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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DRAGHICI v. PORTUGAL - 43620/10 - Committee Judgment (French Text) [2014] ECHR 640 (19 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/640.html
Cite as: [2014] ECHR 640

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE DRAGHICI c. PORTUGAL

     

    (Requête no 43620/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    19 juin 2014

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Draghici c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

              Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
    et d’André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mai 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43620/10) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant roumain, M. Costel Draghici (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Graça de Carvalho, procureur général adjoint. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le Gouvernement roumain n’a pas répondu.

    3.  Le 18 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    A.  La présente requête

    4.  Le requérant est né en 1970 et réside à Constanta (Roumanie).

    5.  Le requérant faisait partie de l’équipage d’un cargo, battant pavillon panaméen, dénommé Luna del Mar, lequel quitta Trinidad et Tobago, le 27 décembre 2005, en destination de la Roumanie.

    6.  Le 4 février 2006, à 18 heures 20, le cargo fut intercepté à 145 milles maritimes d’Aveiro (Portugal) par des forces de la Marine de guerre et de la police portugaises.

    7.  Le jour suivant, vers 1 heure du matin, après autorisation des autorités panaméennes, la police judiciaire portugaise perquisitionna le bateau. Ils trouvèrent sur les lieux une cargaison de plus de deux tonnes de produits stupéfiants.

    8.  Le 6 février 2006, le cargo fut reconduit sur le port de Lisbonne.

    9.  Le 7 février 2006, présenté devant un juge d’instruction, le requérant et les seize autres membres de l’équipage furent placés en détention préventive. Différents objets furent saisis, entre autres, un ordinateur portable, une imprimante, un appareil photo et quatre téléphones portables appartenant au requérant.

    10.  Le 9 septembre 2006, le requérant fut mis en examen pour trafic de stupéfiants.

    11.  Le 10 avril 2007, il fut condamné par le tribunal de Lisbonne à dix ans de prison pour trafic de stupéfiants, avec une peine accessoire d’expulsion et une interdiction du territoire pendant une période de dix ans. Le tribunal ordonna en outre que les objets retenus soient rendus à leurs propriétaires lorsque le jugement deviendrait définitif.

    12.  Le 27 avril 2007, le requérant saisit le tribunal de Lisbonne d’une demande réclamant la restitution de ses biens.

    13.  Saisie en appel par le requérant, par un arrêt du 3 octobre 2007, la cour d’appel de Lisbonne ramena sa peine à huit ans de prison.

    14.  Le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême. Par un arrêt du 7 mars 2008, porté à la connaissance du requérant le 23 avril 2008, celle-ci déclara le recours irrecevable en application de l’article 400 § 1 f) du code de procédure pénale.

    15.  Par une ordonnance du 3 juin 2009, le tribunal de Lisbonne ordonna à nouveau la restitution des biens réclamés au requérant.

    16.  Le 5 février 2010, le tribunal d’exécution des peines de Coimbra ordonna la libération du requérant et son expulsion vers la Roumanie.

    17.  Le 17 février 2010, le requérant fut libéré et expulsé vers la Roumanie.

    18.  Le 14 septembre 2012, les objets saisis furent livrés au domicile du requérant en Roumanie.

    B.  La requête no 53007/08 devant la Cour

    19.  Le 27 octobre 2008, le requérant avait saisi la Cour d’une requête (n53007/08) en se plaignant de mauvais traitements au moment de son arrestation, de l’illégalité de sa détention, de l’iniquité de la procédure pénale et du fait de ne pas avoir pu se pourvoir en cassation devant la Cour suprême, invoquant les articles 3, 5, 6 et 14 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 7.

    20.  Par une décision du 12 janvier 2010, la Cour déclara la requête irrecevable pour tardiveté.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    21.  L’article 178 du code de procédure pénale dispose dans ses parties pertinentes :

    « 1. Les objets ayant servi ou ayant été destinés à commettre un crime, ceux qui constituent son produit, bénéfice, prix ou récompense, ainsi que tous les objets laissés sur le lieu du crime ou tous ceux pouvant servir de preuve sont saisis.

    (...) »

    22.  Selon l’article 400 § 1 f) du code de procédure pénale, l’appel est irrecevable :

    « f) S’agissant d’un arrêt condamnatoire prononcé par une cour d’appel confirmant la peine du tribunal de première instance et appliquant une peine inférieure à huit ans de prison. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    23.  Le requérant se plaint de la non-restitution de ses biens en dépit du jugement du tribunal de Lisbonne du 10 avril 2007. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    24.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    25.  Le Gouvernement invite la Cour à déclarer le grief irrecevable étant donné que les objets ont été rendus au requérant le 14 septembre 2012.

    26.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation au sens de l’article 34 de la Convention, il faut, non seulement, qu’il ait la qualité de victime au moment de l’introduction de la requête, mais que celle-ci subsiste au cours de la procédure devant la Cour (Stoicescu c. Roumanie (révision), no 31551/96, § 55, 21 septembre 2004 et Sediri c. France (déc.), no 44310/05, 10 avril 2007).

    27.  La Cour rappelle aussi qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne peut en principe lui ôter la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 6, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Dalban c. Roumanie [GC], n28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 67, 2 novembre 2010).

