BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LES AUTHENTIKS AND SUPRAS AUTEUIL 91 v. FRANCE - 4696/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fifth Section)) French Text [2016] ECHR 942 (27 October 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/942.html
Cite as: [2016] ECHR 942, ECLI:CE:ECHR:2016:1027JUD000469611, CE:ECHR:2016:1027JUD000469611

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    CINQUIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRES LES AUTHENTIKS ET SUPRAS AUTEUIL 91 c. FRANCE

     

    (Requêtes nos 4696/11 et 4703/11)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    27 octobre 2016

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Les Authentiks et Supras Auteuil 91 c. France,

    La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

              Angelika Nußberger, présidente,
              Khanlar Hajiyev,
              Erik Møse,
              André Potocki,
              Faris Vehabović,
              Síofra O’Leary,
              Mārtiņš Mits, juges,
    et de Milan
    Blaško, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 octobre 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 4696/11 et 4703/11) dirigées contre la République française et dont deux associations de cet État, Les Authentiks et Supras Auteuil 91 (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 14 janvier 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérantes sont représentées par Me F. Gilbert, avocat à Paris et Me A. Tabone, avocat à Évry. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

    3.  Les requérantes allèguent que leur dissolution par décret du Premier ministre porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 11 de la Convention. Elles estiment également que la procédure de dissolution n’a pas été équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

    4.  Le 14 octobre 2013, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La première requérante, Les Authentiks, association déclarée en préfecture le 24 janvier 2002 et la seconde requérante, Supras Auteuil 91, association créée au début des années 1990, furent dissoutes par deux décrets du 28 avril 2010 (paragraphes 11 et 12 ci-dessous).

    6.  Les associations requérantes, dont les adhérents se regroupaient dans la « Tribune Auteuil » au sein du stade où avait lieu les matchs de leur équipe, avaient pour objet statutaire de promouvoir le club de football du Paris-Saint-Germain (ci-après PSG). Elles expliquent qu’elles furent créées afin de contrebalancer l’image déplorable qui était donnée par une partie importante des supporters de ce club, issus des milieux d’extrême droite, racistes et antisémites, qui se regroupaient à l’intérieur du stade au sein de la « Tribune Boulogne ». Elles indiquent que la dissolution en 2008 de cette branche de supporters, regroupés au sein de l’association « Boulogne Boys » (voir la décision de la Cour sur la dissolution de cette association, Association nouvelle des Boulogne Boys c. France (déc.), no 6468/09, 22 février 2011), ne mit pas fins aux comportements racistes et violents. Dans ce contexte, le 28 février 2010, en marge du match entre le PSG et l’Olympique de Marseille, des échauffourées eurent lieu entre certains de leurs membres et ceux des « Boulogne Boys », qui se terminèrent par la mort d’un supporter, Y.L.

    7.  Par des courriers du 12 avril 2010, la Commission nationale de prévention des violences lors des manifestations sportives (ci-après « la Commission ») informa les présidents, trésoriers et vice-présidents des requérantes de « l’intention du Gouvernement de prononcer leur dissolution sur le fondement de l’article L. 332-18 du Code du sport (ci-après CDS), issu de la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives (paragraphes 30 et 31 ci-dessous) ». La Commission indiqua aux requérantes les griefs retenus contre elles : huit à l’encontre de la première, six à l’encontre de la seconde, consistant en une série d’incidents au cours de la saison sportive 2009-2010, dont celui du 28 février 2010 (paragraphe 6 ci-dessus). Sur ce dernier fait, elle précisa que l’un des leaders de la seconde requérante, C.L., ainsi que deux membres de la première requérante (J.B, incarcéré le 19 mars 2010 pour ces faits, et M.K. « qui reconnaît sa présence dans le groupe incriminé »), étaient impliqués dans l’agression mortelle. La Commission invita les requérantes à présenter leurs observations écrites avant le 23 avril 2010, ainsi qu’à l’informer de leur souhait de présenter des observations orales devant elle le 27 avril suivant.

    8.  Par un courrier du 16 avril 2010, la première requérante sollicita du président de la Commission que lui soit accordé un délai supplémentaire pour présenter ses observations écrites et que lui soient transmis les éléments de preuve dont la Commission disposait s’agissant des griefs tirés des événements des 9 et 28 février 2010. Enfin, elle souhaita que lui soit communiquées les éventuelles observations écrites des dirigeants du PSG. Le président répondit le même jour qu’il n’entendait satisfaire à aucune de ces demandes.

    9.  Le 19 avril 2010, les requérantes déposèrent leurs observations.

    10.  Le 27 avril 2010, les représentants des requérantes, avocats au barreau de Paris, furent entendus par la Commission, après le représentant du ministère de l’Intérieur, et avant les membres de la préfecture de police et le représentant du directeur général de la police nationale (paragraphe 34 ci-dessous). Le même jour, la Commission rendit un avis favorable à leur dissolution.

    11.  Par un décret du 28 avril 2010, motivé comme suit, le premier ministre prononça la dissolution de la première requérante :

    « (...) Considérant que les trois associations « Paris 1970 ― La Grinta », « Supras Auteuil 1991 » et « Les Authentiks » font partie de la mouvance « ultras » du Paris Saint-Germain ; que si elles sont distinctes, leurs membres sont le plus souvent impliqués dans les mêmes faits et agissent le plus souvent de concert en vue d’entretenir une confusion sur l’identité des auteurs des troubles ;

    Considérant que depuis le début de la saison 2009-2010, des membres de l’association « Les Authentiks » ont, en réunion, répété des actes de violence ou de dégradation de biens lors de rencontres sportives ;

    Considérant que, le 26 avril 2009, des membres de l’association « Les Authentiks » ont participé à l’agression, à Asnières (Hauts-de-Seine), des supporters de l’Olympique de Marseille, membres d’un groupe de supporters, résidant en région parisienne, qui s’apprêtaient à se rendre à Lille pour assister à un match de leur équipe ;

    Considérant que, le 12 septembre 2009, des membres de l’association « Les Authentiks » ont participé à l’agression de supporters marseillais, demeurant en région parisienne, qui s’apprêtaient à embarquer dans un car à Paris pour se rendre au Mans, afin d’assister à un match de leur équipe ; que lors de cette agression, quatre personnes ont été blessées, dont une mineure de 12 ans, et des vols ont été perpétrés dans les soutes du véhicule ;

    Considérant que, le 13 septembre 2009, des membres de l’association « Les Authentiks » ont, aux côtés de supporters d’autres associations, fait usage d’engins pyrotechniques dans le stade Louis-II de Monaco, mettant notamment en danger des personnels de sécurité du club et provoquant des dégâts matériels importants ;

    Considérant que, le 9 février 2010, des membres de l’association « Les Authentiks » ont dégradé des grilles séparatives en tribunes, contraignant les forces de l’ordre à intervenir ;

    Considérant que, le 28 février 2010, des membres de l’association « Les Authentiks » ont jeté sur les forces de l’ordre de nombreux projectiles (bouteilles, fumigènes, bombes agricoles, mortiers, lance-fusées) ; que des membres de l’association « Les Authentiks » ont participé à la bagarre à la suite de laquelle l’un des participants est décédé ;

    Considérant que la répétition de ces événements a créé de véritables tensions, source de violences, et qu’en outre, les dirigeants du club PSG confirment ces faits et demandent qu’il soit mis fin à l’activité de cette association ;

    Considérant que de tels faits, commis en réunion, en relation ou à l’occasion de manifestations sportives, constituent des actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes qui, aux termes des dispositions de l’article L. 332-18 précitées, sont de nature à justifier la dissolution de l’association dont des membres ont commis lesdits faits ;

    Considérant, en conséquence, qu’il y a lieu de prononcer la dissolution de l’association « Les Authentiks ». »

    12.  Par un décret du même jour, motivé comme suit, le Premier ministre prononça la dissolution de la seconde requérante :

    « (...) [voir premier paragraphe du décret, paragraphe 11 ci-dessus] ;

    Considérant que, depuis le début de la saison 2009-2010, des supporters ont, en tant que membres de « Supras Auteuil 91 », en nombre variable, répété des actes de violence ou d’incitation à la haine ou à la discrimination lors de rencontres sportives ;

    Considérant que, le 12 septembre 2009, des membres de l’association « Supras Auteuil 91 » ont participé à l’agression de supporters marseillais demeurant en région parisienne, qui s’apprêtaient à embarquer dans un car à Paris, pour se rendre au Mans, afin d’assister à un match de leur équipe ; que, lors de cette agression, quatre personnes ont été blessées, dont une mineure de 12 ans et des vols ont été perpétrés dans les soutes du véhicule ;

    Considérant que, le 13 septembre 2009, des supporters de l’association « Supras Auteuil 91 » ont, aux côtés de supporters d’autres associations, fait usage d’engins pyrotechniques dans le stade Louis-II de Monaco mettant notamment en danger des personnels de sécurité du club et provoquant des dégâts matériels importants ;

    Considérant que, le 5 décembre 2009, l’agression d’un supporter du PSG Club d’Angers par un membre de l’association « Supras Auteuil 91 » a dégénéré en bagarre générale ;

    Considérant que, le 9 février 2010, des membres de « Supras Auteuil 91 » ont dégradé des grilles séparatives en tribunes, contraignant les forces de l’ordre à intervenir ;

    Considérant que, le 28 février 2010, les membres de l’association « Supras Auteuil 91 » ont jeté sur les forces de l’ordre de nombreux projectiles (bouteilles, fumigènes, bombes agricoles, mortiers, lance-fusées) ; que des membres de « Supras Auteuil 91 » ont participé à la bagarre à la suite de laquelle l’un des participants est décédé ; (...)

