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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> UKAJ v. SWITZERLAND - 32493/08 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 655 (24 June 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/655.html
Cite as: [2014] ECHR 655

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE UKAJ c. SUISSE

     

    (Requête no 32493/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 juin 2014

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ukaj c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              András Sajó,
              Nebojša Vučinić,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Egidijus Kūris,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juin 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32493/08) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant kosovar[1], M. Adem Ukaj (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me M. Bachmann, avocat à Lucerne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.

    3.  Le requérant allègue que son expulsion du territoire suisse viole son droit au respect de sa vie familiale, protégé par l’article 8, au motif qu’il a établi sa vie privée dans ce pays depuis plus de dix ans et qu’il s’y est marié.

    4.  Le 19 janvier 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

    6.  Le 27 septembre 1998, le requérant, né en 1982, arriva en Suisse avec sa mère et ses frères et sœurs pour fuir le conflit au Kosovo. En raison des tensions qui s’élevaient à ce moment-là dans cette région, la mère et les frères et sœurs du requérant se virent octroyer des permis de séjour provisoires en Suisse.

    7.  Le 15 mai 2000, le requérant bénéficia d’un titre de séjour dans le cadre du regroupement familial, qui fut prolongé plusieurs fois par la suite.

    8.  Entre avril 1999 et mai 2001, il fut averti et sanctionné à plusieurs reprises par le parquet des mineurs (Jugendanwaltschaft) pour trois faits de vol ainsi que pour émeute, violence et menace sur agent de la fonction publique.

    9.  Sur la base de ces infractions, les autorités l’avertirent par une décision du 11 septembre 2001 qu’il risquait d’être expulsé si son comportement ne s’améliorait pas. En dépit de cet avertissement, le requérant se livra à de nouvelles activités délictuelles. Il fut condamné le 7 juin 2002 à trois mois de prison avec sursis, pour communication et divulgation de fausse information et utilisation frauduleuse d’un ordinateur. Il se vit infliger, le 13 janvier 2004, une amende de 600 francs suisses (CHF) pour conduite sans permis valable. Le 3 mai 2004, il reçut un avertissement pour infraction à la législation en matière de stupéfiants. Le 20 juillet 2004 et le 15 juin 2005 il se vit respectivement infliger deux amendes de 120 CHF et de 100 CHF pour utilisation des moyens de transport publics sans titre valable. Le 4 mai 2005 il fut condamné à un mois de prison avec sursis pour vols multiples, fraude, violation de domicile et possession et consommation de marijuana. Enfin, le 6 juillet 2005, il fit l’objet d’une condamnation, par la cour d’appel du canton de Lucerne, à deux ans et demi de prison pour vols multiples, brigandage et dommages à la propriété notamment. La cour d’appel retint, à titre de circonstances aggravantes, le fait que le requérant s’en prit, au milieu de la rue, à des personnes sans défense et qu’il commit à nouveau une infraction six jours seulement après l’audience de première instance. En outre, cette juridiction prononça l’expulsion du requérant pour une durée de cinq ans avec sursis à titre de peine accessoire et avec un délai de mise à l’épreuve de quatre ans. À une date non indiquée, il commença à purger la peine privative de liberté.

    10.  Le 14 mars 2006, le requérant fut invité à présenter ses observations quant à l’éventuel refus de prolonger son permis de séjour et son éventuelle expulsion.

    11.  Le 11 mai 2006, alors qu’il était toujours en prison, le requérant épousa une ressortissante suisse, née en 1988, qui, selon ses dires, avait été sa compagne de longue date. Aucun enfant n’est né de cette relation.

    12.  Par une décision du 24 juillet 2006, l’Office des migrations du canton de Lucerne décida d’expulser le requérant.

    13.  Le 8 mai 2007, le requérant fut libéré conditionnellement de la prison.

    14.  Par une décision du 10 juillet 2007, le tribunal administratif du canton de Lucerne confirma son éloignement du territoire suisse.

    15.  Par un arrêt du 18 février 2008, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant et confirma le refus des autorités cantonales de prolonger son permis de séjour. Il considéra que la culpabilité du requérant pesait lourdement. Selon lui, les circonstances du délit, à savoir l’agression publique de personnes sans défense mettaient à jour une énergie criminelle importante et un potentiel de violence considérable.

