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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOUROS AND OTHERS v. GREECE - 51653/12 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 292 (12 March 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/292.html
Cite as: [2015] ECHR 292

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BOUROS ET AUTRES c. GRÈCE

     

    (Requêtes nos 51653/12, 50753/11, 25032/12, 66616/12 et 67930/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    12 mars 2015

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Bouros et autres c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro, présidente,
              Khanlar Hajiyev,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse,
              Ksenija Turković,
              Dmitry Dedov, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouvent cinq requêtes (nos 51653/12, 50753/11, 25032/12, 66616/12 et 67930/12) dirigées contre la République hellénique et dont trois ressortissants de cet État, M. Christodoulos Giatzoglidis, M. Michail Gavriilidis et M. Giorgos Pourselantzei, ainsi qu’un ressortissant roumain, M. Vasile Bouros, et un ressortissant bulgare, M. Stefan Dimitrov (« les requérants »), ont saisi la Cour les 5 août 2011, 19 avril 2012, 8 octobre 2012, 1er août 2012 et 8 octobre 2012 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me M. Lambrou, avocate à Larissa. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme M. Skorila, auditrice au Conseil juridique de l’Etat. Informés de leur droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement roumain a déclaré qu’il ne le souhaitait pas et le gouvernement bulgare n’a pas répondu.

    3.  Les requérants allèguent une violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de détention.

    4.  Le 30 janvier 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Les requérants sont nés respectivement en 1962, 1984, 1983, 1972 et 1972 et sont, ou ont été pour certains d’entre eux, incarcérés à la prison de Larissa.

    A.  Le cas du requérant V. Bouros

    6.  Le 30 juin 2007, le requérant fut placé en détention provisoire à la prison de Korydallos. Le 23 décembre 2008, il fut transféré à la prison de Larissa. Le 4 février 2011, la cour d’appel criminelle d’Athènes le condamna à une peine de réclusion de treize ans, à une amende de 3 000 euros et ordonna aussi son expulsion après que sa peine ait été purgée. Il fut mis en liberté le 6 mars 2013.

    1.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Larissa

    7.  Le requérant fut placé dans une cellule de 25 m² (comportant une douche, un lavabo et un WC) qui accueillait 10 détenus. Les cellules n’avaient ni eau chaude, ni lumière artificielle suffisante, ni linge de lit, ni étagères. Les murs étaient abîmés par l’humidité et les odeurs au sein de la prison étaient insupportables à cause des détritus et des restes de nourriture jetés dans la cour de la prison. En fait, les détenus prenaient leurs repas dans leur cellule, ils étaient obligés de jeter les restes par la fenêtre, et il fallait plusieurs heures, voire des jours, avant qu’ils ne soient enlevés. Outre les odeurs qu’ils provoquaient, ces détritus attiraient rats, cafards, puces, et autres insectes.

    8.  Le requérant allègue aussi qu’il tomba malade, avec des maux de tête et de la fièvre, et qu’en dépit de ses appels il ne bénéficia d’aucun soin médical. Il met en cause l’insuffisance des soins médicaux, le manque de mesures pour empêcher la transmission des maladies contagieuses et le non-respect des règles d’hygiène.

    2.  Version du requérant concernant ses conditions de détention antérieures dans la prison de Korydallos

    9.  Le requérant fut placé en détention provisoire à la prison de Korydallos, dans une cellule de 9 m² avec trois autres détenus. La cellule n’avait pas de lumière artificielle suffisante, n’était pas chauffée et n’avait jamais été désinfectée ni nettoyée faute de produits d’entretien. À l’exception d’un matelas infect, le requérant ne reçut jamais aucun linge de lit. La cellule n’avait ni étagère ni chaise pour s’asseoir. Le requérant soutient qu’il ne reçut aucune réponse à ses nombreuses demandes à être examiné par un médecin pour des problèmes de sinusite et de céphalée.

    3.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa

    10.  Le requérant fut détenu dans l’aile A de la prison, dans une cellule d’une superficie de 25 m², avec six ou neuf autres détenus, en fonction de la population de la prison. Son espace personnel variait donc de 3,57 m² à 2,10 m². La cellule comportait un coin sanitaire de 5 m² équipé d’un WC, d’un lavabo et d’une douche.

    11.  Pendant sa détention, le requérant travailla en tant qu’agent de nettoyage du 1er juillet au 30 septembre 2009, du 1er avril au 30 juin 2010, du 1er octobre au 31 décembre 2010, et du 1er juillet au 30 septembre 2011. D’octobre 2011 à juin 2012 et d’octobre 2012 jusqu’à sa mise en liberté, il suivait des cours à « l’École de la deuxième chance » de la prison.

    12.  De 8 h à 12 h, puis de 15 h jusqu’au coucher du soleil, le requérant travaillait ou avait la possibilité de faire du sport ou de se promener dans la cour de l’aile A de la prison. Il pouvait aussi se distraire dans l’espace commun couvert où les détenus jouaient au tennis de table. En déduisant les heures de sommeil, de travail et de promenade, il restait six heures au requérant à passer dans la cellule.

