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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CONSTANTIN AURELIAN BURLACU v. ROMANIA - 51318/12 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 598 (10 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/598.html
Cite as: [2014] ECHR 598

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE CONSTANTIN AURELIAN BURLACU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 51318/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    10 juin 2014

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Constantin Aurelian Burlacu c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Ján Šikuta,
              Luis López Guerra,
              Kristina Pardalos,
              Valeriu Griţco,
              Iulia Antoanella Motoc, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mai 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51318/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Constantin Aurelian Burlacu (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er août 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant dénonce en particulier les mauvaises conditions de détention qu’il a subies dans les locaux de la direction générale de police de Bucarest et à la prison de Rahova.

    4.  Le 23 novembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1982. Il est actuellement détenu à la prison de Vaslui.

    A.  La détention et la condamnation du requérant

    6.  Le 16 février 2009, le requérant fut placé en garde à vue sur décision du parquet. Il était suspecté de trafic de drogues dures. Il fut placé ultérieurement en détention provisoire.

    7.  Par une décision du 10 mars 2010, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant à onze ans de prison ferme du chef de trafic de drogues dures. La décision fut confirmée en appel et recours par la cour d’appel de Bucarest et la Haute Cour de cassation et de justice, respectivement les 21 avril 2011 et 15 mars 2012.

    8.  Le requérant affirme qu’il a dû reconnaître les faits reprochés devant la juridiction de recours, dans l’espoir de bénéficier d’une réduction de peine. Il allègue également que la décision de la Haute Cour de cassation et de justice fut mise au net bien après l’introduction de la présente requête.

    B.  Les conditions de détention à la direction générale de la police de Bucarest et à la prison de Rahova

    1.  Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

    9.  Du 16 février au 30 mai 2009, le requérant fut incarcéré dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest, dans une cellule de 13,5 m² dans laquelle se trouvaient six lits. Les fenêtres de la cellule étaient pourvues de barreaux et étaient insuffisantes pour un éclairage et une aération naturels.

    10.  Le 30 mai 2009, le requérant fut transféré à la prison de Rahova, où il fut placé dans une cellule de 24 m² dans laquelle se trouvaient dix lits. L’aération et l’éclairage naturel ou artificiel étaient également inappropriés.

    11.  En 2013, le requérant fut transféré à la prison de Iaşi et ultérieurement à la prison de Vaslui.

    12.  Le requérant produit une copie de son dossier médical faisant état du fait qu’il souffre d’asthme depuis de nombreuses années.

    2.  Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

    13.  Du 16 février au 19 mai 2009, le requérant fut incarcéré dans les locaux du Centre de rétention et détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest, dans une cellule de 14,57 m² dans laquelle se trouvaient six lits, une table et des chaises. Chaque lit était doté d’un matelas, d’un oreiller, de linge de lit et d’une couverture. La cellule était en outre dotée d’un lavabo, d’une douche avec rideau et des toilettes. Le chauffage était assuré par la chaudière centrale du bâtiment. La cellule bénéficiait d’aération et d’éclairage naturel, étant pourvue de deux fenêtres de 160 cm/140 cm et d’éclairage artificiel.

    14.  Le 16 mai 2009, le requérant fut transféré à la prison de Rahova. Il y resta jusqu’au 19 avril 2013, à l’exception de courtes périodes pendant lesquelles il fut hospitalisé.

    15. Dans la prison de Rahova, le requérant fut détenu dans les cellules nos 233 d’une superficie de 31,44 m² (comprenant un espace pour dormir de 19,3 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotée de 10 lits, nos 117, 27, 217, 246 et 511 d’une superficie de 31,69 m² (comprenant un espace pour dormir de 19,58 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotées de 10 lits, nos 237 et 334 d’une superficie de 36,73 m² (comprenant un espace pour dormir de 24,59 m², une douche, des toilettes et des rangements pour les aliments et les bagages) dotées de 12 lits. Le nombre des détenus n’a jamais dépassé le nombre de lits installés dans les cellules, de sorte que le requérant n’a pas été contraint de partager son lit. Les toilettes sont pourvues de murs de séparation et de porte d’accès. Chaque cellule a une fenêtre de 1,44 m², les toilettes une fenêtre de 0,36 m² et les rangements d’aliments et de bagages d’une fenêtre de 0,36 m². Les cellules bénéficient ainsi d’aération et d’éclairage naturels, ainsi que d’éclairage artificiel.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    16.  Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

    17.  Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 2011, à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») conclut que le taux de surpeuplement des établissements pénitentiaires reste un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les 42 établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 ; le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements.

