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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOSTINA v. ROMANIA - 612/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 286 (22 March 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/286.html
Cite as: [2016] ECHR 286

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BOŞTINĂ c. ROUMANIE

     

    (Requête no 612/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    22 mars 2016

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Boştină c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Boštjan M. Zupančič,
              Nona Tsotsoria,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Iulia Antoanella Motoc,
              Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
    et de
    Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er mars 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 612/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Cătălin Marius Boştină (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  Le requérant allègue en particulier une violation de son droit au respect de sa vie familiale en raison de l’impossibilité d’exercer ses droits de visite de son enfant.

    4.  Le 13 juin 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1976 et réside à Curtea de Argeş.

    6.  Le requérant est le père d’un garçon, A.I., né le 2 mai 2010, de son mariage avec B.A.M. (« la mère »). Tant le requérant que B.A.M. sont avocats.

    7.  Le 20 janvier 2011, la mère demanda au tribunal de première instance de Piteşti (« le tribunal de première instance ») le divorce et l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant. Le requérant introduisit une demande reconventionnelle afin de se voir reconnaître un droit de visite.

    8.  Par un jugement non définitif du 17 juin 2011, le tribunal de première instance prononça le divorce, octroya l’autorité parentale à la mère et reconnut au requérant un droit de visite au domicile de l’enfant deux samedis par mois de 16 heures à 20 heures et deux vendredis par mois de 16 heures à 18 heures.

    9.  Par un arrêt du 31 janvier 2012, le tribunal départemental d’Argeş (« le tribunal départemental ») fit partiellement droit à l’appel du requérant et, en application des dispositions du nouveau code civil récemment entré en vigueur (paragraphe 43 ci-dessous), octroya l’autorité parentale aux deux parents, établit le domicile de l’enfant chez la mère et reconnut au requérant un droit de visite à exercer à son propre domicile deux samedis par mois de 9 heures à 12 heures 30 et deux dimanches par mois de 16 heures 30 à 19 heures.

    10.  Par un arrêt définitif du 18 juin 2012, la cour d’appel de Piteşti (« la cour d’appel ») fit droit au recours de la mère et confirma le jugement du 17 juin 2011.

    A.  L’établissement du droit provisoire de visite

    11.  Entre-temps, le 2 juin 2011, le requérant avait saisi le tribunal de première instance d’une action en référé contre la mère en vue de l’établissement d’un droit provisoire de visite. Il faisait valoir que la mère l’empêchait de voir son fils pendant la procédure de divorce.

    12.  Par une ordonnance du 27 juin 2011, le tribunal de première instance fit droit à son action et ordonna à la mère de permettre au requérant d’emmener son fils à son propre domicile, ou ailleurs, deux samedis et deux dimanches par mois, de 10 à 18 heures, et cela jusqu’au prononcé d’une décision définitive dans le cadre de la procédure de divorce. Le tribunal estima que le jeune âge de l’enfant permettait un programme de visite dans la journée assorti de l’obligation pour le requérant de ramener le soir l’enfant au domicile de la mère. En application des dispositions procédurales en vigueur au moment des faits, cette ordonnance était exécutoire par provision (paragraphe 42 ci-dessous).

    13.  Par une décision avant dire droit du 1er juillet 2011, le tribunal départemental d’Argeş prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution de l’ordonnance du 27 juin 2011, au motif, entre autres, qu’en raison de son jeune âge, l’enfant avait besoin de la présence permanente de sa mère et qu’un changement d’environnement pouvait avoir des conséquences négatives sur son développement. Le tribunal départemental prit en considération le fait que la mère s’était entretemps pourvue en recours contre l’ordonnance du 27 juin 2011.

    14.  Par un arrêt du 29 juillet 2011, le tribunal départemental rejeta le pourvoi en recours de la mère. Le tribunal jugea, entre autres, que l’âge de l’enfant ne pouvait pas faire obstacle à ce que le requérant passe quelques heures dans la journée avec lui.