    13.  Le requérant fut examiné à 19 reprises par le médecin généraliste de la prison et à sept reprises par le dentiste. Il fut transféré deux fois vers un hôpital public, l’une pour un examen dermatologique, l’autre pour un examen biologique.

    4.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention antérieures du requérant dans la prison de Korydallos

    14.  Le Gouvernement indique que le requérant fut initialement détenu dans les cellules A86, A92, A58, A61, A59 de l’aile A de la prison et pour la période du 29 avril 2008 au 30 juin 2008 dans une chambrée de l’aile E avec d’autres prisonniers qui travaillaient dans les ateliers. Son espace personnel variait entre 2,3 à 3,1 m².

    15.  Sur un total de 17 mois de détention à Korydallos, le requérant travailla pendant huit mois comme assistant de cuisinier et effectua 267 heures de travail, ce qui eut une conséquence favorable sur le calcul de sa peine.

    B.  Le cas du requérant C. Giatzoglidis

    16.  Condamné pour trafic de stupéfiants à une peine de réclusion à perpétuité, le requérant est en détention depuis 1998. Pendant cette période, il fut placé dans neuf établissement différents, à savoir, d’abord au dispensaire psychiatrique de la prison de Korydallos, puis à la prison de la Canée, à la prison de Nauplie, à la prison de Korydallos, à la prison de Malandrino, à la prison de Patras, à l’ancienne prison de Trikala, à la nouvelle prison de Trikala et, le 24 septembre 2007, à la prison de Larissa où il se trouvait encore à la date de ses observations à la Cour. Les conditions de détention dans ces prisons étaient, selon le requérant, variables selon l’établissement. Il souligne, notamment, que les conditions de détention étaient bonnes à la nouvelle prison de Trikala où il fut détenu à partir de fin juillet 2006.

    1.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Larissa

    17.  Le requérant fut placé dans une cellule de 24 m² avec neuf autres détenus, dans laquelle il n’y avait ni table ni armoire pour ranger ses vêtements. Il n’aurait pas reçu de produits d’hygiène corporelle, comme du savon, ou du papier toilette.

    2.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa

    18.  Le requérant fut détenu dans l’aile A de la prison, dans une cellule d’une superficie de 25 m², avec six ou neuf autres détenus, en fonction de la population de la prison. Son espace personnel variait donc de 3,57 à 2,10 m². La cellule comportait un coin sanitaire de 5 m² équipé d’un WC, d’un lavabo et d’une douche.

    19.  Pendant sa détention, le requérant cumula 1 000 jours de travail en tant qu’agent de nettoyage. D’octobre 2007 à avril 2008, le requérant suivit le programme éducatif « ARSIS ». Il bénéficia en outre de 25 congés ordinaires d’une durée de cinq à neuf jours chacun.

    20.  De 8 h à 12 h, puis de 15 h jusqu’au coucher du soleil, le requérant travaillait ou avait la possibilité de faire du sport ou de se promener dans la cour de l’aile A de la prison. Il pouvait aussi se distraire dans l’espace commun couvert où les détenus pouvaient jouer au tennis de table. En déduisant les heures de sommeil, de travail et de promenade, il restait six heures au requérant à passer dans sa cellule.

    21.  Le requérant fut examiné à 48 reprises par le médecin généraliste de la prison et à six reprises par le dentiste. Il fut transféré plusieurs fois vers un hôpital public, cinq pour un examen psychiatrique et orthopédique, une pour un examen cardiologique et trois pour un examen biologique.

    C.  Le cas du requérant M. Gavriilidis

    22.  Soupçonné de chantage et de dommages corporels, le requérant fut placé en détention provisoire du 26 avril au 16 juin 2011 dans les cellules de la Direction de police de Thessalonique. Le 17 juin 2011, le requérant fut transféré à la prison de Larissa. Il fut mis en liberté sous condition le 25 octobre 2012.

    1.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Larissa

    23.  Le requérant fut placé dans une cellule de 25 m², dans laquelle il y avait encore neuf autres détenus. La cellule disposait d’un lavabo, d’une douche (sans eau chaude) et d’un WC. À l’exception d’un matelas crasseux, le requérant ne reçut aucun linge de lit. La cellule n’était ni suffisamment éclairée ni chauffée. Les odeurs au sein de la prison étaient insupportables à cause des détritus et des restes de nourriture jetés dans la cour de la prison. En effet, comme les détenus prenaient leurs repas dans leur cellule, ils étaient obligés de jeter les restes par la fenêtre, et il fallait plusieurs heures, voire des jours, avant qu’ils ne soient enlevés. Outre les odeurs qu’ils provoquaient, ces détritus attiraient rats, cafards, puces, et autres insectes.

    24.  Le requérant se plaint aussi de l’insuffisance de soins médicaux, du manque de mesures pour empêcher la transmission des maladies contagieuses et du non-respect des règles d’hygiène.

    2.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa

    25.  Le requérant fut détenu dans l’aile A de la prison, dans une cellule d’une superficie de 25 m², avec six ou neuf autres détenus, en fonction de la population de la prison. Son espace personnel variait donc de 3,57 à 2,10 m². La cellule comportait un coin sanitaire de 5 m² équipé d’un WC., d’un lavabo et d’une douche.

