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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DIPLA AND POTOUPNI v. GREECE - 44795/11 19978/12 - Committee Judgment (French Text) [2014] ECHR 638 (19 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/638.html
Cite as: [2014] ECHR 638

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DIPLA ET POTOUPNI c. GRÈCE

     

    (Requêtes nos 44795/11 et 19978/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

     

     

    19 juin 2014

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Dipla et Potoupni c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mai 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 44795/11 et 19978/12) dirigées contre la République hellénique par trois ressortissants de cet État, dont les noms figurent ci-joint en annexe (« les requérants »), qui ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Mes N. Anagnostopoulos et A. Psycha, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme M. Germani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le 6 mai 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

    EN FAIT

    A.  Le contexte des affaires

    4.  Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers.

    5.  Les présentes requêtes portent sur les procédures engagées par les devanciers des requérants en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de leurs pensions conformément à ces lois.

    B.  Les procédures en cause

    1.  Requête no 44795/11

    (a)  La demande à la Comptabilité générale de l’État et la procédure devant la Chambre de la Cour des comptes

    6.  Le 9 mars 2001, le devancier des requérants saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.

    7.  Le 19 juillet 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.

    8.  Le 5 décembre 2001, le devancier des requérants saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale.

    9.  Le 20 février 2004, la Cour des comptes donna gain de cause au devancier des requérants (arrêt no 350/2004).

    10.  Le 30 novembre 2004, le devancier des requérants décéda.

    (b)  La procédure en cassation

    11.  Le 26 avril 2005, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 350/2004, en introduisant deux pourvois.

    12.  Le 6 février 2008, la formation plénière de la Cour des comptes reporta l’examen des affaires (arrêts nos 194/2008 et 195/2008). Une nouvelle audience eut lieu le 2 avril 2008 lors de laquelle les requérants succédèrent à leur devancier dans la procédure.

    13.  Le 1er octobre 2008, la Cour des comptes reporta l’examen du premier pourvoi et déclara le second pourvoi irrecevable (arrêts nos 2077/2008 et 2078/2008).

    14.  Le 30 juin 2010, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le premier pourvoi (arrêt no 1777/2010). Cet arrêt fut notifié aux requérants le 12 janvier 2011.

    2.  Requête no 19978/12

    15.  Le 14 février 2001, le devancier de la requérante saisit la Comptabilité générale de l’État d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite.

    16.  Le 20 mars 2001, la Comptabilité générale de l’État rejeta sa demande.

    17.  Le 18 juillet 2001, le devancier de la requérante saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale.

    18.  Le 20 septembre 2003, la Cour des comptes donna gain de cause au devancier de la requérante (arrêt no 1538/2003).

    19.  Le 16 décembre 2004, l’État se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1538/2003.

    20.  Le 7 mars 2007, la Cour des Comptes dans un arrêt avant dire droit reporta l’examen de l’affaire (arrêt no 366/2007).

    21.  Le 21 mai 2009, le devancier de la requérante décéda. Le 4 mai 2011, lors de l’audience à la formation plénière de la Cour des comptes, cette dernière, ainsi que son fils, lui succédèrent dans la procédure.

    22.  Le 22 juin 2011, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1690/2011). Cet arrêt fut notifié à la requérante le 17 novembre 2011.

    C.  Le droit interne pertinent

    La loi no 4239/2014

    23.  La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. La loi précitée introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant la Cour des comptes. L’article 3 § 1 dispose:

     « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

    24.  Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et au problème de fond qu’elles posent, la Cour estime nécessaire de les joindre et décide de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    25.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    26.  Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas participé aux procédures devant la Cour des comptes. Par conséquent, ils ne peuvent être considérés comme victimes d’une violation de la Convention.

    27.  La Cour note que, comme il ressort des arrêts nos 1777/2010 et 1690/2011 de la formation plénière de la Cour des comptes, les requérants ont succédés à leurs devanciers dans les procédures engagées par ces derniers. Elle rappelle que lorsque le requérant se constitue partie au litige en tant qu’héritier, il peut se plaindre de toute la durée de la procédure (voir, Sadik Amet et autres c. Grèce, no 64756/01, § 18, 3 février 2005). Il s’ensuit que les requérants peuvent se prétendre victimes d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et que l’exception soulevée sur ce point par le Gouvernement doit être rejetée.