    16.  Il estima, en outre, que ni le fait que la peine accessoire d’expulsion du territoire pendant une durée de cinq ans avait été prononcée avec sursis et délai de mise à l’épreuve, ni le comportement irréprochable dont il avait fait preuve en prison et depuis sa libération conditionnelle n’étaient suffisamment pertinents.

    17.  Le Tribunal releva également que le requérant n’était arrivé en Suisse qu’à l’âge de seize ans. En dépit des relations avec les membres de sa famille résidant en Suisse et de son insertion professionnelle, le Tribunal refusa de considérer qu’il était bien intégré dans ce pays. Le Tribunal conclut qu’une expulsion au Kosovo était susceptible de frapper le requérant durement, mais qu’elle n’était pas impossible.

    18.  En ce qui concerne l’épouse du requérant, le Tribunal fédéral ne doutait pas qu’une expulsion entraînerait des inconvénients importants pour elle. Il apparaissait néanmoins que le requérant n’avait aucun titre l’autorisant à prolonger son séjour en Suisse avant de se marier avec celle qui deviendrait son épouse. Il relevait, à ce moment, du pouvoir discrétionnaire du Canton, eu égard aux manquements répétés du requérant à la législation pénale, de décider s’il voulait ou non prolonger son permis de séjour en Suisse. Ce n’est qu’en raison de son mariage avec une ressortissante suisse, le 11 mai 2006, qu’il obtint une prolongation de son autorisation de séjour. En raison, d’une part, de sa condamnation récente, en 2005, à deux ans et demi de prison et d’autre part, au fait que le requérant avait été invité, le 14 mars 2006, à présenter ses observations en vue d’un éventuel refus de prolongation de son permis de séjour, le Tribunal fédéral estima que les époux auraient dû se douter qu’ils ne pourraient mener leur vie maritale en Suisse. Dans ces conditions, la vie privée du requérant avait nécessairement moins de poids, selon cette juridiction. Enfin, la bonne conduite du requérant était sans incidence sur l’appréciation d’une éventuelle dérogation à la règle d’une condamnation maximale à deux ans de prison comme limite au-delà de laquelle un étranger marié avec un(e) ressortissant(e) suisse ne peut plus être toléré sur le territoire suisse. À la lumière de ces arguments, le Tribunal fédéral conclut qu’il n’existait pas de raisons plausibles de se départir de cette règle d’une condamnation maximale à deux ans de prison. Eu égard aux multiples condamnations du requérant, il existait ainsi un intérêt public prépondérant à ce qu’il soit éloigné.

    19.  Le divorce du requérant fut entre-temps prononcé le 16 mars 2010.

    20.  Le requérant quitta la Suisse pour le Kosovo le 2 novembre 2010.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    21.  Le droit de séjour du conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que les conditions auxquelles devait répondre le renouvellement de son permis de séjour étaient réglés par l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme suit :

    Article 7, alinéa premier

    « Le conjoint étranger d’un ressortissant suisse a le droit à l’octroi et à la prolongation de l’autorisation de séjour. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, il a droit à l’autorisation d’établissement. Ce droit s’éteint lorsqu’il existe un motif d’expulsion. »

    Article 10, alinéa premier

    « L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants :

    a.  S’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ; »

    Article 11, alinéa 3

    « L’expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l’ensemble des circonstances (...) »

    EN DROIT

    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    22.  Le requérant allègue que son expulsion du territoire suisse viole le droit au respect de sa vie familiale, protégé par l’article 8, étant donné qu’il a vécu de nombreuses années en Suisse où il a été marié. Cette disposition est libellée comme suit :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    23.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    24.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    a)  Le requérant

    25.  Le requérant rappelle qu’il s’est marié avec une ressortissante suisse le 11 mai 2006 et soutient que le lieu de sa vie familiale est la Suisse. Le mariage n’a été dissout qu’à cause de la décision du Tribunal fédéral. En effet, son ex-épouse ne souhaitait pas le suivre au Kosovo. Il allègue, en outre, qu’il est arrivé en Suisse en tant qu’adolescent traumatisé par la guerre et qu’il n’a adopté un comportement délinquant que pendant son adolescence. Il souligne que, depuis 2004, il se comporte bien et n’a plus commis d’infraction. Il conclut ainsi qu’il ne présente plus de danger pour la société.