    26.  Pendant la durée de sa détention, le requérant ne travailla pas et ne suivit pas des cours car cela n’était pas prévu pour ceux qui étaient en détention provisoire.

    27.  De 8 h à 12 h, puis de 15 h jusqu’au coucher du soleil, le requérant avait la possibilité de faire du sport ou de se promener dans la cour de l’aile A de la prison. Il pouvait aussi se distraire dans l’espace commun couvert où les détenus pouvaient jouer au tennis de table. En déduisant les heures de sommeil et de promenade, il restait six heures au requérant à passer dans la cellule.

    28.  Le requérant fut examiné à six reprises par le médecin généraliste de la prison. Il fut transféré deux fois à un hôpital public pour un examen radiologique et pour un examen biologique.

    D.  Le cas du requérant G. Pourselantzei

    29.  Le requérant fut d’abord détenu provisoirement du 25 septembre au 30 octobre 2008 (35 jours) dans une cellule de 20 m² de la Direction de la police de Thessalonique. Il fut par la suite transféré à la prison Diavata de Thessalonique, puis à la prison de l’île de Chios, où il fut détenu pendant douze mois.

    30.  À Chios, il fut placé dans un dortoir de 35 m² contenant vingt lits mais accueillant 30 à 35 détenus dont 15 dormaient à même le sol. À l’exception d’un matelas infect, les détenus, dont le requérant, ne recevaient ni linge de lit ni produit d’entretien. L’eau de la prison n’était pas potable et le requérant devait acheter de l’eau minérale avec ses propres deniers. Pour faire face à ses problèmes psychologiques, le requérant aurait déposé auprès des autorités de la prison dix demandes pour rencontrer une assistante sociale. Faute de réponse, il se serait adressé directement au directeur pour l’entendre dire que la prison ne disposait pas de services sociaux.

    31.  Le 18 juin 2010, le requérant fut transféré à la prison de Larissa. Il fut mis en liberté le 19 avril 2013.

    1.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Larissa

    32.  Le requérant dénonce son séjour dans une cellule de 25 m² (équipée d’une douche sans eau chaude, d’un WC. et d’un lavabo) avec neuf autres détenus. La cellule n’était ni suffisamment éclairée ni chauffée. Les murs étaient abîmés par l’humidité et les odeurs au sein de la prison étaient insupportables en raison des détritus et des restes de nourriture jetés dans la cour de la prison. En fait, comme les détenus prenaient leurs repas dans leur cellule, ils étaient obligés de jeter les restes par la fenêtre, et il fallait plusieurs heures voire des jours avant qu’ils soient enlevés. Outre les odeurs, ces détritus attiraient rats, cafards, puces, et autres insectes.

    2.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa

    33.  Le Gouvernement souligne que si le requérant était détenu, du 18 juin 2010 au 14 mars 2011, dans une cellule avec six à neuf autres détenus, à partir du 15 mars 2011, il fut placé dans une autre cellule, d’une superficie de 8 m² avec seulement une autre personne, affirmation non contestée par le requérant. D’octobre 2010 à juin 2012, et de janvier à avril 2013, le requérant suivit des cours à « l’École de la deuxième chance » qui fonctionnait dans la prison. Du 1er octobre au 31 décembre 2012, le requérant travailla comme agent de nettoyage au sein de la prison.

    E.  Le cas du requérant S. Dimitrov

    34.  Le requérant fut détenu d’abord dans une cellule du commissariat de Serres, du 14 octobre au 16 décembre 2009, puis du 16 décembre 2009 au 4 octobre 2010, à la prison Diavata de Thessalonique. Le 4 octobre 2010, il fut transféré à la prison de Larissa.

    1.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Larissa

    35.  Le requérant fut détenu, avec 9 autres détenus, dans une cellule où son espace personnel était de 2,5 m², ce qui est, explique-t-il, en dessous de la superficie préconisée pour chaque détenu par la législation grecque. Il se prévaut aussi à cet égard de la jurisprudence de la Cour en matière de surpopulation dans les prisons. Les détenus prenaient leurs repas dans leur cellule, ils étaient obligés de jeter les restes par la fenêtre, et il fallait plusieurs heures, voire des jours, avant qu’ils soient enlevés. Outre les odeurs, ces détritus attiraient rats, cafards, puces, et autres insectes.

    2.  Version du requérant concernant ses conditions de détention dans la prison de Diavata

    36.  Il y fut détenu, du 16 décembre 2009 au 4 octobre 2010, avec neuf autres détenus dans une cellule de 20 m², comprenant dans une partie de 3 m² un WC., une douche sans eau chaude et un robinet. À l’exception d’un matelas infect, le requérant ne reçut aucun linge de lit. La cellule était mal éclairée, non chauffée et humide. L’odeur qui y régnait était nauséabonde.

    3.  Informations soumises par le Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Larissa

    37.  Le requérant travailla comme agent de nettoyage pendant les périodes suivantes : du 1er avril au 30 juin 2011, du 1er octobre au 31 décembre 2011, du 1er avril au 30 juin 2012, du 1er octobre au 31 décembre 2012 et de manière continue à compter du 12 mars 2013.