    Considérant que de tels faits, commis en réunion, en relation ou à l’occasion de manifestations sportives, constituent des actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes qui, aux termes des dispositions de l’article L. 332-18 précitées sont de nature à justifier la dissolution de l’association dont des membres ont commis lesdits faits ; (...) »

    13.  Une troisième association de supporters du PSG de la Tribune Auteuil « Paris 1970 la Grinta », ainsi que deux groupements de fait de la Tribune Boulogne (« Commando Loubard » et « Milice Paris »), furent également dissous par décret du même jour.

    14.  Le 7 mai 2010, les requérantes demandèrent au juge des référés du Conseil d’État de suspendre l’exécution des décrets du 28 avril 2010.

    15.  Le même jour, elles déposèrent devant le Conseil d’État, compétent en premier et dernier ressort (paragraphe 35 ci-dessous), une requête visant à faire annuler les décrets de dissolution. Ces requêtes sont dispensées du ministère d’un avocat spécialisé selon l’article R. 432-2-1o du code de justice administrative (CJA, paragraphe 35 ci-dessous).

    16.  Dans leurs mémoires ampliatifs, elles invoquèrent, au titre de l’illégalité externe des décisions attaquées, plusieurs violations des droits de la défense devant la Commission et une atteinte grave portée de ce fait à la liberté d’association constitutionnellement garantie (paragraphe 27 ci-dessous). Elles firent notamment valoir que les griefs notifiés n’étaient pas suffisamment précis et que l’intervention des dirigeants du PSG, dont les observations ne leur avaient pas été communiquées, ainsi que des représentants de la police, hors la présence de leurs représentants (paragraphe 10 ci-dessus), contrevenaient au respect du contradictoire.

    17.  Des moyens tirés de l’illégalité interne des décrets furent également invoqués par les requérantes. Reprenant un à un les faits reprochés, les requérantes les contestèrent au motif qu’ils n’étaient pas établis et/ou qu’ils ne leur étaient pas imputables, mais qu’ils concernaient seulement un ou deux de leurs membres, et soulignèrent qu’ils n’avaient donc pas été commis en réunion, comme l’exige l’article L. 332-18 du CDS. Elles soutinrent encore que les mesures de dissolution, radicales et définitives, étaient disproportionnées, faute de gravité suffisante des faits reprochés, soulignant qu’elles ne présentaient aucun risque pour l’ordre public, leur comportement n’ayant jamais été mis en cause mais seulement celui de certains de leurs membres ayant agi en dehors de leur cadre. La seconde requérante demanda au juge d’enjoindre à l’administration de lui communiquer plusieurs pièces : rapports établis par les autorités préfectorales et rendant compte des griefs reprochés, dossier complet dont a été saisi la Commission y compris les observations présentées par les représentants du PSG, procès-verbal des débats devant la Commission et procès-verbal de la séance et du vote de la Commission, ainsi que l’avis rendu.

    18.  Par ordonnances du 7 juin 2010, les demandes de suspension des mesures de dissolution furent rejetées par le juge des référés du Conseil d’État. Celui-ci considéra que, malgré « l’atteinte (...) nécessairement portée à la liberté d’association », les circonstances particulières des espèces n’étaient pas constitutives d’une situation d’urgence car les jugements au fond devaient intervenir avant la reprise des compétitions auxquelles le PSG était appelé à participer au cours de l’été 2010.

    19.  Dans son mémoire en défense du 10 juin 2010 déposé dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dont était saisi le Conseil d’État, le ministre de l’Intérieur fit valoir que les différences entre les faits présentés dans la lettre du 12 avril 2010 et ceux retenus in fine dans le décret étaient normales puisqu’elles résultaient de la prise en considération des observations écrites et orales déposées devant la Commission, et qu’elles étaient minimes. Il indiqua également que l’article 6 § 1 de la Convention ne pouvait être utilement invoqué à l’encontre des décrets litigieux car ils constituaient des mesures de police administrative et souligna, en tout état de cause, que la procédure avait été contradictoire en dépit de l’urgence.

    Sur la légalité interne des décrets, et s’agissant des faits retenus pour justifier les dissolutions, le ministre les reprit un à un et s’exprima notamment de la manière suivante :

    « (...) 4.  Les faits du 9 février 2010

    (...)

    Il résulte de l’examen des quatre premiers griefs fondant la dissolution que l’ensemble des faits invoqués sont établis, entrent dans le champ d’application de l’article L. 332-18 et que leur imputabilité partielle à des supporters de l’association « les Authentiks » résulte de l’observation des services de police, matérialisée par la note des renseignements généraux, qui révèle la culture de violence des associations de la mouvance ultra à laquelle elle appartient.

    De ce point de vue, la tentative de l’association pour les minimiser en les isolant et en les commentant un par un est vouée à l’échec dès lors que si pris isolément, chacun de ces faits ne serait dans doute pas de nature à justifier la dissolution, leur accumulation et leur gravité croissante, pour arriver jusqu’au point culminant du lynchage, suivi du décès, d’un supporter le 28 février 2010, imposait que l’administration prit ses responsabilités pour endiguer la montée de la violence résultant de cette agression, qui n’aurait manqué de ressurgir lors des matchs suivants mettant en scène le PSG. En tout état de cause, à supposer que l’imputation de ces faits à l’association soit considérée comme insuffisamment établie pour fonder la dissolution contestée, ceux du 28 février 2010 constituent, à eux seuls des actes suffisamment graves de nature à la justifier.

    5.  Les faits du 28 février 2010 (...)

    Il ressort des pièces du dossier qu’à la suite de ces faits, deux membres de l’association ont fait l’objet de mesures d’interdiction de stade [paragraphe 32 ci-dessous]. La requérante estime dès lors que seulement deux de ses membres aient été impliqués dans ces faits ne suffit pas à caractériser la Commission des faits en réunion. Il est toutefois établi que des membres de l’association [les Authentiks] ont participé à l’affrontement généralisé. La circonstance à la supposer établie que les Boulogne Boys soient à l’origine de la bagarre importe peu. Par ailleurs, il convient de souligner que plusieurs des membres ont été mis en examen. Quand bien même la procédure judiciaire n’a pas abouti à ce jour à la détermination des responsabilités individuelles, il n’en reste pas moins que l’association est, par l’intermédiaire de ses membres, impliquée dans ces évènements.

    Ces incidents répétés et ces exactions commises en réunion par des membres de l’association requérante et à l’occasion de manifestations sportives, entrent bien dans le champ d’application des dispositions de l’article L. 332-8 du CDS et justifient la mesure de dissolution prononcée en ce qu’ils caractérisent la culture de violence des supporters de cette association. »

    En dernier lieu, sur la proportionnalité des mesures litigieuses, le ministre fit valoir que seule une dissolution « était de nature à casser la spirale de la violence, à éviter l’émulation malsaine entre les différentes associations, au demeurant toutes dissoutes ».

    20.  Dans un mémoire complémentaire du 15 juin 2010, le ministre de l’Intérieur fit part d’observations « visant essentiellement à mieux établir l’imputabilité des faits motivant le décret de dissolution » et conclut au rejet des requêtes. Sur la gravité des faits reprochés, et la proportionnalité des mesures litigieuses, il fit valoir qu’avant d’envisager une mesure de dissolution, la préfecture de police avait été amenée à prendre de nombreuses mesures d’interdiction du stade qui se révélèrent insuffisantes.

