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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TENKO v. GREECE - 7811/15 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 695 (21 July 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/695.html Cite as: [2016] ECHR 695 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE TENKO c. GRÈCE
(Requête no 7811/15)
ARRÊT
STRASBOURG
21 juillet 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Tenko c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Ledi Bianku, président,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7811/15) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante albanaise, Mme Majlinda Tenko (« la requérante »), a saisi la Cour le 2 février 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me Th. Tsiatsios, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes A. Dimitrakopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et K. Karavassili, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement albanais n’a pas répondu.
3. Le 15 avril 2015, le grief concernant l’article 3 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. La mise en détention de la requérante en vue de son expulsion administrative
4. La requérante est née en 1964.
5. Le 26 décembre 2014, elle fut arrêtée et placée dans les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique).
6. À une date non précisée, la requérante introduisit des objections contre sa détention devant le tribunal administratif de Thessalonique.
7. À une date non précisée, le président du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections.
8. Le 27 janvier 2015, la requérante formula de nouvelles objections contre sa détention devant le tribunal administratif de Thessalonique. Elle demandait l’examen de la légalité de celle-ci, eu égard, entre autres, aux conditions de détention insupportables.
9. Le 28 janvier 2015, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections.
10. Le 1er février 2015, la requérante fut expulsée vers l’Albanie.
B. Les conditions de détention de la requérante
1. La version de la requérante
11. La requérante allègue que bien que les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique) sont destinés à accueillir des personnes pour une courte durée, elle y séjourna pendant une longue période. Elle affirme que sa cellule était surpeuplée, qu’elle y était détenue avec au moins dix autres femmes, qu’elle disposait de moins de 3 m² d’espace personnel et qu’elle dormait sur un matelas posé au sol qu’elle partageait régulièrement avec une autre détenue. La requérante dénonce également les mauvaises conditions d’hygiène ainsi que le fait que les cellules n’étaient pas suffisamment éclairées. Il n’y avait, en outre, aucune possibilité de s’exposer au soleil et de se promener. Elle n’avait pas accès à la lumière naturelle car les fenêtres de la cellule étaient trop petites et couvertes de feuilles de laminage.
2. La version du Gouvernement
12. Le Gouvernement affirme que le Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique) disposait de deux cellules réservées aux femmes, d’une capacité totale de quinze personnes. La superficie totale des cellules était de 39 m², soit 13 m² et 26 m² respectivement. Pendant la période en cause, dix personnes environ y étaient détenues et la requérante disposait d’un espace personnel de 3,9 m². Les détenues avaient accès 24 heures sur 24 à des toilettes et une douche à l’eau chaude. Les cellules disposaient des fenêtres de 0,30 x 3,00 m, qui donnaient à l’extérieur, de l’éclairage artificiel et d’un système d’aération. Le Gouvernement ajoute que les locaux étaient nettoyés quotidiennement, désinfectés une fois par semaine, désinsectisés et dératisés une fois par mois et repeints trois fois par an. Les lits étant interdits dans les locaux de détention, un double matelas était offert à chaque détenue, ainsi que deux ou trois couvertures.
13. L’organisation médicale non-gouvernementale « PRAKSIS » rendait régulièrement visite aux détenues qui pouvaient être transférées, si besoin, à l’hôpital. Elles recevaient deux fois par jour des visites de leurs proches et la communication avec leurs avocats avait lieu sans entraves. Deux télévisions étaient installées dans les locaux et les journaux et les magazines étaient autorisés.
II. LE DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
14. Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer aux arrêts A.F. c. Grèce, (no 53709/11, 13 juin 2013), Kavouris et autres c. Grèce (no 73237/12, 17 avril 2014) et de los Santos et de la Cruz c. Grèce (nos 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014).
III. LES CONSTATS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS
15. Dans son rapport du 25 juillet 2013, suite à sa visite en Grèce du 4 au 16 avril 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants soulignait qu’il avait à plusieurs reprises constaté que les espaces de détention dans les commissariats de police n’étaient pas appropriés pour détenir des personnes pour de longues périodes. Toutefois, des personnes continuaient à séjourner dans ces commissariats pendant plusieurs mois. Il recommandait l’adoption de mesures urgentes pour remédier à cette situation.
