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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROSIIANU v. ROMANIA - 27329/06 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 648 (24 June 2014) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/648.html Cite as: [2014] ECHR 648 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ROŞIIANU c. ROUMANIE
(Requête no 27329/06)
ARRÊT
STRASBOURG
24 juin 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Roşiianu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall,
président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juin 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27329/06) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ioan Romeo Roşiianu (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juillet 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me D. Hătneanu, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier que le refus du maire de Baia Mare de mettre à exécution des décisions définitives de justice lui ordonnant de communiquer au requérant des informations à caractère public s’analyse en une ingérence dans sa liberté d’expression qui, d’une part, ne poursuit aucun but légitime et, d’autre part, qui n’est pas nécessaire dans une société démocratique et en une méconnaissance de son droit à un tribunal. Il invoque les articles 6 et 10 de la Convention.
4. Le 26 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1969 et réside à Baia Mare.
6. À l’époque des faits, le requérant était depuis six ans le présentateur d’une émission de télévision diffusée sur une chaîne locale à Baia Mare portant, entre autres, sur la question de l’utilisation des fonds publics par la mairie. En janvier 2005, l’émission du requérant fut arrêtée et celui-ci licencié. Son émission fut remplacée immédiatement par une autre émission financée par la mairie, portant sur les activités de cette autorité publique.
7. Aux fins de l’exercice de sa profession, le requérant fit des démarches auprès du maire de la ville de Baia Mare pour obtenir la communication de plusieurs informations à caractère public. Ses demandes étaient fondées sur les dispositions de la loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public (ci-après « loi no 544/2001 »).
8. Ainsi, le 8 février 2005, le requérant demanda au maire de Baia Mare de lui communiquer une série d’informations à caractère public concernant les déplacements sur le territoire national et à l’étranger des fonctionnaires de la mairie, les contrats de publicité souscrits par la mairie, les frais occasionnés par l’organisation de diverses fêtes publiques et leur mode d’organisation, les frais liés à la maintenance des véhicules de la mairie et les communications téléphoniques ainsi que la participation du maire aux conseils d’administration ou aux assemblées générales des actionnaires de différentes sociétés commerciales. Les informations concernant les contrats de publicité et les communications téléphoniques étaient demandées pour les périodes pré et post-électorales.
9. Le 28 février 2005, le requérant formula une nouvelle demande d’informations à caractère public auprès du maire de Baia Mare concernant principalement les échanges de terrains et d’espaces commerciaux réalisés par la mairie, les exonérations de dettes de sociétés commerciales à capital privé, les investissements réalisés par la mairie et la gestion des biens lui appartenant ainsi que des informations concernant l’affiliation des fonctionnaires de la mairie à des partis politiques. Cette demande concernait les informations couvrant la période commençant lors du premier mandat du maire.
10. Le 9 mai 2005, le requérant formula une troisième demande d’informations à caractère public auprès du maire de Baia Mare. Elle concernait principalement les rémunérations versées au maire en sa qualité de membre du conseil d’administration de sociétés commerciales et de régies autonomes subordonnées à la mairie, les différentes primes versées aux fonctionnaires de la mairie, les sociétés commerciales à capital privé s’étant vu attribuer des contrats publics, l’organisation des marchés publics, les dettes de la mairie, les fonds non remboursables dont elle avait bénéficié ainsi que les sommes attribuées par la mairie pour l’entretien des routes, la salubrité, le déneigement et pour d’autres activités similaires.
11. Le maire répondit au requérant par des lettres des 17 mars, 11 avril et 16 juin 2005. Dans ces lettres, le maire répondit de manière laconique en renvoyant à de nombreuses annexes.
12. Estimant que les lettres susmentionnées ne contenaient pas des réponses adéquates à ses demandes d’information, le requérant saisit le tribunal administratif de trois actions séparées tendant à la condamnation du maire à lui communiquer lesdites informations et au versement des dommages-intérêts.
13. Au cours des procédures, le maire soutint qu’il avait répondu aux demandes d’informations du requérant et insista sur la complexité des informations sollicitées et le travail important requis de la part de la mairie pour y répondre dans un délai pertinent.