    21.  Dans un mémoire en réplique du 21 juin 2010, la seconde requérante réitéra ses observations quant aux inexactitudes factuelles contenues dans le dossier de l’administration, dénonça des irrégularités de la procédure devant la Commission et soutint que la mesure de dissolution était disproportionnée. À cet égard, elle fit valoir que l’année 2009-2010 s’était traduite par une régression globale du niveau de violence dans le stade du Parc des Princes grâce à une politique très ferme de ses dirigeants (avant les évènements du 28 février 2010, trois membres étaient interdits de stade contre dix-sept l’année précédente). Elle conclut qu’elle ne pouvait être regardée comme instigatrice de violences, en qualité de personne morale, et qu’elle avait au contraire fait des efforts pour les empêcher.

    22.  Dans un dernier mémoire du 28 juin 2010, le ministre de l’Intérieur fit valoir que les mesures de police n’impliquaient pas que l’administration soit tenue à une procédure contradictoire identique à celle gouvernant les instances disciplinaires, « mais seulement tenue de mettre à même les requérantes de présenter leurs observations sur la mesure envisagée et ses fondements, ainsi que le prévoit l’article R. 332-12 du Code du sport (paragraphe 33 ci-dessous) ». Il expliqua que les requérantes avaient pu discuter de tous les motifs de la décision, et que, « à supposer même qu’en raison du changement de qualification des faits résultant des débats, elles aient dû être à même de présenter de nouvelles observations, l’urgence ne permettait pas de satisfaire à cette obligation ». Sur le bien-fondé des dissolutions et la proportionnalité de celles-ci, le ministre indiqua que l’ensemble des faits reprochés étaient étayés par les rapports du préfet de police et/ou des clubs, par les interdictions de stade prononcées, les coupures de presse, les photographies et les éléments recueillis devant la Commission. Enfin, sur les faits du 28 février 2010, « particulièrement graves », le ministre écrivit que les requérantes ne pouvaient se poser en victimes des « Boulogne boys » et que cela ne les exonérait pas, en tout état de cause, « des violences commises et pour lesquelles de nombreuses interdictions de stade avaient été prononcées, et des procédures pénales sont en cours ».

    23.  Dans des mémoires en réplique et duplique des 23 et 30 juin 2010, la première requérante contesta encore une fois la matérialité des faits reprochés en soulignant l’inadmissibilité des preuves produites par le ministre et figurant dans les notes blanches des services de renseignement. À propos des faits du 28 février 2010, elle souligna que la simple mise en examen de deux sympathisants ne pouvait nullement conduire à retenir le grief comme établi, et conclut qu’en l’absence de sa mise en cause « structurelle » par le ministre, la dissolution était totalement disproportionnée.

    24.  Dans ses conclusions devant le Conseil d’État, le rapporteur public demanda à cette juridiction d’annuler les décrets pour deux raisons. La première tenait à l’impossibilité pour les requérantes de répondre aux observations de la préfecture de police présentées en dernier lieu lors de l’audition devant la Commission, et ayant apporté des précisions et des compléments sur la matérialité et l’imputabilité des faits (paragraphe 10 ci-dessus). La seconde portait sur le vice de légalité interne affectant les décrets dès lors que l’administration ne paraissait établir qu’un seul fait imputable aux deux associations, ceux survenus le 28 février 2010, le dossier étant « beaucoup plus circonstancié sur ces derniers événements » (noms, interdictions de stades prononcées à l’encontre des supporters des deux associations, éléments de la procédure pénale en cours), alors que les décrets fondaient expressément la dissolution sur la commission d’actes répétés et qu’aucune demande de substitution de motifs, en application de la jurisprudence Hellal (paragraphe 36 ci-dessous), n’était expressément formulée au dossier.

    25.  Les représentants des requérantes furent informés, par des avis d’audience du 23 juin 2010, de l’inscription des affaires au rôle de l’audience publique du 5 juillet 2010. Le 3 juillet 2010, à la suite de leur demande, ils furent informés du sens des conclusions du rapporteur public.

    26.  Par un arrêt du 13 juillet 2010 (no 339257), le Conseil d’État rejeta la requête de la première requérante. Sur la légalité externe, il indiqua que ses représentants avaient adressé des observations écrites, puis présenté des observations orales devant la Commission. Rappelant que la dissolution d’une association de supporters présentait le caractère d’une mesure de police administrative, « de sorte que le principe général des droits de la défense ne leur est pas applicable en l’absence de texte, pas davantage au demeurant que les stipulations de l’article 6 § 1 de la Convention », il considéra que la circonstance que l’association n’avait pas été mise à même de répliquer aux observations présentées par écrit, par les représentants du PSG, ou oralement, par des représentants du préfet de police ou du directeur général de la police nationale n’entachait pas d’irrégularité l’avis émis par la Commission. Sur la légalité interne, il s’exprima comme suit :

    « Considérant que pour justifier la dissolution de l’association les Authentiks, le décret attaqué retient que des faits commis les 26 avril 2009, 12 septembre 2009, 13 septembre 2009, 9 février 2010 et 28 février 2010 peuvent être qualifiés d’actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes au sens de l’article L. 332-18 du Code du sport et sont de nature à justifier la dissolution de l’association dont des membres ont commis ces faits ; que, toutefois, il n’est pas établi par les pièces versées au dossier que les agressions de supporters marseillais commises les 26 avril 2009 et 12 septembre 2009 puissent être imputées à plusieurs membres de l’association, condition requise par les termes de l’article L. 332-18 ; qu’il n’est pas davantage établi que l’usage d’engins pyrotechniques le 13 septembre 2009 dans le stade Louis II de Monaco, au vu des circonstances dans lesquelles ces engins ont été utilisés, constitue en l’espèce des actes de violence sur des personnes ou des dégradations de biens au sens des dispositions de l’article L. 332-18 ; que, de même, les éléments versés au dossier ne permettent pas d’établir que des grilles séparatives installées dans l’enceinte du stade de Vesoul le 9 février 2010 auraient subi des dégradations susceptibles d’être relevées pour l’application de l’article L. 332-18 ; qu’en revanche, les faits survenus le 28 février 2010 consistant en des jets de projectiles sur les forces de l’ordre et en la participation à des faits graves de violence ayant notamment conduit au décès d’un supporter sont avérés, ne sont d’ailleurs pas sérieusement contestés, et sont susceptibles d’être retenus à l’encontre de l’association requérante pour l’application de l’article L. 332-18 du Code du sport ;

    Considérant que si, pour prononcer la dissolution de l’association, le décret du 28 avril 2010 s’est expressément fondé sur le motif d’actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes, alors qu’il vient d’être dit que les seuls faits que le décret pouvait légalement retenir étaient ceux du 28 février 2010, le ministre de l’intérieur (...) invoque, dans son mémoire en défense du 10 juin 2010, communiqué à l’association les Authentiks, un autre motif, tiré de ce que les faits du 28 février 2010 constituent, à eux seuls, des actes suffisamment graves de nature à le justifier ;

    Considérant, d’une part, que l’article L. 332-18 du Code du sport, dans sa nouvelle rédaction résultant de l’article 10 de la loi du 2 mars 2010, applicable aux faits de l’espèce, eu égard à la nature de police de la mesure en cause, permet de dissoudre par décret une association de supporters dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, un acte d’une particulière gravité, constitutif, notamment, de violence sur des personnes ; que les faits survenus le 28 février 2010, au cours desquels ont été commis à l’encontre des forces de l’ordre et d’autres supporters des actes graves de violence ayant conduit à la mort d’un supporter, présentent le caractère d’un acte d’une particulière gravité au sens de l’article L. 332-18, justifiant à lui seul la dissolution de l’association ; qu’une telle dissolution ne constituait pas une mesure excessive et disproportionnée au regard des risques pour l’ordre public que présentaient les agissements de certains des membres de l’association ;

    Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction que le Premier ministre aurait pris la même décision s’il avait entendu se fonder initialement sur le motif tiré des actes de particulière gravité du 28 février 2010 ;

    Considérant que, dès lors, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de procéder à la substitution de motifs demandée ; qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il ait lieu d’enjoindre au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales de produire certains documents, que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué. »

    Par un arrêt du 13 juillet 2010 (no 339293), le Conseil d’État rejeta la requête de la seconde requérante dans les mêmes termes que ceux de l’arrêt concernant la première requérante.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

    A.  Liberté d’association et dissolution d’association

    27.  Régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, la liberté d’association a valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel rendue le 16 juillet 1971 (no 71-44 DC). Une déclaration en préfecture et le dépôt des statuts sont suffisants pour obtenir la personnalité juridique. Il n’existe pas de contrôle a priori des déclarations d’association et le préfet est tenu de délivrer un récépissé administratif.