    15.  Le 10 août 2011, la mère saisit le tribunal départemental d’une demande de sursis à l’exécution de l’arrêt du 29 juillet 2011, en application des dispositions procédurales en la matière (paragraphe 42 ci-dessous). Par une décision avant dire droit du 11 août 2011, le tribunal départemental fit droit à sa demande ; le tribunal nota également que l’enfant était alors âgé de quatorze mois et jugea que son intérêt supérieur devait prévaloir.

    16.  Par un arrêt du 24 août 2011, le tribunal départemental rejeta la contestation en annulation de la mère contre l’arrêt du 29 juillet 2011 susmentionné.

    B.  L’exercice du droit provisoire de visite

    1.  L’exécution forcée de l’ordonnance du 27 juin 2011

    17.  À la demande du requérant, par un jugement avant dire droit du 3 août 2011, le tribunal de première instance revêtit l’ordonnance du 27 juin 2011 de la formule exécutoire. Le requérant s’adressa ensuite à l’huissier I.V. pour que ce dernier l’assiste dans la procédure d’exécution forcée de cette ordonnance.

    18.  Les 6, 14, 20 et 28 août 2011, le requérant tenta, en compagnie de l’huissier de justice et d’un assistant social (ce dernier uniquement le 28 août), d’exercer son droit de visite dans les modalités prévues par l’ordonnance du 27 juin 2011. La mère était absente de son domicile ou elle s’opposa à ce que le requérant emmène l’enfant avec lui. Le 20 août 2011, le requérant put voir son fils pendant quelques minutes au siège de la police, que l’huissier avait appelée à intervenir en raison de l’opposition de la mère.

    19.  Par un jugement avant dire droit du 1er septembre 2011, le tribunal de première instance prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution. Le tribunal nota, entre autres, que le jeune âge de l’enfant justifiait la présence permanente de sa mère ainsi qu’un programme et un environnement stables et que tout changement pouvait avoir des conséquences négatives sur son développement.

    20.  Par un jugement du 1er novembre 2011, le tribunal de première instance fit droit à la contestation à l’exécution de la mère. Le tribunal jugea que la poursuite de l’exécution forcée portait atteinte aux intérêts de l’enfant et annula les actes d’exécution accomplis les 6 et 28 août 2011. Sur pourvoi en recours de la mère, le tribunal départemental, par un arrêt du 15 mars 2012, modifia le titre exécutoire du requérant, lui ajoutant l’obligation de ramener l’enfant au domicile de la mère.

    21.  Par une décision avant dire droit du 19 avril 2012, le tribunal départemental prononça, à la demande de la mère, un sursis à l’exécution de son arrêt du 15 mars 2012, en application des dispositions procédurales relatives au paiement d’une caution (paragraphe 42 ci-dessous).

    22.  Les 25 mars, 7 avril, 10 et 16 juin 2012, le requérant tenta de nouveau, en compagnie de l’huissier de justice, de voir son fils et de l’emmener pour passer quelques heures avec lui. À chaque reprise, la mère n’était pas à son domicile et, lorsque l’huissier tenta de la contacter par téléphone, elle ne répondit pas.

    23.  Par un arrêt du 7 juin 2012, le tribunal départemental rejeta la contestation en annulation de la mère contre l’arrêt du 15 mars 2012.

    2.  Démarches auprès de l’administration

    24.  Entre-temps, tant le requérant que la mère de l’enfant s’étaient adressés à la direction départementale d’assistance sociale et de protection de l’enfance (la « DGASPC ») pour obtenir de l’aide.

    25.  En réponse à la demande du requérant, une équipe de la DGASPC formée de deux inspecteurs et d’un psychologue, assistés par un assistant social de la mairie, se rendit, le 24 août 2011, au domicile de la mère pour évaluer la situation de l’enfant. Le 30 août 2011, la mère se rendit au siège de la DGASPC pour apporter des clarifications supplémentaires.

