de manière efficace. Il est d’avis que les rapports établis le 21 et le 31 décembre 2012 par le requérant à l’intention des autorités ne contenaient aucune demande spécifique et aucune doléance concrète relativement à ses conditions de transport, aux fouilles à corps et à son alimentation.

    53.  En deuxième lieu, le Gouvernement dit que le requérant a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil en combinaison soit avec les articles 2 § 1 et 7 § 2 de la Constitution, 3 de la Convention et 7 et 10 de la loi no 2462/1997, soit avec certaines dispositions du code pénitentiaire. Il soutient que les juridictions grecques admettent que les articles de l’arrêté ministériel no 58819 du 7 avril 2003 établissent des principes juridiques directement applicables, ce que démontre selon le Gouvernement le jugement du tribunal correctionnel d’Igoumenitsa, qui aurait acquitté des clandestins détenus qui s’étaient évadés du commissariat de police pour échapper à leurs conditions de détention. Enfin, toujours selon le Gouvernement, le Conseil d’Etat a jugé que le nombre élevé de détenus ne dispense pas l’Etat de son obligation d’assurer à ceux-ci des conditions de vie décentes dans les prisons (arrêt no 1215/2010).

    54.  Le requérant soutient qu’il a épuisé les voies de recours internes tant avant qu’après l’indication des mesures provisoires par la Cour sur le fondement de l’article 39 du règlement. Il ajoute que, avant l’indication de ces mesures, la deuxième requérante, agissant au nom de son mari, s’est adressée au procureur responsable de la prison et qu’elle a ainsi fait usage de son droit découlant de l’article 7 de l’arrêté no 58819 du 7 avril 2003. En outre, il affirme avoir saisi, le 5 octobre 2012, la chambre d’accusation d’un recours contre sa détention. Il indique que la décision du 21 novembre 2012 rendue par la chambre d’accusation à la suite de son recours était définitive et qu’elle marquait l’épuisement des voies de recours internes. Il estime s’être aussi conformé aux exigences de l’article 35 § 1, car il dit avoir introduit, le 31 décembre 2012 et le 15 janvier 2013, des demandes auprès du directeur de la prison en l’invitant à les transmettre au procureur de tutelle de la prison.

    55.  La Cour rappelle que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Le gouvernement défendeur doit ainsi convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

    56.  La Cour rappelle également avoir considéré dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012) que, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et les recours indemnitaires devaient coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cette disposition impose que les Etats établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention. À défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des Etats de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (idem, § 98).

    57.  La Cour rappelle cependant que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation d’une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté diffère de celle d’un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce.

    58.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a introduit sa requête devant elle le 18 décembre 2012, alors qu’il était encore détenu. Toutefois, à cette même date, il a aussi introduit devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique une demande de libération sous condition qui a abouti à sa mise en liberté le 4 février 2013. À la date de l’introduction de la requête, la voie de recours interne qui pouvait conduire à la mise en liberté du requérant, ce qui était aussi l’objet la requête ainsi que de sa demande d’application de l’article 39 du 18 décembre 2012, était donc encore pendante. Le requérant étant désormais en liberté depuis le 4 février 2013, le grief relatif à l’article 3 ne peut avoir pour objet, le cas échéant, que l’octroi par la Cour d’une indemnité pour le dommage moral subi.

    59.  La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, § 60, 13 juin 2013), elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables ».

    60.  À cet égard, elle relève, d’une part, que le requérant était, avant sa remise en liberté, détenu à la prison de Diavata et qu’il était donc soumis aux dispositions du code pénitentiaire. Elle note, d’autre part, que le requérant se plaint du caractère inadéquat de ses conditions de détention et de transfert avec son état de santé.

    61.  Or, toutes les situations visées par les griefs susmentionnés sont couvertes par des dispositions du code pénitentiaire. Les articles 15, 20, 21, 25, 27, 30, 32 et 77 créent en ces domaines des droits subjectifs et peuvent être invoqués devant les juridictions. L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours que le requérant aurait pu et peut encore exercer.

    Compte tenu de cette conclusion, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la qualité de « victime » du requérant, également soulevée par le Gouvernement.