14. Par trois décisions définitives distinctes des 14 septembre 2005, 2 mars 2006 et 20 mars 2006, la cour d’appel de Cluj accueillit les actions du requérant et condamna le maire à lui communiquer la grande majorité des informations demandées. Pour ce faire, la cour d’appel nota qu’en vertu de l’article 10 de la Convention et de la loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public, le requérant avait le droit d’obtenir lesdites informations qu’il entendait utiliser dans l’exercice de son activité de journaliste. Or, les lettres envoyées par le maire ne constituaient pas des réponses adéquates à ces demandes.
15. Par les décisions des 14 septembre 2005 et 2 mars 2006, la cour d’appel de Cluj condamna également le maire à verser au requérant 1 000 lei (RON) (environ 276 euros (EUR)) et 1 500 RON (environ 426 EUR) respectivement, à titre de préjudice moral. Pour ce faire, elle nota que le requérant avait été entravé dans ses activités de recherche du fonctionnement d’une autorité publique et d’information des citoyens à cet égard. Par la méconnaissance de son droit au libre accès à des informations à caractère public, le requérant avait été dans l’impossibilité d’exercer sa profession de journaliste selon ses propres critères. Enfin, le fait qu’il avait été contraint de s’adresser à la justice afin de faire valoir son droit, la frustration et la conscience de son impuissance face à cette situation attestaient de la souffrance subie par celui-ci. Dans sa décision du 14 septembre 2005, la cour d’appel de Cluj nota en particulier que le refus du maire de lui fournir les informations sollicitées équivalait à la mise à néant du droit de recevoir et de communiquer des informations, droit garanti par l’article 10 de la Convention.
16. Par la décision du 20 mars 2006, la cour d’appel de Cluj refusa en revanche d’accorder un dommage moral. Pour cela, elle prit en compte le volume important des informations sollicitées par le requérant qui exigeaient une réponse détaillée de la part du maire.
17. Le requérant demanda l’exécution forcée des décisions pour ce qui était du dommage moral, mais le maire refusa d’obtempérer. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que le conseil municipal envoya à l’huissier de justice les sommes couvrant le dommage moral.
18. S’agissant de la première décision
définitive du 14 septembre 2005, le requérant saisit les tribunaux
nationaux d’une action visant à la condamnation du maire à exécuter ladite
décision dans sa partie concernant la communication des informations et le
paiement d’une amende civile. Par une décision définitive du 26 avril 2006, le
tribunal départemental de Maramureş accueillit l’action du requérant et
condamna le maire à exécuter la décision définitive du 14 septembre 2005 et à
verser une amende civile de 2 816 RON (environ 800 EUR). Le tribunal
constata que le 12 décembre 2005, le maire avait invité le requérant
à retirer des photocopies de plusieurs documents totalisant 402 pages, après
paiement des taxes, conformément aux dispositions légales (paragraphe 25
ci-dessous), mais qu’il s’agissait en réalité de documents disparates contenant
des informations susceptibles d’interprétations diverses, ce qui ne pouvait en
aucun cas s’analyser comme une exécution de la décision susmentionnée.
19. Le 28 novembre 2005, le requérant déposa également une plainte pénale contre le maire du chef d’abus d’autorité contre les particuliers au motif que celui-ci avait refusé de lui communiquer les informations sollicitées. Il compléta sa plainte ultérieurement du chef de détournement de fonds et abus d’autorité contre l’intérêt public au motif que la somme de 1 000 RON (environ 276 EUR) due à titre du dommage moral lui avait été versée par le conseil municipal et non par le maire.
20. Les 8 et 16 décembre 2005, 17 et 21 mars et 9 juin 2006, le maire envoya des lettres au requérant l’invitant à retirer auprès de la mairie, après le paiement des frais des photocopies, différents documents totalisant plusieurs milliers de pages, en réponse à chacune de ses trois demandes d’information. Ces lettres sont produites au dossier de la présente requête par le Gouvernement, mais sans les documents auxquels elles renvoient. Le contenu de ces documents n’est pas non plus précisé.
21. Le 28 mars 2006, le procureur ouvrit des poursuites pénales contre le maire du chef d’abus d’autorité contre les particuliers. Néanmoins, par une décision du 18 août 2006, le parquet clôtura la procédure pénale et condamna le maire au paiement d’une amende administrative de 800 RON (environ 227 EUR). Il estima que le maire avait méconnu ses obligations, en ne répondant que le 9 juin 2006 à la demande du requérant auquel il avait envoyé une lettre avec plusieurs annexes. Toutefois, le retard s’expliquait par la complexité des informations sollicitées par le requérant qui impliquaient une charge de travail importante pour les fonctionnaires de la mairie. Cette décision fut confirmée, sur recours du requérant, par le procureur en chef du parquet, le 25 septembre 2006.