    26.  Le 5 septembre 2011, la DGASPC rendit un rapport d’enquête sociale et constata que la mère s’occupait bien de l’enfant et qu’elle ne s’opposait pas de mauvaise foi à ce que le requérant rencontre ce dernier. En outre, il fut relevé que le tribunal départemental avait prononcé, le 11 août 2011, un sursis à l’exécution de l’arrêt du 29 juillet 2011 (paragraphe 15 ci-dessus) et que la compétence pour résoudre le litige revenait aux juridictions.

    27.  Par une lettre du 9 septembre 2011, la DGASPC informa le requérant des conclusions du rapport du 5 septembre 2011. Il fut en outre informé que la compétence de la DGASPC était limitée à l’exécution des décisions de justice rendues en vertu de la loi no 272/2004 sur la protection de l’enfant et ne s’étendait pas à d’autres décisions, entre autres relatives aux relations entre un parent et l’enfant.

    28.  Le requérant saisit de nouveau la DGASPC pour contester les conclusions du rapport. Le 30 septembre 2011, une équipe de la DGASPC, formée d’un inspecteur, d’un psychologue et d’un conseiller juridique, assistés par l’assistant social de la mairie se rendit de nouveau au domicile de la mère. Un nouveau rapport d’enquête sociale, rendu le 7 octobre 2011, confirma que la mère s’occupait bien de l’enfant. Le psychologue qui avait fait partie de l’équipe de la DGASPC rendit séparément, le 18 octobre 2011, un rapport d’évaluation psychologique ; il en ressort que la mère avait été conseillée, lors de la visite, du risque de l’apparition du syndrome d’aliénation parentale en raison de l’absence du père ou de la présentation de ce dernier de manière négative.

    29.  Par une lettre du 9 novembre 2011, la DGASPC informa le requérant des conclusions des rapports des 7 et 18 octobre 2011. Il était fait état, entre autres, de l’absence d’éléments inquiétants en ce qui concerne le développement de l’enfant et du fait que la mère avait été dûment informée des circonstances dans lesquelles peut apparaître le syndrome de l’aliénation parentale. La DGASPC lui conseilla d’essayer de trouver une solution à l’amiable avec la mère.

    30.  Le 21 décembre 2011, le tribunal départemental saisit la DGASPC et lui demanda d’assister les parties, en leur fournissant une consultation psychologique spécialisée (consultanţă psihologică-specialitate juvenilă).

    31.  Le 20 janvier 2012, tant le requérant que la mère de l’enfant se rendirent au siège de la DGASPC en vue de rencontrer un psychologue. Lors de cette réunion, le psychologue les conseilla et recommanda à ce que l’enfant garde un contact quasi permanent avec les deux parents.

    3.  Plaintes pénales

    32.  Entre-temps, le requérant avait également formé une plainte pénale contre la mère pour refus de présentation de l’enfant en août 2011. Par deux décisions des 11 mai et 25 juillet 2012, le parquet rendit des non-lieux. Ces décisions furent confirmées, le 15 octobre 2012, par la cour d’appel, qui jugea que le refus de la mère de permettre au requérant de voir son fils en août 2011 était justifié par des raisons objectives.

    C.  Les démarches du requérant afin de voir son fils après le divorce

    1.  L’exécution forcée du jugement du 17 juin 2011

    33.  À l’issue de la procédure de divorce, le tribunal de première instance revêtit le jugement du 17 juin 2011 de la formule exécutoire, par un jugement avant dire droit du 25 octobre 2012. Le requérant s’adressa ensuite à l’huissier G.I. pour que ce dernier l’assiste dans la procédure d’exécution forcée du jugement.

