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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROUILLER v. SWITZERLAND - 3592/08 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 825 (22 July 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/825.html
Cite as: [2014] ECHR 825

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ROUILLER c. SUISSE

     

    (Requête no 3592/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 juillet 2014

     

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rouiller c. Suisse,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Işıl Karakaş,
              András Sajó,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Robert Spano,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et d’Abel Campos, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3592/08) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante de cet État, Mme Réjane Rouiller (« la requérante »), a saisi la Cour le 21 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante est représentée par Me A. Joset, avocat à Liestal. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme à l’Office fédéral de la Justice.

    3.  La requérante allègue en particulier que l’ordre de retour de ses deux enfants de la Suisse vers la France a violé son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

    4.  Le 3 septembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est une ressortissante suisse née en 1964. Elle réside actuellement en Suisse, à Binningen, dans le canton de Bâle-Campagne.

    6.  La requérante fut autrefois mariée avec un ressortissant français qui travaille à Bâle, en Suisse, depuis vingt-cinq ans.

    Les époux avaient leur domicile commun à Saint-Louis, en France, près de la frontière suisse.

    7.  De leur mariage sont nés deux enfants, F. et M., respectivement en 1993 et 1999.

    8.  Le divorce du couple fut prononcé le 10 octobre 2000 par le tribunal de grande instance de Mulhouse. Le tribunal constata que les parties étaient convenues que l’autorité parentale sur les enfants serait exercée en commun. La résidence principale de ceux-ci fut fixée chez la mère, le père se voyant reconnaître un droit de visite. Les deux parties interjetèrent appel.

    9.  Par un arrêt du 24 janvier 2006, la cour d’appel de Colmar rejeta l’appel de chacun des parents. Elle observa en effet que les enfants évoluaient bien dans leur situation actuelle et estima prudent de ne pas modifier leur résidence habituelle chez leur mère. En sens inverse, la cour d’appel rejeta la demande de la mère tendant à ce que l’exercice de l’autorité parentale lui soit attribué à titre exclusif.

    10.  Le 12 mai 2006, le père adressa à la requérante, après avoir appris son intention de déménager en Suisse, une lettre l’informant qu’il s’opposait « radicalement » à cette « décision unilatérale » de changement de domicile et de lieu de scolarité des enfants, et qu’il avait l’intention de saisir immédiatement le juge afin qu’il statue sur ce différend.

    11.  Le 19 mai 2006, la requérante quitta la France pour s’installer à Binningen, à environ 7 km du domicile du père.

    12.  Près d’un an plus tard, par une demande du 9 mai 2007, le père des enfants sollicita leur retour, en se fondant sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

    13.  Par une décision du 13 juin 2007, la présidente du tribunal de district d’Arlesheim, après avoir entendu les deux enfants le 23 mai 2007, rejeta la demande de retour. Le compte-rendu relatant les déclarations des enfants fut rédigé par le greffier du tribunal de district d’Arlesheim alors que la présidente du tribunal menait l’entretien.

    L’aînée, F., exprima le souhait que ses déclarations ne soient pas communiquées aux parties.

    Selon le Gouvernement, la motivation de la décision aurait été exposée oralement aux parties lors du prononcé. De plus, un procès-verbal des débats devant ce tribunal fut rédigé et remis aux parties, procès-verbal dont le Gouvernement a remis une copie à la Cour.

    14.  Le père forma un recours devant le tribunal cantonal de Bâle-Campagne.

    15. Dans ses observations du 6 juillet 2007 à l’attention du tribunal cantonal, le tribunal de district d’Arlesheim expliqua, entre autres, son jugement comme suit.

    En premier lieu, à ses yeux il ne s’agissait pas d’un enlèvement d’enfants proprement dit, mais plutôt d’une violation par la requérante du droit de garde, en ce sens que celle-ci n’avait pas respecté le refus fermement opposé par son ex-mari à son projet de déplacement des enfants. Selon le tribunal de district, en effet, eu égard à la distance peu importante entre l’ancien et le nouveau domicile, il n’y avait jamais eu de véritable « enlèvement ». On pouvait également avoir des doutes, au vu des circonstances très particulières de l’espèce, sur la question de savoir si la Convention de La Haye était applicable.

    En second lieu, lors de l’audition, F. avait selon lui déclaré clairement et sans équivoque qu’elle voulait vivre en Suisse et qu’elle s’opposait à son retour en France, et cela sans être influencée par quiconque.

    16.  Par une décision du 4 septembre 2007, le tribunal cantonal de Bâle-Campagne accueillit le recours du père et ordonna le retour des enfants dans un délai expirant le 18 octobre 2007.

