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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MESSANA v. ITALY - 30801/06 (Judgment : Protection of property - Peaceful enjoyment o...) French Text [2017] ECHR 1014 (16 November 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/1014.html
Cite as: [2017] ECHR 1014, ECLI:CE:ECHR:2017:1116JUD003080106, CE:ECHR:2017:1116JUD003080106

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MESSANA c. ITALIE

     

    (Requête no 30801/06)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    16 novembre 2017

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Messana c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Kristina Pardalos, présidente,
              Ksenija Turković,
              Pauliine Koskelo, juges,
    et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30801/06) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, M. Calogero Messana et Mmes Rosa et Giuseppa Marianna Messana (« les requérants »), ont saisi la Cour le 5 juillet 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés  devant la Cour par Me G. Ingrascí, avocat à Catane, et Me A. Bozzi, avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, son ancien coagent M. N. Lettieri, et son coagent Mme P. Accardo.

    3.  Le 29 mai 2007, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résident à Caltanissetta.

    5.  Les requérants étaient copropriétaires de deux terrains constructibles de 7 030 et 1 020 m² respectivement, sis à Canicattí et enregistrés au cadastre feuille 67, parcelles 217, 230 et 224 et feuille 67, parcelle 215.

    6.  Par deux arrêtés des 14 janvier 1983 et 24 août 1984, la municipalité de Canicattí autorisa une entreprise de construction privée à occuper d’urgence les terrains des requérants, en vue de leur expropriation, afin d’y construire des habitations à loyer modéré (HLM).

    7.  Les terrains furent occupés les 16 février 1983 et 20 septembre 1984 respectivement et les travaux de construction s’achevèrent le 3 décembre 1986.

    A.  Procédure concernant l’indemnité d’expropriation

    8.  Par des actes notifiés les 19 et 29 février 1996, les requérants introduisirent devant le tribunal d’Agrigente un recours en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Canicattí et de l’entreprise de construction. Ils alléguaient que l’occupation des terrains était illégale et que les travaux de construction s’étaient terminés sans procédure d’expropriation formelle des terrains. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale des terrains à titre de dédommagement.

    9.  Par un jugement du 7 mai 1998, le tribunal d’Agrigente déclara qu’aucune indemnité n’était due aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter du 3 novembre 1988, soit la date d’entrée en vigueur de la loi no 458 de 1988, fixant le principe de l’expropriation indirecte et prévoyant un dédommagement pour les propriétaires des terrains utilisés pour la construction de bâtiments publics.

    10.  Par un acte notifié le 6 mai 1999, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Palerme.

    11.  Le 14 novembre 2000, une expertise technique ordonnée par la cour d’appel fut déposée au greffe. Selon l’expert, les dates d’expiration des périodes d’occupation légitime pour les deux terrains étaient le 14 janvier 1993 et le 20 septembre 1994 respectivement. La valeur vénale des terrains à ces dates était de 1 043 158 716 ITL (539 158 EUR) pour le premier terrain et de 142 930 976 ITL (73 817 EUR) pour le second. Faisant application des critères introduits par la loi no 662 de 1996, l’expert calcula que l’indemnité due aux requérants était de 573 737 294 ITL (296 300 EUR) pour le premier terrain et de 78 612 037 ITL (40 599 EUR) pour le second.

    12.  Par un arrêt du 6 décembre 2004, la cour d’appel de Palerme releva que l’occupation légitime avait pris fin les 14 janvier 1993 et le 20 septembre 1994 et, en faisant application du principe de l’expropriation indirecte, considéra les requérants privés de leurs terrains à compter de ces dates. Elle considéra également que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à partir de cette même date. Les recours en dommages - intérêts ayant été introduits devant le tribunal d’Agrigente en 1996, elle estima que le droit des intéressés n’était pas prescrit. Par conséquent, en application de la loi n662 de 1996, la cour d’appel condamna la municipalité de Canicattí et l’entreprise de construction à verser aux requérants la somme globale de 892 412 578 ITL (460 892,63 EUR), correspondant aux sommes fixées par l’expert, réévaluées à la date de l’arrêt.

    13.  Faute de pourvoi en cassation, ledit arrêt devint définitif le 21 janvier 2006.

    B.  Procédure concernant l’indemnité d’occupation temporaire

    14.  Par un acte d’assignation du 9 février 1996, les requérants introduisirent une action à l’encontre de la municipalité de Canicattì devant la cour d’appel de Palerme, en demandant l’octroi d’une indemnité d’occupation temporaire.

    15.  Par un arrêt du 3 mai 2001, la cour d’appel de Palerme accorda aux requérants, conjointement, ITL 218 791 424 (112 996 EUR) à titre d’indemnité d’occupation, à majorer d’intérêts jusqu’à la date de paiement.