    34.  Il ressort des procès-verbaux d’exécution rédigés par G.I. les 3 novembre et 1er décembre 2012, que le requérant put voir son fils et jouer avec lui au domicile de la mère, mais cette dernière s’opposa à ce que le requérant parte seul avec l’enfant. Les 17 novembre 2012 et 16 février 2013, le requérant ne vit pas son fils puisque ce dernier était dans la maison de sa grand-mère maternelle, qui avoisinait la maison de la mère, mais le requérant refusa d’y entrer. Les 5 janvier et 2 février 2013, le requérant put emmener son fils à son domicile et dans un centre commercial respectivement, cela en présence de la mère que l’enfant avait réclamée. Enfin, le 7 octobre 2013, ni la mère, ni n’enfant n’étaient à leur domicile.

    35.  Il ressort également des documents fournis par les parties que les 19 novembre et 11 décembre 2012, G.I. demanda à la mairie de désigner un représentant pour être présent lors de l’exécution forcée. Ces demandes sont restées sans réponse.

    36.  Les parties n’ont pas informé la Cour d’autres tentatives d’exécution après octobre 2013.

    2.  Démarches auprès de l’administration

    37.  Entretemps, le 30 octobre 2012, la mère s’adressa à la DGASPC et fit valoir que le mineur refusait d’être seul avec le requérant ; elle demanda à ce que le requérant soit conseillé par des spécialistes sur l’attitude à adopter dans de telles situations. Le requérant fut invité, le 1er novembre 2012, à se présenter au siège de la DGASPC, mais ne s’y présenta pas. Il s’y rendit toutefois, le 8 novembre 2012, et s’entretint avec un psychologue. Ce dernier le conseilla et recommanda l’aide d’un psychothérapeute spécialisé dans les problèmes de la famille et du couple, en raison de la charge émotionnelle que le requérant et la mère de l’enfant gardaient après leur divorce.

    3.  Plaintes pénales

    38.  Entretemps, le requérant déposa plusieurs plaintes pénales contre la mère pour refus de présentation de l’enfant. Ces plaintes étaient relatives au refus d’exécution tant de l’ordonnance du 27 juin 2011 que de l’arrêt du 18 juin 2012 susmentionnés et visaient quinze tentatives d’exécution en 2012 et 2013. Elles furent toutes jointes dans le même dossier du parquet près la cour d’appel de Piteşti. Par un réquisitoire du 27 juin 2013, le parquet renvoya la mère en jugement devant la cour d’appel.

    39.  Par une décision du 22 avril 2014, la cour d’appel acquitta la mère, au motif qu’elle n’avait pas agi avec l’intention d’aliéner l’enfant du requérant, mais que la mise en œuvre du droit de visite avait été rendue impossible par des raisons objectives, telle la maladie de l’enfant ou la peur créée à ce dernier par le requérant. Le requérant aurait interjeté appel et l’appel serait pendant devant la Haute Cour de cassation et de justice.

    40.  Entretemps, le 20 mars 2014, le parquet près la cour d’appel de Piteşti mit en mouvement l’action pénale à l’encontre de la mère, sur plaintes pénales du requérant, pour refus de présentation de l’enfant à six autres reprises en 2013. Le dossier serait toujours pendant au parquet.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    41.  Les dispositions pertinentes du droit interne en vigueur au début de la période visée en l’espèce sont décrites dans les affaires Lafargue c. Roumanie (no 37284/02, §§ 64-69, 13 juillet 2006) et Costreie c. Roumanie (no 31703/05, §§ 55-58, 13 octobre 2009).

    42.  En particulier, l’article 581 § 2 du code de procédure civile disposait qu’une ordonnance rendue dans le cadre d’une procédure de référé était provisoire et exécutoire. Selon l’article 582 l’ordonnance rendue par voie de référé était susceptible de recours et la juridiction saisie du recours pouvait prononcer un sursis à l’exécution jusqu’au prononcé du recours, à condition que la personne intéressée consignât une caution d’un montant fixé par le tribunal. En outre, l’article 403 autorisait de manière générale les tribunaux à prononcer le sursis à l’exécution jusqu’à l’issue de la contestation à l’exécution ou d’une autre demande relative à l’exécution forcée, toujours à condition que le débiteur consignât une caution.