    Dans ses motifs, le tribunal cantonal nota tout d’abord que le compte-rendu de l’audition des enfants par la présidente du tribunal de district faisait apparaître :

    - que M., âgé alors de 8 ans, avait déclaré qu’il lui était égal de vivre en France ou en Suisse pourvu qu’il puisse rester avec sa mère ;

    - que sa sœur F., âgée alors de 14 ans, avait déclaré de son côté qu’elle préférait rester en Suisse chez sa mère.

    Tout en jugeant que le compte-rendu de cette audition des enfants en première instance était « problématique » et qu’il aurait été préférable que fût établi un procès-verbal détaillant les questions posées et les réponses des intéressés, le tribunal cantonal estima qu’il en ressortait déjà qu’on ne pouvait déduire des déclarations de la fille de la requérante une aversion ou une opposition à proprement parler à l’idée d’un retour en France. En l’absence de raisons sérieuses et compréhensibles, les motifs donnés par celle-ci n’étaient pas, aux yeux du tribunal cantonal, de nature à justifier en l’espèce l’application de l’exception au retour prévue à l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye (paragraphe 23 ci-dessous). Partant, le tribunal cantonal conclut qu’eu égard à la finalité claire de la Convention de La Haye il eût été arbitraire d’entrer, pour refuser leur retour en France, dans des considérations d’ordre général relatives à l’intérêt supérieur des enfants, qui n’étaient pas pertinentes en l’espèce (« (...) es willkürlich ist, wenn entgegen der klaren Zielsetzung des Übereinkommens die Rückgabe unter Verweis auf nicht zulässige allgemeine Kindeswohlüberlegungen verweigert wird »).

    17.  Le 8 octobre 2007, la requérante saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile, exposant qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils restent auprès d’elle en Suisse. Elle soutenait également que les constatations du tribunal cantonal étaient en contradiction avec les conclusions que la juridiction de première instance avait tirées de l’audition des enfants. De même, à ses yeux, si le tribunal cantonal estimait lacunaire le compte-rendu de l’instance inférieure, il aurait dû ordonner une nouvelle audition des enfants. Faute d’avoir procédé ainsi, c’était selon elle à tort que le tribunal cantonal avait refusé l’application des exceptions au retour des enfants en vertu de l’article 13 de la Convention de La Haye.

    18.  Par un arrêt 5A.582/2007 du 4 décembre 2007 (publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF) 134 III 88), le Tribunal fédéral rejeta le recours. Dans le dispositif de l’arrêt, le Tribunal fédéral ordonna le retour des enfants en France dans un délai expirant le 31 janvier 2008. L’arrêt motivé fut notifié à l’avocat de la requérante le 21 janvier 2008.

    Dans ses motifs, le Tribunal fédéral estima que l’on se trouvait dans un cas d’enlèvement d’enfant au sens de l’article 3 alinéa, lettre a), de la Convention de La Haye, ce qui n’avait pas véritablement été mis en doute par la requérante. Le tribunal examina ensuite si la requérante pouvait se prévaloir de l’article 13 alinéa 2 de ladite Convention, qui permet à l’autorité judiciaire ou administrative de refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’y oppose et qu’il a atteint un âge et une maturité justifiant qu’il soit tenu compte de son opinion.

    Ensuite, le Tribunal fédéral se posa la question de savoir si, au vu de certaines carences du compte-rendu de l’audition devant la juridiction de première instance, il y avait lieu de renvoyer l’affaire au tribunal cantonal afin que celui-ci procède à une nouvelle audition. Il considéra que le compte-rendu était tout de même relativement détaillé et précisait notamment les raisons pour lesquelles F., en particulier, préférait rester en Suisse, à savoir le fait qu’elle y avait trouvé rapidement de nouveaux amis sans perdre totalement le contact avec ceux qu’elle avait gardés en France et que ses résultats scolaires étaient généralement satisfaisants. Dès lors, selon lui, une nouvelle audition ne s’imposait pas.

    Par ailleurs, pour le Tribunal fédéral, il était tout à fait normal qu’après avoir passé deux ans à Binningen, F. ait déclaré qu’elle préférait rester en Suisse. En tout état de cause, on ne pouvait pas prétendre qu’elle s’« oppos[ait] » véritablement à son retour, au sens de l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye. Selon le Tribunal fédéral, l’opposition envisagée par ladite convention devait s’appuyer sur des motifs compréhensibles et particuliers et être affirmée avec vigueur (« mit nachvollziehbaren speziellen Gründen unterlegt sein und überdies mit einem gewissen Nach­druck vertreten werden »). En ce qui concernait M., le Tribunal fédéral estima que celui-ci n’était pas capable de former une volonté autonome à propos de la question de son retour en France et nota, de surcroît, que la requérante n’alléguait aucune opposition semblable de sa part.