    16.  Avec un mandat de paiement émis le 1er octobre 2003, la municipalité de Canicattì paya aux requérants 75 279,98 EUR chacun à titre d’indemnité d’occupation temporaire.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    17.  Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans la présente affaire, la Cour renvoie à l’arrêt Messana c. Italie, no 26128/04, §§ 17-20, 9 février 2017.

    EN DROIT

    I.  SUR LA DEMANDE DE RADIATION DU RÔLE DE LA REQUETE AU SENS DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION

    18.  Après l’échec des tentatives de règlement amiable, le 16 décembre 2015, le Gouvernement a informé la Cour qu’il a formulé une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête. Il a invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l’article 37 de la Convention en contrepartie du versement d’une somme globale (520 000 EUR), couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens et de la reconnaissance de la violation du droit au respect des biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention.

    19.  Le 15 janvier 2016, les requérants ont déclaré qu’ils n’étaient pas satisfaits des termes de la déclaration unilatérale compte tenu du montant offert.

    20.  La Cour a affirmé que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire au sens de l’article 37 § 1 in fine (voir, parmi d’autres, Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003-VI, et Melnic c. Moldova, no 6923/03, § 14, 14 novembre 2006).

    21.  Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figure, entre autres, si dans sa déclaration unilatérale le Gouvernement défendeur formule l’une ou l’autre concession en ce qui concerne les allégations de violations de la Convention et, dans cette hypothèse, quelles sont l’ampleur de ces concessions et les modalités du redressement qu’il entend fournir au requérant. Quant à ce dernier point, dans les cas où il est possible d’effacer les conséquences d’une violation alléguée (par exemple dans certaines affaires de propriété) et où le Gouvernement défendeur se déclare disposé à le faire, le redressement envisagé a davantage de chances d’être tenu pour adéquat aux fins d’une radiation de la requête (voir Tahsin Acar, précité, § 76).

    22.  Quant au point de savoir s’il serait opportun de rayer la présente requête sur la base de la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour relève  que le montant du dédommagement offert est insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle dans des affaires similaires en matière d’expropriation indirecte (voir Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009, Rivera et di Bonaventura c. Italie, no 63869/00, 14 juin 2011, De Caterina et autres c. Italie, no 65278/01, 28 juin 2011, et Macrì et autres c. Italie, no 14130/02, 12 juillet 2011).

    23.  Dans ces conditions, la Cour considère que la déclaration unilatérale litigieuse ne constitue pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas la poursuite de l’examen de la requête (voir Messana c. Italie, no 26128/04, § 26, 9 février 2017).

    24.  En conclusion, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de l’affaire sur la recevabilité et le fond.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

    25.  Les requérants allèguent avoir été privés de leur terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’application du principe de l’expropriation indirecte. Ils invoquent également l’article 13 de la Convention, pris en combinaison avec l’article 1 du Protocole no 1 sans, toutefois l’étayer. La Cour examinera ledit grief uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé:

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    26.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    27.  Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes au motif que les requérants ne sont pas pourvus en Cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Palerme.

    28.  Les requérants s’opposent à l’exception de non-épuisement du Gouvernement et font valoir que un pourvoi en cassation n’aurait remédié à la situation dénoncée.

    29.  La Cour rappelle avoir déjà rejeté des exceptions semblables dans les affaires Giacobbe et autres c. Italie (no 16041/02, 15 décembre 2005) et Chirò c. Italie, (no 5), (no 67197/01, 11 octobre 2005). Elle n’aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception en question.

    30.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève, par ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    a)  les requérants

    31.  Les requérants rappellent qu’ils ont été privés de leurs biens en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui est inadmissible dans un État de droit.

    32.  Ils affirment avoir eu la certitude de la perte de propriété de leurs biens en application du principe de l’expropriation indirecte avec l’arrêt de la Cour d’appel de Palerme.

    b)  Le Gouvernement

    33.  Le Gouvernement prend acte de ce que la jurisprudence de la Cour, désormais consolidée, conclut à une incompatibilité du mécanisme de l’expropriation indirecte avec le principe de légalité. Toutefois, à la lumière des arrêts des juridictions internes déclarant qu’un transfert de propriété avait eu lieu, et qui serait assimilable à un acte formel d’expropriation, l’expropriation en question ne pourrait plus se considérer comme étant incompatible avec le respect des biens et le principe de prééminence du droit.