    28.  Les articles 3 et 7 de la loi de 1901 prévoient la possibilité pour le juge judiciaire, soit à la demande de tout intéressé, soit sur diligence du ministère public, de prononcer la dissolution d’une association qui serait « fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement ».

    29.  Parallèlement à la dissolution judiciaire de droit commun, l’autorité administrative dispose d’un pouvoir de dissolution des associations. La dissolution administrative couvre trois hypothèses. La première concerne les groupes de combats et les milices privées depuis une loi du 10 janvier 1936, régulièrement modifiée, et désormais codifiée à l’article L. 212-2 du Code de la sécurité intérieure. La deuxième, en cause en l’espèce, concerne les associations sportives, depuis la loi du 5 juillet 2006 précitée (paragraphe 30 ci-dessous). L’article 6 de la loi no 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence a ajouté une troisième hypothèse, celle de la dissolution des associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent.

    B.  Le Code du sport (CDS) et la lutte contre la violence dans les stades

    30.  La loi no 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives a intégré dans le CDS l’article L. 332-18, libellé ainsi :

    « Peut être dissous par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l’article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

    Les représentants des associations ou groupements de fait et les dirigeants de club concernés peuvent présenter leurs observations à la Commission. (...) »

    Selon le rapport no 3011 fait sur la proposition ayant abouti à cette loi, l’instauration de la possibilité de dissoudre les associations visait à prendre en compte « la dimension collective des violences » commises lors des rassemblements sportifs et à « responsabiliser les associations de supporters, qui ne doivent pas cautionner des comportements illégaux récurrents de la part de leurs membres lors de leurs réunions ».

    31.  La loi no 2010-209 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public a complété la loi de 2006 et modifié l’article L. 332-18 du CDS. Celui-ci autorise désormais le prononcé d’une mesure de dissolution non plus seulement en cas d’« actes répétés » de violence ou de dégradation de biens commis en réunion mais aussi dans le cas d’un « acte d’une particulière gravité ». Il a également ouvert la faculté de prononcer la suspension d’une association, comme mesure alternative à la dissolution, pour une durée de douze mois au plus, après avis de la Commission. Selon le rapport no 2237 fait sur la proposition ayant abouti à la loi du 2 mars 2010, « les deux applications qu’a reçues l’article L. 332-18 du CDS depuis 2006 ont montré l’utilité de cette possibilité de dissolution pour mettre fin aux activités d’associations ou groupements portant gravement atteinte à l’ordre public. Cependant, la mise en œuvre de cette disposition a mis en évidence l’absence de graduation de la riposte actuellement prévue (...). Comblant ce vide, le 2o du présent article modifie l’article L. 332-18 pour permettre de prononcer une mesure de suspension d’activité, mesure intermédiaire avant la dissolution, ce qui permettra de graduer la riposte à l’encontre des associations de supporters. (...). Ensuite (...), le texte actuel exige (...) des « actes répétés » empêchant la dissolution d’une association dont les membres commettraient un acte d’une gravité telle qu’une dissolution immédiate apparaîtrait nécessaire (...). Le 2o du présent article permet de recourir à la dissolution d’une association dont les membres commettraient « un acte d’une particulière gravité » (...). La possibilité d’agir sans devoir attendre la répétition d’actes apparaît d’autant plus justifiée que l’autorité administrative pourra également désormais prononcer une mesure d’interdiction d’exercice des activités, moins définitive que la dissolution ».

    32.  À côté de ces sanctions spécifiques contre les associations et groupements de supporters, la France dispose d’un arsenal répressif en vue de sanctionner les agissements répréhensibles des supporters. Ceux-ci peuvent relever du droit commun (violences, dégradations, rebellions, menaces ou encore outrage à l’hymne national) mais le législateur a prévu des infractions spécifiques aux supporters, avec des sanctions aggravées car perpétrées dans une enceinte sportive. Une interdiction judiciaire de stade a également été instituée en 1993 en tant que peine complémentaire (codifié à l’article L. 332-11 du Code du sport). Il existe aussi des interdictions administratives de stade (IAS). Introduite avec la loi no 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (désormais article L. 332-16 du CDS), puis complétée par la loi du 2 mars 2010 précitée, l’IAS permet à un préfet de prononcer une mesure d’interdiction d’accès à un stade (pour une durée de six mois) à l’encontre de personnes qui, « par leur comportement d’ensemble » ou « par la Commission d’un acte grave » constituent « une menace pour l’ordre public ». La loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure a porté la durée maximale de l’interdiction administrative à douze mois (vingt-quatre mois en cas de récidive) et a élargi les motifs pouvant justifier une interdiction à l’appartenance à une association dissoute ou suspendue. La loi de 2011 a également prévu la possibilité pour le ministre ou le préfet d’interdire le déplacement de supporters sur les lieux d’une manifestation sportive ou de restreindre leur liberté d’aller et de venir (articles L. 332-16-1 et L. 332-16-2 du CDS). La loi no 2016-564 du 10 mai 2016 renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme a encore allongé la durée maximale de l’interdiction administrative à trente-six mois pour les personnes ayant fait l’objet d’une telle mesure dans les trois années précédentes (article L. 332-16 du CDS).

    33.  Les dispositions réglementaires pertinentes figurant dans le code du sport sont ainsi libellées :

    Article R 332-11

    « Saisie par le ministre de l’intérieur d’un projet de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait mentionnés à l’article L. 332-18, la Commission rend son avis dans le mois qui suit sa saisine.

    Le ministre chargé des sports est tenu informé de cette demande d’avis. »

    Article R 332-12

    « Le président de la Commission définit les modalités de l’instruction de l’affaire et invite les représentants des associations ou des groupements de fait mentionnés par le projet de dissolution à présenter leurs observations écrites ou orales.

    Les dirigeants des clubs sportifs concernés sont informés qu’ils peuvent également présenter leurs observations écrites ou orales. »

    34.  Afin de lutter contre le « hooliganisme », les autorités françaises ont décidé, en octobre 2009, de créer au sein de la police nationale la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Cette division est chargée, au sein de la direction centrale de la sécurité publique, de coordonner les capacités de renseignement, d’identifier les personnes à risque et d’apporter aux préfets des appuis pour l’organisation des dispositifs d’ordre public lors des matchs.

    C.  Le code de justice administrative

    35.  Les dispositions pertinentes du code de justice administrative sont ainsi libellées :

    Article R. 311-1

    « Le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :

    1o  Des recours dirigés contre les ordonnances du président de la République et les décrets ; (...) »

    Article R. 432-1

    « La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d’État.

    Leur signature par l’avocat vaut constitution et élection de domicile chez lui. »

    Article R. 432-2

    « Toutefois, les dispositions de l’article R. 432-1 ne sont pas applicables :

    1o  Aux recours pour excès de pouvoir contre les actes des diverses autorités administratives ; (...)

    Dans ces cas, la requête doit être signée par la partie intéressée ou son mandataire. »

    Article R. 712-1

    « Le rôle de chaque séance de jugement est préparé par le rapporteur public chargé de présenter ses conclusions et arrêté par le président de la formation de jugement. (...)

    Quatre jours au moins avant la séance, les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation sont avisés que les affaires pour lesquelles ils sont inscrits figurent au rôle. En cas d’urgence, ce délai peut être réduit à deux jours par décision du président de la section du contentieux.

    Les parties qui ne sont pas représentées par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sont informées de l’inscription au rôle de leur affaire.

    Si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne. (...) »

    Article R. 731-3 (à l’époque des faits)

    « Postérieurement au prononcé des conclusions du rapporteur public, toute partie à l’instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré. »

    Article R. 733-1

    « Après le rapport, les avocats au Conseil d’État représentant les parties peuvent présenter leurs observations orales. Le rapporteur public prononce ensuite ses conclusions.

    Les avocats au Conseil d’État représentant les parties peuvent présenter de brèves observations orales après le prononcé des conclusions du rapporteur public. »

    D.  Jurisprudence du Conseil d’État

    36.  Dans sa décision Hellal du 6 février 2004, le Conseil d’État a posé les conditions dans lesquelles le juge peut procéder à une substitution de motif :

    « Considérant que l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu’il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ; que dans l’affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué (...) »

    E.  Travaux du Conseil de l’Europe

    37.  Il est renvoyé, sans les développer, aux « Lignes directrices conjointes sur la liberté d’association » (CDL-AD(2014)046-f), adoptées par la Commission de Venise à sa 101e session plénière (Venise, 12-13 décembre 2014), et en particulier aux paragraphes 242 à 258 de ce document.