    19.  Le 28 janvier 2008, la Cour refusa d’indiquer des mesures provisoires en application de l’article 39 de son règlement.

    20.  Par une lettre du 4 juillet 2008, l’avocat de la requérante informa la Cour qu’afin de se conformer à l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral, sa cliente avait pris résidence à Saint-Louis depuis le 25 janvier 2008.

    21.  Sur demande de la Cour, la requérante a fait savoir, par une lettre du 19 décembre 2013, parvenue au greffe le 2 janvier  2014, que par une ordonnance du juge aux affaires familiales du 21 avril 2008, le tribunal de grande instance de Mulhouse avait rejeté la demande du père tendant à ce que lui soit attribué l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’égard des enfants et à ce que la résidence des enfants soit transférée au domicile paternel.

    La requérante a informé également la Cour que par un jugement du 13 juillet 2009 le tribunal de grande instance de Mulhouse avait décidé que les enfants seraient scolarisés en Suisse et que, à la suite de ce jugement, elle était retournée avec ses enfants à Binningen.

    Elle a précisé que la partie du dispositif du jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 13 juillet 2009 fixant la résidence habituelle des enfants chez leur mère comportait la mention de son adresse à « Binningen ».

    22.  Par une procuration du 19 mars 2014, F., la fille de la requérante, a autorisé la Cour à consulter le compte-rendu de son audition du 23 mai 2007 par la présidente du tribunal de district d’Arlesheim, rédigé par le greffier du tribunal (paragraphe 13 ci-dessus).

    Il ressort de ce document que F. avait déclaré en substance : qu’elle désirait rester en Suisse où elle s’était bien intégrée ; qu’elle y avait rencontré de nouveaux amis sans totalement perdre le contact avec ses amis restés en France ; que ses résultats scolaires étaient généralement satisfaisants ; et qu’elle craignait de devoir, dans l’éventualité d’un retour en France, intégrer une nouvelle école où elle ne connaîtrait personne.

    II.  LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

    23.  Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, traité international entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1984 (recueil systématique n0.211.230.02), sont ainsi libellées :

    Article 1 :

    « La présente Convention a pour objet :

    a.  d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ;

    b.  de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant.

    (...)

    Article 3 :

    Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

    a.  lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, et

    b.  que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

    Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.

    Article 12 :

    Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

    L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

    Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant.

    Article 13 :

    Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

    (...)

    b.  qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

    L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

    Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale.

    (...) »

    24.  L’article 12 de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997, est libellé comme suit :

    « 1.  Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

    2.  A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

    25.  Selon l’observation générale no 12 (2009) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies du 20 juillet 2009 relative à l’article 12 de la Convention sur les droits de l’enfant, l’enfant ne doit pas être interrogé plus souvent que nécessaire car une audition est un processus difficile qui peut avoir pour lui des conséquences traumatisantes.

    EN DROIT

    I.  SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

    26.  Le Gouvernement relève que la requérante, qui a fait parvenir ses observations complémentaires à la Cour en mars 2010, a omis d’informer cette dernière et le Gouvernement des développements ultérieurs (paragraphe 21 ci-dessus), alors qu’elle était tenue de le faire en vertu du principe de la bonne foi et de l’article 44C du Règlement de la Cour.

    27.  Sur la base des jugements cités au paragraphe 21 ci-dessus, le Gouvernement soutient que la résidence des enfants en Suisse n’est plus illicite au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye.

    28.  Par conséquent, le Gouvernement estime que la requête est devenue sans objet et qu’il ne se justifie plus d’en poursuivre l’examen.

    29.  Au vu de ces éléments, le Gouvernement soutient que la présente requête constitue un cas d’application de l’article 37 § 1 c) de la Convention et qu’elle devrait être rayée du rôle.

    30.  La Cour observe que le Gouvernement se fonde sur l’article 37 § 1 c) de la Convention pour demander la radiation de la présente requête. Cette disposition est libellée comme suit :

    Article 37

     « 1.  À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

    (...)

    c)  que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

    Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.

    2.  (...). »

    31.  La Cour estime que la décision de la requérante de rentrer avec ses enfants en France et d’y vivre jusqu’à ce que les juridictions françaises se soient prononcées sur la question de la résidence habituelle des enfants ne lui enlève pas la qualité de victime de la violation de ses droits garantis par la Convention qu’elle allègue avoir subie à raison de l’ordre du retour ayant visé les enfants. Le fait que la requérante ait été ultérieurement autorisée par les autorités françaises à reprendre sa résidence suisse n’y change rien.

