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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> HADDAD v. FRANCE - 10485/13 - Committee Judgment (French Text) [2015] ECHR 503 (21 May 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/503.html Cite as: [2015] ECHR 503 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE HADDAD c. FRANCE
(Requête no 10485/13)
ARRÊT
STRASBOURG
21 mai 2015
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Haddad c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :
Ganna Yudkivska,
présidente,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10485/13) dirigée contre la République française et dont une ressortissante algérienne, Mme Teldja Haddad (« la requérante »), a saisi la Cour le 3 février 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me C. Galliard-Minier, avocat à Grenoble. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 5 septembre 2013, le grief concernant l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
4. La requérante est née en 1959 et réside à Saint-Maurice-sur-Dargoire.
5. Par une ordonnance de mise en accusation du 15 avril 2008, la requérante, qui « [niait] avec véhémence les faits » reprochés, fut renvoyée devant la cour d’assises de l’Isère pour le meurtre de son époux, retrouvé mort dans son véhicule stationné sur un quai de Grenoble.
6. Le 6 mars 2009, la cour d’assises de l’Isère l’acquitta. Le ministère public interjeta appel.
7. Par un arrêt du 10 décembre 2010, après plusieurs jours d’audience et une seule question ayant été posée au jury, la cour d’assises d’appel de la Drôme la déclara coupable et la condamna à dix années de réclusion criminelle. L’unique question posée se lisait comme suit :
« L’accusée Teldja HADDAD est-elle coupable d’avoir à GRENOBLE (38), entre le 17 et le 18 août 2006, volontairement donné la mort à [M.L.] ? »
8. Le 19 septembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble ordonna la mise en liberté de la requérante, celle-ci ayant été victime d’un problème de santé majeur ayant entraîné des lésions cérébrales rendant son état de santé incompatible avec la détention. Par un jugement du 20 octobre 2011, le tribunal d’instance de Lyon la plaça sous tutelle.
9. Par un arrêt du 23 mai 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante formé contre l’arrêt du 15 décembre 2010. Cet arrêt fut notifié à la requérante, par l’intermédiaire de l’infirmière chargée de s’occuper d’elle dans un centre de rééducation, le 4 août 2012.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
10. La requérante se plaint d’avoir été privé de son droit à un procès équitable, compte tenu de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises d’appel. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
11. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
12. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
13. La requérante indique que l’unique question posée au jury n’étant à l’évidence pas suffisante, le Gouvernement axe son argumentation sur l’ordonnance de mise en accusation : or si elle avait été aussi bien « motivée et circonstanciée », cela aurait dû conduire à deux décisions de condamnation et non à un acquittement en première instance. Elle estime cette ordonnance au contraire insuffisante et lacunaire sur de nombreux points, l’affaire étant par ailleurs complexe et confuse. Aux yeux de la requérante, le fait que sur la base des mêmes éléments la cour d’assises a pu successivement décider d’un acquittement puis d’une condamnation fait qu’il lui est impossible de comprendre le verdict.
14. Le Gouvernement estime que la procédure criminelle suivie en l’espèce a permis à la requérante de comprendre les motifs de sa condamnation. Tout en relevant que la Cour a déjà jugé que l’ordonnance de mise en accusation a une portée limitée, il estime qu’elle apparaît particulièrement motivée et circonstanciée. Le Gouvernement expose notamment les différents éléments qu’elle contient, insistant sur le fait que l’ordonnance a été lue dans son intégralité lors de l’audience devant la cour d’assises et que les charges ont ensuite été discutées, les débats constituant le cœur du procès. Il relève qu’à la différence de l’affaire Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, CEDH 2010), la requérante comparaissait seule. Selon lui, malgré les dénégations de la requérante, les faits ne présentaient aucune difficulté particulière, ce que reflète la question posée au jury. Le Gouvernement soutient que le caractère simple et précis de la question, associé à la décision de mise en accusation et aux débats contradictoires, ont permis à la requérante de comprendre les raisons de sa condamnation. Sans contester l’enjeu considérable pour la requérante, il estime qu’elle ne peut prétendre de bonne foi ne pas avoir été mise en mesure de connaître les faits précis et circonstanciés qui lui étaient reprochés. Le Gouvernement rappelle en outre que les magistrats et les jurés, qui se sont retirés pour délibérer sans avoir le dossier de la procédure, remis dans les mains du greffier, n’ont pu forger leur intime conviction que sur les éléments contradictoirement débattus. Enfin, le Gouvernement indique que depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’appel.
15. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que, pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010). Par ailleurs, comme elle l’a relevé par la suite (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, respectivement nos 44446/10, 30010/10, 53406/10 et 60995/09, §§ 62, 46, 40, 58 et 46, 10 janvier 2013), il ressort de l’arrêt Taxquet (précité, § 97) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes.
16. En l’espèce, la requérante a bénéficié d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, respectivement §§ 63, 47, 41, 59 et 47).
17. S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que la requérante était la seule accusée.
18. Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait cependant se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, respectivement §§ 65, 49, 43, 61 et 49).
19. Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que, pendant le délibéré, comme le rappelle le Gouvernement, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, comme cela ressort des arrêts et conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’ordonnance et de l’arrêt de mise en accusation (Agnelet, Oulahcene, Fraumens, Legillon et Voica c. France, précités, respectivement §§ 66, 50, 44, 63 et 50).
20. La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, ce que ne conteste pas le Gouvernement, la requérante, après avoir fait l’objet d’un acquittement, ayant été ensuite condamnée à une peine de dix ans de réclusion criminelle.
21. En l’espèce, une seule question a été posée. Cette question était non circonstanciée, se limitant à la reprise de la définition légale de l’infraction, de la date des faits et de l’identité de la victime (Oulahcene, précité, § 52).
22. Or, aux yeux de la Cour, dès lors que la requérante a été acquittée en première instance puis déclarée coupable en appel, qui plus est en se voyant infliger une lourde peine, et ce alors même qu’elle niait les faits, elle devait disposer d’éléments susceptibles de lui permettre de comprendre le verdict de condamnation : tel ne pouvait être le cas avec un examen conjugué de l’acte de mise en accusation et de la seule question posée au jury en l’espèce (voir, notamment, Fraumens, précité, § 49,et Agnelet, précité, § 69).
23. Enfin, si le Gouvernement précise que depuis la loi du 15 juin 2000, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’appel, la Cour rappelle, outre le fait que l’arrêt rendu en première instance n’était pas non plus motivé, que l’appel a entraîné la constitution d’une nouvelle cour d’assises, autrement composée, chargée de recommencer l’examen du dossier et d’apprécier à nouveau les éléments de fait et de droit dans le cadre de nouveaux débats. Il s’ensuit que la requérante ne pouvait retirer de la procédure en première instance aucune information pertinente quant aux raisons de sa condamnation en appel par des jurés et des magistrats professionnels différents, et ce d’autant plus qu’elle avait d’abord été acquittée (cf. Agnelet et Oulahcene, précités, respectivement §§ 70 et 54).
24. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce la requérante n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.
25. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
26. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
27. La requérante, qui estime avoir subi un préjudice moral, renonce à demander une satisfaction équitable, souhaitant d’abord voir reconnaître son innocence lors d’un nouveau procès. En outre, son avocat assure sa défense gratuitement.
28. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme à la requérante au titre de l’article 41 de la Convention, tout en rappelant qu’elle dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ayant inséré dans le Code de procédure pénale un titre III relatif au « réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme » (voir, notamment, Agnelet, précité, § 76).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mai 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Ganna
Yudkivska
Greffier adjoint Présidente