22. Le 7 février 2007, un huissier de justice somma, à la demande du requérant, le maire de Baia Mare d’exécuter la décision de la cour d’appel du 2 mars 2006, dans sa partie concernant la transmission d’informations à caractère public, mais en vain.
23. D’après les informations fournies par le requérant, les décisions définitives de la cour d’appel de Cluj sont demeurées inexécutées, malgré ses nombreuses démarches.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
24. L’article pertinent de la Constitution de la Roumanie est ainsi libellé :
Article 31
Le droit à l’information
« (1) Le droit de la personne d’avoir accès à toute information à caractère public ne peut être limité.
(2) Les autorités publiques, conformément aux compétences qui leur incombent, sont tenues d’assurer l’information correcte des citoyens au sujet des affaires publiques et des affaires à caractère personnel.
(3) Le droit à l’information ne doit pas porter préjudice aux mesures de protection des jeunes gens ou à la sécurité nationale.
(4) Les media, publics et privés, sont tenus d’assurer l’information correcte de l’opinion publique.
(5) Les services publics de la radio et de la télévision sont autonomes. Ils doivent garantir aux groupes sociaux et politiques importants l’exercice du droit à l’antenne. L’organisation desdits services et le contrôle parlementaire de leur activité sont réglementés par une loi organique. »
B. La loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public
25. L’information à caractère public est définie par la loi, notamment comme toute information concernant les activités ou résultant des activités d’une autorité publique (article 2). La loi prévoit le droit de toute personne de demander et d’obtenir auprès des autorités publiques le libre accès aux informations à caractère public (article 6). L’autorité publique doit répondre à une demande dans un délai de dix jours, sauf pour les demandes complexes pour lesquelles le délai est de trente jours (article 7). Si la communication d’informations requiert la transmission de photocopies de documents, les frais de reproduction incombent à la personne sollicitant les informations (article 9). Les personnes qui effectuent des études ou des recherches à titre personnel ou à titre professionnel, ont libre accès à la documentation des autorités publiques, sur simple demande (article 11).
C. La pratique des juridictions nationales
26. Les tribunaux internes ont estimé que le délai de trente jours prévu par la loi pour répondre à une demande d’information est impératif et que les autorités publiques sont censées organiser leurs services de manière à ce que ce délai soit respecté, indifféremment du volume des informations sollicitées (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 76 du 3 février 2003). Les tribunaux ont également estimé que les autorités publiques ne peuvent pas soumettre l’accès aux informations à caractère public à la condition de l’existence de rapports d’activité annuels centralisant les différentes données statistiques (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 203 du 9 février 2006). Il appartient aux autorités publiques de traiter et de conserver l’information de manière adéquate et dans un délai raisonnable dans leurs bases de données de sorte qu’elle soit accessible aux intéressés (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 2389 du 15 novembre 2010). La publicité d’une certaine information sur le site internet d’une autorité (cour d’appel de Bucarest, arrêt no 203 du 9 février 2006 ; cour d’appel de Timişoara, arrêt no 319 du 4 mars 2009) ou le versement d’un document contenant une certaine information dans le cadre d’une procédure judiciaire parallèle (cour d’appel de Ploieşti, arrêt no 232 du 11 février 2009) n’exonère pas une autorité publique de l’obligation de communiquer cette même information à la personne intéressée.
EN DROIT
I. OBSERVATION PRĖLIMINAIRE
27. Dans la présente affaire, le requérant dénonce l’inexécution de trois décisions de justice définitives ordonnant au maire de Baia Mare de lui communiquer des informations à caractère public. Il estime que cette situation constitue à la fois une méconnaissance de son droit à un tribunal et en une ingérence dans sa liberté d’expression. Il invoque les articles 6 et 10 de la Convention à l’appui de ses griefs.
28. Le Gouvernement estime que l’essentiel de la présente affaire concerne la méconnaissance alléguée du droit du requérant à la réception des informations, droit que celui-ci a entendu faire protéger par les tribunaux nationaux et que ces derniers ont expressément cité dans leurs décisions. En conséquence, il considère que les allégations du requérant devraient être examinées uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention qui garantit le droit à la liberté d’expression.
