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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KOUTSOSPYROS AND OTHERS v. GREECE - 36688/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2015] ECHR 1009 (12 November 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/1009.html
Cite as: [2015] ECHR 1009

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KOUTSOSPYROS ET AUTRES c. GRÈCE

     

    (Requête no 36688/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    12 novembre 2015

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Koutsospyros et autres c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Khanlar Hajiyev, président,
              Julia Laffranque,
              Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36688/13) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, M. Christos Koutsospyros, M. Dimitrios Psalmos, ainsi qu’un ressortissant afghan, M. Jumse Noorullah, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 4 juin 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Mes K. Tsitselikis et A. Nikolopoulou, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme K. Karavassili, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.

    3.  Le 7 avril 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants sont nés respectivement en 1962, 1976 et 1988. À différentes dates entre les 21 avril 2011 et 9 septembre 2013, ils étaient détenus dans la prison d’Ioannina.

    A.  La mise en détention des requérants et les recours afférents à leurs conditions de détention

    5.  Plus précisément, les requérants furent incarcérés à la prison d’Ioannina le premier le 31 août 2012, le deuxième le 7 mars 2013 et le troisième le 21 avril 2011. Ils furent mis en liberté respectivement les 29 mai 2013, 31 mai 2013 et 9 septembre 2013.

    6.  Le 12 février 2013, soixante-six détenus, dont le premier requérant, saisirent le conseil de la prison d’Ioannina d’une requête tendant à l’amélioration de leurs conditions de détention, en vertu de l’article 6 du code pénitentiaire. Ils se plaignaient notamment de la surpopulation carcérale. Ils soutenaient qu’en raison de cette surpopulation, ils ne disposaient que de 2 m² au maximum d’espace personnel et que certains d’entre eux étaient obligés de séjourner dans les couloirs. Ils invoquaient aussi le risque de contracter des maladies infectieuses des codétenus porteurs de telles maladies qui séjournaient parmi eux, ainsi que l’absence de toute occupation récréative ou créative.

    7.  Le 27 mai 2013, huit détenus, dont le deuxième et le troisième requérant, saisirent le conseil de la prison d’Ioannina du même type de requête et ayant le même contenu que celle du 12 février 2013

    8.  Dans un procès-verbal du 27 juin 2013, établi par le conseil de la prison à la suite de la requête susmentionnée et transmis au ministère de la Justice, il était indiqué : « les membres du conseil de la prison ont pris en considération, après l’audition des détenus, de leur affirmation selon laquelle leur unique problème était la surpopulation dans la prison et c’est ce qu’ils ont déclaré à leur avocat, Me Spathis, qui a cependant estimé opportun de noter le reste (...) ».

    9.  Dans une attestation sur l’honneur, datée du 19 juin 2013 et adressée à la direction de la prison, le troisième requérant affirmait ce qui suit : « je ne souhaite pas changer de cellule, je ne cours aucun risque d’attraper une maladie car je suis dans une cellule où nous avons tous fait des examens et je ne souhaite pas mon transfert dans une autre prison ».

    B.  Les conditions de détention dans la prison d’Ioannina

    1.  La version des requérants

    10.  La prison d’Ioannina, d’une capacité officielle de quatre-vingt-cinq personnes, accueillait au début de 2013 deux cent trente détenus environ. Les deux premiers requérants furent placés dans la cellule no 8, d’une surface de 25 m², qui accueillait treize à quatorze détenus. Le troisième requérant fut placé d’abord, au début de son incarcération, dans la chambrée no 3 d’une surface de 50 m² accueillant trente détenus. Par la suite, le troisième requérant fut transféré dans une ancienne cellule disciplinaire (πειθαρχείο) avec trois autres détenus.

    11.  L’ancienne cellule disciplinaire était divisée en deux pièces (respectivement de 7 m² et de 8 m²), avec un WC au milieu (mais auquel les détenus n’ont pas accès pendant la nuit et les heures pendant lesquelles ils sont enfermés). Le troisième requérant était placé avec trois codétenus dans l’une des deux pièces. L’espace personnel de chacun d’eux était inférieur à 1,5 m², le reste de la surface (3,5 m² environ) étant occupé par deux lits superposés. L’autre pièce n’était pas utilisée, sauf lorsqu’un nouveau détenu transféré à la prison d’Ioannina était soupçonné d’avoir sur lui des stupéfiants.