    32.  Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de rayer la requête du rôle. Elle rejette dès lors l’exception formulée par le Gouvernement à cet égard.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    33.  La requérante soutient que le retour de ses enfants en France ordonné par la justice suisse constituait une violation de l’article 8 de la Convention. Elle fait notamment valoir que les enfants habitaient avec elle en Suisse depuis presque deux ans au moment où le Tribunal fédéral a rendu sa décision et qu’ils y étaient bien intégrés et scolarisés. Selon elle, c’est à tort que les tribunaux suisses se sont fondés sur la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants pour ordonner ce retour. La requérante ajoute que l’opinion des enfants n’a pas suffisamment été prise en compte. À cet égard, elle critique les juridictions supérieures qui, tout en reconnaissant l’insuffisance du compte-rendu établi par le tribunal de première instance, n’ont pas procédé à une nouvelle audition des enfants.

    L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    34.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    35.  Le Gouvernement observe que la position de la requérante repose entre autres sur l’idée qu’elle serait seule détentrice du droit de garde au sens de l’article 5 de la Convention de La Haye et que, en assimilant cette notion de droit de garde avec la notion française d’autorité parentale, pour retenir ensuite que ladite autorité était détenue en l’espèce conjointement par les deux parents, l’arrêt du Tribunal fédéral aurait violé la Convention de La Haye. Or, selon le Gouvernement, la requérante n’a pas soulevé ces questions devant les instances internes.

    36.  Le Gouvernement soutient également que le grief concernant les carences du compte-rendu de l’audition des enfants par le tribunal de district d’Arlesheim n’a pas non plus été soulevé par la requérante devant les autorités internes. Devant le tribunal cantonal, elle aurait même soutenu que la juge de première instance avait agi correctement (position exprimée par la requérante le 6 juin 2007).

    37.  Partant, le Gouvernement est d’avis que ces griefs doivent être déclarés irrecevables.

    38.  La requérante rétorque que le Tribunal fédéral a ordonné le retour des enfants sans faire référence aux garanties découlant de la Convention.

    39.  La Cour estime que la question de savoir si la requérante a suffisamment contesté devant les instances internes l’applicabilité, dans les circonstances de l’espèce, de la Convention de La Haye est étroitement liée à la question fondamentale de la base légale de l’atteinte à ses droits protégés par l’article 8. Dès lors, il y a lieu de joindre cette branche de l’exception préliminaire du Gouvernement au fond de l’affaire.

    40.  La Cour observe ensuite que la requérante s’est plainte devant les juridictions internes supérieures que l’opinion des enfants n’avait pas suffisamment été prise en compte. Devant le Tribunal fédéral, elle a clairement exposé que le tribunal cantonal aurait dû ordonner une nouvelle audition des enfants s’il estimait que le compte-rendu rédigé par le tribunal de district ne reflétait pas assez précisément les opinions des enfants. La Cour estime que la requérante a ainsi contesté la qualité du compte-rendu. Partant, elle conclut que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes doit être écartée à cet égard.

    41.  La Cour constate que les griefs tirés de l’article 8 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

    B.  Sur le fond

    1.  Les thèses des parties

    a)  La requérante

    42.  La requérante est convaincue d’avoir seule la garde des enfants et, dès lors, de ne pas avoir commis un « déplacement illicite » de ceux-ci. Elle explique à cet égard qu’une modification du code civil français en date du 4 mars 2002 a détaché l’autorité parentale du divorce. Depuis lors, la séparation des parents n’aurait plus d’influence sur l’attribution de la garde. Du reste, la notion de « droit de garde » aurait été supprimée dans le code civil français. En l’espèce, le jugement de divorce du 10 octobre 2000 n’aurait pas « attribué » l’autorité parentale aux deux parents, mais la leur aurait simplement « confirmée ». Dans la lecture qu’elle fait du droit français, le père n’avait aucun droit - ni exclusif, ni conjoint - de décision quant au lieu de résidence des enfants, mais seulement le droit d’être informé préalablement du changement de lieu de résidence et de saisir le juge en cas de désaccord. Partant, le père ne pouvait, selon elle, se prévaloir d’un « droit de garde » au sens de l’article 5 de la Convention de La Haye.

    43.  En outre, la requérante est convaincue que, même à supposer que le père fût bien investi d’un droit de garde, le retour des enfants n’aurait tout de même pas dû être ordonné car ce droit n’avait de toute façon pas été violé en l’espèce. En effet, son nouveau domicile était à Binningen, un village suisse situé à 7 km du lieu de résidence de leur père. Dès lors, selon elle, on ne saurait prétendre que le droit de visite du père ou l’exercice de son autorité parentale a subi quelque atteinte que ce soit. Quant au lieu de scolarisation de ses enfants, la requérante estime que la décision en la matière était incluse dans celle concernant le lieu de résidence - laquelle, selon sa thèse ci-dessus exposée, n’appartenait qu’à elle.