    4.  Version du Gouvernement concernant les conditions de détention du requérant dans la prison de Diavata

    38.  Le requérant était détenu dans une cellule de 23,68 m² qui comprenait un espace pour la toilette (2,77 m²). Le nombre total de détenus par cellule s’élevait à 10 personnes. Dans chaque cellule, il y avait cinq lits superposés, une table de chevet pour chaque détenu, une table avec des chaises et un téléviseur. Le coin sanitaire disposait d’une douche et d’un lavabo et d’une fenêtre de 0,5 m².

    39.  Le requérant travailla pendant 68 jours en tant qu’agent de nettoyage.

    40.  Chaque cellule disposait d’une fenêtre de 9,72 m² x 0,90 m² permettant à la lumière naturelle d’y pénétrer et assurant une aération suffisante. En outre, l’aération était aussi assurée par un système central dans les espaces communes de chaque aile.

    41.  Les cours de la prison étaient distinctes pour chaque étage, afin d’éviter la communication entre personnes détenues dans des ailes différentes. Chaque cour disposait d’un terrain de basket-ball, de volley-ball et d’un espace pour jouer au football.

    F.  Informations générales fournies par le Gouvernement concernant les modalités de détention dans la prison de Larissa

    42.  Le Gouvernement affirme que les détenus prennent leurs repas dans les cellules. Le petit-déjeuner est distribué à 8 h, le déjeuner à 12 h et le dîner à 18 h l’hiver et à 20 h 30 l’été. Chaque détenu peut aussi préparer son propre repas, acheté avec ses propres deniers, dans un espace commun où il y a des plaques de cuisson.

    43.  Le soin de nettoyage des cellules est laissé aux détenus. En dépit du fait qu’à chaque étage, dans chaque cour et dans chaque aile, des poubelles sont disposées, certains détenus jettent les détritus et les restes de nourriture par la fenêtre. Plus précisément, à l’intérieur de l’aile A, où séjournaient les requérants, il y a trois poubelles à roulettes et une fixe, accessibles aux détenus du matin au soir, et, dans la cour de cette aile, il y en a deux autres. Dans les cellules, les poubelles sont proscrites afin d’éviter que les détenus fabriquent de l’alcool ou d’autres substances.

    44.  Le nettoyage des espaces communs et des cours est quotidien et un nettoyage plus poussé a lieu deux fois par semaine. Les cours « mortes », à savoir celles non accessibles aux détenus qui y jettent leurs détritus, sont nettoyées tous les matins. Le ramassage des poubelles est effectué trois fois par jour. Des sociétés extérieures procèdent à intervalles réguliers à des opérations de désinfection.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    45.  Le droit et la pratique internes pertinents se trouvent exposés dans l’arrêt Nikolaos Athanasiou et autres c. Grèce (no 36546/10, §§ 39-45, 23 octobre 2014).

    46.  Une délégation du service du médiateur de la République effectua une visite dans la prison de Larissa le 6 juillet 2010. Dans son rapport, elle indiquait ce qui suit au sujet des conditions de détention dans cette prison :

    « (...) le nombre des détenus est environ le double de celui que permet la capacité du bâtiment. Cette situation a des conséquences directes sur le quotidien et les conditions de vie des détenus ainsi sur le fonctionnement général de la prison. Il convient cependant de noter que la direction de la prison considère comme extraordinaire le fait qu’il existe des lits pour tous les détenus (...). »

    47.  Répondant à une question écrite de deux députés du parti DIMAR, le ministre de la Justice précisait, en mai 2014, que la prison de Larissa d’une capacité officielle de 500 détenus en accueillait 859.

    III.  LES CONSTATS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT)

    A.  La prison de Larissa

    48.  Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Larissa, qui avait commencé à fonctionner en 1984 et avait une capacité officielle de 500 places, accueillait à l’époque de la visite 892 détenus. La surpopulation était manifeste dans tous les espaces de la prison. Les ailes A, B et C accueillaient chacune un nombre de 220 à 270 détenus dans des cellules sur trois étages. Une cellule standard mesurait 23 m² et était équipée de cinq lits, une table et quelques chaises. Dans l’aile A, la délégation du CPT nota que plusieurs cellules accueillaient jusqu’à douze détenus et que certains d’entre eux étaient obligés de partager un lit ou de dormir sur des matelas posés par terre. Un certain nombre des cellules présentait un taux d’humidité élevé et manquait d’entretien (peinture murale décollée, fenêtres cassées) et quelques une avaient besoin d’une restauration majeure. Chaque cellule disposait d’un sanitaire séparé, d’une superficie de 5 m², comprenant un WC., une douche et un lavabo (paragraphe 107 du rapport).

    49.  L’aile D, un ancien entrepôt, accueillait dans deux dortoirs 135 détenus, âgés ou qui travaillaient au sein de la prison. Les dortoirs avaient des rangées de lits superposés, ce qui laissait à chaque détenu un espace personnel de 3 m². À côté de chaque lit superposé, il y avait une table et deux tabourets. La salle d’eau adjacente comprenait six douches (dont cinq fonctionnaient), six toilettes et quatre lavabos.

    50.  La délégation constata que les matelas et les couvertures étaient dans un état crasseux, ce qui aggravait le mauvais état général de l’hygiène dû à la surpopulation. Des produits d’hygiène personnelle étaient fournis en petite quantité (paragraphe 109 du rapport). Le chauffage fonctionnait pour de très courtes périodes et les détenus dormaient habillés avec leurs vêtements d’hiver (paragraphe 110 du rapport).