16. Dans son rapport du 1er mars 2016, suite à sa visite en Grèce du 14 au 23 avril 2015, ledit Comité rappelait que dans le passé il avait vivement critiqué les conditions de détention dans de nombreux commissariats de police, notamment dans la région de l’Attique, et qu’il avait souligné que la plupart de locaux visités étaient totalement inadaptés pour la détention des personnes pour des périodes de plus de vingt-quatre heures. L’utilisation des commissariats de police pour la détention des migrants en situation irrégulière et des personnes en détention provisoire pendant des mois pouvait être considérée comme constituant un traitement inhumain et dégradant. Le Comité notait que le changement de politique avait amélioré considérablement la situation en ce qui concernait notamment le surpeuplement et recommandait aux autorités, entre autres, de veiller à ce que les commissariats de police ne soient utilisés que pour une détention de courte durée, à savoir pas plus de quelques jours, et d’éviter, dans la mesure du possible, d’y détenir des migrants en situation irrégulière.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
17. La requérante se plaint de ses conditions de détention dans les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique). Elle allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
18. Le Gouvernement affirme que la requérante a introduit sa requête le 2 février 2015, soit après avoir été expulsée vers l’Albanie, le 1er février 2015. Or, l’amélioration de ses conditions de détention n’était plus possible à la date d’introduction de la requête et la réparation du préjudice éventuellement subi par elle ne pouvait consister qu’en versement d’un montant au titre de satisfaction équitable. Par conséquent, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes car la requérante a omis d’introduire une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, combiné, d’une part, avec l’article 3 de la Convention, les articles 2 § 1 et 7 § 2 de la Constitution, les articles 7 et 10 de la loi no 2462/1997 et, d’autre part, avec les dispositions applicables aux étrangers qui font l’objet d’une décision administrative d’expulsion (notamment les articles 4 § 1 a) à c), 5 § 3 c) et 8 du décret présidentiel no 310/1998, les articles 66, 90 à 92 et 97 du décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public, et les articles 2 et 3 du décret présidentiel no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police).
19. La requérante rétorque qu’elle a fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé d’elle pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes.
20. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).
21. En premier lieu, la Cour note que la requérante a présenté en l’espèce des objections devant le président du tribunal administratif de Thessalonique pour dénoncer ses conditions de détention et se plaindre de l’illégalité de celle-ci. Elle observe que ce recours lui permettait de contester la légalité de sa détention et au président du tribunal administratif de la mettre en liberté pour tout motif ayant trait à la légalité et indiqué dans la jurisprudence des tribunaux administratifs relative à la mise en œuvre de l’article 76 de la loi no 3386/2005.
22. En second lieu, elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’action en dommages-intérêts prévue à l’article 105 précité ne constitue pas un recours effectif en matière de rétention d’étrangers en voie d’expulsion (A.F. c. Grèce, précité, et De los Santos et de la Cruz, précité). La Cour note que dans le cas présent il n’y existe aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.
23. La Cour constate, en outre, que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
B. Sur le fond
24. La requérante se réfère à la jurisprudence de la Cour dans des affaires dirigées contre la Grèce, où elle a à plusieurs reprises conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions de détention dans des locaux de police, y compris les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio. Elle allègue que la détention prolongée dans ces locaux est en soi incompatible avec les exigences de l’article 3.
25. Le Gouvernement affirme que la requérante a été détenue pendant une courte période, à savoir trente-cinq jours. Il se réfère à sa version concernant les conditions de détention (voir paragraphes 12 et 13 ci-dessus) et estime que celles-ci ne peuvent pas être considérées comme inhumaines ou dégradantes. Il ajoute qu’en tout état de cause, compte tenu de la très courte durée de la détention de la requérante, le seuil de gravité requis pour qu’elle soit qualifiée de traitement inhumain ou dégradant n’a pas été atteint. Il affirme, en outre, que les allégations de la requérante sont vagues et qu’elle ne démontre pas que les conditions de détention l’ont affecté personnellement.
26. La Cour constate que les positions des parties divergent notamment sur la question de savoir si les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio (Thessalonique) étaient ou non surpeuplés pendant la période en cause. Elle rappelle cependant que, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l’article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009).
27. La Cour note à cet égard qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, et Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013). Mises à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées, ayant notamment trait au surpeuplement, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention comprises entre un et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Tabesh, § 43, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, précités, Chazaryan et autres c. Grèce, no 76951/12, 16 juillet 2015, Peidis c. Grèce, 728/13, 16 juillet 2015).
28. La Cour relève qu’en l’espèce la requérante a été détenue pendant plus d’un mois dans les locaux du Service de la répression de l’immigration clandestine de Kordelio, soit dans des locaux qui, par leur nature même, ne sont pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, et Efremidi, ibidem).
29. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente, en l’espèce, de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
31. Dans ses observations, la requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable mais s’est contentée de renvoyer aux demandes formulées dans sa requête initiale. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Renata Degener Ledi
Bianku
Greffière adjointe Président