    38.  Il est également renvoyé à la Convention européenne du 19 août 1985 sur la violence et les débordements de spectateurs lors des manifestations sportives et notamment de matches de football (STCE no 120). La Convention sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des matchs de football et autres manifestations sportives adoptée par le Comité des Ministres le 4 mai 2016 (STCE no 218) remplacera à terme la Convention du 19 août 1985. Ce nouveau texte privilégie la mise en œuvre d’une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des manifestations sportives par une pluralité d’acteurs travaillant en partenariat dans un esprit de coopération, y compris les supporters. Son préambule rappelle que l’objet du texte est de faire en sorte que les matchs de football notamment se déroulent dans un environnement sécurisé, sûr et accueillant pour tous les individus. Il énonce que le sport et l’ensemble des organismes et des parties prenantes intervenant dans l’organisation et la gestion d’un match de football doivent défendre les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe, telle que la cohésion sociale, la tolérance, le respect et la non-discrimination.

    EN DROIT

    I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

    39.  La Cour considère que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de joindre les requêtes, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent.

    II.  SUR LA PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT ET LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    40.  Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérantes allèguent que les substitutions de motifs opérées par le juge pour valider les dissolutions se sont faites en violation du principe du contradictoire. Elles se plaignent également de l’impossibilité de présenter des observations orales devant le Conseil d’État. L’article 6 § 1 est ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

    41.  À titre liminaire, la Cour rappelle que, bien que dissoutes, les associations requérantes peuvent se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention (mutatis mutandis, AGVPS-Bacău c. Roumanie, no 19750/03, § 38 et 39, 9 novembre 2010). Elle rappelle également que l’article 6, sous son volet civil, s’applique à toute procédure concernant l’existence juridique d’une association (idem, § 41 ; Les témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie, no 302/02, § 193, 10 juin 2010).

    A.  Sur le grief tiré de la violation du principe du contradictoire du fait de la substitution de motifs opérée par le Conseil d’État

    1.  Sur la recevabilité

    42.  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    2.  Sur le fond

    a)  Thèses des requérantes

    i.  La première requérante, les Authentiks

    43.  La requérante soutient que la substitution de motif n’a pas été sollicitée par le ministre de l’Intérieur, de telle sorte que n’ayant pas été avisée d’une telle possibilité, elle a été prise au dépourvu et n’a pas eu la possibilité de présenter, ne fut-ce que par une note en délibéré, ses observations sur le motif en définitive retenu pour fonder sa dissolution. Elle observe que, dans le mémoire en défense du 10 juin 2010, la mention selon laquelle les seuls faits du 28 février 2010 pourraient suffire à justifier la dissolution, se situe au dernier paragraphe d’un développement relatif « aux faits du 9 février 2010 » et non dans un paragraphe conclusif sur la légalité interne du décret attaqué au regard de la matérialité des faits (paragraphe 19 ci-dessus). Le ministre utilise par ailleurs l’expression d’« actes suffisamment graves » et non celle, tel que requis par l’article 332-18 du CDS, d’acte d’une particulière gravité. Il en résulte, selon la requérante, que même un acteur de la justice administrative raisonnablement averti ne pouvait déceler dans les écritures du ministère une demande de substitution de motif.

    44.  La requérante ne conteste pas que les faits du 28 février 2010 faisaient partie du débat. Elle indique toutefois que la Commission n’avait été saisie qu’à raison d’actes répétés et non d’un acte d’une particulière gravité. La substitution de motif l’a donc privée d’une garantie légale, ce qui faisait obstacle à ce qu’elle soit prononcée. Cela expliquerait d’ailleurs pourquoi le ministre de l’Intérieur ne l’a pas sollicitée devant le Conseil d’État.

    ii.  La seconde requérante, Supras Auteuil 91

    45.  La requérante souligne que le ministre de l’Intérieur a conclu au rejet de la requête dans son mémoire du 10 juin 2010 et qu’il n’a pas demandé au Conseil d’État de procéder à une substitution de motif. Elle considère que son droit à un procès équitable a été méconnu dès lors qu’elle n’a pas été en mesure de se défendre utilement sur la question de savoir si les faits du 28 février 2010 constituaient un « acte d’une particulière gravité », dont elle pouvait légitimement penser qu’elle n’était tout simplement pas soumise au juge. Tel était d’ailleurs le point de vue du rapporteur public devant le Conseil d’État (paragraphe 24 ci-dessus). La requérante ajoute que la méconnaissance de ses droits de la défense est a fortiori acquise par le fait qu’à aucun moment de la procédure administrative, préalable à la procédure juridictionnelle, elle n’a été invitée à présenter sa défense sur la gravité des événements du 28 février 2010, de nature à justifier la dissolution.

    b)  Le Gouvernement

    46.  Contrairement aux requérantes, le Gouvernement considère que le ministre de l’Intérieur a invoqué clairement la particulière gravité des faits du 28 février 2010 pour justifier la dissolution et que, ce faisant, il sollicitait bien une substitution de motif. Le mémoire du 10 juin ayant été communiqué aux requérantes, ces dernières ne peuvent affirmer qu’elles ont été prises au dépourvu et qu’elles n’ont pas eu l’occasion de répondre au motif finalement retenu par le Conseil d’État.

    47.  Le Gouvernement ajoute que les faits du 28 février 2010 figuraient dans le débat contentieux dès l’origine et qu’ils étaient ainsi retenus comme fondement de la dissolution. Il en déduit que les requérantes pouvaient s’expliquer sur ces événements tout au long de la procédure, aussi bien devant la Commission que devant le Conseil d’État. De même, la gravité des faits a été mentionnée par le ministre dans ses écritures des 10, 15 et 28 juin 2010, et les requérantes en ont débattu tout au long de la procédure.

    48.  Le Gouvernement considère enfin que la substitution de motif n’a pas privé les requérantes d’une garantie procédurale dès lors que la Commission disposait, pour rendre son avis, de l’ensemble des griefs notifiés aux requérantes dont celui lié aux faits survenus le 28 février 2010, lesquels ont donc été débattus devant elle.

    c)  Appréciation de la Cour

    i.  Principes généraux

    49.  Quant au droit à une procédure contradictoire, la Cour renvoie aux principes généraux rappelés dans l’arrêt Čepek c. République tchèque (no 9815/10, §§ 44 à 50, 5 septembre 2013).

    50.  La Cour rappelle en particulier que le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif invoqué d’office ou d’une exception soulevée d’office (Clinique des Acacias et autres c. France, nos 65399/01, 65406/01, 65405/01 et 65407/01, § 38, 13 octobre 2005 ; Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 42, 16 février 2006 ; Amirov c. Arménie (déc.), no 25512/06, 18 janvier 2011). L’élément déterminant est alors de savoir si une partie a été « prise au dépourvu » par le fait que le tribunal a fondé sa décision sur un motif invoqué d’office (Villnow c. Belgique (déc.), no 16938/05, 29 janvier 2008 ; Clinique des Acacias et autres, précité, § 43). Une diligence particulière s’impose au tribunal lorsque le litige prend une tournure inattendue, d’autant plus s’il s’agit d’une question laissée à la discrétion du tribunal. Le principe du contradictoire commande que les tribunaux ne se fondent pas dans leurs décisions sur des éléments de fait ou de droit qui n’ont pas été discutés durant la procédure et qui donnent au litige une tournure que même une partie diligente n’aurait pas été en mesure d’anticiper (Čepek, précité, § 48).

    ii.  Application en l’espèce

    51.  La Cour observe que le Conseil d’État a décidé dans les deux espèces de procéder à une substitution de motif en indiquant que l’administration, en la personne du ministre de l’Intérieur, en avait fait la demande dans son mémoire du 10 juin 2010. De plus, cette juridiction a considéré que le motif substitué fondait légalement les dissolutions et aurait conduit le Premier ministre à prendre la même décision (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour n’entend pas se prononcer sur la technique de substitution de motif en tant que telle, mais sur le seul point de savoir si le recours à celle-ci par le Conseil d’État a porté atteinte au droit des requérantes à une procédure contradictoire.