    43.  Le 1er octobre 2011 un nouveau code civil est entré en vigueur. Il prévoit à l’article 483 que l’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents. Selon l’article 398 § 1, le tribunal qui se prononce sur l’octroi de l’autorité parentale sur l’enfant dans le cadre d’une procédure de divorce peut l’accorder à un seul des parents pour des motifs justifiés et dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

    44.  Le rôle et les compétences des autorités locales en ce qui concerne l’assistance sociale et la protection de l’enfance ainsi que les dispositions pertinentes de la loi no 272/2004 sur la protection de l’enfant sont décrites dans l’affaire Amanalachioai c. Roumanie (no 4023/04, §§ 56 et 59, 26 mai 2009).

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    45.  Le requérant allègue une violation de son droit au respect de sa vie familiale en raison de l’impossibilité d’exercer ses droits de visite sur son enfant mineur. Il fait valoir que l’ordonnance du 27 juin 2011 était exécutoire et que les tribunaux nationaux ont rendu son exécution impossible en faisant droit aux nombreuses demandes de sursis formées par son ex-épouse ; il critique également la passivité des autorités de l’État. Il réitère les mêmes critiques au sujet de l’exécution du jugement du 17 juin 2011, notamment s’agissant du refus des autorités administratives compétentes d’intervenir. Il invoque les articles 6 § 1 et 8 de la Convention.

    Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par le requérant sous l’angle du seul article 8 de la Convention, lequel exige également que le processus décisionnel portant sur la vie privée ou familiale soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (voir, parmi d’autres exemples, Manuello et Nevi c. Italie, no 107/10, § 32, 20 janvier 2015 et Phostira Efthymiou et Ribeiro Fernandes c. Portugal, no 66775/11, § 30, 5 février 2015). L’article 8 de la Convention dispose dans ses parties pertinentes :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    A.  Sur la recevabilité

    46.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des parties

    47.  Le Gouvernement est d’avis que les autorités roumaines ont agi en l’espèce dans les limites de leurs compétences et qu’elles ont rempli avec diligence leurs obligations positives relatives au droit au respect de la vie familiale du requérant.

    48.  S’agissant particulièrement des sursis à l’exécution prononcés par  les tribunaux internes dans le cadre de l’exécution du droit provisoire de visite, le Gouvernement estime que les tribunaux ont dûment pris en compte tant le droit du requérant à avoir des relations personnelles avec son enfant que l’intérêt supérieur de ce dernier. En outre, l’ordonnance rendue en référé était susceptible d’appel et d’un pourvoi en recours et les périodes de sursis ont été limitées dans le temps.

    49.  S’agissant plus généralement de l’exercice du droit de visite du requérant, le Gouvernement remarque la relation tendue entre le requérant et son ex-épouse et les effets qu’elle a pu avoir sur le développement de leur enfant qui n’était âgé que d’un an et demi au début de la procédure et demeurait très attaché et dépendant de sa mère. Dans ce contexte, il indique que le refus du requérant de voir son fils dans son environnement familier au domicile de la mère n’était pas de nature à promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant. En outre, le requérant a pu voir son fils à plusieurs reprises et n’a pas perdu le contact avec lui.

    50.  Le Gouvernement est d’avis que les autorités ne sauraient être tenues responsables du comportement des parents, sauf dans des cas d’abus ou de mise en danger du développement ou de l’éducation des enfants. Le rôle de l’État dans le cadre de l’exécution des décisions judiciaires relevant du droit de la famille est celui d’assurer un cadre où l’exécution peut être mise en œuvre. En l’espèce, ce rôle a été rempli.