    44.  La requérante conteste l’avis du Gouvernement selon lequel le compte-rendu de l’audition des enfants était complet et F. avait pu exprimer son opinion de manière détaillée, si bien qu’une nouvelle audition des enfants ne paraissait pas opportune ou nécessaire. En tout état de cause, la requérante rappelle les termes de l’arrêt du Tribunal fédéral selon lequel le compte-rendu était relativement détaillé et précisait les raisons pour lesquelles F., en particulier, préférait rester en Suisse. Dès lors, à ses yeux, il fallait faire jouer l’exception prévue par l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye, car une interprétation trop restrictive de l’article 13 alinéa 2 ne respecterait pas suffisamment l’intérêt des enfants. Selon elle, sa fille F. avait bien exprimé des motifs compréhensibles et particuliers concernant son refus de retourner en France, mais le compte-rendu lacunaire ne les aurait pas reflétés de manière correcte et suffisamment détaillée.

    45.  Compte tenu de ce qui précède, la requérante estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

    b)  Le Gouvernement

    46.  Le Gouvernement observe que le droit français repose sur les principes suivants :

    - l’autorité parentale est définie comme un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, et est en principe exercée en commun par les deux parents ;

    - la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ;

    - tout changement de résidence de l’un des parents, dès lors qu’il modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale, doit faire l’objet d’une information préalable et en temps utile de l’autre parent : en cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales, qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant.

     Selon le Gouvernement, il est reconnu que l’autorité parentale du droit français confère ainsi le droit de déterminer le lieu de résidence des enfants et d’exiger qu’ils y demeurent effectivement.

    47.  Au sujet de l’applicabilité de la Convention de La Haye, le Gouvernement note qu’il avait été constaté dans le jugement de divorce que les parties étaient convenues que l’autorité parentale sur les enfants serait exercée en commun, leur résidence principale étant fixée chez la mère (jugement du tribunal de grande instance de Mulhouse du 10 octobre 2000, confirmé par la cour d’appel de Colmar le 24 janvier 2006). Dès lors, l’autorité parentale était bien détenue conjointement par les deux parents.

    Le fait que la « résidence principale » des enfants ait été fixée chez la requérante n’a, explique-t-il, aucun rapport avec la notion de « droit de garde » telle qu’elle est définie par la Convention de La Haye.

    Il en découle selon lui que le déplacement par la requérante de ses enfants vers la Suisse constituait bien un « déplacement illicite » au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye.

    Le Gouvernement ajoute que la distance peu importante qui séparait le nouveau domicile des enfants de celui du père n’était pas pertinente à cet égard.

    48.  Quant à l’exception ménagée par l’article 13 alinéa 2 de la Convention de La Haye, le Gouvernement partage entièrement l’avis du Tribunal fédéral selon lequel :

    - les problèmes évoqués par F. ne suffisaient pas à justifier son application car, pour qu’une exception au principe du retour immédiat soit admise, il faut que l’on soit en présence d’une opposition qualifiée, c’est-à-dire appuyée sur des motifs compréhensibles et spécifiques et affirmée avec vigueur ;

    - la disposition citée ne confère pas à l’enfant la possibilité de librement choisir où il veut vivre mais constitue une exception, d’application stricte, au mécanisme de la Convention.

    Le Gouvernement rappelle de surcroît que la question de l’intégration de l’enfant dans l’État requis n’est pertinente que si la demande de retour n’a pas été formulée dans un délai d’un an à partir du déplacement illicite. Or ce délai n’avait pas été dépassé en l’espèce.

    49.  Le Gouvernement rappelle ensuite que les enfants de la requérante avaient été entendus par le tribunal de district d’Arlesheim le 23 mai 2007 et que le greffier du tribunal avait rédigé un compte-rendu qui, selon lui, retraçait de manière complète la position des enfants, avec leurs motifs et leurs explications. Le Tribunal fédéral a considéré que ce compte-rendu était relativement détaillé et présentait suffisamment bien les motifs pour lesquels F. aurait souhaité rester en Suisse, de sorte qu’une nouvelle audition ne lui a pas paru susceptible d’apporter des éléments supplémentaires.

    Le Gouvernement partage ce point de vue. Selon lui, la qualité de ce compte-rendu, rédigé par le greffier du tribunal pendant l’entretien, n’était pas forcément moindre que celle d’un procès-verbal intégral retraçant les questions et réponses mot pour mot.

    50.  Au sujet de l’opposition que le tribunal de district avait cru pouvoir déceler à partir de l’entretien, le Gouvernement fait sien l’avis du tribunal cantonal, en ce qu’il a :

    - considéré comme regrettable que, lors de cet entretien, la question du retour ait apparemment été mélangée avec celle de la garde ;

    - ajouté qu’il ne fallait pas méconnaître la difficulté, pour un enfant, de distinguer entre, d’une part, les motifs généraux pouvant s’opposer au retour et, d’autre part, ceux liés au parent demandeur.