    52.  Certes, la Cour constate que les requérantes n’ont pas présenté d’observations devant le Conseil d’État sur le seul motif finalement retenu pour prononcer leur dissolution, à savoir les faits survenus le 28 février 2010 pris isolément, en tant qu’« acte d’une particulière gravité », mais seulement sur ces faits parmi d’autres en tant qu’« actes répétés » de dégradations de biens et de violences sur des personnes. Elle observe toutefois que les faits du 28 février 2010 étaient reprochés aux requérantes dès le début de la procédure, en tant que grief retenu contre elles par la Commission, et repris par le Premier ministre dans son décret de dissolution. Ainsi, le motif substitué retenu par le Conseil d’État s’appuyait sur des éléments de fait et de droit déjà dans le débat, que les requérantes ont pu discuter sans être prises au dépourvu. Elle relève en outre que le ministre de l’Intérieur a expressément soutenu, dans son mémoire du 10 juin 2010, que ces faits « constituaient à eux seuls des actes suffisamment graves de nature à justifier la dissolution » (paragraphe 19 ci-dessus), et que les requérantes n’ont pas spécifiquement répondu sur ce point, comme elles pouvaient le faire, dans leurs mémoires en réponse des 21, 23 et 30 juin 2010 (paragraphes 21 et 23 ci-dessus).

    53.  Ainsi, la Cour observe que les parties ont été en mesure de débattre tant des faits retenus pour motiver la mesure de dissolution que de la substitution de motif opérée pour en faire la justification unique et suffisante. Dès lors, elle estime que la substitution de motif à laquelle a procédé le Conseil d’État n’a pas porté atteinte au droit de celles-ci à un procès équitable. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    B.  Sur le grief tiré de l’impossibilité de présenter des observations orales devant le Conseil d’État

    54.  Les requérantes dénoncent l’impossibilité de présenter des observations orales devant cette juridiction sans l’intermédiaire d’un avocat aux conseils, alors que leur requête et mémoire en annulation de la décision litigieuse pouvaient être présentés par un avocat inscrit au barreau en vertu de l’article R. 432-1 du CJA.

    55.  Dans ses observations, la première requérante reconnaît avoir été régulièrement informée de l’inscription au rôle de son affaire et du sens des conclusions du rapporteur public, et n’entend pas maintenir son grief, au vu de la jurisprudence de la Cour concernant le monopole de la prise de parole des avocats spécialisés (Marc-Antoine c. France (déc.), no 54984/09, 4 juin 2013), y compris lorsqu’il statuent en premier et dernier ressort.

    56.  La seconde requérante reconnaît avoir été informée des éléments précités mais dénonce l’impossibilité pour un avocat d’un barreau ordinaire de prendre la parole au cours de l’audience publique. Citant l’arrêt Meftah et autres c. France ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII), qui légitime le recours à un barreau spécialisé en raison de la spécificité du rôle de la Cour de cassation, elle considère que cette jurisprudence ne peut s’appliquer en l’espèce compte tenu des particularités suivantes : le Conseil d’État statue en premier et dernier ressort, le ministère d’un avocat aux conseils n’est pas imposé pour déposer la requête en annulation devant lui, il est la seule instance juridictionnelle devant laquelle les parties sont susceptibles de s’expliquer oralement et il ne statue pas seulement en droit puisqu’il lui appartient, et à lui seul, d’assurer le « contrôle de pleine juridiction » portant sur la légalité de la mesure. En outre, la requérante estime que, compte tenu de la célérité de la procédure d’instruction devant le Conseil d’État, il est normal que les parties puissent confier aux mêmes conseils le soin de les défendre dans la procédure préalable devant la Commission puis dans la procédure juridictionnelle, comme cela est le cas dans les instances de référé (paragraphe 14 ci-dessus).

    57.  Le Gouvernement confirme que les requérantes ont été informées de l’inscription au rôle de leur affaire devant le Conseil d’État par l’envoi d’avis d’audiences qui rappelaient les dispositions de l’article R. 733-1 du CJA selon lesquelles seuls les avocats aux conseils peuvent prendre la parole à l’audience (paragraphe 35 ci-dessus). Il rappelle que la Cour a jugé compatible avec la Convention le fait de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole (G.L. et S.L. c. France (déc.), no 58811/00, CEDH-2003 ; Escoffier c. France (déc.), no 8615/08, 8 mars 2011 ; Marc-Antoine, précitée). Le Gouvernement fait enfin valoir, en tout état de cause, que les parties pouvaient présenter une note en délibéré après l’audience.

    58.  La Cour prend acte du désistement de la première requérante quant à ce grief. Quant à la seconde requérante, la Cour constate la particularité des dispositions combinées des articles R. 432-2 et R. 733-1 du CJA. Cependant, elle n’entend pas revenir sur sa jurisprudence constante en la matière, à savoir que la spécificité de la procédure devant une Cour suprême peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole (G.L. et S.L. précitée ; Collectif national d’information et d’opposition à l’usine Melox - Collectif Stop Melox et Mox c. France, no 75218/01, § 15, 12 juin 2007 ; Escoffier et Marc-Antoine, précités). Elle note au demeurant que la requérante conservait la possibilité de produire une note en délibéré et qu’elle n’établit pas en quoi elle en aurait été empêchée dans les circonstances de l’espèce. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté par application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    59.  Les requérantes se plaignent du caractère inéquitable de la procédure devant la Commission, qui n’a pas été menée de façon contradictoire. Elles allèguent également une violation de l’article 6 de la Convention au motif que la procédure, dans son ensemble, est sous l’emprise de membres du Conseil d’État (les deux membres de la Commission, un membre chargé de représenter le ministère de l’Intérieur), de sorte que l’impartialité objective de cette juridiction s’en trouve affectée.

    60.  Quant à la première partie du grief, à supposer même que l’article 6 ait été applicable à la procédure devant la Commission, la Cour observe que cette procédure a fait l’objet d’un contrôle ultérieur « d’un organe judiciaire de pleine juridiction » (paragraphe 53 ci-dessus). Partant, cette partie du grief doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Quant à la seconde partie du grief, la Cour observe que les requérantes ne l’ont pas soulevé dans leur mémoire devant le Conseil d’État, et qu’il doit en conséquence être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

    61.  Les requérantes allèguent que leur dissolution constitue une ingérence disproportionnée dans leur droit garanti par l’article 11 de la Convention. Elles estiment que cette mesure ne repose pas sur une base factuelle adéquate et que leur dissolution administrative ne répond à aucune nécessité. Elles indiquent qu’en cas de fautes graves, elles peuvent être dissoutes judiciairement. S’agissant des individus eux-mêmes, elles font valoir qu’il existe des dispositifs préventifs (IDS) et répressifs dans le cadre pénal classique qui permettent d’assurer les missions de prévention et de répression des atteintes à l’ordre public. L’article 11 de la Convention est ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit (...) à la liberté d’association (...)

    2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    62.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Thèses des requérantes

    63.  Seule la première requérante a présenté des observations sur le grief, la seconde s’en remettant aux termes de son formulaire de requête (paragraphe 61 ci-dessus).

    64.  En premier lieu, la requérante considère que la mesure litigieuse ne repose pas sur une base factuelle adéquate. Elle ne conteste pas que certains de ses membres ont été impliqués dans la rixe survenue le 28 février 2010, en réponse à l’agression de membres des Tribunes de Boulogne. Elle dément en revanche la participation de l’un de ses membres au lynchage ayant abouti au décès d’un supporter. Elle souligne que, tout au long de la procédure devant le Conseil d’État, le Gouvernement n’a jamais soutenu qu’un ou plusieurs de ses membres aurait porté des coups à Y.L. En tout état de cause, si deux sympathisants, J.B. et M.K, ont effectivement été mis en examen par un juge d’instruction, ils n’ont jamais été condamnés pour ces faits et continuent de bénéficier de la présomption d’innocence. En l’état des éléments connus, M.K. reconnaît avoir été présent sur les lieux, au même titre que trois cents personnes, et a toujours nié avoir participé à l’agression ; il n’a jamais été placé en détention provisoire. S’agissant de J.B, il aurait reconnu avoir donné des coups dans une bagarre mais pas à Y.L. ; placé initialement en détention provisoire, il a été ultérieurement libéré. Enfin, la requérante soutient que les faits consistant en des jets de projectiles sur des fonctionnaires de police n’ont donné lieu à aucune suite judiciaire et que le Gouvernement ne démontre pas l’implication de l’un quelconque de ses membres dans cet évènement.