    b)  Le Gouvernement

    26.  Le Gouvernement souligne que le cas du requérant a fait l’objet d’un examen circonstancié par deux instances judiciaires. Par ailleurs, il observe que suite aux décisions internes le requérant faisait l’objet, depuis le 8 mai 2007, d’une libération conditionnelle assortie d’un délai d’épreuve d’un an. Selon le Gouvernement, le requérant a été condamné à plusieurs reprises pour de nombreux délits en partie très graves et portant atteinte à l’intégrité physique et psychique des victimes. Si l’âge du requérant et ses problèmes d’intégration ont été retenus comme circonstances atténuantes, la cour d’appel du canton de Lucerne a néanmoins relevé l’énergie criminelle, le potentiel de violence brutale et la commission d’une nouvelle infraction six jours après l’audience devant la première instance. Le Gouvernement met en exergue la gravité croissante des infractions commises par le requérant. Les menaces d’expulsion dont il a fait l’objet n’ont pas eu d’effet sur son comportement. Le requérant a épousé une ressortissante suisse alors qu’il était en prison. Ils ont cohabité depuis la libération conditionnelle du requérant le 7 mai 2007 et le Gouvernement ignore à quelle date la cohabitation a pris fin. L’ex-épouse du requérant ne pouvait ignorer que ce dernier ne pouvait rester en Suisse. Le Gouvernement souligne enfin que le requérant n’était pas particulièrement intégré lorsqu’il séjournait en Suisse, qu’il est parti du territoire depuis novembre 2010 et qu’il peut, le cas échéant, revenir sur le territoire suisse dans la mesure où il n’est pas frappé d’une interdiction d’entrée en Suisse.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Ingérence dans le droit protégé par l’article 8

    27.  La Cour rappelle que la Convention ne garantit, comme tel, aucun droit pour un étranger d’entrer ou de résider sur le territoire d’un pays déterminé. Toutefois, exclure une personne d’un pays où vivent les membres de sa famille peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, tel que protégé par l’article 8 § 1 de la Convention (voir, dans ce sens, Moustaquim c. Belgique, 18 février 1991, § 36, série A no 193).

    28.  La Cour observe en outre que, dans sa jurisprudence, elle a envisagé l’expulsion de résidents de longue date aussi bien sous le volet de la « vie privée » que sous celui de la « vie familiale », une certaine importance étant accordée sur ce plan au degré d’intégration sociale des intéressés (voir, par exemple, Dalia c. France, 19 février 1998, §§ 42-45, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).

    29.  En outre, la Cour rappelle que tous les immigrés établis, indépendamment de la durée de leur résidence dans le pays dont ils sont censés être expulsés, n’ont pas nécessairement une « vie familiale » au sens de l’article 8. Toutefois, dès lors que l’article 8 protège également le droit de nouer et d’entretenir des liens avec ses semblables et avec le monde extérieur et qu’il englobe parfois des aspects de l’identité sociale d’un individu, il faut accepter que l’ensemble des liens sociaux entre les immigrés établis et la communauté dans laquelle ils vivent fait partie intégrante de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8. Indépendamment de l’existence ou non d’une « vie familiale », l’expulsion d’un étranger établi s’analyse en une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. C’est en fonction des circonstances de l’affaire portée devant elle que la Cour décidera s’il convient de mettre l’accent sur l’aspect « vie familiale » plutôt que sur l’aspect « vie privée » (Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 59, CEDH 2006-XII).