29. Invoquant l’affaire Kenedi c. Hongrie (no 31475/05, arrêt du 26 mai 2009), concernant la non-exécution d’une décision de justice ordonnant à une autorité publique de donner accès au requérant, historien, à des informations pour ses recherches, le requérant estime que ses griefs tirés des articles 6 et 10 de la Convention devraient être examinés séparément.
30. La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, les griefs du requérant doivent faire l’objet d’un examen sous l’angle à la fois de l’article 6 et de l’article 10 de la Convention. En effet, s’il est vrai qu’en l’espèce l’exécution des décisions définitives est essentielle pour la protection de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, la question préalable qui doit être examinée, à savoir celle du droit du requérant à un accès à un tribunal, relève de l’article 6 de la Convention. Ce grief diffère donc par nature de celui présenté en vertu de l’article 10 et doit être considéré séparément (voir, pour une situation similaire, Kenedi précité, §§ 35-45).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
31. Le requérant se plaint de l’inexécution des trois décisions de justice définitives ordonnant au maire de Baia Mare de lui communiquer des informations à caractère public, cela en méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
32. Le Gouvernement excipe en premier lieu d’une incompatibilité ratione materiae du grief. Renvoyant en particulier à l’affaire Geraguyn Khorhurd Patgamavorakan Akumb c. Armenie ((dec.), no 11721/04, 14 avril 2009), il soutient que le requérant avait sollicité des informations électorales dans le contexte des élections locales de 2004, informations auxquelles l’accès était garanti par la législation électorale. Dans ces conditions, aux yeux du Gouvernement, le requérant entendait exercer une fonction publique visant à la publicité des élections et à l’information des citoyens sur les activités des élus pendant leurs mandats. En conséquence, l’issue des procédures judiciaires n’était pas déterminante pour un quelconque droit de nature privé, mais pour l’exercice de sa fonction publique de « chien de garde » des réalités publiques.
33. Le requérant soutient que les décisions de justice dont il a demandé l’exécution portaient sur l’accès aux informations, qui selon la jurisprudence de la Cour (Kenedi précité, §§ 33-34 ; Shapovalov c. Ukraine, no 45835/05, §§ 48-49, 31 juillet 2012, et, mutatis mutandis, Youth Initiative for Human Rights c. Serbie, no 48135/06, § 20, 25 juin 2013) constitue un droit civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il souligne qu’il a sollicité les informations litigieuses dans le but d’exercer sa profession de journaliste et d’informer le public sur les activités de la mairie de Baia Mare. Son droit d’accès à ces informations était garanti par le droit national et reconnu par les juridictions roumaines.
34. La Cour note que, dans la présente affaire, le requérant est un journaliste qui a demandé l’accès à des informations publiques dans le but d’exercer sa profession et d’informer le public sur les activités de la mairie de Baia Mare. Dans ces conditions, les procédures engagées devant les tribunaux nationaux étaient donc déterminantes pour ses intérêts privés et professionnels découlant de son droit à la liberté d’expression. Non seulement l’accès du requérant à de telles informations était garanti par la loi no 544/2001 relative au libre accès aux informations à caractère public, mais il a été de surcroît reconnu par les juridictions nationales. Le fait que deux de ses questions (paragraphe 8 in fine ci-dessus) concernaient des périodes pré et post-électorales, ne saurait exclure l’intérêt privé et professionnel du requérant pour les informations en cause (Shapovalov précité, § 49).
35. Dans ces conditions, la Cour considère que le droit d’accès du requérant à certaines informations faisait bien partie en l’espèce du droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention, qui est un « droit civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il convient dès lors de rejeter l’exception d’irrecevabilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.
36. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
37. Le requérant soutient qu’en dépit de ses nombreuses démarches, le maire de Baia Mare n’a pas exécuté les décisions de justice lui enjoignant de communiquer certaines informations à caractère public. Il souligne d’abord que les documents mis à sa disposition par le maire ne représentent pas une exécution desdites décisions. Il insiste à cet égard sur la différence entre l’accès aux documents et l’accès à l’information. Il met en exergue ainsi la différence entre, d’une part, les informations sollicitées que le maire seul pouvait produire et, d’autre part, les milliers des pages de documents pour lesquels il devait acquitter les frais de reproduction et auxquels il aurait pu avoir accès sur la base de la même loi no 544/2001.