    51.  Ainsi, le Gouvernement indique que les autorités nationales ont entrepris toutes les démarches raisonnables pour faire respecter le droit de visite du requérant. En particulier, la DGASPC est intervenue avec célérité pour aider les parties intéressées à dépasser l’état conflictuel et pour faciliter les contacts entre le requérant et son fils. La présente affaire se distingue ainsi de l’affaire Lafargue précitée, dans laquelle les autorités sont restées passives et n’ont pas assisté le père dans ses démarches. Dans ce contexte, le Gouvernement estime que les autorités, et notamment la DGASPC, n’auraient pas pu entreprendre d’autres démarches concrètes.

    52.  Le requérant soutient que les autorités nationales n’ont pas rempli leurs obligations positives avec la diligence requise par l’article 8 de la Convention afin de faire respecter son droit au respect de sa vie familiale.

    53.  Il critique les décisions des tribunaux internes de surseoir à l’exécution de l’ordonnance du 27 juin 2011 qui avait un caractère exécutoire et dit ne pas comprendre la motivation de ces décisions, dans la mesure où il était dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des relations personnelles avec son père.

    54.  Quant à l’activité de l’huissier de justice, il estime qu’elle a été formelle et que ce dernier s’est limité à consigner des procès-verbaux, sans recevoir d’assistance de la part des autorités. Alors que le refus de la mère de présenter l’enfant avait été établi, les autorités n’ont pris aucune mesure à son encontre. Quant à l’activité de la DGASPC, il se réfère à la réponse de cette direction lui indiquant ne pas avoir la compétence légale pour des questions d’exécution des décisions de justice. En outre, leurs constats étaient formels et le requérant leur reproche ne pas avoir organisé une réunion de l’enfant seul avec son père afin d’évaluer leurs liens et attachement et de ne lui avoir proposé aucune aide psychologique. De même, il indique que l’autorité tutélaire près de la mairie n’est pas intervenue.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    55.  La Cour rappelle que, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux, dont la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour garantir les droits légitimes des intéressés ainsi que le respect des décisions judiciaires, ou des mesures spécifiques appropriées (Manuello et Nevi, précité, § 47). Cet arsenal doit permettre à l’État d’adopter des mesures propres à réunir le parent et son enfant, y compris en cas de conflit opposant les deux parents (Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 68, 24 avril 2003 et Tocarenco c. République de Moldova, no 769/13, § 53, 4 novembre 2014).

    56.  Pour être adéquates, les mesures visant à réunir le parent et son enfant doivent être mises en place rapidement, car l’écoulement du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui (Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 85, 22 juin 2006 et Lombardo c. Italie, no 25704/11, § 81, 29 janvier 2013).

    57.  La Cour rappelle également que le fait que les efforts des autorités ont été vains ne mène pas automatiquement à la conclusion que l’État a manqué aux obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8 de la Convention (Nicolò Santilli c. Italie, no 51930/10, § 67, 17 décembre 2013). En effet, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures afin de réunir l’enfant et le parent avec lequel il ne vit pas n’est pas absolue, et la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’efforcer de faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et, notamment, des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui confère l’article 8 de la Convention (Voleský c. République tchèque, no 63267/00, § 118, 29 juin 2004). La plus grande prudence s’impose lorsqu’il s’agit de recourir à la coercition en ce domaine délicat (Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 53, 22 novembre 2005). Le point décisif consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter les visites, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles (Nuutinen c. Finlande, nº 32842/96, § 128, CEDH 2000-VIII).

    b)  Application en l’espèce

    58.  Se tournant vers les faits en l’espèce, la Cour note en premier lieu qu’il n’est pas contesté en l’espèce que le lien entre le requérant et son fils relève de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.