    Le Gouvernement relève également à cet égard qu’il était indiqué au début du compte-rendu que F. savait que l’audition portait sur la question de savoir où elle allait habiter. Il ressortirait également de ses déclarations qu’elle avait dûment compris qu’un éventuel déplacement vers la France se ferait avec sa mère.

    51.  Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime qu’une nouvelle audition n’aurait été d’aucune utilité. Au contraire, dans le cas d’une nouvelle audition, F. aurait pu se sentir mise sous pression pour faire en sorte que ses déclarations lui permettent, à elle et à sa famille, de rester en Suisse. Les motifs de son éventuel refus étant appelés à être déterminants pour la décision attendue, il y avait de plus lieu de craindre qu’elle soit soumise à une influence plus forte avant une deuxième audition qu’avant la première. Par conséquent, les résultats d’une seconde audition auraient, selon lui, eu une force probante nettement moindre que ceux de la première.

    Le Gouvernement renvoie à cet égard également à l’observation générale no 12 du Comité des droits de l’enfant des  Nations unies  (paragraphe 25 ci-dessus), selon laquelle l’enfant ne doit pas être interrogé plus souvent que nécessaire car une audition est un processus difficile qui peut avoir des conséquences traumatisantes pour lui.

    52.  Au regard de l’ensemble des circonstances et du large pouvoir d’appréciation dont disposent les États en la matière, le Gouvernement est d’avis que les intérêts de la requérante ont dûment été pris en compte dans la procédure interne, qui est dès lors compatible avec l’article 8 de la Conven­tion.

    2.  L’appréciation de la Cour

    a)  Ingérence

    53.  La Cour constate qu’il ne prête pas à controverse que le retour des enfants ordonné par le Tribunal fédéral constitue une « ingérence » dans la vie familiale de la requérante au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention (voir, dans ce sens, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], n41615/07, §§ 90 et 91, CEDH 2010).

    54.  Il convient donc de rechercher si l’ingérence litigieuse répond aux exigences du paragraphe 2 de l’article 8, c’est-à-dire si elle était « prévue par la loi », motivée par un ou des buts légitimes et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

    b)  Justification de l’ingérence

    i.  Base légale

    55.  En l’espèce, la Cour relève que l’arrêt du Tribunal fédéral du 4 décembre 2007 se fonde sur la Convention de La Haye, qui est incorporée au droit suisse. Toutefois, la requérante conteste l’applicabilité de cet instrument en l’espèce car, d’après elle, l’éloignement des enfants du territoire français par elle n’était pas illicite. La Cour doit dès lors vérifier si la Convention de La Haye constituait une base légale valable pour ordonner le retour des enfants.

    56.  La Cour rappelle à titre liminaire que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne. Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des règles du droit international général ou à des accords internationaux. Le rôle de la Cour se limite à vérifier leur applicabilité et la compatibilité avec la Convention de l’interprétation qui en est faite (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I, et Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 72, CEDH 2008).

    57.  La Cour reconnaît que la requérante, bien que représentée par un avocat, n’a pas explicitement contesté, au niveau interne, avoir commis un enlèvement international. La Cour note toutefois que, saisis d’une demande de retour des enfants basée sur la Convention de La Haye, les tribunaux suisses ont examiné l’applicabilité de cet instrument au cas d’espèce et ont, quoique brièvement, répondu par l’affirmative à cette question. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes (voir, dans ce sens, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 43, CEDH 2009).

    58.  La Cour rappelle que la Convention de La Haye ne s’applique qu’aux situations dans lesquelles il y a eu un enlèvement international d’enfant, formule recouvrant tout déplacement ou non-retour illicite au sens de l’article 3 de ladite convention.

    59.  Il convient d’observer que la notion de droit de garde, au sens de la Convention de La Haye, a une portée autonome dans la mesure où elle est appelée à s’appliquer à tous les États parties à ce traité international, dont les systèmes juridiques peuvent varier quant à la définition de cette notion (Neulinger et Shuruk, précité, § 102). Au sens de l’article 5 a) de cette convention, le « droit de garde » comprend « le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ».

    60.  En l’espèce, il ressort des termes du jugement de divorce du tribunal de grande instance de Mulhouse du 10 octobre 2000 que les parties avaient convenu que l’autorité parentale sur les enfants serait exercée en commun et que le tribunal avait fixé leur résidence principale chez la mère (paragraphe 8 ci-dessus).