Il allègue de surcroît qu’il n’est pas opportun de demander à un individu, qui a obtenu une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire, d’engager par la suite une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction ; c’est à l’autorité en question qu’il appartient de jouer un rôle actif dans la mise à exécution de la créance. Le volume important de travail qu’exigerait l’exécution des décisions de justice, qui n’a été d’ailleurs invoqué par le maire qu’après l’adoption des décisions susmentionnées, ne saurait, à ses yeux, constituer un motif pour refuser l’accès à des informations à caractère public. D’ailleurs ce motif ne figure pas parmi ceux mentionnés dans la Constitution ou dans la loi no 544/2001. Enfin, le requérant estime que son grief est similaire à celui que la Cour a examiné dans l’affaire Kenedi, précitée.
38. Le Gouvernement soutient que les décisions litigieuses ont été exécutées.
2. Appréciation de la Cour
39. La Cour rappelle que l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. Le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V).
40. Dans la présente affaire, le requérant a obtenu trois décisions judiciaires définitives prescrivant au maire de Baia Mare de lui communiquer certaines informations à caractère public.
41. Les parties divergent quant au point de savoir si ces décisions ont été exécutées ou non. Le Gouvernement soutient que le maire a informé le requérant qu’il pouvait retirer plusieurs documents contre le paiement des taxes correspondant aux frais de reproduction. Il renvoie à cet effet aux lettres des 8 et 16 décembre 2005, 17 et 21 mars et 9 juin 2006 (paragraphe 20 ci-dessus). Le requérant, pour sa part, expose que les décisions en question sont restées inexécutées à ce jour. Il souligne d’abord que les documents mis à sa disposition par le maire ne représentent pas une exécution desdites décisions. Il insiste à cet égard sur la différence entre l’accès aux documents et l’accès à l’information. Il met en exergue ainsi la différence entre, d’une part, les informations sollicitées que le maire seul pouvait produire et, d’autre part, les milliers de pages de documents pour lesquels il devait acquitter les frais de reproduction et auxquels il aurait pu avoir accès de toute manière sur la base de la même loi no 544/2001.
42. La Cour note que les tribunaux internes ont conclu que l’invitation adressée au requérant afin de retirer des photocopies de plusieurs documents disparates contenant des informations susceptibles d’interprétations diverses, ne pouvait en aucun cas s’analyser comme une exécution d’une décision judiciaire ordonnant la communication d’information à caractère public (paragraphe 18 ci-dessus). Il apparaît en outre que cette approche s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence interne (paragraphe 26 ci-dessus).
43. Dans ces conditions, la Cour estime que les lettres susmentionnées ne satisfaisaient pas à une exécution adéquate des décisions judiciaires. Qui plus est, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si les documents auxquels ces lettres renvoient contiennent les informations sollicitées par le requérant, faute pour le Gouvernement d’avoir versé lesdits documents au dossier de la présente requête ou d’en envoyer un résumé.
44. La Cour admet que le droit d’accès à un tribunal ne peut obliger un État à faire exécuter chaque jugement de caractère civil quel qu’il soit et quelles que soient les circonstances (Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Cependant, elle note que l’autorité en cause dans la présente affaire fait partie de l’administration municipale, qui constitue un élément de l’État de droit, son intérêt s’identifiant avec celui d’une bonne administration de la justice. Or, si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1997-II).
45. De plus, il n’est pas opportun de demander à un individu, qui a obtenu une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire, de devoir par la suite engager une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004). Néanmoins, en l’espèce, le requérant a exercé plusieurs démarches en vue de l’exécution des décisions judiciaires, en demandant l’infliction d’une amende au maire, en déposant une plainte pénale et en demandant même l’exécution forcée d’une des décisions auprès d’un huissier de justice.
De plus, la Cour observe que les motifs que l’administration aurait pu invoquer afin de justifier une impossibilité objective d’exécution n’ont jamais été portés à la connaissance du requérant par le biais d’une décision administrative formelle (Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, § 72, 2 mars 2004).
46. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans la présente affaire, en refusant d’exécuter les décisions judiciaires définitives ordonnant la communication d’informations à caractère public au requérant, les autorités nationales l’ont privé d’un accès effectif à un tribunal.