    59.  Elle note ensuite que, après l’introduction d’une demande de divorce par la mère de l’enfant, l’autorité parentale a été attribuée à cette dernière tandis que le requérant s’est vu reconnaître un droit de visite. Dans un premier temps et de façon provisoire, le tribunal de première instance, par une ordonnance en référé du 27 juin 2011, a ordonné à la mère de permettre au requérant d’emmener son fils à son domicile, ou ailleurs, deux samedis et deux dimanches par mois jusqu’au prononcé d’une décision définitive dans le cadre de la procédure de divorce (paragraphe 12 ci-dessus). Ensuite, à l’issue de cette procédure, par un arrêt définitif du 18 juin 2012, la cour d’appel a reconnu au requérant un droit de visite au domicile de l’enfant deux samedis et deux vendredis par mois (paragraphes 8 et 10 ci-dessus). Il s’ensuit que l’étendue du droit de visite du requérant tel que reconnu à l’issue de la procédure de divorce était plus étroite, dans la mesure où son exercice était limité au domicile de l’enfant, c’est-à-dire au domicile de la mère, alors que l’ordonnance du 27 juin 2011 autorisait le requérant à exercer son droit de visite à son propre domicile ou ailleurs.

    60.  La Cour examinera par la suite séparément la mise en œuvre successive du droit de visite du requérant.

    i.  Sur l’exercice du droit provisoire de visite

    61.  La Cour relève que l’exercice du droit provisoire de visite du requérant a été rendu difficile principalement en raison de l’opposition de la mère (paragraphes 18 et 22 ci-dessous). Elle doit néanmoins examiner la manière dont les autorités sont intervenues afin de faciliter l’exercice de ce droit, tel que défini par une décision de justice (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 58, série A no 299-A et Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, § 105, 15 janvier 2015).

    62.  Dans ce contexte, le requérant critique le processus décisionnel et notamment les sursis à l’exécution que les juridictions ont prononcés à plusieurs reprises à la demande de la mère (paragraphe 53 ci-dessus). À cet égard, la Cour note que les juridictions nationales ont prononcé le sursis à l’exécution du droit provisoire à quatre reprises, les 1er juillet, 11 août et 1er septembre 2011 et le 19 avril 2012 (paragraphes 13, 15, 19 et 21 ci-dessus).

    63.  Toutefois, elle note que les juridictions nationales ont prononcé le sursis à l’exécution en application de la loi interne, puisque les voies de recours que la mère avait exercées étaient pendantes (paragraphe 42 ci-dessus). À cet égard, elle note que, alors qu’elle était exécutoire, l’ordonnance en question était également provisoire et était susceptible de recours ; elle pouvait être modifiée par les juridictions saisies du recours (paragraphe 42 ci-dessus). La Cour en déduit que le processus décisionnel n’a pas été entaché d’arbitraire et que, dès lors, il n’a pas entravé en soi l’exercice du droit du requérant.

    64.  La Cour note ensuite que, pour faire valoir ce droit, le requérant s’est montré diligent et a fait appel à un huissier de justice, s’est adressé à la DGASPC et a formé une plainte pénale contre la mère pour refus de présentation de l’enfant (paragraphes 17, 24, 32 et 38 ci-dessus).

    65.  Quant à l’activité de l’huissier de justice, la Cour note que ce dernier s’est montré actif, en citant immédiatement la mère et à chaque fois que le requérant le lui avait demandé et en l’accompagnant au domicile de l’enfant aux dates établies pour l’exercice de son droit de visite (paragraphes 18 et 22 ci-dessus). Il a en outre demandé, au moins à une reprise, l’assistance de la police afin de permettre au requérant de voir son fils le 20 août 2011 (paragraphe 18 ci-dessus). D’ailleurs, il convient de noter que bien que le requérant allègue que l’huissier s’est limité à rédiger les procès-verbaux d’exécution, sa critique semble en fait découler du fait que l’huissier n’aurait pas reçu l’assistance des autres autorités publiques (paragraphe 54 ci-dessus). En effet, le requérant n’a pas indiqué avoir formé une plainte devant les autorités internes pour se plaindre des actions de l’huissier ou des éventuelles omissions de ce dernier (voir, en ce sens, Cristescu c. Roumanie, no 13589/07, § 63, 10 janvier 2012 et Dariciuc c. Roumanie (déc.), no 47873/13, § 95, 7 juillet 2015).