    12.  L’ancienne cellule disciplinaire était réservée aux détenus travaillant dans les cuisines. Les conditions de détention étaient en générale meilleures que dans le reste de la prison, sauf en ce qui concernait les WC, les détenus devant uriner dans des bouteilles pendant la nuit ou les heures pendant lesquelles ils devaient rester dans leurs cellules.

    13.  Si, à deux reprises, en juin et juillet 2013, le troisième requérant déclara par écrit à la direction de la prison qu’il ne souhaitait pas être transféré dans une autre cellule ou dans une autre prison pour des « raisons personnelles », c’était parce qu’il ne voulait pas perdre son travail aux cuisines.

    14.  Les détenus prenaient leurs repas sur leurs lits.

    15.  Les matelas étaient vieux et usés et infestés de punaises. L’eau chaude était disponible pendant une très courte période dans la journée et ne suffisait pas pour deux cent vingt personnes. La nourriture était insuffisante et non adaptée aux détenus malades. Dans les chambrées, il n’y avait ni tables, ni chaises, ni armoires, ni espace libre. Les malades et les toxicomanes n’étaient pas séparés des autres.

    16.  Il n’y avait aucune activité récréative et la cour de la prison ne se prêtait pas à l’exercice physique.

    2.  La version du Gouvernement

    17.  Le Gouvernement affirme que le troisième requérant fut détenu, du 21 avril 2011 au 9 septembre 2013, dans l’ancienne cellule disciplinaire avec trois autres détenus. Cette cellule mesurait 4,70 X 5,65 mètres (une surface donc de 26,55 m²) et contenait deux lits, un téléviseur et une grande poubelle. La lumière naturelle était assurée par une fenêtre mesurant 0,70 x 0,40 mètres.

    18.  Selon le Gouvernement, l’ensemble des allégations du troisième requérant devant la Cour est abusif, compte tenu du fait que dans ses deux déclarations à la direction de la prison, des 27 mai et 19 juin 2013, celui-ci a déclaré ne pas souhaiter changer ni de cellule ni de prison.

    19.  Le Gouvernement précise que le chauffage pendant l’hiver était assuré par des radiateurs existant tant dans les cellules que dans les espaces communs. La fourniture d’eau chaude était constante et sans limite.

    20.  Toutes les cellules et chambrées, ainsi que l’ancienne cellule disciplinaire, disposaient d’un WC et d’une douche. En 2012, des travaux d’entretien et de réparation eurent lieu dans les installations sanitaires de la prison.

    21.  Chaque nouvel arrivant à la prison recevait des produits d’hygiène corporelle (savon, shampooing, dentifrice, brosse à dent, papier hygiénique, serviette, draps et couvertures). Pendant leur détention, les détenus indigents recevaient tous les produits dont ils avaient besoin des services sociaux.

    22.  Les détenus étaient soumis à des examens médicaux dès qu’ils le demandaient, même sur une base quotidienne, au dispensaire de la prison. Des contrôles réguliers étaient aussi effectués sur ceux souffrant de maladies chroniques (hypertension artérielle, diabète, maladies coronariennes, maladies de la thyroïde, maladies psychiatriques), les détenus qui travaillaient au sein de la prison et ceux qui présentaient une aggravation des symptômes de leur maladie. Les détenus ayant des problèmes ne pouvant être traités au dispensaire de la prison étaient transférés vers des hôpitaux publics ou vers l’hôpital de la prison de Korydallos, à Athènes.

    23.  À compter de son admission dans la prison, le troisième requérant subit trente-cinq examens médicaux dans le dispensaire de la prison.

    24.  Les détenus pouvaient sortir de leurs cellules et chambrées et circuler dans la cour de la prison (de 844,90 m²) et les espaces communs de 7 h 30 à 12 h 15 et de 15 h jusqu’à une demie heure avant le coucher de soleil. Les détenus avaient la possibilité de se divertir en faisant du sport, en lisant dans la bibliothèque de la prison ou en jouant à des jeux de société. Des représentations théâtrales et musicales avaient lieu régulièrement.

    25.  Le Gouvernement précise, en outre, que le troisième requérant a travaillé au sein de la prison pendant les mois d’octobre, novembre et décembre 2011, pendant toute l’année 2012 et de janvier à septembre 2013.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    26.  Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013).