47. Par conséquent, il y a lieu de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
48. Le requérant soutient que l’inexécution des trois décisions de justice définitives ordonnant au maire de Baia Mare de lui communiquer des informations à caractère public constitue de surcroît une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
1. Sur la qualité de victime et l’application de l’article 37 §§ 1 b) et c) de la Convention
49. Le Gouvernement soutient en premier lieu que le requérant ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article 10 de la Convention et que la requête doit être rayée du rôle de la Cour au motif que le litige a été résolu et qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête pour tout autre motif. Il invoque à l’appui les articles 34 et 37 § 1 b) et c) de la Convention. À cet effet, le Gouvernement souligne que les tribunaux nationaux, dans leurs décisions définitives des 14 septembre 2005 et 2 et 20 mars 2006, ont reconnu la violation des droits garantis par l’article 10 de la Convention et ont, en outre, accordé au requérant une réparation adéquate et suffisante consistant dans l’injonction faite au maire de lui communiquer les informations sollicitées et dans un dédommagement moral ainsi que dans l’amende infligée au maire. De plus, après l’adoption de ces décisions de justice, le maire a informé le requérant qu’il pouvait retirer les informations en question contre le paiement des taxes correspondant aux frais de reproduction.
50. Le requérant estime qu’il est toujours victime d’une violation de l’article 10 de la Convention, étant donné que les décisions de justice mentionnées par le Gouvernement sont restées inexécutées à ce jour. Il expose également que le dédommagement moral ne constitue qu’une réparation complémentaire par rapport à l’injonction de communiquer les informations sollicitées et qu’en tout état de cause, il n’a été accordé que dans deux des trois procédures engagées. En outre, l’amende infligée au maire n’était pas une réparation à son égard, mais une somme versée à l’État.
Enfin, le requérant soutient que, eu égard à sa profession et aux contraintes temporelles du travail journalistique, seule une communication rapide des informations mentionnées par les trois décisions de justice définitives aurait constitué une véritable exécution de celles-ci.
51. S’agissant de la qualité de victime du requérant, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, par « victime » l’article 34 désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice et que, pour qu’un requérant puisse se prétendre victime d’une violation, il faut, non seulement, qu’il ait la qualité de victime au moment de l’introduction de la requête, mais que celle-ci subsiste au cours de la procédure devant la Cour (Stoicescu c. Roumanie (révision), no 31551/96, § 55, 21 septembre 2004).
52. La Cour rappelle également qu’aux termes de l’article 37 §§ 1 b) et c) de la Convention, elle peut, « [à] tout moment de la procédure, (...) décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure (...) b) que le litige a été résolu (...) et c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête ». Pour pouvoir conclure à l’applicabilité dans le cas d’espèce de la disposition précitée, la Cour doit répondre à deux questions successives : d’abord celle de savoir si les faits dont l’intéressé se plaint persistent ou non, et ensuite celle de savoir si les conséquences ayant pu résulter d’une violation de la Convention à raison de ces faits ont été effacées (Kaftaïlova c. Lettonie (radiation) [GC], no 59643/00, § 48, 7 décembre 2007).
53. La Cour note que les arguments du Gouvernement sont fondés sur l’existence de décisions de justice reconnaissant la méconnaissance du droit du requérant à l’accès aux informations et lui octroyant un dédommagement, ainsi que sur l’envoi d’invitations par la mairie de Baia Mare au requérant à retirer des photocopies de documents internes. Or, il convient de noter que le grief du requérant tiré de l’article 10 de la Convention, vise précisément l’inexécution desdites décisions de justice. Dans ces conditions, la Cour estime que les arguments du Gouvernement sont étroitement liés à la substance du grief tiré de l’article 10 de la Convention. Dès lors, il y a lieu de joindre les exceptions au fond.
2. Sur l’application de l’article 35 § 3 b) de la Convention
54. En deuxième lieu, le Gouvernement tire une exception d’irrecevabilité d’un défaut de préjudice important pour le requérant. À cet égard, il soutient que les décisions judiciaires litigieuses ont été exécutées et que, dès lors, le requérant n’a pas subi un préjudice important. Par ailleurs, il souligne que la présente affaire concerne principalement une durée de procédure civile, matière dans laquelle la Cour a une jurisprudence constante, de sorte que le respect des droits de l’homme n’exige pas non plus que la Cour poursuive l’examen de ce grief. Par ailleurs, le grief du requérant a été dûment examiné par les tribunaux internes.