    Les deux parties ayant contesté ce jugement, dans son arrêt du 24 janvier 2006 la cour d’appel de Colmar avait rejeté à la fois l’appel du père, en considérant que les enfants évoluaient bien dans leur situation actuelle et qu’il était opportun de ne pas modifier leur résidence habituelle chez leur mère, et l’appel de la mère, qui souhaitait se voir attribuer l’exercice exclusif de l’autorité parentale (paragraphe 9 ci-dessus).

    61.  La Cour estime que le déplacement des enfants à Binningen, bien que cette localité ne soit distante que de quelques kilomètres, était susceptible d’avoir des conséquences non négligeables pour l’avenir des enfants, notamment leur scolarisation dans le système suisse et leur développement personnel dans un environnement culturel et social différent de celui qui était le leur en France. Partant, eu égard à l’exercice en commun de l’autorité parentale des deux parents, la mère ne pouvait pas, en l’absence de consentement du père, passer outre et modifier unilatéralement le pays de résidence habituelle des enfants. Par ailleurs, il n’existe aucun indice selon lequel le père n’aurait pas, avant le déplacement des enfants en Suisse, exercé de manière effective, au sens de la lettre b) de l’article 3, alinéa premier, de la Convention de La Haye, le droit de garde qu’il détenait conjointement avec la mère.

    62.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour, dans la mesure où elle est compétente pour se prononcer sur la question, ne considère pas comme manifestement erroné ou arbitraire l’avis du Tribunal fédéral selon lequel le déplacement par la requérante de ses enfants vers la Suisse constituait bien un « déplacement illicite » au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye. Partant, étant donné que c’est en application de l’article 12 de ladite convention que le Tribunal fédéral a ordonné le retour des enfants, la mesure litigieuse reposait sur une base légale.

    ii.  But légitime

    63.  La Cour ne doute pas que l’ordre de retour émis par les instances internes avait pour but légitime de protéger les droits et libertés des enfants de la requérante et de leur père, ce qui n’a d’ailleurs pas été contesté par la requérante devant la Cour.

    iii.  Nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

    64.  La requérante soutient en revanche, au moins en substance, que le retour des enfants n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

    65.  À cet égard, la Cour a rappelé certains principes dans son arrêt X c. Lettonie [GC], no 27853/09, 26 novembre 2013 :

    «  106. La Cour estime que l’on peut parvenir à une interprétation harmonieuse de la Convention et de la Convention de La Haye (...) sous réserve que les deux conditions suivantes soient réunies. Premièrement, [il faut que] les éléments susceptibles de constituer une exception au retour immédiat de l’enfant en application des articles 12, 13 et 20 de ladite convention, notamment lorsqu’ils sont invoqués par l’une des parties, soient réellement pris en compte par le juge requis. Ce dernier doit dès lors rendre une décision suffisamment motivée sur ce point, afin de permettre à la Cour de s’assurer que ces questions ont bien fait l’objet d’un examen effectif. Deuxièmement, ces éléments doivent être appréciés à la lumière de l’article 8 de la Convention (...).

    107. Par conséquent, la Cour estime que l’article 8 de la Convention fait peser sur les autorités internes une obligation procédurale particulière à ce titre : dans le cadre de l’examen de la demande de retour de l’enfant, les juges doivent non seulement examiner [l]es allégations défendables de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour, mais également se prononcer à ce sujet par une décision spécialement motivée au vu des circonstances de l’espèce. Tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye. La prise en compte effective de telles allégations, attestée par une motivation des juridictions internes qui soit non pas automatique et stéréotypée, mais suffisamment circonstanciée au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye, lesquelles doivent être d’interprétation stricte (Maumousseau et Washington [c. France, no 39388/05, 6 décembre 2007], § 73) est nécessaire. Cela permettra aussi d’assurer le contrôle européen confié à la Cour, dont la vocation n’est pas de se substituer aux juges nationaux.»

    66.  La requérante soutient que les enfants se sont opposés à leur retour en vertu de l’alinéa 2 de l’article 13 de la même convention. Dans ce contexte, notamment sous l’angle de l’obligation procédurale particulière découlant de l’article 8 de la Convention (X c. Lettonie, précité, § 107), se pose donc la question de savoir si, eu égard à leur âge et à leur maturité, leurs opinions respectives, surtout celle de F., qui avait indiqué préférer rester en Suisse, ont suffisamment été prises en compte par les autorités suisses.

    67.  Au vu des critères établis dans l’arrêt X c. Lettonie, précité, § 107, la Cour doit examiner si les juges internes ont effectivement pris en compte les allégations de la requérante et justifié leurs décisions au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye par une motivation suffisamment circonstanciée - c’est-à-dire, appuyée sur les données de l’espèce -, tout en sachant que ces exceptions doivent être d’interprétation stricte.