    III.  LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES

    A.  Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants

    27.  Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) relevait ce qui suit en ce qui concerne la prison d’Ioannina.

    28.  La prison, construite en 1968, accueille des détenus condamnés à des peines inférieures à cinq ans ou des prévenus. D’une capacité de 70 personnes, elle en accueillait 232 à la date de la visite. En 2010, le nombre était réduit à 150, mais en moyenne la prison accueille entre 200 et 250 personnes, et occasionnellement jusqu’à 300. La prison est composée d’un seul bâtiment contenant neuf chambrées sur deux étages. Quatre chambrées mesurant 50 m² accueillaient chacune, à la date de la visite, 30 détenus. Cinq chambrées, plus petites situées au rez-de-chaussée, mesurent entre 15 et 32 m² et accueillaient de 8 à 18 détenus. 176 détenus étaient placés dans les neuf chambrées et les 56 restants devaient dormir dans les couloirs, certains devant partager leur lits et certains dormant sur des matelas posés à même le sol. Il y avait un manque total d’intimité pour ceux qui séjournaient dans les couloirs.

    29.  En dépit de la surpopulation, de larges fenêtres dans les chambrées permettaient la circulation de l’air et de la lumière naturelle. La lumière artificielle était suffisante. Les salles d’eau de chaque chambrée (comprenant deux toilettes, deux douches et deux lavabos) étaient cloisonnées, quoique certaines d’entre elles étaient mal entretenues et présentaient de la moisissure sur le plafond.

    30.  Le CPT relevait qu’en 2012, la Cour avait conclu que les conditions de détention dans cette prison constituaient un traitement dégradant en raison de la surpopulation sévère et du manque d’espace. Déjà, en 2009, le médiateur grec avait noté que les chambrées et les cellules étaient « absolument insuffisantes » pour le nombre de détenus et que l’espace personnel pour chaque détenu était « absolument intolérable ». Malheureusement, la délégation constatait que la surpopulation continuait à être un problème massif affectant toutes les parties de la prison.

    31.  En bref, les conditions de détention dans la prison étaient très similaires à celles décrites par la Cour dans son arrêt Samaras et autres c. Grèce (no 11463/09, 28 février 2012).

    32.  La prison était infestée d’insectes et de poux et les conditions d’hygiène n’étaient pas satisfaisantes. Les détenus se sont aussi plaints auprès des représentants du CPT que les matelas et les couvertures fournies étaient sales, ce que ces derniers ont constaté par eux-mêmes. Des produits d’hygiène corporelle n’étaient pas fournis ou fournis en quantité limitée, de sorte que les détenus étaient obligés de les acheter eux-mêmes au magasin de la prison ou de les recevoir des amis ou de la famille lors des visites.

    33.  Le problème du manque d’eau chaude était particulièrement aigu dans la prison et source constante de conflits et de violences entre prisonniers. L’eau chaude était disponible pendant seulement vingt minutes par jour, ce qui était totalement insuffisant pour le nombre de détenus.

    34.  Les détenus dans toutes les prisons grecques sont libres de circuler dans la prison de 8 h à 12 h et de 15 h à 21 h. Toutefois, à Ioannina, les chambrées restaient ouvertes toute la journée et la nuit car, sinon les détenus qui dormaient dans les couloirs n’auraient pas eu accès aux toilettes se trouvant dans les chambrées.

    35.  Deux cellules disciplinaires, mesurant respectivement 7 m² et 8 m², étaient utilisées à des fins de protection. Chacune était équipée de deux lits superposés et d’une toilette, séparée par un rideau. À la date de la visite, deux détenus étaient placés dans chaque cellule, mais le registre de la prison indiquait qu’il y avait souvent quatre détenus par cellule. Les détenus se plaignaient que ces cellules étaient très chaudes en été et très froides en hiver. Les détenus dans ces cellules étaient autorisés à utiliser le couloir pendant certaines périodes et la plupart d’entre eux travaillaient et passaient la plus grande partie de la journée hors des cellules. Toutefois, le seul accès à l’extérieur de la prison consistait en la sortie dans un espace minuscule de 4 m², adjacent aux cellules, et qui offrait une vue limitée du ciel car entouré de murs très hauts.