55. Le requérant considère qu’il a subi un préjudice important car le refus délibéré du maire de Baia Mare de lui communiquer les informations sollicitées l’a empêché de transmettre, en sa qualité de journaliste, des questions d’intérêt public. Il renvoie également à la jurisprudence de la Cour selon laquelle la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. La violation de cette liberté porte préjudice à la construction démocratique et devrait être sanctionnée en conséquence.
56. La Cour constate que le présent grief concerne l’accès du requérant, journaliste, aux informations à caractère public détenues par une autorité publique, en application de plusieurs décisions judiciaires définitives. À cet égard, elle rappelle l’importance cruciale de la liberté d’expression, qui constitue l’une des conditions préalables au bon fonctionnement de la démocratie (Appleby et autres c. Royaume-Uni, no 44306/98, § 39, CEDH 2003-VI). Dans ces conditions, elle considère que le défaut allégué à un tel accès comporte non seulement un préjudice non pécuniaire important pour le requérant, mais constitue également une raison pour continuer l’examen du grief compte tenu de ce qu’il soulève des questions importantes pour le respect des droits de l’homme. Il convient, dès lors, de rejeter cette exception du Gouvernement.
3. Sur le bien-fondé du grief
57. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
58. Le requérant soutient que le refus du maire de Baia Mare de lui communiquer les informations sollicitées l’a empêché d’exercer sa profession de journaliste. Il rejette l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il a reçu une partie des informations sollicitées concernant les activités de la mairie qu’il aurait pu transmettre au public. Il souligne que, en sa qualité de journaliste, il est tenu par des obligations professionnelles qui exigent une vérification préalable complète des informations rendues publiques. Le requérant met en exergue également le fait que le Gouvernement n’a pas réussi à démontrer, par des preuves adéquates, tels des articles publiés dans la presse, qu’il avait pu couvrir les sujets concernant les activités de la mairie.
59. Le requérant allègue en outre que le refus du maire de lui communiquer les informations à caractère public constitue une ingérence dans sa liberté d’expression qui n’est pas prévue par la loi. En outre, aucun des buts légitimes énumérés au deuxième paragraphe de l’article 10 de la Convention n’a été soulevé par les autorités internes au cours des procédures internes ou par le Gouvernement devant la Cour afin de justifier l’inexécution des décisions judiciaires litigieuses. Enfin, l’arbitraire des autorités internes dans l’exécution des décisions judiciaires ne saurait être considéré comme justifié dans une société démocratique basée sur l’État de droit. À l’instar de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que son grief tiré de l’article 10 de la Convention est similaire à celui que la Cour a examiné dans l’affaire Kenedi, précitée.
60. Le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas été entravé dans l’exercice de sa profession de journaliste étant donné qu’il s’est vu communiquer, initialement, une partie des informations sollicitées et, ultérieurement, l’intégralité de ces informations. Il mentionne également que l’obligation de supporter les frais de reproduction des documents était prévue par la loi.
2. Appréciation de la Cour
61. La Cour a toujours dit que le public a droit à recevoir les informations d’intérêt général. Sa jurisprudence en la matière a été élaborée en rapport avec la liberté de la presse, les médias ayant pour rôle de communiquer des informations et des idées sur les questions d’intérêt général (Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, § 59, série A no 216 ; Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, § 63, série A no 239). À cet égard, la Cour doit faire preuve de la plus grande prudence lorsque les mesures prises par l’autorité nationale sont de nature à dissuader la presse, l’un des « chiens de garde » de la société, de participer à la discussion de problèmes d’un intérêt général légitime (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 64, CEDH 1999-III ; Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 35, série A no 298), même lorsqu’il s’agit de mesures qui ne font que compliquer l’accès à l’information.
62. Eu égard à l’intérêt protégé par l’article 10, la loi ne peut permettre des restrictions arbitraires qui pourraient devenir une forme de censure indirecte si les autorités devaient faire obstacle à la collecte des informations. Cette collecte est en effet, par exemple, une démarche préalable essentielle à l’exercice du journalisme. Elle est inhérente à la liberté de la presse et, à ce titre, protégée. L’ouverture d’espaces de débat public fait partie du rôle de la presse (Dammann c. Suisse (no 77551/01, § 52, 25 avril 2006, et Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie, no 37374/05, § 27, 14 avril 2009).