    30.  Pour ce qui est des circonstances de l’espèce, la Cour estime que, en raison de la longue durée du séjour du requérant en Suisse, son expulsion du territoire en novembre 2010 constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie « privée » (voir, mutatis mutandis, Gezginci c. Suisse, no 16327/05, § 57, 9 décembre 2010, Hasanbasic c. Suisse, no 52166/09, § 49, 11 juin 2013). La question de savoir si la vie familiale du requérant est également en jeu dans la présente espèce est plus délicate. En effet, le divorce du requérant est antérieur à son départ du territoire suisse. De plus, si les relations qu’il soutient entretenir avec sa mère et sa fratrie peuvent également relever de la notion de vie familiale au sens de l’article 8, le requérant n’a pas démontré posséder des liens particulièrement étroits avec les intéressés (voir, mutatis mutandis, Vasquez, précité, § 48). Cependant, il soutient, sans être contredit sur ce point, que c’est la perspective d’un départ vers le Kosovo qui a conduit son ex-épouse à rompre le lien matrimonial. En outre, il était marié tant lorsque la décision initiale d’expulsion a été prise que lorsque celle-ci est devenue définitive. La Cour est, dès lors, d’avis que le requérant a également subi une ingérence dans son droit au respect de sa vie « familiale » (voir, mutatis mutandis, Hasanbasic, précité, § 49).

    b)  Justification de l’ingérence

    31.  Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire dans une société démocratique ».

    i.  « Prévue par la loi »

    32.  Il n’est pas contesté que la mesure imposée au requérant était fondée sur les dispositions pertinentes de la LSEE (voir paragraphe 21 ci-dessus).

    ii.  But légitime

    33.  Il n’est pas davantage controversé que l’ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention, à savoir notamment « la défense de l’ordre » et la « prévention des infractions pénales ».

    iii.  Nécessité dans une société démocratique de la mesure

    α)  Principes généraux

    34.  La question essentielle à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Les principes fondamentaux, en ce qui concerne l’expulsion d’une personne ayant passé une durée considérable dans un pays hôte dont elle devrait être expulsée à la suite de la commission d’infractions pénales, sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été récapitulés, notamment dans les affaires Üner (précitée, §§ 54-55 et 57-58), Maslov c. Autriche ([GC], no 1638/03, §§ 68-76, CEDH 2008), et Emre c. Suisse (no 42034/04, §§ 65-71, 22 mai 2008). Dans l’affaire Üner, la Cour a eu l’occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans de telles affaires (§§ 57 et suiv.) :

    -  la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant ;

    -  la durée du séjour de l’intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;

    -  le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;

    -  la nationalité des diverses personnes concernées ;

    -  la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d’autres facteurs témoignant de l’effectivité d’une vie familiale au sein d’un couple ;

    -  la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l’infraction à l’époque de la création de la relation familiale ;

    -  la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;

    -  la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;

    -  l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé ; et

    -  la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.

    35.  Ces critères ont également été appliqués plus récemment dans les affaires Kissiwa Koffi c. Suisse (no 38005/07, 15 novembre 2012), Udeh c. Suisse, (no 12020/09, 16 avril 2013), Hasanbasic, (précitée, § 53) et Vasquez c. Suisse (no 1785/08, § 38, 26 novembre 2013).

    36.  La Cour rappelle également que les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour se prononcer sur la nécessité, dans une société démocratique, d’une ingérence dans l’exercice d’un droit protégé par l’article 8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime poursuivi (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X). Cette marge d’appréciation va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir Maslov, précitée, § 76). La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une mesure d’éloignement d’une personne se concilie avec l’article 8 et, en particulier, si elle était nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire être justifiée par un besoin social impérieux et proportionnée au but légitime poursuivi (Mehemi c. France, 26 septembre 1997, § 34, Recueil 1997-VI ; Dalia, précité, § 52 ; Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 46, CEDH 2001-IX). Sa tâche consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, les droits de l’intéressé protégés par la Convention et, d’autre part, les intérêts de la société (voir, parmi maints autres, Boultif, précité, § 47).

    β)  Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

    37.  En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour observe tout d’abord que les infractions commises par le requérant depuis son arrivée en Suisse ainsi que sa dernière condamnation pèsent lourdement en sa défaveur. Elle ne peut sur ce point souscrire à l’explication du requérant quant au caractère juvénile des infractions qu’il a commises. Il apparaît en effet que le requérant a, entre 1999 et 2004, été continuellement condamné pour les mêmes types d’infractions, notamment vols et brigandage, malgré les menaces d’expulsion dont il avait fait l’objet. La Cour constate donc qu’il a continué son activité criminelle après être devenu adulte. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a également retenu comme aggravantes les circonstances qui entouraient la commission de l’infraction pour laquelle il a été condamné à deux ans et demi de prison. La Cour note toutefois que depuis sa sortie de prison en mai 2007 jusqu’à son départ du territoire Suisse en novembre 2010, le requérant n’a pas été poursuivi pour d’autres infractions.