    66.  La Cour note ensuite que tant le requérant que la mère se sont adressés à la DGASPC dans le but d’obtenir une aide spécialisée. S’il apparaît que la DGASPC n’a pas de compétence légale pour résoudre des problèmes liés à l’exécution d’une décision de justice, la Cour note néanmoins que cette autorité a régulièrement suivi le dossier dans les limites de sa compétence, et cela d’une manière satisfaisante (voir, a contrario, Nistor c. Roumanie, no 14565/05, §§ 105-107, 2 novembre 2010). En effet, la DGASPC a procédé à l’évaluation de la situation, en rencontrant les parties et en se rendant au domicile de l’enfant et a proposé des solutions aux problèmes identifiés ; tant le requérant que la mère ont reçu des conseils psychologiques et la mère a particulièrement été conseillée sur le risque de l’apparition du syndrome de l’aliénation parentale. Il leur a été en outre recommandé de permettre à l’enfant de garder un contact quasi permanent avec les deux parents (paragraphes 25, 28, 29 et 31 ci-dessus).

    67.  Quant aux plaintes pénales pour non-présentation de l’enfant, la Cour note que, dans un premier temps, la mère a bénéficié d’un non-lieu, les tribunaux internes jugeant que son refus de permettre au requérant de voir son fils en août 2011 était justifié par des raisons objectives (paragraphe 32 ci-dessus). Cette décision, qui est limitée aux démarches d’exécution entreprises par l’huissier de justice à la demande du requérant en août 2011, n’apparaît pas arbitraire en soi. Quant aux procédures relatives aux démarches ultérieures d’exécution, la Cour note que la mère a été renvoyée en jugement devant les tribunaux internes, mais que ces procédures sont toujours pendantes (paragraphe 38 ci-dessus).

    68.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles afin de faciliter l’exercice du droit provisoire de visite du requérant.

    ii.  Sur l’exercice du droit de visite tel que reconnu à l’issue de la procédure de divorce

    69.  La Cour note à cet égard une évolution favorable, bien que quelques instances d’exécution semblent avoir été infructueuses, comme il résulte des procès-verbaux rédigés par l’huissier de justice (paragraphe 34 ci-dessus). Ainsi, le requérant a continué à voir son fils au domicile de ce dernier et a même pu l’emmener ailleurs en compagnie de la mère (ibidem). La Cour observe que le requérant a pu exercer son droit de manière plus large que les modalités prévues par l’arrêt définitif du 18 juin 2012 qui limitait l’exercice de son droit de visite au domicile de l’enfant.

    70.  En outre, la DGASPC a continué à suivre le dossier et à conseiller le requérant et la mère et les a orientés vers une psychothérapie spécialisée, afin de résoudre les problèmes découlant du divorce (paragraphes 37 ci-dessus). Quant aux plaintes pénales pour refus de présentation de l’enfant, la Cour note qu’elles sont toujours pendantes (paragraphe 38 ci-dessus).

    71.  Enfin, la Cour note que s’il apparaît que la mère se soit systématiquement opposée à ce que le requérant emmène seul l’enfant ailleurs, il ne ressort pas des documents fournis par les parties qu’elle se soit opposée à ce que le requérant voit son fils au domicile de ce dernier et dans son environnement habituel. Le requérant n’a d’ailleurs pas allégué avoir perdu tout contact avec son fils (Răileanu c. Roumanie (déc.), no 67304/12, § 53, 2 juin 2015).

    72.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles afin de faciliter l’exercice du droit de visite du requérant après l’issue de la procédure de divorce.

    73.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 mars 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Fatoş Aracı                                                                          András Sajó
    Greffière adjointe                                                                       Président


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