    28.  En l’espèce, le requérant a retrouvé ses biens. Toutefois, ils n’ont été rendus que le 14 septembre 2012, alors que la procédure pénale était clôturée depuis le 7 mars 2008 (voir ci-dessus paragraphe 14). En outre, les autorités nationales n’ont pas reconnu, de façon explicite ou en substance, une violation des droits reconnus au requérant dans la Convention. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant peut toujours se prétendre victime d’une violation des droits protégés par la Convention. Dès lors, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

    29.  En outre, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    30.  Le requérant se plaint de ne pas avoir récupéré les biens saisis au moment de la perquisition, alors que le tribunal de Lisbonne avait ordonné, dans son jugement du 10 avril 2007, qu’ils soient restitués lorsque le jugement deviendrait définitif.

    31.  Le Gouvernement allègue que la saisie et la rétention des biens étaient prévues par la loi et justifiées, eu égard aux exigences de la procédure pénale.

    32.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. En particulier, le second paragraphe de l’article 1, s’il reconnaît que les États ont le droit de réglementer l’usage des biens, soumet ce droit à la condition qu’il soit exercé au travers de la mise en vigueur de « lois ». Le principe de légalité présuppose également que les dispositions applicables du droit interne soient suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Baklanov c. Russie, n68443/01, §§ 39-40, 9 juin 2005).

    33.  La Cour admet que la rétention de preuves matérielles puisse être nécessaire dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, qui constitue un « but légitime » relevant de « l’intérêt général » de la communauté. Toutefois, elle observe qu’il doit aussi y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures éventuellement appliquées par l’État, y compris celles destinées à contrôler l’usage de la propriété individuelle. Cette exigence s’exprime dans la notion de « juste équilibre » à ménager entre les impératifs de l’intérêt général de la communauté d’une part et les exigences de la protection des droits fondamentaux de l’individu d’autre part (Smirnov c. Russie, no 71362/01, § 54, 7 juin 2007, Borjonov c. Russie, no 18274/04, § 57, 22 janvier 2009).

    34.  En l’espèce, la Cour constate que la saisie des biens du requérant avait été ordonnée conformément à l’article 178 § 1 du code de procédure pénale, cette mesure cherchait, non pas à le priver de ses biens, mais seulement à l’empêcher de les utiliser de façon temporaire dans l’attente de l’issue de la procédure pénale. La saisie poursuivait donc un intérêt général, à savoir la bonne administration de la justice.

    35.  La Cour observe ensuite que, dans son jugement du 10 avril 2007, le tribunal de Lisbonne avait dicté la restitution des biens saisis à leurs propriétaires au moment où le jugement deviendrait définitif. Or, ce n’est que le 14 septembre 2012 que le requérant a été mis en possession de ses biens, soit plus de quatre ans après la clôture de la procédure pénale et plus de deux ans après son expulsion vers la Roumanie. Le Gouvernement n’a fourni aucune explication à cet égard.

    36.  La Cour ne parvient pas discerner la moindre raison justifiant la poursuite de la rétention des biens après la clôture de la procédure pénale.

    37.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que autorités portugaises n’ont pas ménagé un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et les exigences de la protection du droit du requérant au respect de ses biens. Il y a donc eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    38.  Sous l’angle de l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de mauvais traitements et du manque de soins médicaux appropriés en prison. Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant affirme avoir été détenu illégalement entre le 14 et le 17 février 2010. Sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, il allègue que pendant 14 mois de détention, il n’a été présenté qu’une seule fois devant un juge. La Cour note cependant que le requérant n’a pas soumis ces griefs devant les juridictions internes, il n’a donc pas épuisé les voies de recours internes comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Ces griefs doivent donc être rejetés en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

    39.  Sous l’angle de l’article 6 de la Convention, le requérant dénonce l’iniquité de la procédure et le fait d’avoir été privé d’un degré de juridiction en raison de la non-admission de son pourvoi en cassation. La Cour note que le 27 octobre 2008, le requérant avait introduit la requête n53007/08 en se plaignant du défaut d’équité de la procédure et ne pas avoir pu se pourvoir en cassation devant la Cour suprême. Le 12 janvier 2010, la Cour avait rejeté la requête comme étant tardive. En l’espèce, la Cour observe que, le requérant n’a soumis aucun élément nouveau concernant les griefs tirés de l’article 6 de la Convention. Or, aux termes de l’article 35 § 2 b) de la Convention, la Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque celle-ci est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par elle et si celle-ci ne contient pas de faits nouveaux. La Cour estime donc que ces griefs doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 2 b) et 4 de la Convention parce qu’ils sont essentiellement les mêmes que ceux ayant déjà fait l’objet d’une décision dans le cadre de la requête susmentionnée.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    41.  Le requérant réclame 3 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi en raison de la rétention illégale de ses biens.

    42.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

    43.  La Cour constate que le requérant n’a pas étayé sa prétention concernant le dommage matériel allégué en soumettant des documents à l’appui et rejette dès lors cette demande. En revanche, elle estime qu’il a subi un tort moral certain en raison de la restitution tardive de ses biens. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    44.  Le requérant n’a présenté aucune demande pour les frais et dépens. Partant, il n’y a pas lieu d’octroyer de somme à ce titre.

    C.  Intérêts moratoires

    45.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois,  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                         Mirjana Lazarova Trajkovska
      Greffier adjoint                                                                       
    Présidente


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