    38.  En ce qui concerne la relation matrimoniale du requérant, la Cour observe que ce dernier a épousé le 11 mai 2006, pendant qu’il était incarcéré, une ressortissante suisse alors âgée de dix-huit ans. Or dès le 14 mars 2006, il avait été invité, à la suite de sa dernière condamnation, à présenter ses observations quant à l’éventuel refus de prolonger son permis de séjour et son éventuelle expulsion. En d’autres termes, l’ex-épouse du requérant avait nécessairement connaissance de l’infraction qu’il avait commise ainsi que du risque de renvoi du requérant au Kosovo au moment de la création de la relation familiale (voir, mutatis mutandis, Kissiwa Koffi, précitée, § 67). En outre, la Cour rappelle que le lien matrimonial est dissous depuis trois ans et que le requérant n’allègue pas entretenir encore des relations avec son ex-épouse.

    39. Le requérant n’allègue pas non plus avoir un ou plusieurs enfants (voir, a contrario, Udeh, précité, §§ 52 à 54).

    40.  S’agissant ensuite de la relation du requérant avec sa mère et sa fratrie en Suisse, le requérant n’a pas démontré posséder, ainsi qu’il a déjà été dit, des liens particulièrement étroits avec les intéressés (voir, mutatis mutandis, Vasquez, précité, § 48).

    41.  La Cour note en outre que le requérant n’est pas frappé d’une interdiction d’entrée sur le territoire suisse (voir, a contrario, Kissiwa Koffi, précitée, § 70, et Üner, précitée, § 65). En effet, il n’a fait l’objet d’aucune interdiction du territoire de la part des autorités administratives. En outre, s’il avait été condamné avec sursis par le juge pénal, à titre de peine accessoire, à une expulsion d’une durée de cinq ans avec mise à l’épreuve de quatre ans, il ressort des pièces du dossier qu’il n’a commis aucune infraction depuis sa condamnation en 2005 et qu’aucun juge national n’a ordonné la levée du sursis. Dès lors, rien ne semble empêcher le requérant de demander un nouveau visa d’entrée, notamment pour rendre visite à sa mère et sa fratrie.

    42.  Enfin, selon le Tribunal fédéral, le requérant n’était pas intégré socialement. Le requérant contredit cette affirmation en se prévalant notamment de son insertion professionnelle. La Cour observe toutefois que le requérant n’est arrivé en Suisse qu’à l’âge de seize ans et qu’il a passé un certain temps, entre juillet 2005 et mai 2007, en prison. Ensuite, quant aux liens du requérant avec son pays d’origine, la Cour observe que, contrairement à d’autres affaires (voir, parmi d’autres, Emre, précité), le requérant a passé son enfance et sa scolarité au Kosovo. Si la Cour reconnaît que les liens du requérant avec son pays d’origine se sont vraisemblablement affaiblis après les treize années qu’il a passées en Suisse, elle est d’avis qu’il a conservé des liens sociaux et culturels, y compris linguistiques, avec son pays d’origine et qu’il pourra s’y intégrer.

    43.  Compte tenu de ce qui précède, et en particulier eu égard à la gravité des condamnations prononcées contre le requérant, de la dissolution de son lien matrimonial ainsi qu’au fait qu’il a passé la majorité de sa vie dans son pays d’origine, ce qui laisse supposer qu’il peut s’y intégrer, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas dépassé la marge d’appréciation dont il jouissait dans le cas d’espèce.

    44.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juin 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

        Abel Campos                                                                    Guido Raimondi
      Greffier adjoint                                                                        Président



    [1].  Toute référence au Kosovo, soit à son territoire, à ses institutions ou sa population, dans cet arrêt doit être comprise comme étant en conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité et sans préjudice concernant le statut du Kosovo.


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