    B.  La prison de Korydallos

    51.  Dans son rapport du 17 novembre 2010, établi à la suite de la visite du 17 au 29 septembre 2009, le CPT relevait que le taux d’occupation de la prison n’avait pas diminué depuis les visites effectuées en 2005 et 2007 et s’élevait à 2 100 détenus, alors que la capacité officielle de la prison était de 700 personnes. Le CPT soulignait que le phénomène de surpopulation dans la prison n’était ni nouveau ni passager. Il rappelait qu’il avait depuis 1993 attiré l’attention des autorités sur la nécessité de réduire le taux d’occupation dans les cellules. S’il était irréaliste d’espérer que les cellules accueilleraient un seul détenu, conformément à leur conception initiale, il avait recommandé aux autorités de ne pas y placer plus de deux détenus. Toutefois, en 2009, il a encore constaté que les cellules mesurant 9,5 m² accueillaient trois, voire même quatre détenus.

    C.  La prison Diavata de Thessalonique

    52.  Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que la prison, d’une capacité officielle de 300 détenus, en accueillait 607. Il y avait 10 détenus par dortoir qui mesurait 24 m². Les dortoirs étaient équipés de cinq lits superposés, d’une petite table, quelques chaises, une télévision et un réfrigérateur. Ils avaient une annexe sanitaire comprenant un WC., un lavabo et une douche. En dépit du surpeuplement et de son impact sur la propreté et l’entretien, l’état des réparations dans la prison était satisfaisant.

    EN DROIT

    53.  Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux griefs, la Cour décide de joindre celles-ci et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    54.  Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans les différentes prisons et commissariats de police où ils ont été et sont encore détenus. Ils dénoncent une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Les thèses des parties

    55.  En premier lieu, le Gouvernement soutient que les griefs des requérants Bouros, Giatzoglidis et Gavriilidis, relatifs à leurs conditions de détention dans les commissariats de police et les prisons dans lesquels ils ont été détenus avant d’être transférés à la prison de Larissa, et qui étaient différentes de celles régnant dans cette prison, sont irrecevables car formulés en dehors du délai de six mois et insusceptibles d’être considérés comme ayant trait à une situation continue. En outre, le Gouvernement soutient que la requête, pour autant qu’elle émane du requérant Pourselantzei, doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois même en ce qui concerne la période de détention dans la prison de Larissa, rappelant qu’il y est détenu depuis le 15 mars 2011 dans une cellule avec un seul codétenu. Enfin, en ce qui concerne le requérant Dimitrov, le Gouvernement souligne que l’on ne saurait affirmer qu’il y ait situation continue à son égard car, pour ce qui est des conditions à Larissa, il ne se plaint pas de la surpopulation, mais seulement des questions liées à la propreté dans la prison.

    56.  En deuxième lieu, le Gouvernement prétend que les griefs plus spécifiques concernant l’espace personnel réduit ainsi que le manque de produits d’hygiène, d’éclairage, de chauffage et de cellules réservées aux non-fumeurs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes. En particulier, les requérants ont omis d’introduire une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, qui constitue une voie de recours efficace pour faire constater d’éventuelles mauvaises conditions de détention et obtenir des dommages-intérêts pour préjudice matériel et moral. Par ailleurs, les requérants n’ont pas fait usage des possibilités offertes par l’article 572 du code de procédure pénale, des dispositions pertinentes du code pénitentiaire ainsi que de celles de l’arrêté ministériel no 58819/2003.

    57.  En troisième lieu, le Gouvernement affirme que les griefs des requérants Bouros et Gavriilidis concernant les soins médicaux, le manque de mesures pour empêcher la transmission de maladies contagieuses et le non-respect des règles d’hygiène sont aussi irrecevables car il s’agit d’allégations à caractère général qui ne se rapportent pas à la situation des requérants.

    58.  Les requérants soutiennent que les conditions de détention dans toutes les prisons et commissariats dans lesquels ils ont été détenus étaient identiques de sorte qu’il y a eu « situation continue ».

    59.  En outre, selon les requérants, les recours invoqués par le Gouvernement ne sont pas effectifs et accessibles aux fins de l’épuisement. En réalité, le Gouvernement tente de renverser la charge de la preuve en matière d’épuisement mais il ne démontre nullement que les recours prévus par les articles 572 du code de procédure pénale et 105 de la loi d’accompagnement du code civil qu’il invoque étaient pertinents dans le cas des requérants.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Épuisement des voies de recours internes

    60.  La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention - avec lequel elle présente d’étroites affinités -, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).