    B.  Les instances nationales

    36.  Dans un document adressé par le ministère de la Justice au Parlement hellénique et relatif à la capacité des prisons en Grèce et au nombre de détenus dans chacune d’elles, le ministre indiquait que la prison d’Ioannina avait une capacité de 80 personnes et que le 1er avril 2014, elle en accueillait 205.

    37.  Dans un document envoyé par les autorités de la prison d’Ioannina au Conseil juridique de l’Etat au sujet d’une autre requête pendante devant la Cour (Mlazai et autres c. Grèce, no 36673/13), les autorités indiquaient le nombre des personnes détenues dans la prison pendant les années 2011, 2012 et 2013 et procédaient à la conclusion suivante : « Il est en conséquence évident qu’il y a eu dépassement du nombre de détenus qui pouvaient être placés dans notre établissement ».

    38.  Enfin, un autre document, daté du 5 août 2014, envoyé par ce même ministère au Conseil juridique de l’Etat, décrivant la prison d’Ioannina et indiquant les conditions de détention dans celle-ci, précisait ce qui suit au sujet de l’ancienne cellule disciplinaire :

    « Deux cellules disciplinaires mesurant 3,45 x 2,30 mètres [7,93 m²], ayant une porte et une petite fenêtre, une toilette en leur sein ainsi qu’une toilette et une douche dans l’espace entre les deux cellules ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    39.  Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

     « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    40.  Se prévalant de la décision Chatzivasiliadis c. Grèce, précitée, le Gouvernement soutient que les requérants Koutsospyros et Psalmos n’ont pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir saisi les tribunaux internes d’une action en dommages-intérêts, fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les dispositions pertinentes du code pénitentiaires ou avec l’article 3 de la Convention.

    41.  Ces deux requérants affirment qu’ils ont été libérés quelques jours avant l’introduction de leur requête, mais sans savoir à quelle date celle-ci allait parvenir à la Cour. L’application stricte à leur égard de la jurisprudence Chatzivasiliadis pour une période de quelques jours aurait pour résultat de les priver de leur droit d’obtenir une décision de la Cour sur la violation de l’article 3.

    42.  La Cour rappelle qu’elle a considéré dans son arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012) que, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et les recours indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cette disposition impose que les États établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention. À défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des États de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (ibidem).

    43.  La Cour rappelle cependant que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions selon elle contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa remise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), précitée).

    44.  En l’espèce, la Cour constate qu’à la date d’introduction de la présente requête, à savoir le 4 juin 2013, ces deux requérants avaient déjà été remis en liberté le premier depuis le 29 mai 2013, le deuxième depuis le 31 mai 2013. Dès lors, en saisissant la Cour le 4 juin 2013, ils ne cherchaient de toute évidence pas à empêcher que leur détention se poursuive dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’ils estimaient avoir subi.

    45.  Elle note, en outre, que les principaux griefs des requérants concernant leurs conditions de détention portent sur la surpopulation régnant dans la prison d’Ioannina. Les intéressés font également référence aux problèmes d’hygiène et aux insuffisances alimentaires. Or, de l’avis de la Cour, les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire garantissent des droits subjectifs en la matière et susceptibles d’être invoqués devant les juridictions. L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours qui aurait pu être exercée par les requérants.

    46.  Au vu de ce qui précède, cette partie de la requête, en ce qui concerne ces deux requérants doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    47.  Quant au troisième requérant, la Cour relève que, à la date d’introduction de la présente requête, il était encore détenu à la prison d’Ioannina. Partant, l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne peut à son égard être considérée comme effective aux fins de l’épuisement des voies de recours car il manque à cette action le caractère préventif au sens de la jurisprudence susmentionnée de la Cour (Kanakis c. Grèce (no 2), no 40146/11, § 88, 12 décembre 2013). La Cour constate, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité au regard du troisième requérant. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    48.  Le Gouvernement soutient que les griefs du troisième requérant sont vagues et soulevés de manière générale sans être liés à la situation personnelle de celui-ci. Il souligne aussi qu’ils sont abusifs car dans son attestation sur l’honneur du 19 juin 2013, ce requérant avait déclaré ne pas souhaiter changer ni cellule ni prison. Le Gouvernement se réfère pour le reste à sa version des conditions de détention dans la prison (paragraphes 17-25 ci-dessus).