    68.  En l’espèce, les juridictions suisses ont notamment fondé leurs décisions de non-retour (première instance) ou de retour (deuxième instance et Tribunal fédéral) sur le compte-rendu d’audition du 23 mai 2007, rédigé par le greffier du tribunal de district d’Arlesheim alors que la présidente du tribunal menait l’entretien avec l’enfant.

    69.  Le 19 mars 2014, à la demande de la Cour, la fille de la requérante a autorisé la Cour à consulter ledit compte-rendu (paragraphe 22 ci-dessus).

    En résumé, il ressortait de ce compte-rendu : que F. déclarait s’être bien intégrée à Binningen ; qu’elle y avait rencontré de nouveaux amis, sans totalement perdre le contact avec ses amis restés en France ; que ses résultats scolaires étaient généralement satisfaisants ; qu’elle craignait, dans l’éventualité d’un retour en France, de devoir intégrer une nouvelle école où elle ne connaîtrait personne ; et que, pour ces raisons, elle préférait rester à Binningen.

    Pour le restant des déclarations figurant dans le compte-rendu, notamment lorsque celles-ci manquent manifestement de pertinence en l’espèce, la Cour respecte le souhait de confidentialité exprimé par la fille de la requérante.

    70.  En premier lieu, la Cour constate que la juridiction de première instance a rejeté la demande de retour, aux motifs notamment  : qu’en l’espèce on ne pouvait parler d’un enlèvement d’enfants proprement dit ; qu’il s’agissait plutôt d’une violation du droit de garde, commise par la requérante à travers le fait qu’elle n’avait pas respecté l’opposition fermement exprimée par son ex-mari à un déplacement des enfants ; qu’il n’y avait jamais eu de véritable « enlèvement » et que le droit de visite du père n’avait jamais été compromis ; qu’au vu de ces circonstances très particulières, on pouvait s’interroger sur l’applicabilité de la Convention de La Haye en l’espèce ; et que lors de l’audition, sans être influencée par ses parents, F. avait clairement et sans équivoque déclaré qu’elle voulait rester à Binningen et qu’elle s’opposait à son retour en France (paragraphe 15 ci-dessus).

    71.  Comme indiqué plus haut, l’avis du Tribunal fédéral et du tribunal cantonal de Bâle-Campagne, selon lequel le déplacement par la requérante de ses enfants vers la Suisse constituait bien un « déplacement illicite » (paragraphe 62), apparaît raisonnable.

    72.  Au vu des éléments du dossier, le tribunal cantonal de Bâle-Campagne - ou, à défaut, le Tribunal fédéral - aurait pu ordonner une nouvelle audition des enfants si d’éventuelles carences du compte-rendu l’avaient rendu opportun pour évaluer de façon suffisante la pertinence en l’espèce des exceptions au retour immédiat des enfants ménagées par la Convention de La Haye - sachant que cette opportunité devait s’apprécier en tenant compte, comme le souligne le Gouvernement à juste titre (paragraphe 51), des conséquences traumatisantes que de nouvelles auditions pouvaient avoir pour les enfants.

    73.  Ainsi, la Cour trouve également que l’avis du Tribunal fédéral et du tribunal cantonal de Bâle-Campagne, selon lequel la Convention de La Haye ne confère pas à l’enfant la possibilité de librement choisir l’endroit où il veut vivre, n’est pas arbitraire ou déraisonnable. Partant, la Cour estime que les motifs de la préférence exprimée par F. pour un maintien en Suisse (paragraphe 22 ci-dessus), selon le compte-rendu d’audition susmentionné, ne suffisaient pas pour qu’entrât en jeu l’une quelconque des exceptions au retour prévues par l’article 13 de la Convention de La Haye, compte tenu notamment que ces exceptions doivent être d’interprétation stricte (X c. Lettonie, précité, § 107).

    74.  Enfin, la Cour observe que les juridictions internes ont motivé leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée.

    75.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les juges internes ont dûment pris en compte les allégations de la requérante et justifié leurs décisions par une motivation suffisamment circonstanciée au regard des exceptions posées par la Convention de La Haye.

    76.  Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    77.  Essentiellement pour les mêmes raisons que celles exposées au regard de l’article 8, la requérante soutient qu’il y a également eu violation de l’article 6 de la Convention.

    78.  Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain de l’article 8, la Cour estime qu’aucune question distincte des précédentes ne se pose sur le terrain de l’article 6 de la Convention. Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner séparément la recevabilité ou le bien-fondé de ces allégations sous l’angle de l’article 6 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Joint au fond l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement dans la mesure où la requérante conteste l’applicabilité de la Convention de La Haye au regard des faits de l’espèce, et la rejette ;

     

    2.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 8 de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la recevabilité ou le bien-fondé des griefs tirés de l’article 6 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

        Abel Campos                                                                    Guido Raimondi
      Greffier adjoint                                                                        Président


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