    61.  En ce qui concerne l’omission alléguée des requérants de faire usage des possibilités offertes par l’article 572 du code de procédure pénale, des dispositions pertinentes du code pénitentiaire ainsi que de celles de l’arrêté ministériel no 58819/2003, la Cour souligne qu’en l’espèce les requérants ne se plaignent pas uniquement de leur situation personnelle, mais qu’ils allèguent être personnellement affectés par les conditions régnant pour l’ensemble des détenus dans l’enceinte de la prison de Larissa. Elle rappelle sa jurisprudence antérieure suivant laquelle dans ce genre de cas les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient pas à eux seuls à remédier à la situation dénoncée (Nisiotis c. Grèce, no 34704/08, § 29, 10 février 2011 ; Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, § 48, 28 février 2012 ; Lica c. Grèce, no 74279/10, § 38, 17 juillet 2012). Ce constat s’applique mutatis mutandis dans la présente affaire, concernant, elle, les conditions de détention dans la prison de Larissa. La Cour conclut donc que, dans ces circonstances, les recours mentionnés par le Gouvernement ne seraient d’aucune utilité.

    62.  Quant à la saisine des juridictions administratives d’une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour rappelle qu’elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur cette voie de recours et renvoie à sa jurisprudence en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Kanakis c. Grèce (no 2), précité, §§ 87-88, et Nikolaos Athanasiou et autres, précité, §§ 64-71). La Cour souligne à nouveau que l’obligation d’épuisement s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V).

    63.  En l’espèce, la Cour relève que si les requérants Bouros et Gavriilidis ont été mis en liberté les 6 mars 2013 et 25 octobre 2012, aux dates d’introduction des présentes requêtes, soit le 5 août 2011, et les 19 avril, 1er août et 8 octobre 2012, tous les requérants étaient détenus à la prison de Larissa. Partant, l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne peut à leur égard être considérée comme effective aux fins de l’épuisement des voies de recours car il manque à cette action le caractère préventif au sens de la jurisprudence de la Cour. Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes visant les conditions de détention des requérants.

    b)  Existence d’une « situation continue » justifiant un examen de la totalité des périodes de détention dont se plaignent les requérants

    64.  La Cour rappelle son approche concernant l’application de la règle de six mois aux griefs relatifs aux conditions de détention : la période totale pendant laquelle un requérant a été détenu peut être considérée comme une « situation continue » pour autant que la détention ait eu lieu dans un même type d’établissement pénitentiaire et dans des conditions essentiellement similaires. Les courtes périodes pendant lesquelles le requérant a dû quitter cet établissement, par exemple pour les besoins d’une audience ou d’autres actes procéduraux, n’ont pas d’incidence sur le caractère continu de la détention. Toutefois, la mise en liberté du requérant ou son assujettissement à un autre régime de détention, que ce soit à l’intérieur de l’établissement ou suite à son transfert, met fin à la « situation continue ».

    65.  La Cour examinera donc le cas de chaque requérant pour vérifier si ceux-ci peuvent se prévaloir d’une situation continue.

    66.  En ce qui concerne le requérant Bouros, la Cour note que la situation à la prison de Larissa, telle que décrite tant par le requérant que le Gouvernement, ne se distingue pas clairement de celle de la prison de Korydallos, de sorte que l’on peut affirmer qu’il n’y a pas eu interruption par rapport à la situation carcérale de ce requérant entre ces deux prisons.

    67.  En ce qui concerne le requérant Giatzoglidis, la Cour note que le requérant ne se plaint pas de ses conditions de détention dans la prison de Trikala où il avait été détenu avant son transfert à Larissa, de sorte qu’il y a eu interruption de la situation carcérale de ce requérant.

    68.  En ce qui concerne le requérant Gavriilidis, la Cour note qu’avant son transfert à la prison de Larissa, il était détenu à la Direction de la police de Thessalonique, un commissariat de police dans lequel les conditions de détention diffèrent considérablement de celles d’une prison. Suite à son transfert à Larissa, il y a donc eu interruption de sa situation carcérale.

    69.  En ce qui concerne le requérant Pourselantzei, la Cour note que le 18 juin 2010 celui-ci a été transféré de la prison de Chios à celle de Larissa. Placé d’abord dans une cellule de 25 m² avec neuf autres détenus, il a été placé à partir du 15 mars 2011 dans une autre cellule de 8 m² avec seulement un autre détenu. Sa requête ayant été introduite le 8 octobre 2012, il ne saurait se prévaloir d’une situation continue qui engloberait sa détention antérieure au 15 mars 2011, car la modification de son régime carcéral a eu lieu plus de six mois avant la saisine de la Cour.

    70.  En ce qui concerne le requérant Dimitrov, la Cour ne partage pas la thèse du Gouvernement selon laquelle ce requérant ne pourrait pas se prévaloir d’une situation continue : les griefs relatifs aux conditions de détention dans la prison de Larissa sont similaires à ceux concernant la prison de Diavata. S’il est vrai que dans sa requête à la Cour, et sous le chapitre consacré à la prison de Larissa, le requérant ne se réfère pas expressément à la surpopulation régnant dans cette prison, il le fait de manière suffisamment extensive dans ses considérations générales concernant ses conditions de détention et notamment à la page 11 des « circonstances de l’espèce », document attaché à son formulaire de requête. Par conséquent, la Cour estime que ce requérant peut se prévaloir d’une situation continue.

    c)  Griefs relatifs aux soins médicaux et le respect des règles d’hygiène

    71.  La Cour estime que les griefs invoqués par les requérants Bouros et Gavriilidis constituent des déclarations formulées de manière vague et abstraite. Les requérants ne fournissent aucun détail concernant leur état de santé ou des problèmes médicaux les affectant personnellement et ne font pas état de manière précise d’un manque de diligence dont les autorités auraient fait preuve à leur égard (voir, mutatis mutandis, Štrucl et autres c. Slovénie, no 5903/10, 6003/10 et 6544/10, § 67, 20 octobre 2011).