    49.  Le troisième requérant rétorque que les conditions de sa détention dans la prison étaient sinistres. Il se réfère à cet égard à sa version de ces conditions, aux constats de la Cour dans les arrêts Nisiotis c. Grèce (no 34704/08, 10 février 2011), Taggatidis et autres c. Grèce (no 2889/09, 11 octobre 2011), Samaras et autres, précité, et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, 4 décembre 2012), ainsi qu’à ceux du CPT.

    50.  En ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a répétés dans ses arrêts Ananyev et autres (précité, §§ 139 à 159) et Tzamalis et autres c. Grèce précité. Elle rappelle aussi que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    51.  S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006 et, a contrario, Muršić c. Croatie, no 7334/13, 12 mars 2015). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001-III).

    52.  En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à plusieurs reprises à la violation de l’article 3 en raison des conditions de détention existant en général dans la prison d’Ioannina (Nisiotis c. Grèce, Taggatidis et autres c. Grèce, Samaras et autres c. Grèce et Tzamalis et autres c. Grèce, précités). À cela s’ajoutent les constats du CPT dans son rapport du 5 juillet 2013 (paragraphes 26-34 ci-dessus), par rapport notamment à la surpopulation dans cette prison, ainsi que sa conclusion selon laquelle les conditions de détention plus générales n’avaient pas changé depuis l’arrêt de la Cour dans l’affaire Samaras et autres précitée. La Cour observe cependant que la détention que dénonce le requérant s’est déroulé dans un local particulier, l’ancienne cellule disciplinaire.

    53.  S’agissant de cette cellule, les parties divergent quant à la surface disponible : le requérant explique que la cellule était divisée en deux pièces (respectivement de 7 m² et de 8 m²) avec un WC au milieu ; le Gouvernement affirme que la surface de la cellule était de 26,55 m². Dans ces conditions, la Cour juge approprié de fonder son appréciation sur les descriptions fournies par les diverses institutions internationales et internes qui ont décrit dans leurs rapports et documents la surface et la configuration des cellules disciplinaires dans l’une desquelles le requérant a passé la totalité sinon la plus grande partie de sa détention.

    54.  Dans son rapport du 5 juillet 2013, le CPT fait état de deux cellules disciplinaires, mesuraient respectivement 7 m² et 8 m², et était chacune équipée des deux lits superposés et d’une toilette (paragraphes 27 et 35 ci-dessus). De la même façon, le ministère de la Justice, dans son document du 5 août 2014, relève que la prison disposait des deux cellules disciplinaires des dimensions 3,45 X 2,30 mètres [7,93 m²], ayant chacune une porte et une petite fenêtre, une toilette en leur sein ainsi qu’une toilette et une douche dans l’espace entre les deux cellules (paragraphe 38 ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour accorde plus de poids à l’affirmation du requérant selon laquelle il a été détenu dans l’une de ces deux cellules.

    55.  Qui plus est, le Gouvernement ne conteste pas l’allégation du requérant que celui-ci était placé dans l’une des deux cellules avec trois autres détenus et que l’autre cellule (d’une taille équivalente) n’était occupée qu’occasionnellement (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour constate donc que le requérant disposait de moins de 2 m², mobilier compris. S’il travaillait pendant certaines heures dans la journée, cela n’empêche qu’il passait le reste de la journée dans un espace exigu.

    56.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le troisième requérant a été détenu dans des conditions incompatibles avec l’article 3 de la Convention et qui ont constitué à son endroit un traitement dégradant. Il y a donc eu violation de cette disposition.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

    57.  Invoquant les articles 3 et 13 combinés de la Convention, les requérant se plaignent qu’ils ne disposaient pas d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention.

    58.  Au vu de sa conclusion relative à la recevabilité du grief relatif à l’article 3 de la Convention concernant les deux premiers requérants troisième, la Cour constate que le présent grief est manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 s’agissant de ces requérants et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention. Quant au troisième requérant, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    59.  En premier lieu, le Gouvernement souligne que si ce requérant a saisi, le 27 mai 2013, le conseil de la prison de ses griefs en vertu de l’article 6 du code pénitentiaire, dans son attestation sur l’honneur du 19 juin 2013, il déclarait ne pas souhaiter changer ni de cellule ni de prison.