    34.  Quant au dédommagement, le Gouvernement reconnaît que les paramètres appliqués dans le cas d’espèce posent des problèmes de compatibilité avec la Convention, car les requérants n’ont pas été dédommagés sur la base de la valeur vénale des terrains.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Sur l’existence d’une ingérence

    35.  La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir, parmi beaucoup d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski c. Pologne [GC], n31443/96, § 134, CEDH 2004 V, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012).

    36.  La Cour constate que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu une « privation » de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

    37.  La Cour doit donc rechercher si la privation dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.

    b)  Sur le respect du principe de légalité

    38.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Iatridis c. Grèce [GC], précité, § 58).

    39.  La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, n31524/96, CEDH 2000-VI, Scordino c. Italie (no 3), n43662/98, 17 mai 2005 et Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour une récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière, notamment en ce qui concerne la question du respect du principe de légalité dans cette typologie d’affaires.

    40.  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants privés de leurs biens à compter de la date de la cessation de la période d’occupation légitime. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition des terrains par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la sécurité juridique concernant la privation de la propriété des terrains qu’au plus tôt le 21 janvier 2006, date à laquelle le jugement de la cour d’appel de Palerme est devenu définitif.

    41.  La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier le terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme.

    42.  À la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants.

    43.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    44.  Les requérants se plaignent de l’absence d’équité de la procédure. Ils font valoir qu’ils ne peuvent pas être dédommagés à hauteur de la valeur vénale du terrain par effet de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    45.  La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

    46.  La Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole n1, que la situation dénoncée par les requérants n’est pas conforme au principe de légalité. Eu égard aux motifs l’ayant amenée à ce constat de violation, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 (voir Macrì et autres c. Italie, précité, § 49, Rivera et di Bonaventura c. Italie, précité, § 30, Iandoli c. Italie, no 67992/01, 14 juin 2011, Velocci c. Italie, n717/03, 18 mars 2008, et Farina c. Italie, no 75259/01, 17 mai 2011).

    IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    47.  Les requérants invoquent également l’article 17 de la Convention, sans toutefois l’étayer.

    48.  La Cour estime par conséquent qu’il doit être déclaré irrecevable en tant que manifestement mal fondé au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    49.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel

    50.  Les requérants sollicitent une somme correspondant à la différence entre la valeur vénale du terrain et le montant du dédommagement accordé au niveau national, à réévaluer et à majorer des intérêts. Les requérants demandent, en outre, le versement d’une somme de 6 240 000 EUR à titre de plus-value découlant de la construction des ouvrages publiques.

    51.  Le Gouvernement s’y oppose.

    52.  La Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], précité, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte en établissant que l’indemnisation à octroyer doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation et assorti d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Enfin, il y a lieu de d’évaluer la perte de chances éventuellement subie par les intéressés.

    53.  En l’espèce, d’après les juridictions nationales, les requérants ont perdu la propriété des deux terrains le 14 janvier 1993 et le 20 septembre 1994 respectivement (voir paragraphe 12 ci-dessus). Il ressort de l’expertise ordonnée par la Cour d’appel de Palerme que la valeur des terrains à ces dates était de 1 043 158 716 ITL (539 158 EUR) pour le premier terrain et de 142 930 976 ITL (73 817 EUR) pour le second (voir paragraphe 11 ci-dessus).

    54.  Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants 752 000 EUR, conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

    55.  Quant à la perte de chances subie à la suite de la perte de propriété, la Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité des terrains pendant la période allant du début de l’occupation légitime (16 février 1983 et 20 septembre 1984) jusqu’au moment de la perte de propriété (14 janvier 1993 et 20 septembre 1994). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme éventuellement déjà obtenue par les requérants au niveau interne à titre d’indemnité d’occupation. La Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants, conjointement, 38 700 EUR pour la perte de chances.

    B.  Dommage moral

    56.  Les requérants demandent 100 000 EUR chacun à titre de préjudice moral.

    57.  Le Gouvernement s’y oppose.

    58.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

    59.  Compte tenu des circonstances de l’espèce, et statuant en équité, la Cour alloue aux requérants, conjointement, 5 000 EUR à titre de dommage moral.

    C.  Frais et dépens

    60.  Notes d’honoraires à l’appui, les requérants demandent également 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 40 000 devant la Cour.

    61.  Le Gouvernement s’y oppose.

    62.  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement.

    63.  Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 5 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés.

    D.  Intérêts moratoires

  1. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  2. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Rejette la demande de radiation du rôle de la requête ;

     

    2.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

     

    3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

     

    4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    5.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois, les sommes suivantes:

    i.  790 700 EUR (sept cent quatre-vingt-dix mille sept cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

    ii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    iii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Renata Degener                                                                 Kristina Pardalos
    Greffière adjointe                                                                     
    Présidente


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