    72.  Cette partie de la requête n’est donc pas étayée et doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l’article 35 § 3 de la Convention.

    d)  Conclusion

    73.  La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes à l’égard de tous les requérants. En ce qui concerne celle relative à l’absence d’une situation continue, elle l’accueille à l’égard des requérants Giatzoglidis, Gavriilidis et Pourselantzei, elle la rejette à l’égard des requérants Bouros et Dimitrov. Enfin, elle accueille l’exception concernant les griefs des requérants Bouros et Gavriilidis relatifs aux soins médicaux et le respect des règles d’hygiène.

    74.  La Cour constate, en outre, que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

    B.  Sur le fond

    75.  Le Gouvernement se réfère à sa version concernant les conditions de détention des requérants et souligne qu’ils avaient été détenus dans des conditions acceptables dans la mesure où ils avaient la possibilité de travailler et de se mouvoir en dehors de leurs cellules et que les soins médicaux administrés à ceux des requérants qui en avaient eu besoin étaient adéquats.

    76.  Les requérants, contestant vigoureusement cette appréciation, se réfèrent à leur version concernant les conditions de leur détention.

    77.  En ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a récemment rappelés dans ses arrêts Ananyev et autres (précité, §§ 139 à 159) et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, §§ 38-40, 4 décembre 2012). Elle rappelle aussi que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    78.  S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, et Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects des conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001-III).

    79.  La Cour relève tout d’abord que les requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis, Pourselantzei et Dimitrov ont été transférés à la prison de Larissa respectivement en 2008, 2007, 2011, 2010 et 2010 et y ont séjourné de seize à quatre-vingt-dix mois. Requérants et Gouvernement s’accordent sur le fait que les cellules de la prison de Larissa avaient chacune une superficie d’environ 25 m². En outre, elle note les constatations faites par une délégation du service du médiateur de la République lors d’une visite effectuée en juillet 2010, selon lesquelles le nombre de détenus dans la prison de Larissa était en cette période environ le double de ce que permettait la capacité du bâtiment. Plus récemment, le ministre de la Justice, répondant, en outre, à une question écrite de deux députés du parti DIMAR, précisait que la prison, d’une capacité officielle de 500 détenus, en accueillait 859 en 2014. De même, le CPT soulignait à la suite de sa visite en avril 2013, que la surpopulation était manifeste dans tous les espaces de la prison qui accueillait en cette période 892 détenus.

    1.  En ce qui concerne la situation des requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis et Dimitrov dans la prison de Larissa

    80.  La Cour estime raisonnable de conclure sur la base des éléments précités qu’à l’époque des faits le nombre de détenus incarcérés à la prison de Larissa dépassait de beaucoup la capacité d’hébergement de cet établissement. De l’aveu même du Gouvernement, l’espace personnel des requérants Bouros, Giatzoglidis et Gavriilidis, durant certaines périodes de leur détention à Larissa, était de 2,10 m². Si le Gouvernement fait valoir que l’espace disponible a varié de 2,10 m² à 3,57 m² selon l’occupation des cellules, il ne précise pas les périodes pendant lesquelles chacun de ces requérants aurait disposé d’un espace supérieur à 3 m². La Cour note à cet égard que le requérant Bouros a séjourné du 23 décembre 2008 au 6 mars 2013, le requérant Giatzoglidis depuis le 29 septembre 2007 et le requérant Gavriilidis du 17 juin 2011 au 25 octobre 2012. La Cour se réfère aussi aux constats du médiateur de la République (paragraphe 46 ci-dessus), du ministre de la Justice (paragraphe 47 ci-dessus) et du CPT (paragraphes 48-50 ci-dessus) en matière de surpopulation dans cette prison.

    81.  Compte tenu des considérations ci-dessus, la Cour estime établi que le nombre des détenus excédait manifestement la capacité pour laquelle les cellules de la prison Larissa avaient été conçues. En effet, même à considérer que le manque d’espace n’était toujours pas aussi flagrant pour les requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis et Dimitrov puisqu’ils auraient à certains moments disposer de 3,57 m², la prise en compte en général des conditions matérielles de détention établit l’absence de conformité de la situation de ces requérants à l’article 3 de la Convention. À cet égard, la Cour se réfère aux constats du CPT concernant le couchage, les produits d’hygiène et le chauffage (paragraphes 48-50 ci-dessus) Les requérants en question ont donc subi un traitement dégradant en violation de ladite disposition.

    2.  En ce qui concerne la situation du requérant Pourselantzei dans la prison de Larissa

    82.  Concernant le requérant Pourselantzei, la Cour rappelle qu’elle est uniquement appelée à se prononcer sur la situation de celui-ci à Larissa à partir du 15 mars 2011 (paragraphe 69 ci-dessus). De cette date à sa libération le 19 avril 2013, il a été placé dans une cellule de 8 m² qu’il partageait avec un seul codétenu. Sa situation n’était donc pas comparable à celle des autres requérants, puisqu’il disposait d’un espace personnel de 4 m². De plus, il a travaillé comme agent de nettoyage du 1er octobre au 31 décembre 2012 et suivi des cours à « l’École de la deuxième chance » d’octobre 2010 à juin 2012 et de de janvier à avril 2013. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 en ce qui concerne ce requérant.