    60.  En deuxième lieu, il soutient que le requérant avait à sa disposition les recours prévus par l’article 572 du code de procédure pénale, mais aussi par l’article 25 § 1 de la loi no 1756/1988 portant code des tribunaux qui investit le procureur adjoint près la cour d’appel détaché à la prison d’Ioannina de veiller au respect des règles concernant le traitement des détenus et des conditions de détention dans la prison.

     61.  La Cour rappelle d’abord sa jurisprudence suivant laquelle lorsque les requérants ne se plaignent pas uniquement de leur situation personnelle, mais allèguent être personnellement affectés par les conditions régnant pour l’ensemble des détenus dans l’enceinte d’une prison, les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient pas à eux seuls à remédier à la situation dénoncée et ne seraient d’aucune utilité (Nisiotis c. Grèce, précité, § 29 ; Samaras et autres c. Grèce, précité, § 48 ; Lica c. Grèce, no 74279/10, § 38, 17 juillet 2012 ; Nikolaos Athanasiou et autres c. Grèce, no 36546/10, § 63, 23 octobre 2014). S’agissant notamment de l’article 572 du code de procédure pénale, la Cour a déjà constaté ce recours permet à des détenus de se plaindre seulement des circonstances particulières qui les affectent personnellement en tant qu’individus et auxquelles les autorités pénitentiaires peuvent mettre un terme en prenant les mesures appropriées.

    62.  La Cour relève qu’en l’espèce, le troisième requérant a saisi avec d’autres détenus le conseil de la prison dans lequel il faisait état de ses mauvaises conditions de détention, notamment en ce qui concernait la surpopulation. Dans le procès-verbal, du 27 juin 2013, établi par le conseil de la prison, suite à cette saisine, et transmis au ministère de la Justice, il était indiqué : « les membres du conseil de la prison ont pris en considération, après l’audition des détenus, de leur affirmation selon laquelle leur unique problème était la surpopulation dans la prison et c’est qu’ils ont déclaré à leur avocat, Me Spathis, qui a cependant estimé opportun de noter le reste (...) ». Toutefois, la Cour note qu’aucune suite n’a été donnée, à tout le moins au problème de la surpopulation, ni à la requête des détenus ni au procès-verbal envoyé par le conseil de la prison au ministère de la Justice.

    63.  La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 combiné avec l’article 13 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    64.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    65.  Le troisième requérant réclame 11 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    66.  Le Gouvernement soutient que cette somme est excessive.

    67.  La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de ses conditions de détention et qu’il a ainsi droit à une indemnité. Pour calculer l’indemnité à verser, elle estime devoir tenir compte de la durée totale de la détention de celui-ci mais aussi de la période pendant laquelle il a travaillé. Sur la base de ces éléments et statuant en équité, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre.

    B.  Frais et dépens

    68.  Le troisième requérant demande également 1 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il précise qu’il a convenu par un accord de verser cette somme à ses avocats après la fin de la procédure devant la Cour.

    69.  Le Gouvernement estime que cette somme est excessive et non nécessaire, compte tenu du fait que la procédure devant la Cour était écrite. Il souligne aussi que le requérant ne produit pas copie de l’accord qui se réfère d’ailleurs à des frais hypothétiques dont la réalité ne peut pas être établie.

    70.  La Cour note que le requérant a conclu avec son conseil un accord concernant les honoraires de celle-ci, qui tend à se rapprocher d’un accord de quota litis. Ces accords peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître d’obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient en eux-mêmes lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI ; Christodoulou et autres c. Grèce, no 80452/12, § 87, 5 juin 2014).

    71.  En l’espèce, la Cour considère que compte tenu de sa situation, le requérant n’aurait pas pu verser au préalable à ses avocats ses honoraires (Mahammad et autres c. Grèce, no 48352/12, § 78, 15 janvier 2015). Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime raisonnable d’accorder au requérant 700 EUR pour les frais engagés pour la procédure devant elle, plus toute somme pouvant être due par lui à titre d’impôt.

    C.  Intérêts moratoires

    72.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de articles 3 et 13 pour autant qu’ils ont été soulevés par le troisième requérant et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard du troisième requérant ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à l’égard du troisième requérant ;

     

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au troisième requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  700 EUR (sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    André Wampach                                                                   Khanlar Hajiyev
      Greffier adjoint                                                                       
    Président

     


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