    28.  La Cour constate, en outre, que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celles-ci ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Périodes à prendre en considération

    29.  Les périodes à considérer ont débuté les 5 décembre et 18 juillet 2001, avec la saisine de la Cour des comptes par les devanciers des requérants et se sont terminées les 30 juin 2010 et 22 juin 2011, dates auxquelles les arrêts nos 1777/2010 et 1690/2011 de la formation plénière de la Cour des comptes ont été publiés, respectivement. Elles ont donc duré, respectivement, huit ans et sept mois et dix ans environ, pour deux degrés de juridiction.

    2.  Durée raisonnable des procédures

    30.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Glentzes c. Grèce, no 28627/08, 13 janvier 2011).

    31.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Glentzes précité). Elle note que les affaires ne présentaient aucune complexité et ne relève aucun élément de nature à mettre en cause la responsabilité des parties demanderesses dans l’allongement des procédures. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle considère qu’en l’espèce la durée des procédures litigieuses a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

    32.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

    33.  Les requérants se plaignent également du fait qu’en Grèce il n’existe aucun recours effectif pour se plaindre de la durée excessive des procédures en cause. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

    A.  Sur la recevabilité

    34.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    35.  La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).

    36.  Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003; Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, §§ 37-43, 22 juillet 2010, et Glentzes, précité, §§ 21-22).

    37.  La Cour note que le 19 février 2014 a été publiée la loi no 4239/2014, portant sur la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant les juridictions pénales, civiles et devant la Cour des comptes, qui est entrée en vigueur le 20 février 2014. En vertu de la loi précitée, un nouveau recours a été établi permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure devant la Cour des comptes dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative (voir paragraphe 24 ci-dessus). La Cour observe cependant que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires déjà terminées six mois avant son entrée en vigueur.

    38.  En l’espèce, les arrêts nos 1777/2010 et 1690/2011 de la formation plénière de la Cour des comptes ont été publiés les 30 juin 2010 et 22 juin 2011 respectivement, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi n4239/2014. Partant, les requérantes ne pouvaient pas exercer ledit recours. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis aux requérants d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

     

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    40.  Au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, les requérants de la requête no 44795/11 réclament, chacun, 10 000 euros (EUR) et la requérante de la requête no 19978/12 demande 15 000 EUR.

    41.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il invite la Cour à écarter les demandes au titre du dommage moral et affirme qu’en tout cas, un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante au titre du préjudice moral.

    42.  La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer 5 200 EUR conjointement aux requérants dans la requête no 44795/11 et 6 500 EUR1 à la requérante dans la requête no 19978/12 au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt.

    B.  Frais et dépens

    43.  Chaque requérant demande également 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes, ainsi que 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Les requérants ne produisent pas des copies des factures y relatives.

    44.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter les demandes au titre de frais et dépens.

    45.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et les frais et dépens sollicités devant les juridictions internes et rejette cette demande. En ce qui concerne les frais exposés pour les besoins de la représentation des requérants devant elle, compte tenu de l’absence de tout justificatif valable de la part des requérants et de sa jurisprudence en la matière, la Cour rejette la demande à ce titre.

    C.  Intérêts moratoires

    46.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les requêtes et de les examiner conjointement dans un seul arrêt ;

     

    2.  Déclare les requêtes recevables ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, 5 200 EUR (cinq mille deux cents euros) conjointement aux requérants dans la requête no 44795/11 et 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) à la requérante dans la requête no 19978/12, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                        Mirjana Lazarova Trajkovska
      Greffier adjoint                                                                       
    Présidente

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Annexe

     

    No

    No de requête

    Date d’introduction

    Nom du requérant

    Date de naissance

    Lieu de résidence

    1.         

    44795/11

    08/07/2011

     

    Eleni DIPLA

    1930

    Athènes

     

    Athinodoros DIPLAS

    1963

    Athènes

     

    2.         

    19978/12

    30/03/2012

     

    Stella Anna POTOUPNI

    22/01/1939

    Thessalonique

     

     

     


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