    62.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme prématurée, en application de l’article 35 §§ 1, 3 a) et 4 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

    63.  Le premier requérant se plaint que la chambre d’accusation n’ait pas examiné dans un « bref délai » son recours contre le mandat de mise en détention et qu’il ne lui ait été permis ni de comparaître devant la chambre d’accusation ni de prendre connaissance de la proposition du procureur. Il dénonce à cet égard une violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

    « Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    A.  Sur la recevabilité

    64.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Quant au « bref délai »

    65.  Le Gouvernement soutient que le délai qui a été nécessaire à la chambre d’accusation pour statuer sur la demande du requérant du 5 octobre 2012 n’était pas déraisonnable. Il indique que le procureur a formulé son avis le 22 octobre 2012, que le requérant a présenté de nouvelles observations le 31 octobre 2012, que la chambre d’accusation a délibéré le 16 novembre 2012 et qu’elle a rendu sa décision le 21 novembre 2012. Si le requérant a mis dix jours pour préparer ses observations complémentaires, le délai mis par le procureur pour formuler son avis et celui mis par la chambre d’accusation pour statuer (dix-sept et vingt et un jours respectivement) n’étaient pas excessifs.

    66.  Le requérant soutient qu’il avait rédigé ses observations longtemps à l’avance et qu’il attendait l’avis du procureur pour les déposer. Il indique en outre que, de manière générale, la chambre d’accusation n’attend pas d’observations en réponse de la part du prévenu pour rendre sa décision et que la plupart des prévenus n’en déposent pas.

    67.  La Cour rappelle d’abord que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, requièrent une diligence particulière et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181-A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

    68.  La Cour rappelle en outre que la nature même de la détention provisoire appelle de la part du juge compétent qu’il statue à bref délai, la mesure en cause étant fondée pour l’essentiel sur les besoins d’une instruction à mener avec célérité (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 21, série A no 164).

    69.  En l’espèce, la Cour note que, le 5 octobre 2012, le requérant a demandé sa mise en liberté sous condition, arguant que vu son état de santé il devait bénéficier de cette mesure en application de l’article 110A du code pénal. Le procureur a formulé son avis le 22 octobre 2012 et le requérant a présenté sa réplique le 31 octobre 2012. La chambre d’accusation a délibéré le 16 novembre 2012 et a rendu sa décision le 21 novembre 2012.

    70.  La Cour estime que le laps de temps écoulé - soit un délai de quarante-sept jours - n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000-XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), et Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt et vingt-deux jours respectivement.

    Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

    2.  Quant à l’égalité des armes et au principe du contradictoire

    71.  Le Gouvernement soutient que la procédure ayant donné lieu à la détention provisoire du requérant était à tous les égards judiciaire, de sorte que celui-ci ne pourrait pas se plaindre d’une absence de contrôle judiciaire de sa détention. Il précise que la mise en détention a été ordonnée par une décision motivée du juge d’instruction, organe qui serait indépendant du pouvoir exécutif, et au terme d’une procédure qui aurait présenté toutes les garanties d’une procédure judiciaire. Il indique que le juge d’instruction a, comme le veut la loi, pris en considération l’avis exprimé par le procureur. Il ajoute que la compétence du procureur se limite à l’expression d’un avis, et que la décision de détenir une personne provisoirement ou de la libérer sous condition est prise par des juges, soit par le juge d’instruction, si son avis coïncide avec celui du procureur, soit par la chambre d’accusation en cas de désaccord entre le procureur et le juge d’instruction.

    72.  Le requérant rétorque qu’il ne connaissait pas le contenu de l’avis du procureur mais seulement le sens de sa conclusion, à savoir le rejet de la demande de mise en liberté. Il se plaint que, en dépit du fait que le procureur n’est pas présent lorsque la chambre d’accusation délibère, celle-ci entérine dans la majorité des cas l’avis du procureur. Il conclut que, en excluant le demandeur de mise en liberté de l’audience devant la chambre d’accusation et en ne l’informant pas du contenu de l’avis du procureur, le système juridique grec a aménagé une procédure conforme seulement en apparence avec la Convention.

    73.  La Cour rappelle que l’article 5 § 4 confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité » et à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les procès civils et pénaux - les deux dispositions poursuivant des buts différents (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 39, CEDH 2005-XII) - il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, § 41, CEDH 2001-III). En particulier, un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir le procureur et le détenu (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001-I). Pour déterminer si une procédure relevant de l’article 5 § 4 offre les garanties nécessaires, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237-A).

    74.  La première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova, précité, § 58, Reinprecht, précité, § 31, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006-III, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000-XI). La Cour rappelle également que, s’il est vrai qu’un recours contre une décision portant sur la détention provisoire doit en principe accorder au détenu les mêmes garanties en appel qu’en première instance, il ne faut pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduit une demande d’élargissement (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 49, 29 novembre 2011).

    75.  La Cour relève que le droit interne grec pertinent à ce sujet a évolué depuis l’arrêt Kampanis c. Grèce (13 juillet 1995, série A no 318-B). En particulier l’article 309 § 2 du code de procédure pénale a été modifié et prévoit désormais que la chambre d’accusation délibère hors la présence des parties et du procureur. Toutefois, cet article prévoit aussi que la chambre d’accusation peut, dans des circonstances exceptionnelles, décider de les convoquer à comparaître ensemble.