    3.  En ce qui concerne la situation des requérants Bouros et Dimitrov avant leur transfert à la prison de Larissa

    83.  La Cour rappelle qu’au vu de la situation continue constatée aux paragraphes 66 et 70 ci-dessus, elle est appelée à se prononcer sur les conditions de détention dans les prisons de Korydallos et de Diavata.

    84.  Le requérant Bouros a été détenu du 30 juin 2007 au 23 décembre 2008 dans la prison de Korydallos. Or, selon les informations fournies par le Gouvernement, l’espace personnel du requérant dans cette prison variait de 2,30 et 3,10 m². À cet égard, la Cour relève que dans son rapport du 17 novembre 2010, établi à la suite de la visite du 17 au 29 septembre 2009, le CPT relevait que le taux d’occupation de la prison n’avait pas diminué depuis les visites effectuées en 2005 et 2007 et s’élevait à 2 100 détenus, alors que la capacité officielle de la prison était de 700 personnes.

    85.  Quant au requérant Dimitrov, il a été détenu du 16 décembre 2009 au 4 octobre 2010 à la prison de Diavata de Thessalonique. La Cour relève que le Gouvernement lui-même indique que le requérant était placé avec 9 autres détenus dans une cellule de 23,68 m², incluant un coin sanitaire de 2,77 m². L’espace personnel disponible était donc bien inférieur à 3 m². Cet état de surpopulation est confirmé dans le rapport du CPT, du 17 novembre 2010, qui relevait que la prison, d’une capacité officielle de 300 détenus, en accueillait 607. Le rapport précisait qu’il y avait 10 détenus par cellule qui mesurait 24 m² et étaient équipée de cinq lits superposés, d’une petite table, quelques chaises, une télévision et un réfrigérateur.

    86.  Les requérants Bouros et Dimitrov ont en conséquence aussi subi une violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de détention dans les prisons de Korydallos et de Diavata.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    87.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    88.  Au titre du dommage moral, les requérants réclament les sommes suivantes : le requérant Bouros, 82 000 euros (EUR) pour sa détention dans les prisons de Korydallos et de Larissa ; le requérant Giatzoglidis, 68 000 EUR pour sa détention dans la prison de Larissa ; le requérant Gavriilidis, 11 500 EUR pour sa détention dans la prison de Larissa ; le requérant Dimitrov, 35 700 EUR pour sa détention dans les prisons de Diavata et de Larissa.

    89.  Le Gouvernement souligne que les sommes réclamées sont excessives et considère que le constat éventuel d’une violation constituerait une satisfaction suffisante.

    90.  La Cour relève que le requérant Bouros a été détenu du 30 juin 2007 au 6 mars 2013, le requérant Giatzoglidis depuis le 24 septembre 2007, le requérant Gavriilidis du 17 juin 2011 au 25 octobre 2012 et le requérant Dimitrov depuis 16 décembre 2009. Elle considère qu’il y a lieu d’octroyer aux requérants, pour dommage moral, les sommes suivantes, à verser sur les comptes bancaires de leurs avocats (Taggatidis et autres c. Grèce, no 2889/09, § 34, 11 novembre 2011 et Nikolaos Athanasiou et autres, précité, § 86) : au requérant Bouros, 22 000 EUR ; au requérant Giatzoglidis, 29 000 EUR ; au requérant Gavriilidis, 7 800 EUR ; au requérant Dimitrov, 20 000 EUR.

    B.  Frais et dépens

    91.  Pour frais et dépens, chacun des requérants réclame 3 800 EUR.

    92.  Le Gouvernement considère que celle somme est excessive.

    93.  La Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis et Dimitrov la somme de 3 800 EUR conjointement à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces requérants, à verser sur les comptes bancaires de leurs avocats.

    C.  Intérêts moratoires

    94.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les requêtes ;

     

    2.  Déclare les requêtes recevables, en ce qui concerne les conditions de détention relatives à la surpopulation dans la prison de Larissa à l’égard de tous les requérants et dans les prisons de Korydallos et de Diavata à l’égard des requérants Bouros et Dimitrov respectivement ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis et Dimitrov ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le requérant Pourselentzei ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  22 000 EUR (vingt-deux mille euros) au requérant Bouros, 29 000 EUR (vingt-neuf mille euros) au requérant Giatzoglidis, 7 800 EUR (sept mille huit cents euros) au requérant Gavriilidis et 20 000 EUR (vingt mille euros) au requérant Dimitrov, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à verser sur les comptes bancaires de leurs représentants ;

    ii)  conjointement aux requérants Bouros, Giatzoglidis, Gavriilidis et Dimitrov 3 800 EUR (trois mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces requérants, pour frais et dépens, à verser sur les comptes bancaires de leurs représentants ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                                      Isabelle Berro
            Greffier                                                                              Présidente

     


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