    65.  En second lieu, la requérante conteste la nécessité de la mesure litigieuse. Elle désapprouve les observations déduites par le Gouvernement d’une note de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales intitulées « Violences, incivilités et autres infractions spécifiques aux activités physiques et sportives en France de 2005 à 2011 » et selon lesquelles les actes de violence en lien avec une manifestation sportive n’auraient cessé de croître en 2005 et 2010. Au contraire, elle estime qu’il ressort de cette note que les incidents en ligue de football au cours de la période 2006/2010 n’ont pas significativement augmenté ; seul le nombre d’interpellations a augmenté, ce qui démontre simplement une meilleure implication des services de police. De même, elle déplore l’absence de données chiffrées postérieures à sa dissolution qui permettrait d’établir que celle-ci a eu une incidence sur la commission d’infractions, et tout particulièrement sur les faits de violence. À cet égard, la requérante souligne que la dissolution de l’association nouvelle des Boulogne boys n’a pas permis d’éradiquer les faits de violence et de racisme commis par certains de ses membres. La requérante ajoute que si la dissolution de groupements radicaux présente un intérêt, celle d’associations structurées de supporters qui permettent un contrôle endogène sur les franges les plus violentes est improductive, a fortiori lorsque, comme en l’espèce, la dissolution est prononcée à raison de l’activité de certains membres ou sympathisants et non à raison des valeurs véhiculées par l’association ou l’activité de ses dirigeants.

    66.  La requérante dénonce la confusion faite par le Gouvernement de sa situation avec celle de l’association des Boulogne Boys. À la différence de cette dernière, directement impliquée dans des actes de violence commis au cours de ses activités et en présence de son président, tel que l’indique le décret 17 avril 2008 ayant prononcé sa dissolution, la requérante fait valoir qu’aucun grief ne lui a été reproché à raison de faits s’étant déroulés lors d’une activité qu’elle et/ou ses dirigeants encadraient. Elle souligne à cet égard que ses dirigeants n’ont fait l’objet d’aucune procédure policière ou judiciaire, si ce n’est le 5 juillet 2010, date de l’audience devant le juge des référés du Conseil d’État, où trois de ses dirigeants ont été perquisitionnés et placés en garde à vue.

    67.  Eu égard à ce qui précède, et arguant de la promotion qu’elle faisait des valeurs de solidarité et de la lutte contre la violence et le racisme, la requérante conclut que la mesure de dissolution était disproportionnée au but recherché et non nécessaire dans une société démocratique.

    2.  Le Gouvernement

    68.  Le Gouvernement admet que la dissolution des associations requérantes constitue une ingérence dans la liberté d’association. Cette mesure était prévue par la loi, l’article L. 332-18 du CDS, et visait un but légitime, à savoir la défense de l’ordre et la prévention du crime, menacé par la répétition d’actes de violence au cours des deux dernières saisons de championnat.

    69.  Le Gouvernement soutient que la dissolution des associations répondait à un besoin social impérieux en vue du maintien de l’ordre public. Il considère que les faits du 28 février 2010 justifiaient les mesures de dissolution prononcées, lesquelles étaient nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

    70.  S’agissant des faits du 28 février 2010, il souligne que les requérantes se limitent à concentrer leur critique sur un des évènements survenus ce jour-là, la mort d’un supporter, alors qu’une rixe généralisée avec d’autres supporters a eu lieu et que de nombreux projectiles ont été lancés aux forces de l’ordre. De l’avis du Gouvernement, les autres évènements décrits, dont la participation à la rixe généralisée, ne sont pas sérieusement contestées par les requérantes, l’origine de celle-ci n’étant pas déterminante : si les supporters de la tribune Boulogne sont venus prendre violemment à partie certains de leurs membres, ces derniers ont rétorqué et passé à tabac les premiers. En outre, il rappelle qu’à la suite de ces affrontements généralisés, trois membres de la première requérante et dix-neuf membres de la seconde ont fait l’objet d’une mesure d’IAS. Dans le cadre de la procédure pénale relative à la mort de Y.L., deux membres de la première requérante ont par ailleurs été mis en examen et un membre de la seconde a été placé sous le statut de témoin assisté. Le Gouvernement a ultérieurement transmis à la Cour un extrait du rôle de la cour d’assises de Paris faisant apparaître que J.B., membre de la première requérante, a été renvoyé devant cette juridiction, pour violences commises en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et que l’audience aura lieu au mois de novembre 2016. Cette pièce a été communiquée aux associations requérantes.

    Eu égard à ce qui précède, le Gouvernement estime que les comportements ainsi relevés à l’encontre des associations, et plus particulièrement de certains de leurs membres, constituent, ainsi que le Conseil d’État l’a confirmé, des actes de violence sur des personnes commis en réunion, justifiant les mesures de dissolution prononcées. Il ajoute que si la procédure judiciaire n’a pas abouti à ce jour à la détermination des responsabilités individuelles, il n’en demeure pas moins que les associations, par le comportement de certaines de leurs membres, sont impliquées dans les actes de violence.

    71.  Sur l’existence d’un « besoin social impérieux » de la mesure litigieuse, le Gouvernement souligne que les actes de violence perpétrés lors ou à l’occasion de manifestations sportives n’ont cessé de croître entre 2005 et 2010. Il indique que, selon la note précitée (paragraphe 65 ci-dessus), 2 587 infractions dans les enceintes sportives ou aux abords de celles-ci ont été constatées par les services de police ou de gendarmerie. Par ailleurs, au cours des matchs de ligue 1 et de ligue 2 disputés lors de la saison 2010/2011, 914 interpellations ont été recensées soit 1,2 interpellations par match alors que ce taux n’était que de 0,7 pour la saison 2005/2006. Enfin, deux supporters sont décédés entre 2006 et 2010 au cours d’affrontements. La persistance de ces violences a rendu nécessaire l’élaboration d’un cadre normatif renforcé. Au dispositif préexistant ciblé sur le traitement des actes personnellement commis a succédé un cadre législatif privilégiant une approche collective des moyens de prévention et de lutte contre les violences. C’est dans cet esprit qu’ont été adoptées les lois précitées de 2006 et 2010, l’une des caractéristiques de la violence entourant les manifestations sportives étant qu’elle est presque toujours exercée en groupe. Le Gouvernement ajoute que ces actes de violence portent atteinte à l’image du sport et détournent un certain nombre de personnes, notamment le public familial, qui juge dangereux de se rendre à une manifestation sportive. De même, les riverains des abords des stades vivent dans un climat d’insécurité.

    72.  Contrairement aux requérantes, le Gouvernement est convaincu que la dissolution est une réponse nécessaire et adaptée pour prévenir les troubles à l’ordre public aux abords des stades. Il insiste sur la particulière gravité des faits commis par certains de leurs membres, et les troubles graves à l’ordre public qui en ont résulté. La menace que représentent les associations pour la défense de l’ordre public et la prévention des crimes trouve sa source dans les possibilités d’action collective de leurs membres. Aussi, le but légitime poursuivi ne peut être atteint que par la suppression de l’appui organisationnel que l’association fournit à ses membres pour ces actions violentes. À l’instar de ce qui a été décidé dans l’affaire Association nouvelle des Boulogne Boys précitée, le Gouvernement considère que les mesures litigieuses étaient proportionnées au but légitime poursuivi.

    3.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes généraux

    73.  Dans les affaires Sidiropoulos et autres c. Grèce (10 juillet 1998, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV) et Gorzelik et autres c. Pologne ([GC], no 44158/98, §§ 88 à 96, CEDH 2004-I), la Cour a rappelé le rôle essentiel joué par les associations pour le maintien du pluralisme et de la démocratie et la stricte interprétation qu’il convenait de faire des exceptions visées à l’article 11. Toute ingérence doit répondre à un « besoin social impérieux » ; le vocable « nécessaire » n’a pas la souplesse de termes tels qu’« utile » ou « opportun ». Il appartient en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un « besoin social impérieux » d’imposer une restriction donnée dans l’intérêt général. Si la Convention laisse à ces autorités une certaine marge d’appréciation à cet égard, leur évaluation est soumise au contrôle de la Cour, portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, y compris celles rendues par des juridictions indépendantes.

    Dans son contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse compte tenu de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents.