    76.  En l’espèce, la Cour note que ni le requérant ni le procureur n’étaient présents lors de la délibération de la chambre d’accusation du 16 novembre 2012. Le 22 octobre 2012, le procureur a rendu son avis et le requérant y a répondu le 31 octobre 2012 après en avoir pris connaissance. Le requérant est donc intervenu en dernier lieu dans une procédure qui s’est déroulée uniquement par écrit.

    77.  La Cour considère cependant que, dans la présente affaire, l’état de santé et le taux d’invalidité du requérant - le motif justifiant selon lui sa comparution personnelle (paragraphe 29 ci-dessus) - constituaient de telles circonstances exceptionnelles, comme le précise l’article 309 précité, qui pouvaient justifier la comparution des parties.

    78.  Par conséquent, en ne donnant pas suite à la demande de comparution du requérant, sans en expliquer le motif, la chambre d’accusation a, de l’avis de la Cour, privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention (voir, mutatis mutandis, Bala c. Grèce, précité, § 25).

    Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    79.  Le premier requérant se plaint aussi d’une violation de l’article 3, 5 § 1, 6 § 2, 8 et 10 combiné avec les articles 13 et 14, ainsi que des articles 34 et 46 de la Convention. Les trois autres requérants se plaignent, pour leur part, de la violation de l’article 8.

    80.  Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés susmentionnés garantis par la Convention. Dès lors, elle conclut que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    81.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    82.  Les requérants réclament 24 000 euros (EUR) ainsi que la somme supplémentaire de 280 EUR au titre du préjudice matériel qu’ils auraient subi. La première somme correspond aux salaires des deux personnes qui assistent le requérant sur une base quotidienne et la deuxième à des frais engagés dans la prison pour l’achat de divers produits. Pour dommage moral, les requérants demandent 300 000 EUR pour la violation de l’article 2 de la Convention, 200 000 EUR pour celle de l’article 3, 18 000 EUR pour celle des articles 8, 14 et 34 et 10 000 EUR pour celle des articles 5 § 1, 5 § 4 et 13. Les requérants invitent la Cour à verser ces sommes directement sur le compte de leur représentante.

    83.  En ce qui concerne le dommage matériel, le Gouvernement soutient que le requérant ne prouve pas avoir effectivement dépensé les sommes qu’il réclame et qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les frais prétendument exposés et les conditions de détention dans la prison de Diavata. Quant au dommage moral, il estime que les sommes réclamées sont excessives et qu’elles portent en partie sur des griefs qui ne lui auraient pas été communiqués.

    84.  À l’instar du Gouvernement, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’exigence du « bref délai » dans le chef du premier requérant. Dès lors, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à ce dernier 3 000 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    85.  Les requérants demandent également 701,43 EUR pour des frais et dépens engagés à des fins de représentation devant le juge d’instruction le 4 février 2013 et 9 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour. En ce qui concerne cette dernière somme, les deux premiers requérants précisent qu’ils ont signé un accord avec leur représentante selon lequel ils lui verseront cette somme en cas de constat d’au moins une violation par la Cour. En cas de rejet de la requête, ils ne lui verseraient pas d’honoraires. Enfin, les requérants demandent que toute somme éventuellement allouée soit versée directement sur le compte bancaire de leur représentante.

    86.  Le Gouvernement soutient que la somme réclamée pour la comparution devant le juge d’instruction ne concerne pas les questions soulevées par la présente requête. Quant à la somme réclamée pour la procédure devant la Cour, il l’estime excessive.

    87.  La Cour note que les requérants ont conclu avec leur conseil un accord concernant les honoraires de celle-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Ces accords peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître des obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI).

    88.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à une violation seulement à l’égard du premier requérant sur l’un des aspects du grief tiré de l’article 5 § 4. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime raisonnable d’accorder au premier requérant 1 000 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant elle. Quant à la somme de 701,43 EUR susmentionnée, la Cour note qu’elle ne correspond pas à celle mentionnée sur la facture produite et ne concerne pas les faits examinés par la Cour. Elle rejette donc la prétention relative à ce montant.

    C.  Intérêts moratoires

    89.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention en ce qui concerne le premier requérant et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’exigence du « bref délai » ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’exigence de l’égalité des armes et du principe du contradictoire ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser au premier requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii.  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le premier requérant, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de son représentant ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                               Isabelle Berro-Lefèvre
            Greffier                                                                              Présidente


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