63. À l’instar de l’affaire Kenedi précitée, la Cour note que la présente requête concerne l’accès du requérant à des informations à caractère public qui lui étaient nécessaires dans l’exercice de sa profession, accès qui est un élément essentiel de l’exercice du requérant de sa liberté d’expression. Le requérant a obtenu trois décisions judiciaires lui garantissant l’accès auxdites informations. Devant la Cour, les parties divergent quant au point de savoir si ces décisions ont été exécutées ou non. La Cour rappelle néanmoins qu’elle a déjà conclu par la négative à cette question sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 43 ci-dessus).
64. La Cour constate ensuite que le requérant cherchait légitimement à collecter des informations sur un sujet d’importance générale, à savoir les activités de la mairie de Baia Mare. De plus, étant donné que l’intention du requérant était de communiquer au public les informations en question et de contribuer ainsi au débat public sur la bonne gouvernance publique, il est clair qu’il a subi une atteinte à son droit de communiquer des informations. Partant, il y a eu ingérence dans les droits du requérant consacrés par l’article 10 § 1 de la Convention (Társaság a Szabadságjogokért précité, § 28, Kenedi précité, § 43 ; et Youth Initiative for Human Rights précité, § 24).
65. La Cour rappelle qu’une atteinte aux droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 10 est contraire à la Convention si elle ne respecte pas les exigences prévues au paragraphe 2. Il faut donc déterminer si l’ingérence ici incriminée était « prévue par la loi », si elle poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes visés dans cette disposition et si elle était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ce ou ces buts.
66. En l’occurrence, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, comme certaines des autorités judiciaires nationales, que les invitations adressées au requérant afin de retirer des photocopies de plusieurs documents disparates contenant des informations susceptibles d’interprétations diverses, ne pouvait en aucun cas s’analyser en une exécution d’une décision judiciaire ordonnant la communication d’information à caractère public. Dans ces conditions, il n’y a pas eu de mise à exécution adéquate des décisions judiciaires litigieuses.
67. De surcroît, la Cour note que la mairie n’a jamais soutenu que les informations demandées n’étaient pas disponibles (Társaság a Szabadságjogokért précité, § 36). La complexité des informations sollicitées et le travail important requis de la part de la mairie pour procéder à leur compilation ont été invoqués uniquement pour expliquer l’impossibilité de fournir ces informations dans le plus court délai.
Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement n’a apporté aucun argument démontrant que l’ingérence dans le droit du requérant était prévue par la loi ni qu’elle poursuivait un ou plusieurs buts légitimes.
68. Par conséquent, il y a eu de rejeter les exceptions soulevées par le Gouvernement (paragraphe 49 ci-dessus) et de conclure qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
70. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison du refus de la mairie de Baia Mare de lui communiquer les informations à caractère public sollicitées.
71. Le Gouvernement estime qu’en l’espèce le préjudice moral serait suffisamment compensé par un constat de violation et qu’en tout état de cause, eu égard à la jurisprudence de la Cour en la matière, le montant demandé est excessif.
72. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral et considère qu’il y a lieu de lui octroyer 4 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
73. Le requérant demande également la somme de 4 748 EUR (soit 4 448 EUR pour les honoraires d’avocat à verser directement à Me Hătneanu et 300 EUR pour les frais de secrétariat, à verser directement à l’organisation APADOR-CH) au titre des frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure devant la Cour. Il dépose une convention d’honoraires pour un montant de 4 448 EUR et un engagement à verser les frais de secrétariat engagés par l’organisation susmentionnée pendant la procédure.
74. Le Gouvernement ne conteste pas le nombre d’heures indiqué par l’avocate pour préparer la présente affaire, compte tenu de sa complexité, mais estime en revanche que le tarif horaire de l’avocate est excessif.
75. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des critères susmentionnés, du relevé détaillé des heures de travail qui lui a été soumis et des questions qui se posaient dans la présente affaire, la Cour octroie aux requérants 4 448 EUR au titre des honoraires d’avocat, à verser directement à Me Hătneanu, et 300 EUR au titre des frais de secrétariat, à verser directement à APADOR-CH.
C. Intérêts moratoires
76. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond de la requête les exceptions tirées de la qualité de victime du requérant et de l’application de l’article 37 §§ 1 b) et c) et les rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i) 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 4 448 EUR (quatre mille quatre cent quarante-huit euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour honoraires d’avocat, à verser directement à Me Hătneanu ;
iii) 300 EUR (trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais de secrétariat, à verser directement à l’organisation APADOR-CH ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président