    74.  Dans l’affaire Vona c. Hongrie (no 35943/10, §§ 57 et 58, CEDH 2013), la Cour a opéré une distinction entre les partis politiques, dont la dissolution ne peut se trouver justifiée qu’en cas d’atteinte à la société démocratique, et les autres associations, nommées les organisations sociales. S’agissant de la dissolution de ces dernières, la Cour y a vu une mesure qui « doit être justifiée par des motifs pertinents et suffisants, tout comme pour la dissolution d’un parti politique bien que dans le cas d’une association, dont les possibilités d’exercer une influence au plan national sont plus réduites, il est légitime que la justification de restrictions préventives soit moins forte que lorsqu’il s’agit d’un parti politique. Étant donné qu’un parti politique et une association non politique n’ont pas la même importance pour une démocratie, seul le premier mérite que l’on procède à l’examen le plus rigoureux de la nécessité d’une restriction au droit d’association. Cette distinction doit être exercée avec suffisamment de souplesse ».

    b)  Application en l’espèce

    75.  La Cour relève d’emblée que les parties s’accordent à considérer que la mesure litigieuse s’analyse en une ingérence dans le droit à la liberté d’association, tel que garanti par l’article 11 de la Convention. C’est également l’analyse de la Cour.

    76.  Elle constate ensuite que l’ingérence était « prévue par la loi », à savoir l’article L. 332-18 du CDS, ce que les requérantes ne contestent pas.

    77.  Les parties conviennent également de ce que l’ingérence tendait à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. La Cour n’aperçoit pas de raison d’adopter un point de vue différent.

    78.  Il reste donc à examiner si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », ce qui requiert de vérifier si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les juridictions internes étaient pertinents et suffisants.

    79.  La Cour note que, pour rejeter la demande d’annulation des décisions de dissolution, le Conseil d’État a considéré que les faits du 28 février 2010, consistant en des jets de projectiles sur les forces de l’ordre et en la participation à des faits graves de violence ayant notamment conduit au décès d’un supporter, étaient avérés. Il les a alors retenus à l’encontre des requérantes en tant qu’acte d’une particulière gravité, et a considéré qu’ils justifiaient la dissolution de celles-ci au regard des risques pour l’ordre public que présentaient les agissements de certains de leurs membres. La Cour relève également que le Conseil d’État a exclu que d’autres faits reprochés aux requérantes puissent fonder la dissolution au motif qu’ils n’étaient pas avérés ou qu’ils ne leur étaient pas imputables.

    80.  La Cour rappelle d’emblée que la dissolution pure et simple d’une association constitue une mesure extrêmement sévère (Tunceli Kültür ve Dayanışma Derneği c. Turquie, no 61353/00, § 32, 10 octobre 2006 ; Association Rhino et autres c. Suisse, no 48848/07, § 62, 11 octobre 2011 ; Vona, précité, § 58). Elle observe à ce titre qu’aucun acte de violence n’a été retenu contre les associations requérantes, en tant que personnes morales, ni contre leurs dirigeants. Elle note également qu’il ne ressort pas du dossier que les associations requérantes avaient un objet illicite ou autre que la défense de l’intérêt sportif.

    81.  Cela étant, la Cour constate que le Conseil d’État a considéré, au regard des pièces du dossier, que l’implication de certains membres des associations requérantes, qui faisaient partie de la mouvance « ultras » du PSG (paragraphe 11 ci-dessus), dans la rixe du 28 février 2010, n’était pas sérieusement contestable, ce qui, sous réserve de la gravité des faits, pouvait constituer un motif de dissolution des associations auxquelles ils appartenaient, en vertu des dispositions de l’article L. 332-18 du CDS (paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Ces membres ont été identifiés, certains d’entre eux ont fait l’objet d’interdictions administratives de stade et trois autres ont été poursuivis pénalement ; l’un d’entre eux, d’après les informations à la disposition de la Cour, sera jugé prochainement devant la cour d’assises de Paris (paragraphe 70 ci-dessus). S’il n’a donc pas été retenu de manquement à l’encontre des associations requérantes, la participation aux évènements ayant conduit à des troubles à l’ordre public de certains supporters, agissant en tant que membres de l’association, est établie.

    82.  La Cour relève que pour lutter contre les phénomènes de violence dans les stades, le législateur a considéré nécessaire de permettre la dissolution d’une association de supporters en tant que mesure collective, et non exclusivement individuelle, de prévention des graves dérives constatées à l’occasion des manifestations sportives. La loi du 5 juillet 2006 a instauré cette possibilité, en cas d’actes répétés, et la loi du 2 mars 2010 l’a élargi à un acte d’une particulière gravité tout en introduisant une mesure intermédiaire permettant seulement de suspendre les activités d’une association (paragraphes 30 et 31 ci-dessus).

    83.  La Cour comprend qu’un État juge essentiel de lutter efficacement contre les violences dans les stades afin de satisfaire à l’aspiration légitime des individus à pouvoir assister à des manifestations sportives en toute sécurité. La récente Convention du Conseil de l’Europe rappelle cet impératif avec force (paragraphe 38 ci-dessus). Avec les lois précitées, le législateur entendait répondre à des actes d’une extrême violence ayant conduit à des atteintes à l’intégrité physique de supporters et à la mort de deux d’entre eux. L’application de ces dispositions législatives a été décidée en l’espèce à la suite de comportements commis en réunion, à savoir des jets de projectiles à l’encontre des forces de police, et de violents affrontements ayant abouti à la mort de Y.L., et alors que les compétitions du PSG allaient reprendre. Ces décisions s’inscrivaient dans un contexte particulièrement difficile, qui menaçait la tenue des compétitions de football et qui a conduit à la dissolution d’autres associations ou groupements de supporters du PSG (paragraphes 13 ci-dessus et paragraphe 84 ci-dessous). Appliquant l’article 11, la Cour a déjà déclaré que des atteintes à la liberté de réunion sont en principe justifiées quand il s’agit d’assurer la défense de l’ordre, la prévention du crime ou la protection des droits et libertés d’autrui lorsque des manifestants se livrent à des actes de violence (Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 251, CEDH 2011 (extraits) ; Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 55, CEDH 2012). En l’espèce, et eu égard au contexte dans lequel les mesures litigieuses ont été prises, la Cour admet que les autorités nationales ont pu considérer qu’il existait un « besoin social impérieux » d’imposer des restrictions drastiques à l’égard des groupes de supporters, et partant de porter atteinte à la substance même de la liberté d’association, pour prévenir les risques de troubles à l’ordre public et y mettre fin (mutatis mutandis, Association nouvelle les Boulogne Boys précité). Ainsi, les mesures litigieuses étaient nécessaires dans une société démocratique à la défense de l’ordre et à la prévention du crime.

    84.  Il reste à vérifier si ces mesures étaient proportionnées par rapport à ce but. La Cour relève que le ministre de l’Intérieur a souligné qu’avant de recourir à la dissolution, la préfecture de police avait été amenée à prendre de nombreuses mesures d’interdictions de stade qui s’étaient révélées insuffisantes (paragraphe 20 ci-dessus). Il est vrai que la possibilité d’une suspension, introduite par la modification législative du 2 mars 2010, et moins attentatoire à la liberté d’association, ne semble pas avoir été envisagée, compte tenu de la gravité des faits commis par les membres des associations requérantes et de l’imminence des matchs à venir. Les autorités ont fait le choix de « casser la spirale de la violence » et « d’éviter l’émulation malsaine entre les différentes associations, au demeurant toutes dissoutes » (paragraphe 19 ci-dessus), et considéré qu’il n’existait pas de possibilité réelle pour les requérantes de prévenir à ce moment-là les troubles à l’ordre public causés par leurs membres. À cet égard, la Cour rappelle que là où il y incitation à l’usage de la violence à l’égard d’un individu, d’un représentant de l’État ou d’une partie de la population, les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation plus large dans leur examen de la nécessité d’une ingérence dans l’article 11 (Schwabe et M.G. c. Allemagne, nos 8080/08 et 8577/08, § 113, CEDH 2011 (extraits) ; mutatis mutandis, Giuliani et Gaggio, précité, § 251). Enfin, s’agissant d’associations dont le but officiel est de promouvoir un club de football, la Cour admet qu’elles n’ont pas la même importance pour une démocratie qu’un parti politique et qu’en conséquence la rigueur avec laquelle il convient d’examiner la nécessité d’une restriction au droit d’association n’est pas la même (paragraphe 74 ci-dessus). Compte tenu de l’ampleur de cette marge d’appréciation, de cette distinction et des circonstances particulières de l’affaire, la Cour conclut que les mesures de dissolution peuvent passer pour proportionnées au but poursuivi.

    85.  En conclusion, l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique. Partant, il n’y a pas eu de violation de l’article 11 de la Convention.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Décide de joindre les requêtes ;

     

    2.  Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 (substitution de motif) et de l’article 11 de la Convention, et irrecevables pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention ;

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 octobre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

        Milan Blaško                                                                  Angelika Nußberger
      Greffier adjoint                                                                        Présidente


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/942.html