    18.  L’Association pour la défense de droits de l’homme - comité Helsinki (« APADOR-CH »), organisation non-gouvernementale sise à Bucarest, a effectué des visites dans le Centre de rétention et détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest en janvier 2009, en novembre 2011 et en avril 2013. Elle a également effectué des visites dans la prison de Rahova en mars 2011 et en juillet 2013. Dans les rapports établis à ces occasions, l’organisation décrit un état de surpopulation carcérale grave.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    19.  Le requérant se plaint des mauvaises conditions de détention dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest et à la prison de Rahova, en particulier du surpeuplement des cellules. Il invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, qui dispose :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    20.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    21.  Se référant à la description des conditions de détention qu’il a fournie et à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention. Il souligne également la courte période de temps passée par le requérant dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest, à savoir trois mois. Enfin, le Gouvernement soutient que le requérant a bénéficié de l’assistance médicale adéquate pour traiter son asthme et qu’en tout état de cause, aucune expertise médicale n’a établi un quelconque lien de causalité entre l’état de santé du requérant et les conditions de détention subies.

    22.  Le requérant réitère que les conditions matérielles de sa détention étaient inhumaines.

    23.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI).

    24.  S’agissant des conditions de détention, il convient de prendre en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En outre, dans certains cas, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    25.  La Cour observe que, même en se tenant aux renseignements fournis par le Gouvernement, chacune des personnes détenues, dont le requérant, disposait d’un espace individuel en dessous de la norme recommandée aux autorités roumaines dans le rapport du CPT, à savoir 4 m² (paragraphe 16 ci-dessus). Qui plus est, les renseignements fournis par le Gouvernement ne font pas apparaître le temps que les détenus passaient à l’extérieur des cellules.

    26.  La Cour note ensuite que les allégations du requérant concernant le problème du surpeuplement carcéral sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par l’APADOR-CH dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les deux centres de détention dans lesquels le requérant a été incarcéré (paragraphe 18 ci-dessus).

    27.  La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention en raison principalement du manque d’espace individuel suffisant, d’absence d’hygiène ou de ventilation ou éclairage inadéquats dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest (Ogică c. Roumanie, no 24708/03, §§ 42 et suiv., 27 mai 2010, et Căşuneanu c. Roumanie, no 22018/10, §§ 60 et suiv., 16 avril 2013) et dans la prison de Rahova (Dimakos c. Roumanie, no 10675/03, §§ 46 et suiv., 6 juillet 2010, Micu c. Roumanie, no 29883/06, §§ 86-87, 8 février 2011 et Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, §§ 89-91, 12 avril 2011, et Toma Barbu c. Roumanie, no 19730/10, §§ 56 et suiv., 30 juillet 2013).

    28.  S’agissant de l’argument du Gouvernement concernant la durée d’incarcération du requérant de seulement trois mois dans les locaux de la direction générale de la police de Bucarest, la Cour rappelle qu’elle est déjà arrivée à des constats de violation en présence de mauvaises conditions de détention nonobstant la durée brève de cette détention (voir, pour des périodes de quatre et dix jours, Koktysh c. Ukraine, no 43707/07, §§ 93-95, 10 décembre 2009, pour une période de cinq jours, Gavrilovici c. Moldova, no 25464/05, §§ 30 et 43, 15 décembre 2009, pour une période d’une semaine, Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, §§ 47-55, 13 mars 2012, et pour une période de cinq jours, Ciupercescu c. Roumanie (no 2), no 64930/09, § 46, 24 juillet 2012).

    29.  La Cour estime qu’en l’occurrence les conditions de détention que le requérant a dû supporter pendant plus de quatre ans, en particulier la surpopulation régnant dans sa cellule, ont porté atteinte à sa dignité et lui ont inspiré des sentiments d’humiliation.

    30.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    31.  Invoquant l’article 5 §§ 1, 3 et 4, le requérant dénonce son placement en garde à vue sur décision du procureur, la durée de sa détention provisoire et le fait qu’il s’est trouvé en situation de net désavantage par rapport au procureur qui était en droit de contester les décisions des tribunaux ordonnant la révocation, le remplacement ou la cessation de droit de la détention provisoire, alors qu’il ne lui était pas loisible de contester les décisions rejetant de telles mesures. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention, le requérant se plaint du retard dans la mise au net de l’arrêt du 15 mars 2012 de la Haute Cour de cassation et de justice et de ce qu’aussi bien le parquet que les tribunaux ont méconnu sa présomption d’innocence par l’interprétation qu’ils ont donnée à la déclaration d’un coïnculpé.

    32.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

    Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    33.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    34.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice matériel sans préciser le fondement de sa demande et 90 000 EUR pour préjudice moral en raison des mauvaises conditions de détention.

    35.  Le Gouvernement indique que le requérant n’a pas précisé le préjudice matériel subi et considère que la somme demandée pour préjudice moral est excessive.

    36.  La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des mauvaises conditions de détention. La Cour constate que le requérant n’a aucunement justifié sa demande formée au titre du préjudice matériel. Dès lors, elle rejette cette demande. En revanche, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 400 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    37.  Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.

    C.  Intérêts moratoires

    38.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 400 EUR (huit mille quatre cents euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président


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